CEDH, Cour (quatrième section), LUNDKVIST c. la SUEDE, 13 novembre 2003, 48518/99

  • Incendie·
  • Compagnie d'assurances·
  • Relaxe·
  • Gouvernement·
  • Indemnité d'assurance·
  • Preuve·
  • Critère·
  • Pénal·
  • Clause·
  • Question

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 13 nov. 2003, n° 48518/99
Numéro(s) : 48518/99
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2003-XI
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 2 mars 1999
Jurisprudence de Strasbourg : C c. Royaume-Uni, n° 11882/85, décision du 7 octobre 1987, DR 54, p. 162
Ringvold c. Norvège, n° 34964/97, § 38, CEDH 2003-II
X c. Autriche, n° 9295/81, décision de la Commission du 6 octobre 1982, DR 30, p. 227
Y c. Norvège, n° 56568/00, § 41, CEDH 2003-II
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-45135
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1113DEC004851899
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

[TRADUCTION]

(...)

EN FAIT

Le requérant, M. Tommy Lundkvist, est un ressortissant suédois né en 1949 et résidant à Kvicksund. Devant la Cour, il est représenté par Me J. Södergren, avocat au barreau de Stockholm. Le gouvernement défendeur est représenté par son agente, Mme I. Kalmerborn, du ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Le 24 juin 1994, pendant la soirée de la Saint-Jean, une dispute éclata entre le requérant et son épouse, au domicile conjugal. Plus tard, le 25 juin, vers 2 heures du matin, un incendie ravagea la maison, un bâtiment en bois dont l'intéressé était propriétaire et qui brûla jusqu'aux murs de fondation.

Par la suite, le requérant fut inculpé en vertu de l'article 5 du chapitre 3 du code pénal pour avoir infligé des mauvais traitements à son épouse, et sur le fondement de l'article 1 du chapitre 13 pour avoir volontairement incendié sa maison.

En août 1994, le tribunal de district de Västerås le déclara coupable quant au premier chef d'accusation et le condamna à une peine de un mois d'emprisonnement ; en revanche, il le relaxa quant au second chef, estimant qu'en dépit d'arguments solides en faveur de l'accusation, il n'avait pas été démontré au-delà de tout doute raisonnable que le requérant fût coupable de l'infraction en question.

Le 14 décembre 1994, la cour d'appel Svea confirma ce jugement. Concernant l'accusation d'incendie volontaire, elle observa ce qui suit :

« Ainsi que le tribunal de district l'a constaté, il y a de bonnes raisons de penser que [le requérant] a mis le feu à sa maison. Cependant, rien dans l'enquête ne permet d'établir un lien direct entre lui et cet acte. De même, aucun élément de l'enquête n'exclut la possibilité que l'incendie ait pu être accidentel ou être déclenché par une autre personne. Puisque l'on ne peut donc considérer comme établi au-delà de tout doute raisonnable que [le requérant] a déclenché l'incendie, cette accusation doit être rejetée. »

Par la suite, l'intéressé engagea contre sa compagnie d'assurances, Länsförsäkringar Bergslagen, une action civile visant à l'obtention d'un jugement déclaratif selon lequel la compagnie en question était tenue, en vertu du contrat d'assurance, de lui verser une indemnité à raison des dommages causés par l'incendie à sa maison et ses effets personnels.

Composé autrement qu'au pénal, le tribunal de district de Västerås tint une audience durant laquelle il entendit le requérant, les témoins qui avaient déposé durant le procès pénal, et un certain nombre de nouveaux témoins. Les éléments documentaires soumis par les parties étaient pour une large part les mêmes que ceux présentés durant la procédure pénale.

