CEDH, Cour (deuxième section), SURUGIU c. la ROUMANIE, 9 septembre 2003, 48995/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 9 sept. 2003, n° 48995/99
Numéro(s) : 48995/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 7 octobre 1998
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-44412
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0909DEC004899599
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 48995/99
présentée par Mitica SURUGIU
contre la Roumanie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 9 septembre 2003 en une chambre composée de :

MM.J.-P. Costa, président,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmesW. Thomassen,
A. Mularoni, juges,
et de M.T.L. Early, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 7 octobre 1998,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole no 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant, M. Mitica Surugiu, est un ressortissant roumain, né en 1958 et résidant à Fălticeni.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  La genèse de l’affaire et la controverse juridique portant sur le droit de propriété du requérant

Le 7 novembre 1991, la société Exdor S.R.L. (ci-après « la société E. »), dont le requérant était l’unique actionnaire, acquit par vente aux enchères publiques plusieurs bâtiments ayant appartenu à la Coopérative agricole de production de Fălticeni (ci-après « C.A.P. »). Dans le procès-verbal dressé à cette occasion, il était fait état de ce que la société E. devrait demander auprès de la mairie qu’elle lui délivre, en vertu de l’article 28 de la loi no 18/1991 le titre de propriété sur le terrain afférent aux bâtiments acquis.

A une date non précisée, la société E. demanda à la commission pour l’application de la loi no 18/91 (ci-après « la commission » et « la loi ») qu’elle lui attribue le droit de propriété sur le terrain de 11 559 m2 afférent aux bâtiments de l’ancienne C.A.P. Elle s’appuyait sur l’article 28 de la loi, selon lequel il était loisible aux acquéreurs aux enchères publiques des bâtiments de l’ancienne C.A.P. de se voir octroyer le droit de propriété sur les terrains y afférents.

Le 1er mars 1994, le requérant conclut avec la société E. un contrat d’achat de l’un des bâtiments de l’ancienne C.A.P. et du terrain de 1 000 m2 y afférent. Il y établit son domicile, avec son épouse et son fils.

Par décision du 27 octobre 1994, la commission rejeta la demande de la société E. au motif que le prix qu’elle avait payé en 1991 couvrait seulement les bâtiments de la C.A.P. et non pas le terrain afférent.

Le 28 novembre 1994, la société E. contesta cette décision devant la cour d’appel de Suceava.

Par décision du 17 février 1995, la cour d’appel fit droit à sa demande et dit que la commission devrait octroyer à la demanderesse le droit de propriété sur le terrain de 11 559 m2 afférent aux bâtiments de l’ancienne C.A.P. Bien que susceptible de recours, cette décision ne fut pas contestée, de sorte qu’elle devint définitive, ne pouvant plus être attaquée par les voies de recours ordinaire.

La société E. demanda auprès de la Commission départementale l’exécution de cette décision, mais, le 7 juin 1995, elle se heurta à un refus.

Le 13 novembre 1995, la commission délivra à M.O. (personne privée) un titre de propriété sur une partie du terrain afférent aux bâtiments de l’ancienne C.A.P., y compris sur le terrain sur lequel se trouvait la maison du requérant et sa cour.

Le 2 septembre 1996, la Préfecture introduisit une action en révision contre la décision de la cour d’appel du 17 février 1995, qui fut rejetée le 12 mars 1998.

Le 22 novembre 1996, le procureur général de la Roumanie introduisit un recours en annulation contre la décision de la cour d’appel du 17 février 1995. Il fut rejeté le 9 juin 1998 par la Cour suprême de justice, qui confirma le bien-fondé de la décision du 17 février 1995, en jugeant que, lors de la vente aux enchères publiques, en 1991, les parties avaient eu l’intention de transmettre non seulement le droit de propriété sur les bâtiments de la C.A.P. mais aussi le droit de propriété sur le terrain afférent.

Par ordre du 3 septembre 1998, le préfet obligea la commission de mettre en possession la société E. sur son terrain de 11 559 m2.

