CEDH, Cour (deuxième section), SABOU et PIRCALAB c. la ROUMANIE, 2 septembre 2003, 46572/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 2 sept. 2003, n° 46572/99
Numéro(s) : 46572/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 25 septembre 1998
Jurisprudence de Strasbourg : Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, série A no 31, p. 13, § 27
Brozicek c. Italie, arrêt du 19 décembre 1989, série A no 167, § 34
Boyle et Rice c. Royaume Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A no 131, § 52
Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, série A no 28, § 64
Pantea c. Roumanie (déc.), n° 33343/96, 6 mars 2000
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-44403
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0902DEC004657299
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 46572/99
présentée par Dan Corneliu SABOU et Călin Dan PÎRCĂLAB
contre la Roumanie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 2 septembre 2003 en une chambre composée de :

MM.J.-P. Costa, président,
A.B. Baka,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 25 septembre 1998,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Les requérants, MM. Dan Corneliu Sabou et Călin Dan Pîrcălab, sont des ressortissants roumains, nés respectivement en 1941 et 1968 et résidant à Baia-Mare, Roumanie. Ils sont représentés devant la Cour par Me Monica Macovei, avocate au bareau de Bucarest.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  Les articles incriminés

Le 2 avril 1997, les requérants, journalistes de profession, publièrent dans le journal local « Ziua de Nord-Vest » un article intitulé « L.M., la mère de la présidente du tribunal de première instance de Baia Mare, a abusivement privé de leurs terrains douze paysans ». Une partie de l’article est reproduite comme suit :

« Le représentant d’un groupe de douze paysans du village de Mânău du département de Maramureş s’est présenté à la rédaction de notre journal et nous a présenté des documents qui attestaient leur droit de propriété sur un terrain connu sous le nom de Vapa. Sur la base du décret no 444/1953 et de la décision du Conseil des ministres no 3572/1993, ils sont devenus propriétaires de quelques parcelles de terrain. A partir de 1992, la Mairie de Ulmeni leur a délivré des titres de propriété sur ces parcelles. Toutefois, en 1993, ils ont été abusivement privés de leurs terrains. La personne qui est entrée en possession de ces terrains est L.M., la mère de la présidente du tribunal de première instance de Baia Mare. Elle avait obtenu un titre de propriété et elle avait ensuite loué ces terrains. Les paysans nous ont déclaré qu’ils ne savaient pas comment récupérer les terrains, parce que la présidente du tribunal exerçait une grande influence sur les autorités locales. »

Le 3 avril 1997, le premier requérant publia un deuxième article intitulé « La présidente du tribunal affirme que sa mère avait le droit d’obtenir le terrain qui avait appartenu à douze paysans d’Ulmeni ». Une partie de l’article est reproduite comme suit :

« La présidente du tribunal affirme que sa mère avait le droit d’obtenir la propriété sur les terrains en question parce qu’en 1953 elle avait été obligée d’en faire don à l’Etat. La loi de l’époque prévoyait que les fonctionnaires devaient choisir entre leur emploi et leur droit de propriété sur leurs terrains. L.M. avait gardé l’emploi et par conséquent, son terrain avait été attribué à quelques paysans. Après décembre 1989, elle a revendiqué son ancien terrain. Les autorités locales ont proposé aux paysans qui avaient déjà des titres de propriété sur le terrain litigieux d’accepter, en compensation, des terrains sur d’autres emplacements. Parce que l’influence dont jouit la présidente du tribunal était plus grande que les souhaits des paysans, L.M. a eu gain de cause et a obtenu un titre de propriété sur ces terres. Hier, nous avons essayé de contacter la présidente du tribunal. Un juge nous a informé que « la présidente n’est pas dans son bureau », bien qu’auparavant, d’autres fonctionnaires nous aient dit qu’elle y était. De plus, notre demande de savoir le nom complet de la présidente a été rejetée au motif qu’ « une telle information ne pouvait pas être fournie ». Comme M.I. n’est que la présidente du tribunal, et non pas un agent secret, nous ne voyons pas pourquoi son nom ne pouvait pas être divulgué. »

Le 10 avril 1997, le premier requérant publia un autre article intitulé « La présidente du tribunal est accusée de faux et d’usage de faux documents ». Une partie de l’article est reproduite comme suit :

« M.I. a bénéficié de l’aide de l’ancien préfet D.B. Effrayée par les éventuelles conséquences, elle recourt aux menaces. La police enquête sur l’affaire.

...M.I. a essayé d’utiliser de faux documents pour déposséder un voisin de son terrain. De surcroît, quand elle s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas obtenir gain de cause dans l’action qu’elle avait introduite, elle l’a menacé directement. Notre rédaction possède quelques documents qui attestent ces faits. Il est important de mentionner que M.I. a refusé de confirmer ou de contester l’authenticité de ces documents. Elle a exprimé son mécontentement quant aux articles que nous avons publiés et, par conséquent, elle refuse toute déclaration. 