Dans son jugement du 24 janvier 1997, le tribunal de district statua en faveur de la compagnie d'assurances, contre le requérant. Le jugement contenait une partie introductive intitulée « Contexte », dans laquelle le tribunal reproduisait la conclusion précitée de la cour d'appel, et un résumé des arguments des parties (« Yrkande mm »). Suivait le raisonnement (« Domskäl »), où le tribunal détaillait les dépositions orales et les éléments écrits, évoquait le contenu de certaines dépositions orales nouvelles, et présentait sa propre appréciation. Il rappelait d'abord quels étaient les critères de preuve applicables aux affaires d'indemnisation par une compagnie d'assurances, observant qu'il ne prêtait pas à controverse qu'un sinistre assuré se fût produit, mais uniquement que l'affaire relevât de la clause d'exemption figurant au point H 4.3 de la police d'assurance, en application de l'article 32 de la loi sur l'assurance des consommateurs (konsumentförsäkringslagen), ce que la compagnie d'assurances devait prouver. Le tribunal de district soulignait à cet égard que le silence du demandeur était un facteur important pour distinguer la façon d'apprécier les éléments de preuve au civil et au pénal.

Puis le tribunal examinait assez longuement les éléments de preuve – y compris les expertises – liés aux causes naturelles possibles de l'incendie, notamment les installations électriques et le système de chauffage de la maison, en particulier un brûleur à bois et à mazout ainsi que la cheminée. La juridiction en question concluait que pareilles causes pouvaient être exclues et que dès lors il y avait des raisons solides de considérer que la cause devait résider ailleurs. Le tribunal poursuivait ainsi :

« Comme cela a été indiqué, [le requérant] n'a pu pour sa part fournir aucune explication quant à l'origine du feu. Il avait de bonnes occasions de déclencher l'incendie. L'enquête a montré que, peu avant le départ de feu, il était entré et sorti de la maison plusieurs fois.

Le tribunal de district estime que personne d'autre que [le requérant] ne peut être soupçonné d'avoir allumé le feu. Les informations que [son épouse] a fournies à la police durant le premier entretien rendent particulièrement solides les soupçons pesant contre lui : à cette occasion, elle a déclaré notamment que [le requérant] menaçait de réduire la maison en cendres si elle et son fils s'en allaient. Il faut attribuer une valeur probante spéciale aux dépositions recueillies lors des interrogatoires de police. Par la suite, [l'épouse du requérant] a bizarrement donné de nouvelles informations d'une teneur différente. Sa nouvelle déposition ne semble pas crédible. Elle a personnellement de bonnes raisons d'essayer de sauver la situation financière de la famille. Ces nouvelles informations peuvent s'expliquer ou du moins être considérées à la lumière du fait que, comme elle l'admet, elle a parlé avec [le requérant], avant l'audience devant la cour d'appel, des circonstances liées à l'origine de l'incendie. Déjà pendant l'audience tenue dans le cadre de la précédente procédure, Mme Lundkvist avait expliqué de façon peu crédible pourquoi elle s'écartait des informations fournies spontanément durant le premier entretien avec la police, sans se montrer convaincante dans la présentation de sa nouvelle version selon laquelle, notamment, elle se serait trouvée à l'intérieur de la maison juste avant le départ de feu et aurait vu de la fumée dans la maison, entre autres. Interrogée plus avant sur ces points, elle a déclaré qu'elle « ne savait pas comment répondre ».

Ce qui avant toute chose indique que [le requérant] a démarré le feu, c'est que lors d'une dispute avec son épouse il avait menacé de réduire la maison en cendres, et qu'en outre il était manifestement dans un tel état d'esprit qu'il aurait très bien pu allumer le feu dans un accès de désespoir en se servant des produits liquides inflammables qui se trouvaient dans la maison. Son inclination à commettre des actes spectaculaires est corroborée par les idées suicidaires qu'il a exprimées juste après l'incendie. L'hypothèse suivant laquelle [le requérant] a lui-même déclenché l'incendie à l'aide de liquides inflammables est étayée par la manière dont les flammes se sont propagées, selon le récit de plusieurs témoins oculaires, et par les dépositions orales des experts techniques – à l'exception de M. Andersson – spécialisés en matière d'incendie. L'un des éléments frappants qui de même donnent à penser que [le requérant] a démarré le feu c'est que, comme l'a souligné le tribunal de district dans son jugement du 5 août 1994, juste avant l'incendie [le requérant] est allé chercher son fils dans la chambre de celui-ci et l'a porté dans le camion ; de plus, [le requérant] se trouvait dans la cave de la maison au moment précis où la fumée est apparue. En outre, il convient de tenir compte de la circonstance que [le requérant] a de lui-même abordé la question de l'incendie volontaire avec [le policier] Mats Eriksson quand la police est intervenue contre lui après l'incendie.

