CEDH, Cour (deuxième section), VETTER c. FRANCE, 19 octobre 2004, 59842/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 19 oct. 2004, n° 59842/00
Numéro(s) : 59842/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 26 juillet 2000
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-67295
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1019DEC005984200
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 59842/00
présentée par Christophe VETTER
contre la France

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 19 octobre 2004 en une chambre composée de

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de M. T.L. Early, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 26 juillet 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant,  Christophe Vetter, est un ressortissant français, né en 1975 et actuellement incarcéré. Il est représenté devant la Cour par Me  Nguyen Phung, avocat au barreau de Montpellier. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.


A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A la suite de la découverte du corps d'une personne abattue par arme à feu, une information judiciaire pour homicide volontaire fut ouverte contre X., sur réquisitoire introductif du 12 décembre 1997. Le même jour, le juge d'instruction délivra une commission rogatoire générale.

Le 22 décembre 1997 les enquêteurs obtinrent le témoignage d'une personne désirant garder l'anonymat ; elle déclara que le requérant était l'auteur des faits.

Le 25 décembre 1997, la police judiciaire invita le juge d'instruction à délivrer une commission rogatoire aux fins de profiter d'une réquisition au domicile d'un certain M. M. pour sonoriser l'appartement de ce dernier, dans lequel le requérant se rendait régulièrement. Délivrée le même jour, la commission rogatoire est ainsi libellée :

« Me référant notamment à la commission rogatoire délivrée le 12 décembre 1997, pour les nécessités de l'enquête et compte tenu de la nature particulière des faits, je vous prie de bien vouloir, en application des articles 81, 100 et suivants du code de procédure pénale, effectuer toutes réquisitions utiles, aux fins de sonoriser, à l'occasion de la perquisition qui sera effectuée, le domicile de [M. M.], demeurant (...).

Il sera pris toutes précautions pour que les enregistrements soient faits et utilisés dans le cadre de la seule finalité de l'enquête.

Il ne sera retranscrit sur procès-verbal que les déclarations enregistrées utiles à l'information en cours.

Le ou les enregistrements seront ensuite placés sous scellés et déposés au greffe du tribunal de grande instance de Montpellier ».  

La perquisition et la sonorisation de l'appartement eurent lieu le 26 décembre 1997. Au vu des enregistrements de conversations entre M. M. et le requérant, il fut décidé, le 28 décembre 1997, de procéder à l'interpellation et au placement de ce dernier en garde à vue. Le 30 décembre 1997, il fut mis en examen du chef d'homicide volontaire et placé en détention provisoire.

Le 29 juillet 1999, le requérant saisit la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier d'une demande tendant à l'annulation de pièces de la procédure. Il invoquait notamment la nullité des opérations de sonorisations litigieuses, soulignant en particulier qu'elles n'entraient pas dans les prévisions des articles 100 et suivants du code de procédure pénale. La chambre d'accusation rejeta la requête par un arrêt du 7 octobre 1999, ainsi motivé :

« (...)

B) Sur la demande d'annulation des opérations de « sonorisation » du domicile de [M. M.] et de la perquisition opérée audit domicile

(...)

1o) De la question de la licité de l'écoute

Attendu qu'en France l'écoute et l'enregistrement des conversations sont encadrés par quatre sortes de dispositions légales :

a) l'article 8 de la Convention (...).

b) L'article 226-1 du code pénal incriminant le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui, en captant, sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.

c) Les atteintes au secret des correspondances incriminées par les articles 226-15 et 432-89 du code pénal.

d) Enfin, les articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale (...) réglementant en matière criminelle et correctionnelle les interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications.

