CEDH, Cour (quatrième section), ROEMEN et SCHMIT c. le LUXEMBOURG, 12 mars 2002, 51772/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 12 mars 2002, n° 51772/99
Numéro(s) : 51772/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 23 août 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 75, CEDH 1999-V - (28.7.99) Comm. Eur. D.H. No 8346/78, déc. 6.3.80, D.R. 19, p. 230
Arrêt Cardot c. France du 9 mars 1991, série A n° 200, §§ 34, 36
Arrêt Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A n° 35, § 46
Arrêt Eckle c. Allemagne du 15 juillet 1992, série A n° 51, § 73
Arrêt Edwards c. Royaume-Uni du 16 décembre 1992, série A n° 247-B
Arrêt Gautrin et autres c. France du 20 mai 1998, Recueil 1998-III
Arrêt Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 75, CEDH 1999-V - (28.7.99) Comm. Eur. D.H. No 8346/78, déc. 6.3.80, D.R. 19, p. 230
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-43365
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2002:0312DEC005177299
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 51772/99
présentée par Robert ROEMEN et Anne-Marie SCHMIT
contre le Luxembourg

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 12 mars 2002 en une chambre composée de

SirNicolas Bratza, président,
MM.M. Pellonpää,
A. Pastor Ridruejo,
J. Makarczyk,
M. Fischbach,
J. Casadevall,
S. Pavlovschi, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 23 août 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le premier requérant est journaliste au Luxembourg. La deuxième requérante a été l’avocate du premier requérant dans l’affaire soumise à la Cour. Les deux requérants sont des ressortissants luxembourgeois, nés respectivement en 1945 et 1963 et résidant à Luxembourg. Ils sont représentés devant la Cour par Me Dean Spielmann, avocat au barreau de Luxembourg.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

En date du 21 juillet 1998, le premier requérant publia dans le quotidien « Lëtzëbuerger Journal » un article intitulé « Minister W. der Steuerhinterziehung überführt » (« le ministre W. convaincu de fraude fiscale »). L’article soutenait que le ministre aurait enfreint les septième, huitième et neuvième commandements,  par des faits de fraude à la T.V.A. Le journaliste poursuivait que l’on aurait pu s’attendre à ce qu’un homme politique de droite prenne plus au sérieux les principes élaborés avec tant de soins par Moïse. Il précisait ensuite que le ministre aurait fait l’objet d’une amende fiscale de 100 000 LUF. Il concluait que pareille attitude était d’autant plus honteuse qu’elle émanait d’une personnalité devant servir d’exemple.

Les requérants produisent des documents dont il ressort que par une décision du 16 juillet 1998 le directeur de l’administration de l’enregistrement et des domaines avait condamné le ministre W. à l’amende en question sur base de l’article 77,2° de la loi T.V.A. du 12 février 1979. Cette décision fut notifiée au ministre W. en date du 20 juillet 1998. Il apparaît aussi qu’en date du 27 juillet 1998, le ministre a introduit devant le tribunal d’arrondissement un recours contre l’amende fiscale prononcée à son égard. Par jugement du 3 mars 1999, le tribunal décida que l’amende n’était pas justifiée au motif que l’infraction à l’article 77,2° de la loi T.V.A. du 12 février 1979 n’était pas établie. Ce jugement fit l’objet d’une procédure d’appel devant la cour supérieure de justice. Les parties n’ont pas fourni d’autres renseignements au sujet du développement de cette procédure.

La décision du 16 juillet 1998 fit l’objet de commentaires dans d’autres journaux, tels le quotidien « Républicain lorrain » et l’hebdomadaire « d’Lëtzëbuerger Land ». Un député libéral posa en outre une question parlementaire au sujet de l’affaire.

Deux procédures judiciaires furent engagées suite à la publication de l’article du premier requérant.

Le 24 juillet 1998, le ministre saisit le tribunal d’arrondissement d’une action en dommages et intérêts contre le premier requérant et le quotidien « Lëtzëbuerger Journal », arguant du caractère fautif de la publication de l’information relative à une sanction fiscale à son encontre et faisant état de commentaires attentatoires à son honneur.  Par jugement du 31 mars 1999, le tribunal débouta le ministre de son action, au motif que le journaliste a agi dans l’exercice de la liberté de la presse. Les juges précisèrent encore que pareille information sur un écart à l’intégrité fiscale d’un ministre relève du droit des citoyens de recevoir des informations. Le ministre interjeta appel contre le jugement du 31 mars 1999 ; la Cour ne dispose pas davantage de renseignements sur l’état actuel de cette procédure.

Le 4 août 1998, le ministre introduisit une plainte pénale.