Le tribunal de district estime que les éléments présentés à l'appui de la thèse suivant laquelle [le requérant] a intentionnellement démarré le feu prédominent sur les autres causes possibles de l'incendie, ce à un degré tel que l'indemnité d'assurance n'a pas à être versée. En conséquence, la demande est rejetée. »

M. Lundkvist saisit la cour d'appel Svea, laquelle siégea elle aussi en une composition autre qu'au pénal. Il s'appuya principalement sur les mêmes éléments que devant le tribunal de district. La juridiction d'appel entendit le requérant à la propre demande de celui-ci, ainsi que plusieurs experts, et écouta des enregistrements sonores contenant un certain nombre de témoignages recueillis par le tribunal de district, notamment ceux de l'épouse et de la mère du requérant, à la demande de ces dernières.

Dans son arrêt du 17 mars 1998, la cour d'appel confirma le jugement du tribunal de district.

Comme le tribunal, la cour d'appel se pencha d'abord sur les différentes causes techniques possibles de l'incendie, puis conclut que ces causes devaient être écartées. Elle déclara :

« Le comportement [du requérant] durant la nuit de la Saint-Jean ainsi que l'inquiétude et l'anxiété qu'il suscita chez Mme Lundkvist et sa mère indiquent qu'il était très perturbé sur le plan psychique. Comme l'a déclaré le tribunal de district, les informations que Mme Lundkvist a finalement données pour le protéger ne semblent pas crédibles. De plus, il faut tenir compte du fait que les déclarations initiales [du requérant] concernant l'incendie, formulées durant les interrogatoires – la première fois, alors qu'il n'avait pas encore appris qu'il était soupçonné d'avoir commis une infraction –, ne sont pas corroborées par le reste de l'enquête. Par la suite, il n'a été en mesure de fournir aucune explication. La cour d'appel tire la même conclusion que le tribunal de district du fait qu'après le premier interrogatoire [le requérant] n'a guère livré d'informations sur le sinistre. Dans ce contexte, et compte tenu de l'affaire prise globalement, il n'y a pas lieu de penser que le feu a été allumé par quelqu'un d'autre que [le requérant].

A la lumière de ces éléments, il faut considérer que la compagnie d'assurances a démontré – selon le critère de preuve applicable aux affaires civiles de ce type – que [le requérant] a provoqué l'incendie. En conséquence, sa demande tendant à l'obtention d'un jugement déclaratif est rejetée et le jugement du tribunal de district est maintenu. »

Le requérant demanda l'autorisation de former un recours contre l'arrêt de la cour d'appel. Le 11 novembre 1998, la Cour suprême lui refusa cette autorisation.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

Aux termes de l'article 1 du chapitre 13 du code pénal (brottsbalken),

« Quiconque déclenche un incendie comportant un danger pour la vie ou la santé d'autrui ou provoquant des dommages importants sur les biens d'autrui est déclaré coupable d'incendie volontaire et condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée allant de deux à huit ans.

Si l'infraction est moins grave, l'intéressé est condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée allant de un à trois ans. »

L'article 2, premier alinéa, du chapitre 1 du code pénal dispose :

« Sauf disposition spécifique contraire, un acte n'est considéré comme une infraction que s'il a été commis intentionnellement. »

La clause H 4.3 de la police d'assurance pertinente est ainsi libellée :

« Si vous avez intentionnellement causé le sinistre assuré, vous ne recevrez pour votre part aucune indemnité. Il en va de même si un tiers a agi avec votre consentement ou a d'importants intérêts financiers en commun avec vous (par exemple votre conjoint(e)), et si aucune raison particulière ne va dans un sens contraire.

Il en va de même – sauf quand cela concerne l'assurance d'un tiers – si le sinistre assuré est résulté d'une négligence grave et si aucune raison particulière ne va dans un sens contraire. »

Nul ne prétend que la clause précitée serait incompatible avec les dispositions pertinentes de la loi sur l'assurance des consommateurs, dont l'article 32 indique que la garantie ne joue pas en faveur d'un assuré ayant causé intentionnellement le sinistre assuré et que l'indemnité peut dans certaines circonstances être revue à la baisse lorsqu'un sinistre assuré est dû à une négligence grave ou significative.