La famille de M.I. occupe abusivement un terrain

I.C. habite la rue 22 Décembre au no 25/3 est il est le voisin de M.I., la présidente du tribunal de Baia Mare. Par décision no 11735/79, la Mairie de Baia Mare lui accorda un droit d’accès à sa maison, à travers un terrain de 396 m2 situé sur un ancien ruisseau appelé « le ruisseau des tziganes ». I.C. avait investi une somme importante dans l’aménagement de ce chemin d’accès. Peu de temps après, la famille de M.I. occupa abusivement une parcelle de ce terrain et même à ce jour, elle continue de le faire. Après l’adoption de la loi 18/1991, I.C. demanda l’attribution en propriété de ce terrain. Par décision no 7609/1993 du préfet, ce terrain, qui était inscrit sur le registre foncier sous le no 1358/3/C/1, lui fut attribué. En vertu de cette décision et après d’innombrables démarches, I.C. réussit à inscrire son droit sur le registre foncier.

Un faux projet de division du terrain est délivré

Bouleversée par cette situation, M.I. obtient en 1995 un nouveau projet de division du même terrain. Le projet, rédigé par l’ingénieur H.C., contenait quelques faux éléments. Tout d’abord, dans la rubrique « propriétaires avant la division » c’est l’Etat qui est inscrit comme propriétaire, bien que I.C. en fût propriétaire depuis 1993. Selon le projet, le terrain abusivement occupé devait être transféré dans la propriété de I.I. [l’époux de M.I.], sous le no 1358/3/C/a. En même temps, la présidente du tribunal introduisit auprès du préfet D.B. une plainte contre son voisin, en demandant l’annulation du titre de propriété qui lui avait été délivré. Le préfet la rejeta et lui conseilla de demander en justice l’annulation du titre, ce que M.I. fit. S’appuyant sur le faux projet de division, le maire demanda au préfet de délivrer à M.I. un titre de propriété sur le terrain dont le propriétaire était déjà I.C. Le préfet s’en rendit compte et informa M.I. que le terrain litigieux était la propriété de quelqu’un d’autre et que, par conséquent, il ne pouvait pas délivrer un autre titre, avant que la plainte contre le titre de I.C. soit tranchée par la cour d’appel de Cluj.

Le préfet change d’avis et enfreint la loi

Jusqu’ici tout est clair. Mais à partir de ce moment, interviennent quelques aspects, le moins qu’on puisse dire, étranges. Par la décision no 18 du 16 janvier 1996, la cour d’appel de Cluj rejeta l’action introduite par M.I. et sa famille. Le titre de propriété no 7609/1993 délivré à I.C. resta valable. Toutefois, le 23 janvier 1996, le préfet D.B., prit la décision no 1037, aux termes de laquelle, la présidente du tribunal et sa famille devenaient les propriétaires du terrain inscrit sous le no 1358/C/a, ainsi qu’il était mentionné dans le faux projet de division no 160/95 délivré par l’Autorité administrative pour les inscriptions immobilières et l’organisation du territoire. Il est ainsi certifié une chose absurde. Le même terrain est la propriété de deux personnes, les deux ayant des titres de propriété délivrés par le préfet D.B. Nous sommes donc en présence d’un faux et d’usage de faux. Le préfet D.B. en est le coupable, en raison des titres contradictoires qu’il a délivrés. Il a favorisé la présidente du tribunal, en lui délivrant un titre de propriété, après avoir reconnu, lui-même, qu’il ne pouvait pas lui attribuer un tel titre. D.B. a été pendant plusieurs années magistrat et président du tribunal départemental de Maramureş.

M.I. lance des menaces par écrit

Finalement, nous portons à votre connaissance un document signé par M.I. dans lequel elle menace I.C. de le jeter en prison. « Monsieur C., je vous demande de faire attention aux paroles que vous m’adressez, parce que chaque chose a ses limites. Si vous m’insultez une seule fois encore, soit par écrit, soit verbalement, je vous poursuivrai en justice, en demandant votre condamnation pour insulte et calomnie et je demanderai aussi une indemnisation pour le préjudice moral que vous me causez. FAITES DONC ATTENTION. » I.C. avait eu « l’insolence » de l’accuser des faux mentionnés ci-dessus. La police de la ville de Baia Mare enquête sur cette affaire. »

Le 11 avril 1997, les deux requérants publièrent un article intitulé « L’ancien préfet du département de Maramureş reconnaît qu’il a commis une erreur dans le cas de la présidente du tribunal de Baia Mare ». Une partie de l’article est reproduite comme suit :