Le 21 août 1998, le Procureur d’Etat requit au juge d’instruction de procéder à une information du chef de recel de violation du secret professionnel visant le premier requérant et de violation du secret professionnel concernant inconnu(s). Le réquisitoire précisait que « l’instruction et l’enquête à mener devraient déterminer quel(s) fonctionnaire(s) de l’administration de l’enregistrement et des domaines étai(en)t impliqué(s) dans le traitement du dossier et avai(en)t accès aux documents ». Le procureur demandait encore au juge d’instruction d’opérer ou faire opérer une perquisition domiciliaire en la demeure et les dépendances quelconques du premier requérant et dans les locaux du « Lëtzëbuerger Journal », ainsi qu’auprès de l’administration de l’enregistrement et des domaines.

Différentes perquisitions s’ensuivirent.

1.Perquisitions au domicile et au lieu du travail du premier requérant

En date du 9 octobre 1998, le juge d’instruction rendit deux ordonnances de perquisitions au domicile ainsi qu’au lieu du travail du premier requérant, en vue de « rechercher et de saisir tous objets, documents, effets et/ou autres choses utiles à la manifestation de la vérité respectivement en relation avec les infractions libellées sous rubrique ou dont l’utilisation serait de nature à nuire à la bonne marche de l’instruction ». La première ordonnance précisa que la perquisition était ordonnée « au domicile et aux dépendances quelconques de Robert Roemen, (...), à tout endroit où il pourra être trouvé ainsi que dans les voitures lui appartenant ou utilisées par lui ».

Ces deux perquisitions, qui furent exécutées le 19 octobre 1998, restèrent infructueuses.

Le 21 octobre 1998, le premier requérant introduisit des recours en vue de l’annulation de chacune des ordonnances du 9 octobre 1998 ainsi que de tous les actes d’instruction exécutés sur base des ordonnances et notamment les perquisitions du 19 octobre 1998. Dans ses recours, il souleva, outre des arguments relatifs au droit interne, une violation de l’article 10 de la Convention, arguant plus particulièrement de son droit à la protection des sources journalistiques.

Par deux ordonnances du 9 décembre 1998, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement rejeta chacun des recours. Les juges indiquèrent que le ministre avait dénoncé un certain nombre de faits dont celui que des fonctionnaires de l’administration de l’enregistrement et des domaines auraient indûment divulgué des données au premier requérant qui en aurait fait usage lors de la rédaction d’un article de presse calomnieux et diffamatoire. Ces faits étaient susceptibles de recevoir un certain nombre de qualifications pénales dont celles de violation du secret professionnel, violation du secret fiscal, vol et recel, ainsi que calomnie ou diffamation. Les juges précisèrent qu’aux termes de l’article 11 du statut général des fonctionnaires, il est interdit au fonctionnaire de révéler les faits dont il a obtenu connaissance en raison de ses fonctions et qui auraient un caractère secret de par leur nature. Ils poursuivirent que la loi générale sur les impôts sanctionne pénalement la violation du secret fiscal, de même que l’article 458 du code pénal sanctionne la violation du secret par toute personne qui par sa profession est dépositaire des secrets qu’on lui confie. Quant à l’infraction de recel, ils indiquèrent que l’article 505 du code pénal atteint tous ceux qui, en connaissance de cause, ont, par un moyen quelconque, bénéficié du produit d’un crime ou d’un délit. Selon la doctrine et la jurisprudence dominante, l’objet du recel pourrait être immatériel, comme non seulement une créance, mais encore un secret de fabrication ou un secret professionnel. Il importerait peu à cet égard que les circonstances du délit d’où provient l’objet n’aient pas été entièrement déterminées, dès lors que le prévenu avait connaissance de son origine délictueuse, la qualification de l’infraction originaire étant indifférente. Ils conclurent que le juge d’instruction, chargé d’instruire les faits dont il fut saisi, était en droit d’ordonner une mesure d’instruction pour corroborer les charges d’ores et déjà existantes. Les juges précisèrent encore que l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme n’était pas violé, au motif que les perquisitions - ordonnées pour rassembler des preuves et établir la vérité en ce qui concerne des actes pénalement répréhensibles, qui avaient le cas échéant précédé et contribué à la rédaction d’un article de presse - n’avaient pas porté atteinte à la liberté d’expression ou à la liberté de la presse.

Par deux arrêts du 3 mars 1999, la chambre du conseil de la cour d’appel rejeta les appels interjetés à l’encontre des ordonnances du 9 décembre 1998.

2.Perquisition à l’étude de la deuxième requérante

Le 19 octobre 1998, le juge d’instruction ordonna une perquisition à exécuter le jour même à l’étude de la deuxième requérante.