Des critères de preuve différents sont appliqués au pénal et au civil. Dans une procédure pénale, la charge de la preuve repose entièrement sur le procureur, qui doit établir au-delà de tout doute raisonnable que le prévenu a commis l'acte en question, et ce intentionnellement ou par suite d'une négligence. Dans une procédure civile, la charge de la preuve incombe d'ordinaire au demandeur ; le critère de la preuve varie selon le type d'affaire et les éléments dont il convient de rapporter la preuve, mais il est moins strict qu'en matière pénale.

D'après les exemples que le Gouvernement tire de la jurisprudence de la Cour suprême (voir NJA (Nytt juridiskt arkiv) 1984, p. 501 ; NJA 1986, p. 3 ; NJA 1986, p. 358 ; NJA 1986, p. 470, et NJA 1990, p. 93), dans les affaires concernant une indemnité d'assurance en faveur d'un consommateur il revient à l'assuré de démontrer que, compte tenu de l'ensemble des circonstances, il est plus probable qu'improbable qu'un sinistre couvert par l'assurance s'est produit. La charge de la preuve pesant sur l'assuré est considérée comme relativement moins lourde que la charge de la preuve ordinaire dans le cadre civil. Si la compagnie d'assurances objecte qu'aucune indemnité ne sera allouée au motif que l'assuré a intentionnellement provoqué le sinistre assuré, la charge de la preuve est transférée à la compagnie, laquelle doit prouver ce qu'elle avance selon le critère civil ordinaire.

GRIEFS

Sous l'angle de l'article 6 § 2 de la Convention, le requérant se plaint essentiellement qu'en rejetant sa demande d'indemnité d'assurance les juridictions suédoises ont méconnu son droit à la présomption d'innocence au regard de cette disposition.

EN DROIT

Le requérant allègue avoir été victime d'une violation de l'article 6 § 2 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A.  Sur l'objet du litige

Dans sa requête initiale à la Cour, le requérant affirmait que le raisonnement suivi par la cour d'appel dans son arrêt de relaxe du 14 décembre 1994 élevait certains doutes, notamment l'observation suivante : « Ainsi que le tribunal de district l'a constaté, il y a de bonnes raisons de penser que [le requérant] a mis le feu. » M. Lundkvist estime que la décision de relaxe dont il a bénéficié n'a été respectée ni par les juridictions qui ont siégé au pénal ni par celles qui ont connu de l'affaire au civil. Quoi qu'il en soit, le raisonnement des tribunaux dans la procédure civile le désignait comme étant la personne à l'origine de l'incendie, portant ainsi atteinte à son droit d'être présumé innocent après une décision de relaxe.

Dans la partie du formulaire de requête consacrée à l'objet de celle-ci (point V), l'avocat de M. Lundkvist affirmait au nom de son client que ce dernier « pri[ait] la Cour de conclure que le Gouvernement suédois a[vait] porté atteinte au droit du requérant d'être présumé innocent après sa relaxe au pénal quant au chef d'incendie volontaire » (italique ajouté).

Dans ses observations sur la recevabilité et le fond, le Gouvernement étaye ses commentaires au sujet de la requête sur l'hypothèse que le requérant se plaint tant de la procédure pénale que de la procédure civile.

Cependant, la Cour observe qu'il ressort clairement de la requête initiale de l'intéressé que celui-ci entendait se plaindre du non-respect de son droit au regard de l'article 6 § 2 de la Convention dans le cadre de l'action civile en indemnisation contre la compagnie d'assurances. Un argument qui semble être au cœur de son grief consiste à dire que le manquement allégué est résulté de déficiences dans le raisonnement suivi par la cour d'appel durant la procédure pénale. Néanmoins, sa requête initiale n'est pas claire quant à sa volonté de présenter un grief distinct au sujet de cette dernière procédure. En conséquence, la Cour n'examinera pas cette question, qui en tout état de cause a été soulevée plus de six mois après le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel (article 35 § 1 de la Convention).