« En vertu d’un document qui contenait de fausses informations, M.I. a demandé et a obtenu de la part du préfet D.B. un titre de propriété sur le terrain litigieux. Quand nous avons demandé au préfet des explications pour cette illégalité, il nous a répondu qu’il est bien possible qu’il ait commis une erreur. Mais le titre peut être contesté en justice, à tout moment, par la personne lésée, nous a-t-il déclaré. « J’ai délivré ce titre sur la base des documents reçus de la part de la mairie de la ville de Baia Mare. S’il y avait de faux documents, je n’en suis pas responsable », a-t-il ajouté. Il n’a pas pu nous expliquer pourquoi initialement il avait refusé officiellement la délivrance du titre et qu’ensuite il avait changé d’avis et avait attribué la propriété à M.I. »

Le 26 avril 1997, le premier requérant publia un dernier article intitulé « Le parquet n’a pas le courage d’enquêter la présidente du tribunal de Baia Mare ». L’article est reproduit comme suit :

« Nous avons porté antérieurement à votre connaissance qu’une plainte pour faux a été portée auprès de la police et du parquet de Baia Mare à l’encontre de la présidente du tribunal de Baia Mare. Elle a abusivement occupé un terrain qui appartenait à un voisin. Ultérieurement, sur la base de documents qui contenaient de fausses informations, elle a obtenu un titre de propriété sur ce terrain. Après une enquête, la police a proposé au parquet une décision de non-lieu pour l’infraction de faux en écrits officiels, au motif qu’il s’agissait en l’espèce d’un droit d’accès sur un terrain et que par conséquent, le litige relevait du droit civil. Quant au volet pénal, aucune infraction n’avait pu être retenue à la charge de M.I. Le document est signé par le procureur en chef du parquet auprès du tribunal de première instance de Baia Mare. »

2.  La procédure pénale à l’encontre des requérants

En avril 1997, M.I. introduisit devant le tribunal de première instance de Baia Mare, qu’elle présidait à l’époque, une plainte à l’encontre des requérants pour diffamation. Elle demandait aussi une indemnisation pour préjudice moral.

Au cours de l’audience du 8 mai 1997, à laquelle les requérants et M.I. étaient présents, le tribunal :

-  entendit M.I. qui réitéra sa plainte pour diffamation et demanda la condamnation des journalistes ainsi que des dommages-intérêts ;

-  fit ensuite droit à la demande des requérants d’ajournement de l’examen de l’affaire, afin de leur permettre d’engager un avocat et fixa une nouvelle audience pour le 22 mai 1997.

Au cours de l’audience du 22 mai 1997, l’avocate de M.I. informa le tribunal qu’elle avait demandé à la Cour suprême de Justice le renvoi de l’affaire devant un autre tribunal. Le 29 août 1997, la Cour suprême accueillit cette demande et transféra l’affaire au tribunal de première instance de Năsăud.

Au cours de l’audience du 29 octobre 1997, devant le tribunal de première instance de Năsăud, le procureur demanda l’ajournement de l’affaire, au motif que la partie civilement responsable, à savoir la société propriétaire du journal, et les requérants ne s’étaient pas présentés et demanda qu’ils soient cités. L’avocate de M.I. ne s’y opposa pas et le tribunal ajourna l’affaire pour le 3 décembre 1997.

Le 3 décembre 1997, le tribunal observa que les requérants ne s’étaient pas présentés, bien qu’ils aient été cités légalement à comparaître. Au cours de la même audience, il procéda à l’examen de l’affaire et entendit le seul témoin de la partie demanderesse, à savoir l’époux de M.I. Le procureur et l’avocate de M.I. demandèrent des sanctions sévères contre les deux requérants. Le tribunal ajourna le prononcé du jugement au 15 décembre 1997.

Dans son jugement du 15 décembre 1997, le tribunal :

-  condamna le premier requérant pour diffamation à une peine de dix mois de prison assortie de la peine auxiliaire prévue par les articles 71 et 64 combinés du Code pénal, à savoir l’interdiction pendant la détention de l’exercice de sa profession, de ses droits parentaux et électoraux. Pour établir le quantum de la peine, le tribunal prit en compte le fait que le requérant était récidiviste, ayant été à deux reprises condamné auparavant.

Le tribunal retint que la mère de M.I avait légalement obtenu la propriété du terrain litigieux. Le tribunal estima que les allégations des requérants concernant les faux documents, leur usage et l’influence que la juge aurait exercée auprès des autorités locales étaient très graves et avaient été faites d’une manière particulièrement diffamatoire, sans avoir de support concret. Il considéra que le caractère diffamatoire des allégations était prouvé par le témoignage de M.I., par le casier judiciaire du premier requérant et par le témoignage de l’époux de M.I. Le tribunal ajouta que l’ordonnance de   non-lieu du parquet rendue en faveur de M.I. démontrait aussi le caractère mensonger des accusations de faux et d’usage de faux documents.

-  condamna le deuxième requérant pour diffamation à une amende de 500 000 ROL, avec sursis ;

-  condamna les deux requérants, solidairement avec le journal, au paiement de 30 millions de lei à M.I., à titre de préjudice moral.