Lors de cette perquisition, les enquêteurs saisirent une lettre du 23 juillet 1998 adressée par le directeur de l’administration de l’enregistrement et des domaines au Premier Ministre et portant une note manuscrite « Aux chefs de service. Transmis à titre confidentiel pour votre gouverne ». Les requérants expliquent que cette pièce avait été transmise de manière anonyme à la rédaction du « Lëtzëbuerger Journal » et que le premier requérant l’avait transmise aussitôt à son avocat, la deuxième requérante.

En date du 21 octobre 1998, un recours en annulation fut introduit contre l’ordonnance de perquisition et les actes d’instruction subséquents.

La chambre du conseil du tribunal d’arrondissement accueillit le recours, au motif que le procès-verbal du service de police judiciaire ayant exécuté l’ordonnance du 19 octobre 1998 ne mentionnait pas, contrairement au prescrit de l’article 35 de la loi sur la profession d’avocat, les observations du Vice-Bâtonnier qui était présent lors des opérations de perquisition et saisie. Elle annula la saisie effectuée le 19 octobre 1998 et ordonna la restitution de la lettre du 23 juillet 1998 à la deuxième requérante.

Le 11 janvier 1999, la pièce saisie fut restituée.

Or, le 11 janvier 1999, le juge d’instruction ordonna à nouveau une perquisition, en vue de « rechercher et de saisir tous objets, documents, effets et/ou autres choses utiles à la manifestation de la vérité respectivement en relation avec les infractions libellées sous rubrique ou dont l’utilisation serait de nature à nuire à la bonne marche de l’instruction et notamment le document du 23 juillet 1998 portant la mention manuscrite aux chefs de service ». La lettre en question fut ainsi à nouveau saisie le jour même.

Le 13 janvier 1999, la deuxième requérante introduisit un recours en annulation, arguant, entre autres, d’une violation du principe que le lieu de travail de l’avocat et le secret de communications entre l’avocat et son client sont inviolables. Sa demande fut rejetée par la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement en date du 9 mars 1999. Les juges retinrent d’une part que le juge d’instruction peut procéder à des perquisitions même chez les personnes qui en raison de leur profession, sont dépositaires de secrets qui leur ont été confiés et qui sont légalement tenues de ne pas violer ce secret (...) et d’autre part que les dispositions de l’article 35 de la loi du 10 août 1991 sur la profession d’avocat étaient respectées en l’occurrence. Ils précisèrent que les opérations de perquisition et de saisie étaient exécutées en présence du juge d’instruction, du représentant du Parquet et du Bâtonnier. En outre, la présence du Bâtonnier et les observations concernant la sauvegarde du secret professionnel que celui-ci avait estimé devoir faire à propos des documents à saisir avaient été mentionnées dans le procès-verbal du service de police judiciaire.

Par arrêt du 20 mai 1999, la chambre du conseil de la cour d’appel rejeta l’appel interjeté contre l’ordonnance du 9 mars 1999.

3.Période qui suivit les perquisitions

Par courrier du 23 juillet 1999, le premier requérant s’enquit auprès du juge d’instruction de l’avancement de l’affaire. Il se plaignit du fait que d’autres démarches supplémentaires ne semblaient pas avoir été effectuées et rappela au juge qu’il n’était pas censé ignorer les termes de l’article 6 de la Convention. Il relança le juge dans des termes similaires en date du 27 septembre 2000.

Le 3 octobre 2000, les requérants fournirent à la Cour un article de presse de l’hebdomadaire « d’Lëtzebuerger Land » du 29 septembre 2000, dans lequel on peut lire ce qui suit :

« (...) L’enquête dans le cadre de l’affaire Wolter vient ainsi de culminer avec la perquisition au domicile d’un fonctionnaire de l’administration de l’enregistrement et des domaines, membre du parti socialiste, et par le repérage des appels téléphoniques rentrants et sortants d’au moins deux autres membres du [parti socialiste] (...). »

En date du 18 avril 2001, le premier requérant relança une nouvelle fois le juge d’instruction, qui lui répondit, le 23 avril 2001, que « l’enquête judiciaire [suivait] son cours ».

Suite à un courrier du premier requérant du 13 juillet 2001, le juge d’instruction l’informa le même jour que l’enquête de la police judiciaire était terminée et que le dossier d’instruction venait d’être transmis au Procureur d’Etat pour conclusions.

Le 16 octobre 2001, le premier requérant cita les termes de l’article 6 de la Convention au Procureur, en lui rappelant que l’instruction du dossier avait duré 3 ans et qu’il n’avait toujours pas été inculpé.

En date du 13 novembre 2001, le premier requérant reçut un mandat de comparution en vue d’être interrogé, le 30 novembre 2001, sur les infractions mises à sa charge, mention étant faite qu’il pouvait se faire assister d’un défenseur.