En outre, la Cour observe que, dans ses commentaires sur les observations du Gouvernement, le requérant s'appuie sur certains arguments tirés de la jurisprudence de la Cour concernant l'exigence d'indépendance et d'impartialité au regard de l'article 6 § 1. Or l'intéressé n'a pas présenté de grief distinct sous l'angle de cette disposition.

A la lumière de ce qui précède, la Cour limitera son examen au grief du requérant selon lequel, dans la procédure d'indemnisation, les juridictions nationales n'ont pas respecté la présomption d'innocence garantie par l'article 6 § 2.

B.  Sur l'épuisement des voies de recours internes

Le Gouvernement affirme que le requérant n'a pas présenté la substance de son grief tiré de l'article 6 § 2 au cours de la procédure d'indemnisation pertinente et qu'il n'a donc pas épuisé les voies de recours internes comme l'exige l'article 35 § 1 de la Convention.

L'intéressé soutient qu'il a rempli cette exigence, faisant valoir que tant devant le tribunal de district que devant la cour d'appel il a spécifiquement évoqué les décisions antérieures de relaxe quant à l'accusation d'incendie volontaire – décisions qui avaient acquis force de chose jugée – comme éléments de preuve à l'appui de son grief selon lequel « il n'avait pas déclenché le feu intentionnellement ou par suite d'une négligence grave ».

La Cour observe néanmoins que dans son recours auprès de la Cour suprême le requérant s'est appuyé sur tous les arguments présentés par lui devant les juridictions inférieures et a de plus souligné que la partie défenderesse – la compagnie d'assurances – n'avait pas assumé la charge de la preuve pesant sur elle. De plus, le critère de la preuve à appliquer était incertain. A aucun stade de la procédure en question, le requérant n'a expressément évoqué la présomption d'innocence. La Cour doute sérieusement que l'on puisse juger qu'il l'a fait, fût-ce en substance, simplement en invoquant comme élément de preuve la décision de relaxe dont il avait bénéficié pour réfuter l'affirmation de la compagnie d'assurances. En tout état de cause, tout en doutant réellement que le requérant puisse passer pour avoir satisfait à l'exigence d'épuisement des voies de recours internes, la Cour estime que sa requête doit être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement, et ce pour les raisons qui suivent.

C.  Sur le grief tiré de l'article 6 § 2 de la Convention

1.  Arguments du requérant

Le requérant avance qu'un élément déterminant pour juger que l'article 6 § 2 est applicable et a été violé en l'espèce réside dans le fait que le jugement de relaxe rendu en sa faveur contenait des remarques élevant des doutes à son sujet, remarques qui, bien que totalement inutiles, ont été réitérées dans les raisonnements des juridictions ayant examiné l'affaire au civil. Contrairement à ce que le Gouvernement affirme, il n'importait guère que la procédure civile opposât deux parties privées et concernât l'application d'une clause contractuelle. L'affaire a été tranchée par les tribunaux et la clause litigieuse est le reflet de normes légales, de sorte que la responsabilité de l'Etat se trouve engagée en l'espèce, à raison des actes du pouvoir judiciaire ainsi que du pouvoir législatif.

Le requérant ajoute qu'il faut souligner, malgré l'absence de liens formels entre les procédures pénale et civile en question, que l'issue de la première n'était pas sans incidence sur la seconde. A défaut de jugement définitif de relaxe sur l'accusation d'incendie volontaire, ou avant un tel jugement, il eût été vain pour lui de solliciter une indemnisation ; ses prétentions auraient été rejetées durant la procédure civile, ou bien cette procédure aurait été suspendue. D'après lui, il ressort clairement de la jurisprudence suédoise que, s'il avait été condamné, cette décision aurait eu un effet quasi contraignant sur la juridiction civile. Suivant une pratique constante en droit suédois, l'issue d'une procédure pénale – qu'il y ait condamnation ou relaxe – a une valeur probante importante dans toute procédure civile consécutive. Cela vaut non seulement pour la conclusion, mais aussi pour le raisonnement de la juridiction de jugement. Dans le cas du requérant, la formulation de doutes dans le jugement de relaxe a manifestement pesé sur les conclusions de la juridiction civile. Que le tribunal de district ait évoqué ces doutes dans une rubrique intitulée « Contexte » n'implique pas qu'ils étaient étrangers à son raisonnement. Tout élément d'un jugement est censé répondre à un objectif et avoir une signification pour les parties et l'ensemble des citoyens.