La Commission contesta cet ordre devant le tribunal de première instance de Fălticeni, qui rejeta sa demande par jugement du 29 mars 1999, confirmé, sur appel de la demanderesse, par une décision du 27 janvier 2000 du tribunal départemental.

Face au refus de la commission d’exécuter l’ordre du préfet du 3 septembre 1998, la société E. l’assigna en justice, sur la voie du contentieux administratif. Son action fut accueillie par jugement du 6 avril 2000, qui obligea la commission de procéder à la mise en possession de E., sous peine d’astreintes. Cette décision fut confirmée, sur recours de la défenderesse, par une décision définitive du 21 septembre 2000.

Le 19 novembre 1998, le tribunal de première instance de Fălticeni, sur demande de la société E., annula le titre de propriété de M.O. sur le terrain afférent au bâtiment occupé par le requérant. Ce jugement fut confirmé, sur appel de M.O., par une décision définitive du 6 octobre 1999, et devint irrévocable le 5 mai 2000, date à laquelle la cour d’appel de Suceava confirma le bien‑fondé des décisions des premiers juges.

Le 2 octobre 2000, la commission procéda à la mise en possession de la société E. de son terrain, y compris celui sur lequel se trouvait la maison et la cour du requérant.

2.  Le conflit opposant le requérant à M.O. et ses plaintes pénales pour violation de domicile

Les relations entre la famille du requérant et la famille de M.O. devinrent très tendues après la date à laquelle la commission a délivré à M.O., le 13 novembre 1995, un titre de propriété sur le terrain sur lequel se trouvait la maison du requérant.

Aux dires de requérants, confirmés par le Gouvernement, M.O. et son conjoint pénétrèrent souvent dans la cour de la maison qui constituait le domicile du requérant, afin d’y faucher ou d’y ramasser l’herbe. Proférant des injures à l’encontre du requérant, ils refusèrent de quitter les lieux sur sa demande, au motif que le terrain leur appartenait.

a)  La première plainte pénale pour violation du domicile

En 1996, le requérant introduisit auprès du Parquet près le tribunal de première instance de Fălticeni une plainte pénale à l’encontre de M.O. pour violation de domicile, infraction prohibée par l’article 192 du Code pénal.

Le 2 juillet 1996, le Parquet l’informa de ce qu’un non-lieu avait été prononcé à l’encontre de M.O. en vertu de l’article 10 c) du Code de procédure pénale, au motif que les faits réclamés n’auraient pas été commis par celle‑ci.

b)  Action en référé visant la réintégration du requérant dans son domicile

A une date non précisée, le requérant et son épouse, s’étant vu interdire l’accès à leur domicile par M.O. et par les membres de sa famille, déménagèrent chacun chez leurs parents respectifs. Selon le requérant, cela aurait beaucoup détérioré les relations entre les époux, ayant même conduit au divorce, prononcé par le tribunal de première instance de Suceava le 15 avril 1997.

Le 22 mai 1997, le requérant assigna M.O. devant le tribunal de première instance de Fălticeni afin d’obtenir, par voie d’ordonnance présidentielle, sa réintégration dans son domicile.

Par jugement du 15 juillet 1997, le tribunal fit droit à sa demande, obligeant M.O. de permettre au requérant d’utiliser son domicile.

Le 20 juillet 1998, le requérant fut réintégré dans son domicile par l’intermédiaire de l’huissier près le tribunal de première instance de Fălticeni. Dans le procès-verbal dressé par l’huissier, il était fait état de ce que M.O. s’était vu intimer l’ordre de ne plus entraver le requérant dans son droit à la jouissance de son domicile et qu’elle s’était engagée à le respecter.