Selon ses renseignements, le premier requérant fut inculpé par le juge d’instruction pour « recel de violation de secret professionnel » en date du 30 novembre 2001.

Les requérants produisent un article publié dans le journal « Le Quotidien » du 9 janvier 2002, duquel il ressort que le Premier Ministre avait « estimé « disproportionnés » les moyens mis en œuvre par le juge d’instruction dans le cadre de l’enquête pour violation du secret professionnel ».

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.   Les perquisitions et saisies

a)  Les perquisitions et saisies en général

L’article 65 du code d’instruction criminelle prévoit que « les perquisitions sont effectuées dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité ».

L’article 66 du même code prévoit que « le juge d’instruction opère la saisie de tous les objets, documents, effets et autres choses visées à l’article 31 (3) ». Ce dernier article dispose que pourra être saisi « (...) en général, tout ce qui paraît utile à la manifestation de la vérité ou dont l’utilisation serait de nature à nuire à la bonne marche de l’instruction et tout ce qui est susceptible de confiscation ou de restitution ».

b)  Les perquisitions et saisies effectuées auprès d’un avocat

L’article 35(3) de la loi du 10 août 1991 sur la profession d’avocat dispose ce qui suit :

« Le lieu de travail de l’avocat et le secret des communications, par quelque moyen que ce soit, entre l’avocat et son client, sont inviolables. Lorsqu’une mesure de procédure civile ou d’instruction criminelle est effectuée auprès ou à l’égard d’un avocat dans les cas prévus par la loi, il ne peut y être procédé qu’en présence du Bâtonnier ou de son représentant, ou ceux-ci dûment appelés.

Le Bâtonnier ou son représentant peut adresser aux autorités ayant ordonné ces mesures toutes observations concernant la sauvegarde du secret professionnel. Les actes de saisie et les procès-verbaux de perquisition mentionnent à peine de nullité la présence du Bâtonnier ou de son représentant ou qu’ils ont été dûment appelés, ainsi que les observations que le cas échéant le Bâtonnier ou son représentant ont estimé devoir faire. »

2.  Les recours en cassation contre les arrêts d’instruction

a)  Législation

L’article 407 du code d’instruction criminelle dispose que :

« Les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle ou de police, peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public, le prévenu ou la partie civile, suivant les distinctions qui vont être établies. »

L’article 416 du même code se lit ainsi qu’il suit :

« (1) Le recours en cassation contre les arrêts préparatoires et d’instruction ou les jugements en dernier ressort de cette qualité, n’est ouvert qu’après l’arrêt ou le jugement définitif ; l’exécution volontaire de tels arrêts ou jugements préparatoires ne peut, en aucun cas, être opposée comme fin de non-recevoir.

(2) Le recours en cassation est toutefois ouvert contre les arrêts et jugements rendus sur la compétence et contre les dispositions par lesquelles il est statué définitivement sur le principe de l’action civile. »

b)  Jurisprudence en la matière

La Cour de cassation a défini ce qu’il faut entendre par « jugements préparatoires et d’instruction », au sens de l’article 416 :

« Les termes de « jugements préparatoires et d’instruction » embrassent dans leur généralité toutes les décisions quelconques rendues sur l’instruction d’une cause, par opposition aux décisions qui mettent un terme à la poursuite, soit par l’acquittement, soit par la condamnation ou par la relaxe » (arrêt du 11 février 1980, n° 7/80).

Elle a encore précisé à plusieurs reprises qu’en application de l’article 416, un arrêt [de la chambre du conseil de la cour d’appel] qui statue sur une demande en nullité ne constitue ni une décision sur la compétence ni une décision mettant définitivement fin à la poursuite. Elle en a conclu que le pourvoi en cassation formé contre une telle décision est irrecevable (voir, à titre d’exemple, PAS. L.22, 380).

Il apparaît d’une décision de recevabilité de la Cour (Société Faugyr Finance SA c. Luxembourg (déc.), n° 38788/97, 23.3.2000, partie « En fait »), que la demande d’annulation de la perquisition que la société requérante avait introduite, suite à une saisie de documents la concernant, fut rejetée par les juridictions d’instruction. La Cour de cassation déclara son pourvoi irrecevable en application de l’article 416 du code d’instruction criminelle, au motif que l’arrêt de la chambre du conseil de la cour d’appel n’avait ni statué sur une question de compétence, ni définitivement sur une action publique ou sur le principe d’une action civile. La demande en restitution des pièces saisies présentée par la société fut à son tour rejetée par les juridictions d’instruction. Le pourvoi en cassation formé par la société fut déclaré irrecevable au motif qu’il n’émanait ni du ministère public, ni d’une partie prévenue ni d’une partie civile, aux termes de l’article 407.