Par ailleurs, le requérant présente des observations détaillées allant jusqu'à l'appréciation des éléments de preuve dans les procédures pénale et civile. Il estime qu'au civil les tribunaux sont partis de l'idée préconçue qu'il avait déclenché l'incendie. Ils ont statué en faveur de la compagnie d'assurances non pas parce qu'il était démontré que le requérant avait allumé le feu, mais parce qu'ils jugeaient moins convaincantes les autres causes possibles de l'incendie suggérées par lui. En bref, l'intéressé affirme que dans la procédure civile les tribunaux lui ont transféré la charge de la preuve et qu'il a dû établir les autres origines possibles de l'incendie. L'issue de l'action civile n'a de sens, selon le requérant, que si l'on tient compte des déclarations litigieuses devant les juridictions pénales. En fait, ces déclarations ont pesé sur la procédure civile en ce sens que les tribunaux ont fondé leur raisonnement sur une idée préconçue qui était défavorable à l'intéressé.

C'est pourquoi le requérant estime qu'il existe entre les deux procédures un lien justifiant l'application de l'article 6 § 2 de la Convention, disposition à laquelle il aurait été porté atteinte en l'espèce.

2.  Arguments du Gouvernement

Le Gouvernement conteste l'applicabilité de l'article 6 § 2 de la Convention à l'action en indemnisation ayant opposé le requérant et la compagnie d'assurances et, en tout état de cause, la thèse selon laquelle il y a eu en l'espèce un manquement quelconque au respect de cette disposition.

D'après le Gouvernement, la procédure en question n'avait trait à aucun grief à l'encontre des pouvoirs publics ; elle impliquait simplement deux parties privées et portait sur un différend de droit privé relatif à l'application des termes d'un contrat, à savoir une police d'assurance. La clause pertinente disposait que l'indemnisation pouvait être exclue notamment lorsque l'assuré avait causé le sinistre assuré intentionnellement ou par suite d'une négligence grave. La condamnation de l'assuré n'était pas une condition préalable à l'application de cette clause. Les clauses de la police d'assurance n'étaient aucunement liées à l'établissement d'une responsabilité pénale. En engageant son action civile contre la compagnie d'assurances, le requérant, qui était représenté par un avocat, devait savoir que les tribunaux seraient amenés à rechercher s'il avait déclenché l'incendie.

De plus, les questions tranchées lors des deux procédures se distinguaient sur des points essentiels. Certes, dans la procédure pénale comme dans l'action civile les tribunaux concernés étaient tenus de se demander si le requérant avait mis le feu à sa maison, mais la base juridique (le code pénal dans le premier cas, la clause H 4.3 de la police d'assurance et l'article 32 de la loi sur l'assurance des consommateurs dans le second cas) et les critères applicables différaient. Les éléments constitutifs, qu'ils soient subjectifs ou objectifs, n'étaient pas les mêmes. Les critères de preuve étaient distincts, de même que les éléments présentés. Dans la procédure civile, les tribunaux ont apprécié les pièces et témoignages soumis durant l'audience sans nullement se préoccuper des éléments de preuve et conclusions propres à la procédure pénale ; en fait, les tribunaux ne pouvaient tenir compte de pareils éléments que si les parties les invoquaient. Or celles-ci avaient décidé de ne pas présenter tous les éléments de preuve de la procédure pénale et avaient prié les tribunaux d'examiner de nouvelles dépositions et pièces.

En outre, les règles procédurales applicables aux deux procédures différaient considérablement, notamment pour ce qui est de la composition des tribunaux.

De surcroît, le Gouvernement souligne que s'il fallait que les tribunaux expriment leur opinion sur le point de savoir si la compagnie d'assurances avait démontré, conformément au critère de preuve applicable, que le requérant avait déclenché l'incendie, ni le tribunal de district ni la cour d'appel n'ont examiné la responsabilité pénale de M. Lundkvist ou exprimé un soupçon quelconque à ce sujet. Ces deux juridictions n'ont pas non plus remis en cause la justesse de la relaxe ni fait de référence quelconque, dans leurs raisonnements respectifs, aux décisions des juridictions pénales.

