CEDH, Cour (deuxième section), DUVEAU, ASSANTE et DUVEAU c. FRANCE, 14 décembre 2004, 77403/01

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 14 déc. 2004, n° 77403/01
Numéro(s) : 77403/01
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 21 juillet 2001
Jurisprudence de Strasbourg : Megyeri c. Allemagne, arrêt du 12 mai 1992, série A no 237 A, p. 11, § 22
Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996 V, p. 1865, § 126
Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A no 131, § 52
Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 116, CEDH 2001 IV
Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002
Herz c. Allemagne, no 44672/98, § 73, 12 juin 2003
Kress c. France [GC], no 39594/98, §§ 72 et s., CEDH 2001 VI
Loyen c. France (déc.), n° 46022/99, 27 avril 2000
Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, §§ 58, 69, CEDH 1999 II
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-67869
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1214DEC007740301
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 77403/01
présentée par Joëlle DUVEAU, Marie-Thérèse ASSANTE et
Jean DUVEAU
contre la France

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant le 14 décembre 2004 en une chambre composée de

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmesA. Mularoni,
D. Jočienė, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 21 juillet 2001,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants sont des ressortissants français. La première requérante, Joëlle Duveau, est née en 1959. La deuxième requérante, sa mère, Marie‑Thérèse Assante, née en 1931, réside à Marseille et le troisième requérant, son frère, Jean Duveau, né en 1961, réside à Carnoux. Ils sont représentés devant la Cour par M. P. Bernardet, sociologue, résidant à La Fresnaye-sur-Chédouet. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.  Procédures pénales à l'encontre de la première requérante

Le 21 décembre 1994, la première requérante blessa à coups de couteau son père, qu'elle accusait de l'avoir violée quand elle avait huit ans. L'information judiciaire ouverte à la suite de ces faits se clôtura le 14 juin 1995 par une ordonnance de non-lieu en application de l'article L. 122-1 du code pénal, après une expertise psychiatrique qui avait conclu à son irresponsabilité.

Le 1er août 1999, la première requérante tua l'un de ses frères. Mise en examen du chef d'homicide volontaire, elle fut placée en détention provisoire jusqu'au 10 novembre 1999, puis, à la suite d'un incident avec un surveillant, internée sous le régime de l'hospitalisation d'office dans le service psychiatrique de l'hôpital de la Seyne‑sur‑Mer. L'hospitalisation d'office ayant été levée le 8 septembre 2000, elle fut de nouveau incarcérée jusqu'au 22 janvier 2001, date à laquelle le juge d'instruction rendit une ordonnance de non-lieu, au motif que, selon les expertises psychiatriques ordonnées, elle était atteinte au moment des faits d'un trouble psychique ayant aboli son discernement et le contrôle de ses actes, au sens de l'article L. 122-1 du code pénal, et qu'elle devait donc être considérée comme irresponsable.

Le 2 février 2001, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence confirma une ordonnance du juge d'instruction du 2 janvier 2001 qui avait rejeté une demande de contre-expertise.

2.  Hospitalisation d'office de la première requérante

Le 22 janvier 2001, le préfet des Bouches‑du‑Rhône prit un arrêté ordonnant l'hospitalisation d'office de la première requérante au centre hospitalier Sainte‑Marguerite à Marseille, en se fondant sur les expertises psychiatriques effectuées lors de la procédure pénale.

Par arrêté du 17 avril 2001, confirmé le 19 avril 2001 par le préfet du Vaucluse, le préfet des Bouches‑du‑Rhône ordonna son transfert au centre hospitalier de Montfavet, en Unité pour malades difficiles (UMD).

Après l'annulation par le tribunal administratif de Marseille, par jugement du 19 décembre 2001, des arrêtés des 22 janvier, 17 et 19 avril 2001 (voir ci-dessous), le préfet du Vaucluse prit, le 14 janvier 2002, un nouvel arrêté ordonnant l'hospitalisation d'office de la requérante et, le 14 février 2002, un arrêté reconduisant l'hospitalisation pour une durée de trois mois. Les requérants indiquent que le préfet fut informé du jugement d'annulation rendu par le tribunal administratif avant sa notification et qu'il fit en conséquence examiner la requérante le 11 janvier 2002 par un médecin qui ne s'entretint avec elle que quelques minutes, afin d'établir le certificat médical indispensable à l'établissement d'un nouvel arrêté.

Par arrêtés des 13 mai et 13 novembre 2002, le préfet reconduisit l'hospitalisation d'office pour des durées successives de six mois.

Par arrêté du 6 décembre 2002, pris au vu du certificat du psychiatre du CHS, le préfet du Vaucluse autorisa le transfert de la première requérante de l'UMD au centre hospitalier Sainte‑Marguerite à Marseille. Par arrêté du 11 décembre suivant, le préfet des Bouches‑du‑Rhône autorisa son admission dans l'établissement. Elle y fut effectivement transférée le 23 décembre 2002.