GRIEFS

1.  Le premier requérant se plaint d’une violation de l’article 10 de la Convention, dans la mesure où son droit en tant que journaliste de taire ses sources a été violé par les différentes perquisitions.

Il estime en outre que d’une manière plus générale le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général a été violé du fait de l’enquête pénale dirigée à son encontre.

2.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le premier requérant se plaint d’une ingérence non justifiée dans son droit au respect du domicile du fait de la perquisition effectuée chez lui. Dans sa requête, il se réfère cependant à la perquisition exécutée à l’étude de son avocat pour expliquer en quoi l’ingérence serait injustifiée au sens du § 2 de l’article 8.

La deuxième requérante se plaint tout d’abord d’une ingérence non justifiée dans son droit au respect du domicile du fait de la perquisition effectuée dans son étude. Elle argue en outre que la saisie a entravé le droit au respect de la « correspondance entre l’avocat et son client ».

3.  Le premier requérant dénonce également une violation de l’article 6 de la Convention.

Dans sa requête, il soutient tout d’abord que son droit à un procès équitable a été violé dans la mesure où il n’a pas été inculpé par le juge d’instruction.

Il estime ensuite que l’action pénale dirigée contre lui n’a pas été menée dans un délai raisonnable.

Il argue finalement que son droit à une défense effective n’a pas été respecté dans la mesure où le document qu’il a confié à son avocat a été saisi, alors même que son mandataire ne l’avait même pas utilisé dans le cadre du procès civil.

EN DROIT

1. Le premier requérant dénonce une violation de son droit à la liberté d’expression tel que le garantit l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

a.  Il estime en premier lieu que les mesures d’instruction violent le droit du journaliste de taire ses sources. En se référant à l’arrêt Goodwin c. Royaume-Uni (Rec. 1996-II, fasc. 7 (27.3.96)), il souligne que les perquisitions avaient pour objet de découvrir sa source d’information. Ceci résulterait à suffisance du libellé du réquisitoire du 21 août 1998 du Parquet, qui indique que l’enquête à mener devait « déterminer quel(s) fonctionnaire(s) de l’administration de l’enregistrement et des domaines étai(en)t impliqué(s) dans le traitement du dossier et avai(en)t accès aux documents ».

Le Gouvernement soulève l’exception d’irrecevabilité de ce grief pour non-épuisement  des voies de recours internes. Il admet que le requérant a certes invoqué ce grief devant les juridictions d’instruction appelées à statuer sur les requêtes en nullité. Or, par application de l’article 416 du code d’instruction criminelle, les agissements des autorités luxembourgeoises sont susceptibles d’un recours en cassation après l’arrêt ou le jugement définitif au fond.

Dans ses observations du 18 avril 2001, le requérant a répliqué que la voie de la cassation était théorique et très incertaine, alors qu’il ne serait probablement jamais inculpé de sorte qu’il risquerait d’être empêché indéfiniment d’exercer un recours qui n’est ouvert qu’après l’arrêt définitif au fond.

La Cour rappelle que les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, CEDH 1999-V – (28.7.99), § 75).

En l’espèce, la Cour note qu’à la suite des perquisitions du 19 octobre 1998, le requérant se vit rejeter ses recours en annulation par les arrêts de la chambre du conseil de la cour d’appel du 3 mars 1999. Le requérant ne fut cependant inculpé que le 30 novembre 2001, soit 2 ans et 8 mois plus tard. Or, il n’apparaît pas du dossier que des devoirs d’instruction furent accomplis pendant ce laps de temps, exception faite d’une perquisition au domicile d’un fonctionnaire de l’administration de l’enregistrement et des domaines et de repérages téléphoniques auxquels il est fait allusion dans l’article du Lëtzebuerger Land du 29 septembre 2000. Le requérant relança d’ailleurs le juge d’instruction en juillet 1999, septembre 2000 et avril 2001 ; le juge ne réserva cependant de suite qu’au dernier courrier, en se bornant à affirmer que « l’enquête judiciaire [suivait] son cours ». 

La Cour estime que, dans ces circonstances, l’on ne saurait raisonnablement reprocher au requérant de ne pas avoir attendu d’exercer un recours en cassation qui ne s’ouvre qu’après l’arrêt ou le jugement définitif au fond.

Faute d’explications convaincantes du Gouvernement sur le caractère « effectif » et « adéquat » du recours invoqué par lui, à savoir le pourvoi en cassation qui ne s’ouvre qu’après l’arrêt ou le jugement définitif au fond, la Cour estime que le recours dont le requérant disposait n’était pas, en l’espèce, normalement disponible et suffisant pour lui permettre d’obtenir réparation de la violation qu’il allègue. La Cour en conclut que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.