Attendu que les derniers textes cités donnent au juge d'instruction, qui dispose déjà, en vertu du premier alinéa de l'article 81 du code de procédure pénale du droit de procéder conformément à la loi, à toutes les investigations qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité, le pouvoir de prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription des correspondances émises par la voie des télécommunications ;

Attendu que si les articles 100 et suivants ne concernaient que les opérations effectuées entre les extrémités d'une liaison « télécommuniquée » la captation réalisée à l'une des extrémités pouvait échapper au cadre juridique de la réglementation ;

Que poussant plus avant l'analyse, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a considéré que les dispositions des articles 100 à 100-7 du code de procédure pénale régissent les écoutes réalisées à l'aide d'un procédé indécelable lors de la communication, installé hors du poste téléphonique à l'insu du titulaire de la ligne ;

Attendu qu'il est permis de penser que la conception de l'interception, qui s'appuie sur une interprétation littérale des textes est trop restrictive et contraire à la finalité de la réglementation ;

Qu'en effet, celle-ci a pour objet la protection de l'intimité de la vie privée, et du secret des correspondances ;

Que dès lors que leur contenu est capté, à un endroit ou à un autre, par un procédé technique simple ou complexe, l'interception est réalisée ;

Que c'est ce que confirme la nomenclature des appareils conçus pour réaliser les opérations pouvant constituer les infractions d'atteintes à la vie privée ;

Qu'actuellement, la liste de ces appareils résulte d'un arrêté du 9 mai 1994 ; qu'il est permis de constater que cette liste comprend, notamment, les appareils qui, conçus pour la détection à distance des conversations, permettent de réaliser l'infraction prévue par l'article 226-1 du code pénal ;

Attendu qu'en cette fin de siècle, la justice, dans sa poursuite du crime, ne saurait se priver de l'utilisation de procédés techniques plus ou moins sophistiqués de surveillance et d'investigation, à condition bien entendu que ces techniques soient ordonnées et contrôlées par le magistrat instructeur, dans le respect des textes, et que le résultat des captations et enregistrements soient soumis au débat contradictoire des parties ;

Attendu en l'espèce que le magistrat instructeur était en droit, au visa tant de l'article 81 que des articles 100 et suivants du code de procédure pénale, d'autoriser, par une commission rogatoire technique l'opération de sonorisation d'un appartement ;

Attendu que les officiers de police judiciaire agissaient en exécution d'une commission rogatoire régulière, dans un cadre légal défini par le juge d'instruction ;

Attendu que la décision de la chambre criminelle de la cour de cassation du 16 décembre 1997, dont se prévaut le requérant, n'est pas transposable en l'espèce ;

Qu'en effet, il n'y a eu en l'espèce aucune provocation, ni même aucun dessein d'orienter les propos enregistrés ; que les enquêteurs se sont bornés à installer dans le domicile d'un tiers, par rapport à Christophe Vetter, un dispositif d'écoute afin d'enregistrer, passivement, les propos susceptibles d'y être tenus ;

Qu'ils n'ont provoqué ni la venue de Christophe Vetter dans les lieux, ni les conversations que celui-ci y a librement entretenues avec [M. M.] ;

Que cette opération entrait dans le cadre des actes utiles à la manifestation de la vérité au sens de l'article 81 du code de procédure pénale ;

Attendu que la sonorisation susvisée ne peut donc être qualifiée d'illicite par manque de base légale.

(...)  ».      

Le 15 février 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant – sur le fondement notamment de l'article 8 de la Convention – par un arrêt ainsi motivé :

« (...)

Attendu que, pour rejeter la requête en annulation de la commission rogatoire du 25 décembre 1997, des opérations de sonorisation et de toute la procédure subséquente, déposée par l'avocat de Christophe Vetter après la notification de l'avis de fin d'information, l'arrêt énonce que « le magistrat instructeur était en droit, au visa tant de l'article 81 que des articles 100 et suivants du code de procédure pénale, d'autoriser, par une commission rogatoire technique, l'opération de sonorisation d'un appartement » et que les officiers de police judiciaire, qui ont agi dans un cadre légal défini par le juge d'instruction, « n'ont provoqué ni la venue de Christophe Vetter dans les lieux, ni les conversations qu'il y a librement entretenues avec [M. M.] ;

Attendu qu'en cet état, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que la perquisition du 26 décembre 1997, qui ne pouvait avoir d'autres fins que la recherche d'objets utiles à la manifestation de la vérité, était irrégulière, dès lors que seul celui qui en est personnellement victime a qualité pour invoquer une violation des règles de procédure, portant atteinte à l'intimité de la vie privée. 

(...) ».   