Eu égard aux considérations qui précèdent, le Gouvernement prie la Cour de déclarer que le grief du requérant sous l'angle de l'article 6 § 2 de la Convention est manifestement mal fondé.

3.  Appréciation de la Cour

La Cour examinera le grief du requérant à la lumière des principes énoncés dans ses récents arrêts Ringvold c. Norvège (no 34964/97, CEDH 2003-II) et Y. c. Norvège (no 56568/00, CEDH 2003-II) et de la manière dont elle a appliqué lesdits principes dans ces affaires (voir respectivement aux paragraphes 36-42 et 39-47 de ces arrêts). Elle recherchera si l'action en réparation dont il s'agit en l'espèce a donné lieu à une « accusation en matière pénale » à l'encontre du requérant et, dans la négative, si elle était néanmoins liée à la procédure pénale d'une manière propre à la faire tomber dans le champ d'application de l'article 6 § 2.

Pour ce qui est du premier des critères permettant d'établir s'il y avait une « accusation en matière pénale », à savoir la qualification de la procédure en droit national, la Cour relève que l'objet du litige portait sur l'application d'une clause contractuelle figurant dans une police d'assurance qui liait deux parties privées. Selon cette clause, il incombait à la compagnie d'assurances de démontrer, conformément à la charge de la preuve applicable dans le droit de la responsabilité civile, que le requérant ou une autre personne pour laquelle la propriété possédait un intérêt financier important, avait déclenché l'incendie intentionnellement ou par suite d'une négligence grave. Cette question a été examinée conformément aux règles régissant la conduite de la procédure civile. Ainsi, le rejet de la demande du requérant visant à l'obtention d'une indemnité d'assurance n'était de toute évidence pas considéré comme une « accusation en matière pénale » en vertu du droit national pertinent.

Quant aux deuxième et troisième critères, à savoir la nature de la procédure et le type et la gravité de la « sanction », la Cour observe d'emblée que nul n'affirme que l'objet de la clause pertinente ou le montant de l'indemnité refusée au requérant sur le fondement de cette clause conféraient à cette mesure le caractère d'une sanction pénale au sens de l'article 6 § 2.

De plus, la Cour observe que si les conditions présidant à l'application de la clause litigieuse pouvaient à certains égards empiéter, selon les circonstances, sur celles qui concernaient l'établissement d'une responsabilité pénale, la thèse de la compagnie d'assurances selon laquelle le requérant, de par sa conduite, était responsable des dégâts causés à sa maison et avait dès lors perdu son droit à une indemnité d'assurance, devait néanmoins être examinée à la lumière des principes attachés au droit de la responsabilité civile. La Cour n'est pas convaincue par l'argument du requérant, qui semble reposer sur la spéculation, selon lequel le raisonnement des tribunaux au pénal a manifestement pesé sur les conclusions des juridictions au civil. Quoi qu'il en soit, l'issue de la procédure pénale n'était pas déterminante pour l'action en indemnisation. La compagnie d'assurances était fondée à invoquer la clause d'exemption, indépendamment de la question de savoir si l'intéressé avait été condamné ou, comme en l'espèce, relaxé, et le problème de la réparation devait faire l'objet d'une appréciation juridique distincte fondée sur des critères et niveaux de preuve différant sur plusieurs points importants de ceux applicables à la responsabilité pénale. Cela est confirmé par les circonstances de la présente affaire, puisque l'indemnité d'assurance était le seul problème à trancher dans le cadre de la procédure litigieuse – laquelle impliquait uniquement des parties privées – et qu'elle a été examinée au civil sur la base de nouveaux témoignages. En outre, cette procédure civile s'est déroulée plusieurs années après la procédure pénale, et ce devant le tribunal de district et la cour d'appel, qui siégèrent en une composition autre qu'au pénal et exposèrent un raisonnement détaillé sur le droit et les faits pertinents de l'action civile.