Quant au fond, le Gouvernement considère en premier lieu que les actes des autorités nationales ne constituent pas une ingérence dans les droits garantis au requérant par l’article 10. Les perquisitions sont restées sans résultat, le seul document saisi n’ayant pas servi de source au journaliste pour la rédaction de son article de presse. L’ingérence était en tout état de cause prévue par la loi, à savoir l’article 65 du code d’instruction criminelle. Elle poursuivait comme but légitime celui de la défense de l’ordre public et de la prévention des crimes. Elle était encore nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but poursuivi. L’approche suivie dans l’affaire Goodwin ne saurait être appliquée en l’espèce. D’une part, le requérant ne fut pas sommé de divulguer sa source sous peine d’une amende mais il fit l’objet d’une simple perquisition ayant abouti à la saisie d’un seul document. D’autre part, le but poursuivi en l’espèce par l’ingérence revêt un autre poids que celui de la protection des intérêts économiques d’une entreprise particulière, tel que ce fut le cas dans l’affaire Goodwin. L’information ouverte pour violation du secret professionnel met directement en cause le fonctionnement régulier des institutions publiques ; ainsi la prévention et la répression de cette infraction constituent un « besoin social impérieux » justifiant l’ingérence.

Le premier requérant conteste la thèse retenue par le Gouvernement. Il souligne que les perquisitions avaient pour objet de découvrir l’auteur de la prétendue violation du secret professionnel, donc la source d’information du journaliste. Les mesures incriminées étaient disproportionnées et de nature à dissuader le journaliste à jouer le rôle indispensable de « chien de garde » en vue de l’information du public sur les questions d’intérêt général. La découverte de l’identité de l’auteur de la violation du secret professionnel aurait pu être obtenue par d’autres moyens, tels des interrogatoires des fonctionnaires de l’administration de l’enregistrement et des domaines. En outre, la passivité des autorités d’instruction et de poursuite qui succéda aux perquisitions prouve à suffisance que ces dernières n’étaient nullement nécessaires à la protection de l’ordre public et la prévention du crime.

La Cour a procédé à un examen préliminaire des arguments des parties. Elle estime que ce grief pose des questions de droit et de fait complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen, mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

b.  Le premier requérant fait ensuite valoir que l’enquête pénale en tant que telle viole son droit - et son devoir - en tant que journaliste de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général.

La Cour se doit cependant de constater qu’une enquête vise seulement à instruire les faits de l’affaire dont un juge est saisi. Même à supposer qu’une enquête pénale puisse avoir un effet intimidant pour un journaliste, l’on ne saurait raisonnablement considérer que son droit à communiquer des informations au public a été violé, aussi longtemps qu’une condamnation n’est pas intervenue pour les faits reprochés par le plaignant. Or, il s’avère qu’en l’espèce, le requérant vient d’être inculpé pour l’infraction de recel de violation de secret professionnel mais n’a, à l’heure actuelle, pas été jugé au pénal. La Cour observe que les juges civils ont, quant à eux, retenu que le journaliste a agi dans l’exercice de la liberté de la presse (voir le jugement du tribunal d’arrondissement du 31 mars 1999).

Partant, cette partie de la requête, dont l’examen ne permet de déceler aucune apparence d’atteinte à la Convention et en particulier à l’article 10 de la Convention, est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

2.  Les requérants arguent que les perquisitions et la saisie pratiquées ont méconnu l’article 8, ainsi libellé : 

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Selon le premier requérant, la perquisition effectuée à son domicile a enfreint son droit au respect de la vie privée et familiale. La deuxième requérante estime que la saisie opérée dans son cabinet a entravé le droit au respect de son domicile et de la correspondance entre l’avocat et son client.

Le Gouvernement soulève l’exception d’irrecevabilité de ces griefs pour non-épuisement des voies de recours internes. L’argument de la violation de l’article 8 n’a pas été soulevé devant les juridictions d’instruction. En outre, aux termes de l’article 416 du code d’instruction criminelle, un recours en cassation contre les arrêts préparatoires et d’instruction est ouvert après l’arrêt ou le jugement définitif au fond. Les agissements des autorités luxembourgeoises, qui s’inscrivent tous dans le cadre de l’exécution d’une instruction pénale, sont ainsi susceptibles d’un recours en cassation après l’arrêt ou le jugement définitif. 

Il y a lieu de distinguer la situation du premier requérant de celle de son avocate.

a.  Le premier requérant réplique que l’article 8 constitue une disposition d’ordre public et qu’il a en tout état de cause soulevé le grief de manière sous-jacente durant toute la procédure. Dans ses observations du 18 avril 2001, il a indiqué en outre que la voie de la cassation était théorique et très incertaine, alors qu’il ne serait probablement jamais inculpé de sorte qu’il risquerait d’être empêché indéfiniment d’exercer un recours qui n’est ouvert qu’après l’arrêt définitif au fond.