Dans le cadre de la procédure devant la chambre criminelle, le requérant était représenté par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

Par un arrêt du 23 octobre 2000, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier mit le requérant en accusation du chef d'homicide volontaire et le renvoya devant la cour d'assises de l'Hérault. L'arrêt mentionne la sonorisation de l'appartement de [M. M.] et les résultats de cette opération en ces termes :

« Les enquêteurs ayant appris que Christophe Vetter avait élu domicile chez [M. M.], une sonorisation de l'appartement de ce dernier s'avérait nécessaire, les surveillances téléphoniques étant insuffisantes en raison de l'utilisation des portables et surtout du comportement de Vetter laissant présager des risques sur certaines personnes nécessitant une accélération de l'enquête. Ce procédé d'investigations était mis en place le 26 décembre au moyen d'un camping car stationné à proximité servant de poste de réception.

Les premiers enregistrements étaient des plus éloquents, les militaires enregistrant des conversations entre Vetter et son ami [M. M.] dans lequel le premier évoquait « un flingue jeté, des habits brûlés, des morceaux de cervelle dans les poubelles » et son désir de tuer un certain « Pascal » qui en savait trop et son désir de fuite à l'étranger ».

Par un arrêt du 2 février 2002, la cour d'assises condamna le requérant à vingt ans de réclusion criminelle. Le requérant interjeta appel de cet arrêt, puis se désista.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1. Code de procédure pénale

Le droit pénal français consacre le principe de la liberté de la preuve : « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve (...) » (article 427 du code de procédure pénale).

Aux termes de l'article 81 du code de procédure pénale, « le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité [ ;] il instruit à charge et à décharge ». L'article 81 ajoute que, si le juge d'instruction est dans l'impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d'information nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152 du code de procédure pénale.

Les articles 100 à 100-7 du même code régissent les « interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications ». La circulaire générale C. 100 du 26 septembre 1991 précise qu'entrent « dans le champ d'application de [l'article 100], les interceptions de correspondances émises ou reçues sur des équipements terminaux tels que téléphone, télécopieur, minitel, récepteurs de services de radiomessagerie unilatérale, télex ».   

Les articles 100 à 100-7 sont libellés comme il suit :

Article 100 

« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement, le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'interception, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle.

La décision d'interception est écrite. Elle n'a pas de caractère juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours. »

Article 100-1

« La décision prise en application de l'article 100 doit comporter tous les éléments d'identification de la liaison à intercepter, l'infraction qui motive le recours à l'interception ainsi que la durée de celle-ci. »

Article 100-2

« Cette décision est prise pour une durée maximum de quatre mois. Elle ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée. »

Article 100-3

« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui peut requérir tout agent qualifié d'un service ou organisme placé sous l'autorité ou la tutelle du ministre chargé des télécommunications ou tout agent qualifié d'un exploitant de réseau ou fournisseur de services de télécommunications autorisé, en vue de procéder à l'installation d'un dispositif d'interception. »

Article 100-4

« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui dresse procès-verbal de chacune des opérations d'interception et d'enregistrement. Ce procès-verbal mentionne la date et l'heure auxquelles l'opération a commencé et celles auxquelles elle s'est terminée.

Les enregistrements sont placés sous scellés fermés. »


Article 100-5

« Le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire commis par lui transcrit la correspondance utile à la manifestation de la vérité. Il en est dressé procès-verbal. Cette transcription est versée au dossier.

Les correspondances en langue étrangère sont transcrites en français avec l'assistance d'un interprète requis à cette fin. »

Article 100-6

« Les enregistrements sont détruits, à la diligence du procureur de la République ou du procureur général, à l'expiration du délai de prescription de l'action publique.

Il est dressé procès-verbal de l'opération de destruction. »

Article 100-7

« Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d'un député ou d'un sénateur sans que le président de l'assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d'instruction.

Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction.

Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. »

2. Jurisprudence de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 16 décembre 1997 (pourvoi no 96-85589), la chambre criminelle de la Cour de Cassation a jugé ce qui suit :

« (...)