Les requérants et M.I. interjetèrent appel de ce jugement devant le tribunal départemental de Bistriţa-Năsăud. Le premier requérant faisait valoir qu’il ne s’était pas présenté devant le tribunal de première instance parce que l’avocat désigné pour représenter les employés du journal était, lui aussi, dans l’impossibilité de se présenter. En outre, il indiquait qu’il n’avait pas versé devant le tribunal de première instance de preuves à l’appui de ses affirmations, en raison de ce qu’il n’était pas en possession de tous les documents nécessaires, mais qu’il allait les présenter en appel pour prouver la vérité de ses affirmations.

Le deuxième requérant ne motiva pas son appel. Quant à M.I., elle demanda une majoration de l’indemnisation pour préjudice moral.

Au cours de l’audience du 27 février 1998, l’avocate de M.I. demanda l’ajournement de l’affaire pour que la partie responsable civilement soit citée. Le premier requérant consentit et le tribunal renvoya l’examen de l’affaire au 27 mars 1998.

Le 27 mars 1998, les requérants demandèrent leur acquittement, soutenant qu’ils avaient prouvé la vérité de leurs affirmations. Ils ne demandèrent pas l’administration d’autres preuves mais ils ajoutèrent que le procès devant le tribunal de première instance avait eu lieu en leur absence et que M.I. avait refusé la publication dans le journal d’une réplique à leurs articles. Le procureur et M.I. demandèrent leur condamnation, au motif qu’ils n’avaient pas prouvé la vérité de leurs affirmations.

Par décision du 3 avril 1998, le tribunal départemental de Bistriţa Năsăud rejeta les appels et confirma le bien-fondé du jugement du tribunal de première instance. Il souligna le fait que, selon l’article 207 du code pénal, pour qu’une affirmation ne soit pas considérée comme diffamatoire elle devait remplir deux conditions : elle devait être véridique et elle devait viser la défense d’un intérêt légitime. Il jugea, dès lors, qu’une affirmation pouvait être considérée diffamatoire si elle était destinée à causer du mal à autrui ou à se venger, même si les faits allégués étaient vrais. Le tribunal conclut qu’en l’espèce, les articles incriminés ne présentaient pas la vérité et qu’il était évident que les requérants n’avaient pas agi de bonne foi ou dans le souci de protéger certaines valeurs morales de la société, mais qu’au contraire, ils avaient voulu porter atteinte à la réputation de M.I. Le tribunal mentionna aussi le fait qu’après la publication du premier article, l’époux de M.I. avait informé le premier requérant que leurs allégations étaient fausses et qu’il lui en avait montré des preuves.

Le 20 août 1998, le premier requérant fut placé en détention.

Dans le rapport de l’enquête sociale effectuée au domicile du requérant, le 26 août 1998 par la Direction départementale pour la protection des droits de l’enfant, il était mentionné que le requérant vivait avec sa concubine et leurs trois enfants et que, jusqu’à son incarcération, il était le seul à entretenir la famille.

Le 5 octobre 1998, il fut libéré pour des raisons familiales, liées notamment aux trois enfants dont il avait la charge.

Il demanda le sursis à l’exécution de sa peine, en raison de son état de santé. Le 14 janvier 1999, le tribunal départemental de Baia Mare rejeta sa demande. Il ne fut pas réincarcéré par la suite.

Le 15 janvier 1999, il commença une grève de la faim et fut hospitalisé à cause de son mauvais état de santé. Il souffrait aussi de tuberculose.

Le 19 janvier 1999, il demanda au Président de la République la grâce, qui lui fut accordée par décret no 52 du 2 février 1999.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  Code pénal roumain

Article 64

« L’interdiction d’un ou de plusieurs droits mentionnés ci-dessous peut être imposée comme peine complémentaire :

a)  le droit de voter et d’être élu dans les organes de l’autorité publique ou dans des fonctions électives publiques,

b)  le droit d’occuper une fonction impliquant l’exercice de l’autorité de l’Etat,

c)  le droit d’occuper une fonction, d’exercer un métier ou une activité dont le condamné s’est servi pour l’accomplissement de l’infraction,

d)  les droits parentaux,

e)  le droit d’être tuteur ou administrateur des biens d’un enfant. »


Article 71

« La peine accessoire consiste dans l’interdiction de tous les droits mentionnés à l’article 64.