3.  Sorties d'essai

A compter du mois de février 2003, des arrêtés préfectoraux successifs, pris au vu de certificats médicaux, autorisèrent la sortie d'essai de la première requérante tout d'abord le 6 février de 8 h à 18 h, puis du 11 au 18 février tous les jours de 8 h à 20 h, et selon les mêmes modalités des 18 au 25 février, 26 février au 26 mars, 26 mars au 26 avril et 26 avril au 26 mai. L'arrêté du 26 mai 2003 autorisa la sortie d'essai du 26 mai au 26 juin suivant de nouvelles modalités, à savoir du lundi au vendredi de 8 h à 20 h et du samedi 8 h au dimanche 20 h.

Le certificat médical du 14 mai 2003 ayant sollicité la levée de l'hospitalisation d'office de la requérante, le préfet reconduisit la mesure pour une durée de six mois par arrêté du même jour, dans l'attente des conclusions de deux expertises en cours.

4.  Abrogation de l'arrêté d'hospitalisation d'office

Au vu des conclusions des rapports déposés par les experts, le préfet abrogea la mesure d'hospitalisation d'office de la première requérante par arrêté du 30 septembre 2003.

5.  Actions devant les juridictions civiles

a)  Première action en sortie immédiate

Le 14 mars 2001, les requérants saisirent le président du tribunal de grande instance de Marseille d'une action en sortie immédiate (article L. 3211-12 du Code de la santé publique).

L'audience, à laquelle la première requérante et son frère étaient représentés par leur avocat, et leur mère était présente, eut lieu en chambre du conseil le 23 avril 2001.

Par ordonnance du 27 avril 2001, le président nomma deux experts psychiatres pour examiner la première requérante et dire si la mesure d'hospitalisation était justifiée sur le plan médical, et renvoya l'affaire à l'audience du 28 mai suivant. Les experts, dont les rapports furent déposés respectivement les 10 et 16 mai 2001, conclurent que l'hospitalisation de la première requérante était justifiée sur le plan médical, compte tenu de son état mental (Dr S.) et de sa « dangerosité psychiatrique liée aux éléments suivants : la permanence d'un trouble de la personnalité de type psychotique (...), l'importance des passages à l'acte, leur caractère relativement imprévisible (...), le déni persistant des troubles et le refus des soins adaptés (...) » (Dr J.).

L'audience se tint le 28 mai 2001 en chambre du conseil. Les requérants étaient représentés par leur avocat. Par ordonnance du 5 juin 2001, le président se déclara incompétent pour apprécier la régularité de l'arrêté préfectoral du 22 janvier 2001 et rejeta la demande de mainlevée de l'hospitalisation d'office de la première requérante en se référant aux conclusions des experts.

Saisie de l'appel des requérants, la cour d'appel d'Aix‑en‑Provence tint son audience le 9 janvier 2002 et, par arrêt du 24 janvier suivant, confirma l'ordonnance. Les requérants indiquent que le dispositif de l'arrêt n'a pas été lu publiquement par le président et qu'ils ont dû en prendre connaissance à la chambre des avoués.

Le 17 mai 2002, les requérants se pourvurent en cassation et, le 15 octobre suivant, ils déposèrent une demande arguant de faux l'arrêt frappé de pourvoi, en faisant valoir que la mention du prononcé en audience publique était entachée de faux. Par ordonnance du 11 décembre 2002, le Premier président de la Cour de cassation les autorisa à s'inscrire en faux contre l'arrêt en cause, au motif que l'allégation de faux était de nature à influer sur le sort du pourvoi. Par une autre ordonnance du 26 février 2003, il renvoya les parties à se pourvoir devant la cour d'appel de Pau pour y être procédé au jugement de l'inscription de faux incident. Selon les indications données par les parties, la procédure est pendante devant cette juridiction.

b)  Seconde action en sortie immédiate

Le 10 avril 2002, les requérants saisirent le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Avignon d'une demande de mainlevée de la mesure d'hospitalisation d'office. Le Gouvernement indique que cette demande fut reçue le 26 avril 2002.

Le 3 mai 2002, le parquet demanda au médecin chef du CHS de Montfavet un certificat de situation de la première requérante, qui fut fourni le 11 mai suivant. Par avis du 24 mai 2002, le parquet conclut au rejet de la demande de sortie.

Par ordonnance du 23 mai 2002, qui n'a pas été portée à la connaissance des requérants, le juge nomma deux experts afin qu'ils examinent la requérante en leur fixant un délai échéant le 30 juillet 2002 pour déposer leurs rapports. Ils le firent respectivement les 25 juin et 2 juillet. Par avis du 15 juillet suivant, le procureur de la République maintint ses précédentes conclusions.