Par ailleurs, la Cour estime que, même si elles ont été formulées compte tenu en particulier d'une situation où une victime donnée demandait réparation, les considérations suivantes sur lesquelles elle s'est appuyée dans son arrêt Ringvold (§ 38 – voir aussi l'arrêt Y. c. Norvège, § 41) sont pertinentes s'agissant de la position de la compagnie d'assurances en l'espèce :

« [L]e fait qu'un acte pouvant donner lieu à une demande d'indemnisation en vertu du droit de la responsabilité civile réunit également les éléments constitutifs objectifs d'une infraction pénale ne constitue pas, nonobstant la gravité de l'acte en question, un motif suffisant de considérer que la personne présentée comme en étant responsable dans le cadre de l'affaire civile est « accusée d'une infraction ». Le fait que les éléments de preuve soumis lors du procès pénal soient utilisés pour la détermination des conséquences de l'acte dans le domaine civil ne justifie pas davantage pareille conclusion. S'il en allait autrement, comme le Gouvernement le fait remarquer à juste titre, l'article 6 § 2 conférerait à un acquittement pénal l'effet indésirable de priver la victime de la possibilité de réclamer réparation sur le fondement du droit de la responsabilité civile, ce qui constituerait une limitation arbitraire et disproportionnée à son droit d'accès à un tribunal au sens de l'article 6 § 1 de la Convention. A l'inverse, une personne déclarée innocente d'une infraction pénale, mais dont la responsabilité pourrait être retenue en vertu des critères de preuve applicables au civil, bénéficierait de l'avantage indu d'échapper à toute responsabilité pour ses actes. Une interprétation aussi large ne trouverait de soutien ni dans les termes de l'article 6 § 2 ni dans une quelconque convergence des systèmes juridiques nationaux des Etats parties à la Convention. Au contraire, dans un nombre important d'Etats contractants, une personne acquittée de certains faits peut être reconnue civilement responsable de leurs conséquences.

Dès lors, la Cour considère que, si l'acquittement prononcé au pénal ne doit pas être remis en cause dans le cadre de la procédure en réparation, cela ne doit pas faire obstacle à l'établissement, sur la base d'exigences de preuve moins strictes, d'une responsabilité civile emportant obligation de verser une indemnité à raison des mêmes faits (voir, mutatis mutandis, X c. Autriche, no 9295/81, décision de la Commission du 6 octobre 1982, Décisions et rapports (DR) 30, p. 227 ; C. c. Royaume-Uni, no 11882/85, décision de la Commission du 7 octobre 1987, DR 54, p. 162). Si la décision interne sur l'action civile devait renfermer une déclaration imputant une responsabilité pénale à la partie défenderesse, cela poserait une question sur le terrain de l'article 6 § 2 de la Convention. »

En l'espèce, les décisions internes litigieuses sur l'indemnité d'assurance – qui figuraient dans des jugements distincts de la décision de relaxe – n'affirmaient ni expressément ni en substance que toutes les conditions étaient réunies pour juger le requérant pénalement responsable des faits au sujet desquels il avait été relaxé. La procédure civile subséquente n'était pas incompatible avec cette relaxe et elle ne l'a pas « annulée ».

Dans ces conditions, la Cour estime que l'action en indemnisation n'équivalait pas à la formulation d'une autre « accusation en matière pénale » à l'encontre du requérant.

Quant à la question de savoir s'il existait entre la procédure pénale et l'action en indemnisation consécutive des liens propres à justifier l'extension du champ d'application de l'article 6 § 2 à la seconde, la Cour rappelle que l'issue de la procédure pénale n'était pas déterminante pour la question de l'indemnisation. En l'espèce, la situation était inversée : malgré la relaxe prononcée en faveur du requérant, il était possible juridiquement de refuser à ce dernier une indemnité d'assurance au titre de la maison détruite. Indépendamment de la conclusion à laquelle avait abouti le procès de l'intéressé, l'action en indemnisation n'était donc pas une suite directe de la procédure pénale, une conséquence de celle-ci ou un événement concomitant.

En résumé, la Cour conclut que l'article 6 § 2 était inapplicable à la procédure relative à l'indemnité d'assurance et qu'il n'y a donc pas eu violation de cette disposition en l'espèce.

Il s'ensuit que la requête doit être rejetée comme manifestement mal fondée, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (quatrième section), LUNDKVIST c. la SUEDE, 13 novembre 2003, 48518/99