La détention à perpétuité ou toute autre peine privative de liberté entraîne automatiquement l’interdiction des droits prévus à l’alinéa précédent, pour la période entre la condamnation définitive et jusqu’à la fin de la détention ou à l’intervention d’un décret de grâce qui dispense de l’exécution de la peine (...) »

Article 206

« L’affirmation ou l’imputation en public d’un certain fait concernant une personne, qui, s’il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, sera punie de trois mois à un an d’emprisonnement, ou d’une amende. »

Article 207

« La preuve de la vérité des affirmations ou des imputations peut être accueillie si l’affirmation ou l’imputation ont été commises pour la défense d’un intérêt légitime. Les affirmations au sujet desquelles la preuve de la vérité a été faite ne constituent pas l’infraction d’insulte ou de diffamation. »

2.  Code de procédure pénale roumain

Article 55

« La Cour suprême de justice décide le renvoi de l’affaire devant une autre juridiction de même degré, dans le cas où, en analysant son bien-fondé, elle considère que le renvoi garantit une bonne administration de la justice.

Le renvoi peut être demandé par toute partie intéressée, par le procureur ou par le ministre de la justice. »

3.  Décision no 184/2001 du 14 juin 2001 de la Cour constitutionnelle roumaine sur la constitutionnalité des articles 64 et 71 du Code pénal

« Quant à l’établissement des peines principales, complémentaires ou accessoires et aux conditions de leur application et de leur exécution, la Cour constate qu’il s’agit d’une matière qui relève exclusivement de la volonté du législateur. L’établissement par la loi d’une peine accessoire, à côté d’une peine principale privative de liberté, jusqu’à la fin de la détention, (...) représente une option de politique pénale du législateur, qui a considéré qu’au cours de la détention, le condamné est indigne d’exercer les droits prévus à l’article 64 du Code pénal. De ce fait, il n’y a aucune atteinte aux normes et principes constitutionnels. »

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 10 de la Convention, les requérants allèguent que leur condamnation pour diffamation constitue une ingérence injustifiée dans leur droit à la liberté d’expression. Ils affirment que le montant de l’indemnisation pour préjudice moral été disproportionné par rapport à leurs revenus.

Le premier requérant souligne que sa mise en détention, ainsi que les peines accessoires, notamment l’interdiction du droit d’exercer la profession de journaliste ont été disproportionnées et extrêmement sévères.

2.  Le premier requérant allègue que l’interdiction de ses droits parentaux, comme peine accessoire à sa condamnation pour diffamation, a porté atteinte au droit au respect de sa vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention.

3.  Il se plaint aussi de ne pas avoir disposé d’un recours effectif devant une juridiction nationale contre la violation alléguée de son droit au respect de sa vie familiale. Il invoque l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention.

4.  Les requérants se plaignent du caractère inéquitable de la procédure devant le tribunal de première instance de Baia Mare. Renvoyant particulièrement à l’audience de ce tribunal du 8 mai 1997, ils font valoir :

-  qu’elle n’a pas eu lieu devant un tribunal indépendant et impartial, en raison de la subordination des membres de la formation de jugement à M.I., qui occupait à l’époque la fonction de présidente du tribunal, et allèguent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

-  que l’audition de M.I., en l’absence de leur avocat, les a privés du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense et de l’exercice de leurs droits de la défense par l’intermédiaire d’un avocat et, qu’en même temps, elle a méconnu leur droit d’interroger ou faire interroger les témoins à charge. Ils allèguent à cet égard une violation de l’article 6 § 3 b), c) et d) de la Convention.

5.  Invoquant l’article 13 de la Convention, ils estiment qu’ils n’avoir pas bénéficié d’un recours effectif devant les juridictions internes contre les violations alléguées de leurs droits procéduraux garantis par l’article 6 §§ 1 et 3 b), c), d) précité.

EN DROIT

1.  Les requérants estiment que leur condamnation constitue une ingérence injustifiée dans leur droit à la liberté d’expression. Ils invoquent l’article 10 de la Convention, les parties pertinentes duquel se lisent ainsi :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...).

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la prévention du crime, (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, (...) ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Le Gouvernement soutient tout d’abord que les journalistes ont été condamnés pour la manière dont ils ont présenté un litige de droit privé entre la présidente du tribunal de Baia Mare et un tiers. Dès lors, de l’avis du Gouvernement, les articles, loin de concerner un débat d’intérêt général, comme par exemple l’activité de magistrat de M.I., contenaient de graves accusations contre une des parties à un litige entre particuliers.

Le Gouvernement soutient en outre que les requérants n’ont pas exprimé des opinions, mais ont attribué à M.I des faits illégaux très graves, à savoir l’usage de faux documents, sans les avoir prouvés et sans qu’ils reposent sur une base factuelle. Il fait valoir que les documents incriminés ne constituaient pas des faux, parce que le projet de division du terrain, sur la base duquel M.I. avait demandé au préfet la délivrance du titre de propriété, était une simple proposition de démembrement de la propriété de l’État, que le préfet avait acceptée. Par conséquent, bien que dans le processus d’attribution de la propriété il y ait eu quelques erreurs, ce que le Gouvernement concède, il considère que M.I. n’a nullement enfreint la loi par l’obtention du titre de propriété fondé sur le nouveau projet de division.