Attendu que l'enregistrement effectué de manière clandestine, par un policier agissant dans l'exercice de ses fonctions, des propos qui lui sont tenus, fût-ce spontanément, par une personne suspecte, élude les règles de procédure et compromet les droits de la défense ; que la validité d'un tel procédé ne peut être admise ;

Attendu que, pour écarter le moyen de nullité pris de ce que les enquêteurs avaient utilisé un stratagème déloyal en procédant, à son insu, à l'enregistrement des propos tenus par lui au gardien de la paix Y., la chambre d'accusation, qui relève, à bon droit, que le policier n'a fait que répondre à des sollicitations et qu'il n'a, en aucune manière, « participé de manière active à une provocation », énonce, par ailleurs, que l'enregistrement ne nécessitait pas l'autorisation du juge d'instruction dès lors que le procédé d'interception utilisé n'entrait pas dans les prévisions des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale et que les policiers tenaient des articles 81 et 152 de ce Code le droit d'effectuer tous les actes utiles à la manifestation de la vérité ; qu'elle relève qu'en toute hypothèse, les policiers « ont agi après avoir pris l'attache du magistrat instructeur » ; qu'elle ajoute que les propos enregistrés entre les intéressés ne présentaient aucun caractère privé et qu'ils étaient « étrangers à l'exercice des droits de la défense » ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, après avoir précédemment constaté que le policier agissait dans l'exercice de ses fonctions, et, alors que l'accord, au demeurant hypothétique, du magistrat instructeur n'était pas de nature à retirer au procédé son caractère illicite, la chambre d'accusation, qui aurait dû apprécier la validité de la transcription de l'enregistrement et des actes ou partie d'actes s'y référant au regard du principe ci-dessus énoncé, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

(...) ».

Dans un arrêt du 15 janvier 2003 (pourvoi no 02-87341), la chambre criminelle a conclu que « toute personne mise en examen dont les conversations téléphoniques ont été enregistrées et transcrites a[] qualité, au sens de l'article 171 du code de procédure pénale, pour contester la régularité de ces mesures (...) ».

GRIEFS

Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention et se référant à l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-II), le requérant se plaint de ce que, devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans le cadre de son pourvoi contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Montpellier du 7 octobre 1999, il ne put obtenir communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions de l'avocat général.

Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint de ce que, dans le cadre de l'information judiciaire qui a abouti à sa mise en examen pour homicide, les enquêteurs ont procédé à la sonorisation de l'appartement d'un tiers où il devait se rendre et à l'enregistrement des propos qu'il y a tenus ; il dénonce l'illégalité de ce procédé, lequel n'entrerait dans les prévisions ni de l'article 81 ni des articles 100 et suivants du code de procédure pénale.

Invoquant les articles 8 et 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ce que l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 février 2000 rejette son moyen fondé sur l'article 8 de la Convention pour « défaut de qualité à agir ». Il se réfère en particulier à l'arrêt Lambert c. France, du 24 août 1998 (Recueil 1998-V).   

EN DROIT

1.  Le requérant se plaint de ce que, dans le cadre de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation ayant abouti à l'arrêt du 15 février 2000, il ne put obtenir communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions de l'avocat général. Il se réfère à l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil 1998-II) et dénonce une violation de l'article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

Le Gouvernement expose que le requérant était assisté d'un avocat aux Conseils, lequel a été avisé du sens des conclusions de l'avocat général avant l'audience, en application de la pratique reconnue conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention dans l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité. Il reconnaît en revanche que le rapport du conseiller rapporteur a été communiqué à l'avocat général à l'exclusion du requérant ou de son conseil, ce que la Cour a jugé contraire à l'article 6 § 1 dans le même arrêt ; il expose qu'à la suite de l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd, la Cour de cassation a modifié les modalités d'instruction et de jugement des pourvois ; ces mesures n'étant cependant pas en vigueur à l'époque où le requérant s'est pourvu en cassation, le Gouvernement dit « s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour » sur ce point.

La Cour estime que cette partie de la requête soulève des questions de fait et de droit au regard de la Convention, qui nécessitent un examen au fond. Elle conclut en conséquence qu'elle n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Constatant par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour estime qu'il y a lieu de la déclarer recevable.