Le Gouvernement conteste le fait que les époux se seraient vu obliger de quitter leur domicile à la suite des interventions de M.O. et de sa famille. Selon le Gouvernement, les troubles que ces derniers avaient causés au domicile du requérant avaient eu un caractère ponctuel et avaient concerné seulement la cour de son immeuble.

c)  La deuxième plainte pénale du requérant

Le 27 février 1997, à la suite d’une nouvelle plainte du requérant pour violation de domicile, le Parquet près le tribunal de première instance de Fălticeni prononça un non-lieu à l’encontre de M.O. et de son conjoint, au motif que les faits qui leur étaient reprochés ne constituaient pas d’infraction. Cette décision fut confirmée par le Parquet près la Cour suprême de justice, qui estima qu’il n’y avait pas des raisons imposant la réouverture de l’enquête.

d)  La troisième plainte pénale du requérant

Le 12 juin 1997, M.O., son conjoint et leurs deux fils rentrèrent à nouveau dans la cour du requérant. Pendant qu’ils fauchaient l’herbe qui avait poussé devant la maison du requérant, celui-ci leur intima l’ordre de quitter les lieux. Face à leur refus, le requérant demanda de l’aide auprès de la police de Fălticeni. Plusieurs policiers se rendirent sur les lieux et, sans intervenir, ils dressèrent un procès-verbal.

Le 1er août 1997, la police de Fălticeni, dans un rapport adressé au Parquet près le tribunal de première instance de Fălticeni, confirma que M.O. et sa famille avaient pénétré dans la cour du requérant. Elle estimait toutefois qu’ils ne sauraient en être tenus responsables, compte tenu de ce que M.O. avait un titre de propriété sur ledit terrain.

Le 22 septembre 1998, le requérant fut informé de ce qu’un non-lieu avait été prononcé, le 9 décembre 1997, par le Parquet près le tribunal de première instance de Fălticeni, au motif que M.O. et O.D., ayant un titre de propriété sur le terrain afférent au bâtiment du requérant, n’avaient pas agi avec l’intention de violer son domicile.

e)  La quatrième plainte pénale du requérant

Le 15 décembre 1998, le requérant fut informé par le Parquet de la décision de non-lieu adoptée à la suite de sa plainte pénale contre M.O. pour non‑respect de la décision en référé du 15 juillet 1997. Le Parquet retint que les faits qui lui étaient reprochés ne constituaient pas d’infraction, compte tenu de son titre de propriété sur le terrain litigieux.

f)  La cinquième plainte pénale du requérant

Le 5 mars 1999, des parents de M.O. pénétrèrent dans la cour du requérant et déversèrent plusieurs charrettes de fumier devant sa porte et sous ses fenêtres. Selon le Gouvernement, il s’agissait des engrais en vue d’une meilleure fertilisation du terrain. Le requérant introduisit à nouveau une plainte auprès du poste de police de Fălticeni.

Le 12 novembre 1999, un non-lieu fut prononcé à l’encontre des auteurs, en application de l’article 10 d) du Code de procédure pénale, selon lequel l’action pénale ne peut pas être exercée en l’absence de l’un des éléments constitutifs de l’infraction. Le procureur se fonda dans son ordonnance sur l’absence d’intention des auteurs des faits reprochés de commettre une infraction, compte tenu du titre de propriété de M.O. sur le terrain litigieux.


g)  La sixième plainte pénale du requérant

Les 22 et 29 mai 2000, lorsque le requérant était parti pour Bucarest afin d’effectuer un contrôle médical, M.O. et plusieurs membres de sa famille, des bâtons à la main, rentrèrent dans la cour de sa maison.

Les 16 et 23 mai 2000, le requérant introduisit une plainte à cet égard auprès du poste de police de Fălticeni. Il faisait valoir que le titre de propriété de M.O. sur le terrain afférent à leur maison avait été annulé par le jugement définitif du 19 novembre 1998. Il demandait que M.O. et ses complices soient poursuivis, faute de quoi ils seront encouragés à continuer de franchir leur terrain et de les menacer.

Une enquête fut ouverte par la police de Fălticeni et par le Parquet près le tribunal de première instance de la même ville. Plusieurs témoins furent entendus, qui confirmèrent que, les 22 et 29 mai 2000, M.O., accompagnée par son fils et son neveu, avait frappé, armée d’un bâton, à la porte du requérant, qui ne se trouvait pas chez lui. Il ressort de leurs déclarations que M.O. avait affirmé qu’elle donnerait des coups de bâton au requérant ou à son épouse quand elle allait les attraper, et qu’elle avait également menacé de leur détruire la maison, au motif qu’elle se serait trouvée sur son terrain.