Le Gouvernement soutient également que la publication des articles incriminés constituait un manquement à l’éthique journalistique, car les requérants n’avaient pas porté à la connaissance du public des informations fiables et précises et n’avaient pas agi de bonne foi. Le Gouvernement est d’avis que les requérants ont prouvé leur subjectivité en se plaçant exclusivement du point de vue de l’une des parties du litige, sans présenter l’opinion de l’autre et ce d’autant plus qu’au moment de la publication, deux actions en justice introduites respectivement par M.I. et I.C. en annulation de leurs titres de propriété se trouvaient pendantes devant les tribunaux nationaux.

Le Gouvernement conclut qu’en absence de bonne foi et de base factuelle pour leurs allégations, la condamnation des journalistes a été nécessaire pour la protection de la réputation de M.I. et que, dès lors, le montant de l’indemnisation pour dommage moral était justifié par la gravité de l’atteinte à la réputation de M.I., qui exerçait à l’époque une haute fonction judiciaire.

Quant au premier requérant, le Gouvernement soutient que la peine de dix mois de prison a été imposée uniquement en raison du fait qu’il était récidiviste, car, dans ces conditions, la loi permet une aggravation de la peine. Il soutient, en outre, qu’il ne lui était pas défendu d’exercer le métier de journaliste, car il aurait pu continuer d’écrire pendant la détention.

Dans leurs observations en réponse à celles du Gouvernement, les requérants estiment que leur condamnation n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Ils font valoir que leurs articles ne portaient pas sur la vie privée de M.I., mais sur ses actions et démarches, considérées comme illégales, auprès des plus hautes autorités administratives du département, dans le but de les convaincre de lui octroyer le droit de propriété sur un terrain qui appartenait déjà à une autre personne.

Les requérants soutiennent en outre qu’ils ont fourni assez de preuves devant le tribunal départemental pour prouver que les faits allégués étaient vrais et qu’ils avaient une base factuelle, mais qu’elles ont été ignorées par le tribunal. En particulier, ils auraient fourni des documents attestant le fait que M.I avait demandé deux fois au préfet l’attribution d’un titre de propriété sur le terrain litigieux et qu’il avait refusé, au motif que le terrain était la propriété de quelqu’un d’autre. Toutefois, en 1996, elle avait obtenu le titre de propriété, sur la base d’un projet de division du terrain qu’ils considéraient comme un faux.

Les requérants estiment que les erreurs des autorités locales, reconnus par le Gouvernement, n’étaient pas dues au hasard, mais à l’influence de M.I. et aux pressions exercées par elle. Ils considèrent, dès lors, qu’il était de leur devoir de signaler à l’opinion publique les illégalités commises, justement par ceux dont l’obligation est de faire respecter la loi.

Ils allèguent que leur bonne foi a été prouvée par le fait qu’ils ont essayé de présenter le point de vue de M.I., mais qu’elle a refusé de leur parler, tandis que son époux leur a demandé d’arrêter d’écrire et les a menacés. De plus, ils ont contacté le préfet et ils ont publié ses explications.

En dernier lieu, les requérants soulignent que le montant élevé de l’indemnisation était disproportionné par rapport au préjudice moral et à leurs faibles revenus de journalistes. Quant à la peine de prison et aux peines accessoires imposées au premier requérant, ce dernier fait savoir qu’elles ont été disproportionnées et que, d’autre part, elles n’étaient justifiées ni par ses condamnations antérieures, ni par le souci de protéger les intérêts des enfants. Il soutient qu’en réalité, sa condamnation avait comme objectif l’intimidation des journalistes qui osaient critiquer des magistrats.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit qu’il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

2.  Le premier requérant allègue que l’interdiction de ses droits parentaux pendant sa détention et jusqu’à l’obtention de la grâce présidentielle a porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale, garanti par l’article 8 de la Convention, les parties pertinentes duquel se lisent ainsi :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la prévention des infractions pénales, (...) ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

I.  SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DE NON-ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES

Le Gouvernement excipe d’emblée du non-épuisement des voies de recours internes. Il expose que le requérant aurait pu obtenir le redressement de l’ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale en soulevant devant le tribunal départemental de Bistriţa Năsăud une exception d’inconstitutionnalité de l’article 71 du Code pénal et en demandant le renvoi de l’affaire devant la Cour constitutionnelle, ce qui aurait constitué un recours efficace et de nature à porter remède au grief tiré de l’article 8 de la Convention.

Le premier requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et fait valoir que le renvoi de l’exception d’inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle n’était pas un recours efficace. Il souligne à cet égard que la Cour constitutionnelle s’est prononcée par décision du 14 juin 2001 sur la constitutionnalité de cet article, et ne l’a trouvé en rien contraire à la Constitution, en estimant que l’établissement des peines accessoires, même de manière automatique, relève de la politique pénale du législateur.

La Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’obligation d’épuiser les voies de recours internes se limite à celle de faire un usage normal des recours efficaces, suffisants et accessibles et que, pour qu’un recours soit accessible, l’intéressé doit être en mesure de déclencher lui-même la procédure de recours (voir, Brozicek c. l’Italie, arrêt du 19 décembre 1989, Série A no 167, § 34).

Or, en l’espèce, la Cour note qu’il n’était pas loisible aux requérants de soumettre directement à la Cour Constitutionnelle l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 71 du Code de procédure pénale. Un tel recours n’est dès lors pas un recours accessible, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention (voir mutatis mutandis Pantea c. Roumanie (déc.), no 33343/96, 6 mars 2001). Au surplus, la Cour observe que, par décision du 14 juin 2001, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur la constitutionnalité de l’article 71 du C.P., en le considérant conforme à la Constitution. Dès lors, l’efficacité d’un tel recours, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, n’a pas été prouvée.

Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

II.  SUR LA QUALITÉ DE VICTIME DU REQUÉRANT

Le Gouvernement fait valoir que le requérant n’est pas victime d’une violation de l’article 8 de la Convention, car en réalité, il n’aurait pu exercer ses droits parentaux que sur l’un des enfants dont il avait la charge et qui était né après son incarcération. Le Gouvernement affirme que rien ne montrerait que les rapports du requérant avec le nouveau-né auraient particulièrement souffert en raison de la peine accessoire. Quant aux deux autres enfants, le Gouvernement conteste l’existence de l’autorité parentale du requérant sur eux, au motif que les documents d’état civil ne faisaient pas apparaître une quelconque relation officielle entre le requérant et ces deux enfants.

Le requérant affirme qu’ainsi qu’il ressortait de l’enquête sociale de la Direction départementale pour la protection des droits de l’enfant, il avait la charge de trois enfants, un nouveau-né et deux autres, provenant des relations antérieures du requérant et de sa concubine.

La Cour rappelle que, selon une jurisprudence bien établie (voir entre autres Marckx c. Belgique, arrêt du 13 juin 1979, Series A no. 31, p. 13, § 27), peut se prétendre victime d’une violation celui qui montre qu’il est personnellement affecté par l’acte qu’il critique, abstraction faite de tout préjudice.

La Cour relève qu’il ressort clairement de l’enquête faite par la Direction régionale que le requérant vivait avec sa concubine et deux de leurs enfants, qu’un troisième venait de naître et qu’il subvenait aux besoins de sa famille jusqu’à son incarcération. Or, la décision définitive du tribunal départemental lui a interdit de manière automatique et absolue et pendant la durée de l’incarcération l’exercice de ses droits parentaux sur les trois enfants dont il avait la charge. Il s’ensuit qu’il peut se prétendre victime d’une ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale.

Partant, cette exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

III.  SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF

Le requérant soutient que l’interdiction totale et absolue d’exercer ses droits parentaux pendant la détention et jusqu’à l’obtention de la grâce présidentielle constitue une ingérence grave dans son droit au respect de sa vie familiale, qui n’est pas justifiée par la prise en compte de l’intérêt des enfants.

Le Gouvernement fait valoir que l’interdiction des droits parentaux, comme peine accessoire, s’applique automatiquement, dès qu’une privation de liberté est prononcée. Il souligne que la détention entraîne inévitablement des restrictions à l’exercice normal de la vie familiale et que, de plus, pendant la détention, le condamné n’a plus l’autorité morale pour exercer ses droits parentaux. Il ajoute que la peine accessoire n’empêchait pas les enfants du requérant de lui rendre visite.

La Cour estime, à la lumière d’un examen préliminaire de l’argumentation des parties, que ce grief pose des problèmes de fait et de droit suffisamment complexes pour que leur solution doive relever d’un examen du bien-fondé de l’affaire et, partant, qu’il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Par ailleurs, le grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

3.  Le premier requérant fait valoir qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif en droit interne pour contester l’interdiction de ses droits parentaux. Il invoque l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement soutient que le requérant aurait pu soulever devant le tribunal départemental de Bistriţa Năsăud une exception d’inconstitutionnalité de l’article 71 du Code pénal et demander le renvoi de l’affaire devant la Cour constitutionnelle.

Le requérant s’oppose à la thèse du Gouvernement et fait valoir que le renvoi de l’affaire devant la Cour constitutionnelle n’était pas un recours effectif.

La Cour estime, à la lumière d’un examen préliminaire de l’argumentation des parties, que ce grief pose des problèmes de fait et de droit suffisamment complexes pour que leur solution doive relever d’un examen du bien-fondé de l’affaire et, partant, qu’il ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Par ailleurs, le grief ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

4.  Les requérants se plaignent du caractère inéquitable de la procédure devant le tribunal de première instance de Baia Mare, en violation des garanties prévues par l’article 6 §§ 1 et 3 b) c) et d) de la Convention, qui disposent ainsi dans leurs parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) 

Tout accusé a droit notamment à : (...) b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »

La Cour note que ce grief comporte deux branches distinctes, qui ont trait à la procédure devant le tribunal de première instance de Baia Mare lors de l’audience du 8 mai 1997 : la première concerne l’absence alléguée d’indépendance et d’impartialité de ce tribunal ; la deuxième vise la méconnaissance alléguée par les requérants de leurs droits de disposer du temps et des facilités nécessaires à leur défense, d’être assistés par un avocat et d’interroger M.I. au cours de l’audience du 8 mai 1997.