La Cour rappelle que l’article 35 de la Convention impose de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler devant la Cour ; il commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention (Cardot c. France – 200 (19.3.91), § 34).

En l’espèce, la Cour constate que, ni dans sa requête en nullité du 21 octobre 1998, ni dans sa note de plaidoirie du 6 novembre 1998, le requérant n’a fait valoir, explicitement ou au moins en substance, le grief relatif à l’article 8 de la Convention. Il n’apparaît pas davantage des décisions rendues par les juridictions d’instruction les 9 décembre 1998 et 3 mars 1999 que l’article 8 aurait été invoqué par le requérant.

Il s’ensuit que le premier requérant n’a pas donné aux juridictions luxembourgeoises l’occasion que l’article 35 a pour finalité de ménager en principe aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre eux (Cardot c. France précité, § 36). L’exception de non-épuisement se révèle donc fondée.

b.  La deuxième requérante s’oppose à l’argumentation du Gouvernement, arguant qu’elle n’a pas qualité pour se pourvoir en cassation alors qu’elle ne constitue pas une des parties énumérées à l’article 407 du code d’instruction criminelle.

La Cour constate d’emblée que, dans sa requête en nullité du 13 janvier 1999, la requérante fit état du principe de l’inviolabilité du lieu de travail et du secret de ses communications avec son client ; elle peut ainsi être considérée comme ayant soulevé, en substance, le grief soumis à la Cour, devant les juridictions d’instruction.

Quant à la question de la nécessité de se pourvoir en cassation, la Cour rappelle que l’article 35 de la Convention impose aux personnes désireuses d’intenter une action devant les organes de Strasbourg, d’user préalablement des recours internes qui sont « adéquats » et « effectifs » (Gautrin et autres c. France – Rec. 1998-III, fasc. 72 (20.5.98) ; N° 8346/78, déc. 6.3.80, D.R. 19, p. 230).

En l’espèce, la requérante ne figure pas parmi les parties ayant qualité pour former un pourvoi en cassation, aux termes de l’article 407 du code d’instruction criminelle. En outre, dans la mesure où il ne saurait prêter à confusion qu’elle ne sera jamais inculpée ni a fortiori jugée en tant que mandataire pour les faits qui sont reprochés à son client, le premier requérant, le recours en cassation n’aura en tout état de cause pas vocation à s’ouvrir, aux termes de l’article 416 du code d’instruction criminelle.

Dans ces conditions, un pourvoi en cassation fondé sur le grief en cause ne saurait constituer un recours « adéquat » et « effectif ». En conséquence, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

Quant au fond, le Gouvernement soutient qu’à supposer que la perquisition s’analyse en une ingérence dans les droits reconnus à la requérante par l’article 8, elle est justifiée au regard du § 2 de cet article. En effet, l’ingérence est prévue par la loi, notamment par l’article 65 du code d’instruction criminelle, et poursuit un but légitime, à savoir la prévention et la répression d’infractions pénales. Enfin, elle est nécessaire dans une société démocratique. Les mandats de perquisitions étaient rédigés en termes restrictifs et ne visaient la recherche et la saisie que d’un seul document. Les infractions à l’origine de la perquisition constituent des délits d’une certaine gravité mettant en cause le fonctionnement même de l’administration et justifient ainsi que le juge d’instruction procède à tous les actes qu’il estime utiles à la manifestation de la vérité.

La deuxième requérante conteste la nécessité de l’ingérence. Les ordonnances de perquisition furent rédigées en termes particulièrement larges. Dans cette affaire en somme banale, mais hautement politisée, les moyens employés par les autorités nationales au début de l’instruction furent disproportionnés, surtout si l’on tient compte de la carence subséquente du juge d’instruction.

La Cour a procédé à un examen préliminaire des arguments des parties. Elle estime que ce grief pose des questions de droit et de fait complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen, mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

3.  Le premier requérant se plaint de violations de l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi qu’il suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...), dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

a.  En premier lieu, il indiqua, à l’époque de l’introduction de sa requête, que son droit à un procès équitable était violé du fait qu’il n’était toujours pas inculpé. Il affirma notamment que la procédure pénale luxembourgeoise offrait un certain nombre de droits qui présupposent une inculpation préalable ; la simple information dirigée contre lui ne lui permettrait de faire valoir ses droits comme s’il était inculpé.

La Cour se doit de constater d’emblée que le requérant omet de préciser son grief, et notamment d’indiquer la substance, sinon du moins la nature des droits qu’il prétend ne pas pouvoir faire valoir jusqu’à son inculpation.