Par lettre du 19 mars 2001, le requérant informa la Cour qu’aucune suite n’avait été donnée à ces plaintes et que les autorités n’avaient pris aucune mesure afin que lui et sa famille puissent avoir la jouissance de leur domicile. Selon le requérant, la passivité des autorités aurait encouragé les membres de la famille de M.O. à pénétrer tous les jours dans sa cour. Ils auraient labouré son jardin, y auraient semé du maïs et des légumes, sans qu’il puisse s’y opposer compte tenu de ce qu’il se trouvait en convalescence après l’ablation d’une tumeur cérébrale.

Le 18 mai 2001, le Parquet près le tribunal de première instance de Fălticeni prononça une décision de non-lieu à l’encontre de M.O. et la condamna à une sanction administrative, à savoir une amende d’un montant de 100 000 lei. Dans son ordonnance, le procureur retint que les faits commis par M.O. n’atteignaient pas le degré de danger social constitutif d’une infraction. Il s’appuyait sur les articles 11 pt. 1b) et 10b)1 combinés du Code de procédure pénale, selon lesquels le procureur prononce une décision de non-lieu si les faits incriminés ne présentent pas le degré de danger d’une infraction. S’agissant des fils et du neveu de M.O., le Parquet prononça un non-lieu au motif qu’ils avaient simplement accompagné M.O. et qu’ils n’avaient pas eu l’intention de commettre l’infraction de violation de domicile, prohibée par l’article 192 du Code pénal.

Par lettre du 28 avril 2003, le requérant informa la Cour que son état de santé s’était aggravé en raison de sa tumeur cérébrale, qui avait récidivé, et demanda qu’en cas de décès, la requête soit continuée par son épouse.


B.  Le droit interne pertinent

Article 192 du Code pénal. Violation de domicile

« Le fait de pénétrer, sans droit, et de quelque manière que ce soit, dans une habitation, un logement, une dépendance ou un espace clôturé y attenant, sans le consentement de la personne qui les utilise, ou le refus de quitter ces lieux sur demande de cette dernière, est passible d’une peine de 3 mois à 3 ans de prison ou d’amende.

Si le fait est commis par une personne armée, par deux ou plusieurs personnes ensemble (...) la peine est la prison de 2 à 7 ans. »

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de l’inaction des autorités pour faire cesser les atteintes au droit au respect de son domicile.

2.  Il estime que l’impossibilité où il se trouve de jouir de son domicile constitue également un manquement au droit au respect de ses biens, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint de l’inaction des autorités pour faire cesser les atteintes au droit au respect de son domicile, garanti par l’article 8 de la Convention, qui est libellé comme suit dans sa partie pertinente :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, [et] de son domicile (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »


Le Gouvernement considère que les faits de l’espèce ne démontrent aucune atteinte au droit garanti par l’article 8 de la Convention dans le chef du requérant. En faisant valoir que l’affaire concerne un litige civil entre particuliers, le requérant et M.O., qui prétendaient tous les deux avoir un titre de propriété sur le terrain en litige, le Gouvernement souligne qu’il s’agissait, en fait, d’une controverse juridique provenant de l’interprétation divergente donnée, d’une part, par les tribunaux, et, d’autre part, par les autorités administratives locales, aux effets de la vente aux enchères publiques, en 1991, des bâtiments de la C.A.P. Le Gouvernement retint que, si les autorités se sont abstenues d’adopter des mesures contre M.O. tant que celle-ci agissait en vertu de son titre de propriété sur le terrain occupé par le requérant, après la date à laquelle le litige civil a été tranché par les juridictions nationales en faveur du requérant, le Parquet est intervenu et a ordonné une sanction administrative. De l’avis du Gouvernement, ce fait prouve que les autorités ont respecté leur devoir de protéger le droit du respect au domicile du requérant.