La Cour note d’emblée que les requérants ont omis de soulever ces griefs au moins en substance devant les juridictions nationales. Or, il leur était loisible de le faire soit par écrit, dans les motifs de l’appel introduit contre le jugement du 15 décembre 1997, soit oralement, devant le tribunal départemental de Bistriţa Năsăud, au cours de l’audience du 27 mars 1998.

En tout état de cause, et à supposer que les requérants, en faisant appel du jugement du 15 décembre 1997, aient entendu indirectement se plaindre également des irrégularités alléguées de la procédure au cours de l’audience du 8 mai 1997, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé pour les raisons qui suivent.

S’agissant de la première branche du grief, portant sur le manque d’indépendance et d’impartialité du tribunal de Baia Mare au cours de l’audience du 8 mai 1997, en raison de la subordination hiérarchique à M.I. des membres de la formation de jugement, la Cour observe que, le 29 août 1997, sur demande de M.I., la Cour suprême de Justice a ordonné le renvoi de l’affaire devant le tribunal de première instance de Năsăud. Or, elle note que les requérants n’ont pas demandé un tel renvoi, bien qu’il leur eût été loisible de le faire, en vertu de l’article 55 du Code de procédure pénale. D’autre part, la Cour considère que le renvoi décidé par la Cour suprême sur demande de la partie demanderesse a permis d’écarter le risque d’influence que M.I. aurait pu avoir sur les membres de la formation de jugement. Elle note, enfin, que les requérants n’ont pas contesté l’indépendance et l’impartialité des juridictions qui ont connu de l’affaire après le renvoi.

S’agissant de la deuxième branche du grief, la Cour observe que les requérants étaient présents à l’audience du 8 mai 1997, qu’ils avaient pris connaissance de la déclaration de M. I. et qu’ils avaient eu la possibilité de formuler eux-mêmes des questions et des commentaires. Or, ils n’ont pas fait état de leur désir d’interroger la partie demanderesse ni au cours de l’audience du 8 mai 1997, ni plus tard, bien qu’ils aient eu cette possibilité devant le tribunal départemental de Bistriţa Năsăud. En outre, la Cour observe que la déclaration incriminée n’a pas apporté d’éléments déterminants pour l’établissement de la responsabilité pénale des journalistes et leur condamnation, dans la mesure où M.I. a simplement réitéré ses demandes formulées dans la plainte pénale initiale, à savoir la condamnation des requérants pour diffamation et l’octroi des       dommages-intérêts pour son préjudice moral.

Enfin, la Cour estime que la procédure, considérée dans son ensemble, a eu un caractère équitable. Elle relève à cet égard que les requérants ont pu verser au dossier de l’affaire les preuves qu’ils estimaient nécessaires pour établir la vérité de leurs allégations, qu’ils ont eu l’occasion de commenter celles qui avaient été versées par la partie adverse et qu’ils ont été condamnés par des décisions dûment motivées.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

5.  Les requérants estiment qu’ils n’ont pas bénéficié d’un recours interne habilitant les juridictions nationales à connaître des griefs tirés de l’article 6 de la Convention. Ils invoquent l’article 13 de la Convention.

La Cour rappelle que cette disposition exige un recours pour les seuls griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention (Boyle and Rice v. the United Kingdom, arrêt du 27 avril 1988, Série A no 131, § 52). Ce recours doit être effectif et doit habiliter l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief et à offrir le redressement approprié (Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, Série A. no 28, § 64).

Eu égard aux motifs évoqués ci-dessus sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, la Cour estime que les requérants n’ont pas un grief défendable pour alléguer la violation de leur droit à un recours effectif, au sens des articles 6 et 13 combinés de la Convention. En tout état de cause, la Cour a déjà constaté qu’il leur était loisible de contester les irrégularités alléguées de la procédure devant le tribunal de première instance soit par écrit, dans les motifs de l’appel introduit contre le jugement du 15 décembre 1997, soit oralement, devant le tribunal départemental de Bistriţa Năsăud, au cours de l’audience du 27 mars 1998.

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs des requérants tirés des articles 10, 8 et 13 combiné avec l’article 8 de la Convention ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

S. DolléJ.-P. Costa
GreffièrePrésident

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  1. CODE PENAL
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (deuxième section), SABOU et PIRCALAB c. la ROUMANIE, 2 septembre 2003, 46572/99