En tout état de cause, la Cour rappelle que « parmi les impératifs de l’équité voulue par le paragraphe 1 de l’article 6 figure l’obligation, pour les autorités de poursuite, de communiquer à la défense tous les éléments importants, à charge ou à décharge » (Edwards c. Royaume-Uni – 247-B (16.12.92)). Or, en l’espèce, elle se doit de constater qu’à supposer même que le requérant n’ait pas eu facilement accès au dossier d’instruction jusqu’à son inculpation, l’on ne saurait pour autant raisonnablement considérer que ses droits de la défense sont violés. En effet, il se verra délivrer une copie de l’intégralité du dossier répressif au plus tard au moment où une date est retenue pour les plaidoiries, de sorte que les droits de la défense sont garantis dans le cadre de son procès pénal.

Il s’ensuit que ce grief, dont l’examen ne permet de déceler aucune apparence d’atteinte à la Convention et en particulier à l’article 6 § 1 de la Convention, est manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

b.  Le premier requérant se plaint encore de la durée de la procédure. A l’époque de l’introduction de sa requête, il argua que dans la mesure où il n’était toujours pas inculpé, l’affaire ne pourrait en tout état de cause pas être vidée dans un délai raisonnable.

La Cour rappelle qu’en matière pénale, le « délai raisonnable » de l’article 6 § 1 débute dès l’instant qu’une personne se trouve « accusée ». La notion d’« accusation » figurant à l’article 6 § 1 ne peut toutefois s’interpréter en fonction de la législation interne de l’un des Etats contractants mais doit recevoir une interprétation autonome. Selon un principe général l’intéressé est réputé « accusé » au sens de cette disposition de la Convention, dès lors que les soupçons dont il était l’objet ont eu des répercussions importantes sur sa situation (Eckle c. Allemagne – 51 (15.7.82), § 73), et en tout cas lorsqu’il reçoit une « notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale » (Deweer c. Belgique – 35 (27.2.80), § 46).

En l’espèce, la Cour observe que le requérant n’a cessé d’affirmer dans sa requête du 23 août 1999 et ses observations du 18 avril 2001 qu’il était « plus que probable qu’[il] ne [serait] jamais inculpé », ce qui laisse croire qu’il n’y avait à ce moment guère de répercussions importantes sur sa situation. Il ne fut inculpé finalement que le 30 novembre 2001. Dans ces circonstances, la Cour estime que le délai ne saurait raisonnablement être considéré comme excessif au stade actuel de la procédure, sans devoir se prononcer sur le commencement du délai raisonnable.

Il s’ensuit que ce grief doit à son tour être considéré comme manifestement mal fondé et être rejeté au titre de l’article 35 § 4 de la Convention.

c.  Le premier requérant se plaint finalement que son droit à une défense effective est violé du fait que le document qu’il avait confié à son avocat fut saisi.

La Cour constate cependant que le premier requérant affirme lui-même dans sa requête que la lettre saisie « a été rédigée le 23 juillet 1998, donc à une date postérieure à la publication de l’article, et n’était en tout état de cause pas de nature à entrer en ligne de compte dans le cadre de l’instruction pénale qui ne concerne que la publication de l’article litigieux le 21 juillet 1998 ». Au vu de ces éléments et à défaut de plus amples précisions de la part du requérant quant à l’utilité de la pièce saisie dans le cadre du procès pénal, la Cour ne saurait déceler aucune apparence d’atteinte à la Convention et en particulier à l’article 6 § 1 de la Convention, de sorte que ce grief est manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

4.  Dans leurs observations en réponse datées au 18 avril 2001, les requérants invoquent encore une violation de l’article 13 de la Convention, en se prononçant dans ces termes :

« Les requérants demandent encore acte qu’ils invoquent, pour ce qui est du grief tiré de l’article 6 (dépassement du délai raisonnable) encore une violation de l’article 13 de la Convention à la lumière de l’arrêt Kudla c. Pologne du 26 octobre 2000 ».

La Cour se doit cependant de constater que les requérants n’ont pas étayé suffisamment leur grief selon lequel ils ne disposeraient pas d’un recours effectif pour se plaindre d’une violation de l’article 6 due à un dépassement du délai raisonnable. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté par application de l’article 35 §  4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour,

Déclare recevable, à l’unanimité, le volet du grief du premier requérant tiré de l’article 10 de la Convention concernant la protection des journalistes, ainsi que le grief de la deuxième requérante tiré de l’article 8 de la Convention ;

Déclare irrecevable, à la majorité, le grief du premier requérant tiré de l’article 8 de la Convention ;

Déclare irrecevable, à la majorité, le grief du premier requérant tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant la longueur de la procédure ;

Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable pour le surplus.

Michael O’BoyleNicolas Bratza
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (quatrième section), ROEMEN et SCHMIT c. le LUXEMBOURG, 12 mars 2002, 51772/99