2.  Le requérant se plaint par ailleurs de ce que, dans le cadre de l'information judiciaire qui a abouti à sa mise en examen pour homicide, les enquêteurs ont procédé à la sonorisation de l'appartement d'un tiers où il devait se rendre, et à l'enregistrement des propos qu'il y a tenus. Il dénonce l'illégalité de ce procédé, lequel n'entrerait dans les prévisions ni de l'article 81 ni des articles 100 et suivants du code de procédure pénale, et une violation de son droit au respect de sa vie privée, garanti part l'article 8 de la Convention en ces termes:

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

Le Gouvernement expose qu'à la différence de ce qui est prévu pour les écoutes téléphoniques, le droit français ne contient pas de dispositions procédurales spécifiques en matière de sonorisation des lieux privées. Il précise que le juge d'instruction tient le pouvoir de prescrire tous les actes utiles à la manifestation de la vérité des articles 81, 151 et 152 du code de procédure pénale et que la Cour de cassation considère que, sur le fondement de ces dispositions, le juge d'instruction peut procéder à des enregistrements de conversations privées, sous réserve que ces actes soient réalisés sous son contrôle, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux droits de la défense et dans le respect du principe de la loyauté des preuves ; il se réfère en particulier à un arrêt de la chambre criminelle du 23 novembre 1999 (Bull. no 269), concernant la sonorisation d'un véhicule administratif de policiers, et à un arrêt du 12 décembre 2000 (Bull. no 369), concernant la sonorisation d'un parloir.

Le Gouvernement déclare ne pas ignorer que, dans les arrêts Kruslin c. France et Huvig c. France (24 avril 1990, série A nos 176-A et 176-B), la Cour a jugé que, si l'article 81 du code de procédure pénale pouvait constituer une base légale pour des écoutes téléphoniques, cette base était insuffisamment précise au regard des exigences de l'article 8 de la Convention, en a déduit que l'ingérence dans les droits garantis par cette disposition aux requérants n'était pas « prévue par la loi » et a conclu à la violation de cette disposition. Le Gouvernement admet que « cette jurisprudence paraît, mutatis mutandis, applicable à la présente espèce » et déclare en conséquence « s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour quant au grief tiré de l'article 8 en matière de sonorisation ».

La Cour estime que cette partie de la requête soulève des questions de fait et de droit au regard de la Convention, qui nécessitent un examen au fond. Elle conclut en conséquence qu'elle n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Constatant par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour estime qu'il y a lieu de la déclarer recevable.

3.  Enfin, le requérant se plaint de ce que l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 février 2000 rejette son moyen fondé sur l'article 8 de la Convention pour « défaut de qualité à agir ». Il se réfère en particulier à l'arrêt Lambert c. France du 24 août 1998 (Recueil 1998-V) et dénonce une violation des articles 8 et 6 § 1 précités.

Le Gouvernement relève qu'en l'espèce, la Cour de cassation a jugé que le requérant ne pouvait « se faire un grief de ce que la perquisition du 26 décembre 1997 [ayant permis la sonorisation], qui ne pouvait avoir d'autres fins que la recherche d'objets utiles à la manifestation de la vérité, était irrégulière, dès lors que seul celui qui en est personnellement victime a qualité pour invoquer une violation des règles de procédure, portant atteinte à l'intimité de la vie privée ». Il déclare ne pas ignorer que dans l'arrêt Lambert précité, la Cour a considéré que la protection de la loi doit s'étendre à toutes personnes qui conversent sur une ligne téléphonique : elles doivent disposer d'un contrôle efficace tel que voulu par la prééminence du droit et apte à limiter l'ingérence litigieuse à ce qui est nécessaire dans une société démocratique. Selon le Gouvernement, « la solution de cet arrêt, relatif aux interceptions téléphoniques, semble transposable à la présente affaire de sonorisation ». Il précise que, par un arrêt du 10 janvier 2003, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en matière d'écoutes téléphoniques : désormais, « toute personne mise en examen dont les conversations téléphoniques ont été enregistrées et transcrites a[] qualité, au sens de l'article 171 du code de procédure pénale, pour contester la régularité de ces mesures (...) ». Le Gouvernement déclare « au vu de ces développements (...), s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour sur la question de la qualité pour agir dans la présente affaire ».

La Cour estime que cette partie de la requête soulève des questions de fait et de droit au regard de la Convention, qui nécessitent un examen au fond. Elle conclut en conséquence qu'elle n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Constatant par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour estime qu'il y a lieu de la déclarer recevable.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

T.L. EarlyA.B. Baka
Greffier adjointPrésident

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