S’appuyant sur l’arrêt de la Cour X et Y c. les Pays-Bas (arrêt du 26 mars 1985, série A no 9), le Gouvernement considère que les obligations positives à la charge de l’Etat en vertu de l’article 8 de la Convention ne vont pas jusqu’à imposer aux autorités d’adopter des sanctions pénales contre l’une des parties à un litige civil qui se fonde, de bonne foi, sur un titre de propriété valable en droit interne. Sur ce point, le Gouvernement souligne que les atteintes au droit du requérant au respect de son domicile par M.O. et sa famille n’atteignent pas le seuil de gravité des sévices sexuels contre une personne handicapée, qui ont justifié la nécessité d’une répression pénale dans l’affaire X. et Y. c. Pays-Bas précitée. L’adoption par le Parquet d’une sanction administrative pour punir les auteurs des faits reprochés par le requérant doit être considérée, de l’avis du Gouvernement, comme faisant partie de la marge d’appréciation dont jouissent les Etats pour décider quels seraient les moyens appropriés pour dissuader les futures atteintes au droit au respect du domicile du requérant.

Le requérant fait valoir que la loi roumaine, en particulier l’article 192 du Code pénal, protège le droit au respect de la vie privée et familiale à toute personne qui utilise un bâtiment en guise de domicile, un tel droit ne souffrant aucune restriction, même de la part du propriétaire de l’immeuble respectif. Plus encore, il souligne qu’en vertu de la même disposition, une ingérence au droit au respect de son domicile qui serait commise par main armée ou par plusieurs personnes ensemble est passible d’une peine de prison de 2 à 7 ans. Il considère, dès lors, que la sanction infligée par le Parquet à M.O., à savoir une amende de 100 000 lei, soit l’équivalent de 0,15 dollars américains (USD), était insuffisante, contrairement aux allégations du Gouvernement.


Il rappelle sur ce point que M.O. et les membres de sa famille se sont rendus à plusieurs reprises à son domicile armés avec des bâtons, ont frappé à la porte d’entrée et l’ont menacé de mort, faits consignés dans les déclarations faites par les témoins pendant l’enquête policière. Il est d’avis que l’interprétation donnée par le Gouvernement aux dispositions pertinentes du Code pénal est erronée et de mauvaise foi, car elle signifierait qu’il serait loisible au propriétaire de violer à tout moment le domicile de son éventuel locataire, l’empêchant d’avoir une vie privée et familiale.

En tout état de cause, le requérant souligne qu’il avait un droit de propriété sur l’ancien siège de la C.A.P. et sur le terrain y afférent, où il avait établi son domicile depuis 1995, et ce en vertu du contrat conclu en 1994 avec la société E., dont il était l’unique actionnaire, société qui avait légalement acquis l’immeuble litigieux aux enchères publiques, en 1991.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

2.  Le requérant allègue un manquement au droit au respect de ses biens, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui dispose ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. (...).

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...). »

Le requérant fait valoir que l’impossibilité où il se trouve de jouir de son domicile constitue également un manquement au droit au respect de ses biens, au sens de l’article 1 précité.

Le Gouvernement est d’avis qu’étant donné qu’aucune ingérence ne saurait être décelée dans le droit du requérant au respect de son domicile, il ne saurait être question, a fortiori, d’une quelconque atteinte à son droit de propriété sur l’immeuble où il domiciliait. Soulignant que le droit de propriété du requérant sur le bâtiment qu’il occupait n’a jamais été contesté, le Gouvernement relève que le requérant n’a pas obtenu, à la suite de son contrat conclu le 1er mars 1994 avec la société E., un droit de propriété, ni une espérance légitime, au sens de la jurisprudence de la Cour, sur une quelconque surface de terrain afférente audit bâtiment. Il souligne sur ce point que le contrat en question n’a pas été conclu en forme authentique, condition requise par le droit roumain pour la validité des ventes des terrains.


La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

T.L. EarlyJ.-P. Costa
Greffier adjointPrésident

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