Par lettre du 16 juillet 2002, le président du tribunal informa l'avocat des requérants que les experts psychiatres avaient déposé leurs rapports et lui demanda de lui faire parvenir ses observations avant le 15 septembre 2002 « pour (lui) permettre de statuer, de préférence sans débats en application de l'article 28 du Nouveau Code de procédure civile, étant précisé que la cour d'appel de Nîmes a jugé que la matière était gracieuse ». Les conclusions de l'avocat furent déposées le 19 septembre suivant.

A l'audience du 7 octobre 2002, qui eut lieu en chambre du conseil, la première requérante était présente et assistée d'un avocat. Les deux autres requérants, ainsi que l'association Groupe Information Asiles (GIA) étaient intervenants.

Par ordonnance du 11 octobre 2002, le juge, statuant en la forme des référés, déclara irrecevables les interventions volontaires tant du GIA que des deuxième et troisième requérants pour défaut d'intérêt à agir, se déclara incompétent pour connaître de la validité des arrêtés préfectoraux d'hospitalisation d'office et rejeta la demande de mainlevée de cette mesure, dans les termes suivants :

« Aux termes de l'article L. 3213-8 du code de la santé publique, la mainlevée de l'hospitalisation d'office d'une personne qui a bénéficié d'un non-lieu (...) ne peut intervenir que sur les conclusions conformes, à l'issue d'examens séparés et concordants, de deux psychiatres choisis sur une liste établie par le procureur de la République, établissant que le patient n'est plus dangereux ni pour lui-même, ni pour autrui.

  Tel n'est pas le cas en l'espèce, les docteurs D. et S. faisant état d'un danger persistant, il convient, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle mesure d'instruction, de rejeter la demande. »

Les requérants firent appel le 21 octobre 2002 et conclurent le 17 décembre 2002. Le préfet en fit de même le 14 janvier 2003. L'audience eut lieu en chambre du conseil le 16 janvier 2003. Par arrêt du 13 février 2003, la cour d'appel confirma l'ordonnance dans toutes ses dispositions. Elle s'exprima notamment comme suit sur l'irrecevabilité de l'intervention volontaire des deuxième et troisième requérants :

« (...) il convient d'ajouter que le défaut d'intérêt à agir résulte de l'absence d'intérêt personnel puisque le dommage individuel invoqué résulte de la violation d'une liberté privée et que la faculté d'agir dans l'intérêt du malade ne présente qu'un caractère subsidiaire qui s'efface lorsque le malade lui-même intervient à titre principal. »

Les requérants indiquent avoir sollicité l'aide juridictionnelle pour se pourvoir en cassation contre cet arrêt.

6.  Actions devant les juridictions administratives

La première requérante saisit les juridictions administratives de plusieurs recours.

a)  Recours contre les arrêtés des 22 janvier, 17 et 19 avril 2001 (hospitalisation d'office et transfert)

Le 15 mars 2001, elle forma un recours en annulation devant le tribunal administratif de Marseille contre l'arrêté préfectoral du 22 janvier 2001 prescrivant son hospitalisation d'office. Le 18 juin 2001, elle saisit le même tribunal de recours dirigés contre les arrêtés de transfert des 17 et 19 avril 2001. L'audience eut lieu le 5 décembre 2001 et le jugement fut rendu le 19 décembre suivant.

Après avoir joint les recours, le tribunal annula l'arrêté du 22 janvier 2001, au motif que le préfet s'était fondé sur des expertises médicales pratiquées onze et sept mois plus tôt lors de l'instruction pénale, donc trop anciennes, et qu'il lui appartenait, avant de prendre l'arrêté, de susciter un nouvel avis médical. Le tribunal annula par voie de conséquence les arrêtés des 17 et 19 avril 2001, qui constituaient des mesures d'application, et accorda à la première requérante 5 000 FRF (soit 762 EUR) au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

b)  Recours contre l'arrêté du 14 janvier 2002 (hospitalisation d'office)

Le 18 janvier 2002, la première requérante saisit le tribunal administratif d'un recours au fond visant l'annulation du nouvel arrêté préfectoral d'hospitalisation d'office du 14 janvier 2002.

Elle déposa parallèlement une requête en référé demandant au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, de suspendre l'arrêté et de prononcer sa sortie immédiate.

Le juge tint une audience publique le 21 janvier 2002. Par ordonnance du même jour, après avoir retenu qu'il était saisi dans le cadre de sa compétence, il constata que si l'arrêté préfectoral comportait les motifs de la décision d'hospitalisation, il ne faisait pas état de circonstances précises justifiant cette mesure et qu'il devait dès lors être regardé comme manifestement illégal.

Toutefois, le juge répondit ainsi à la demande de la requérante tendant à ce qu'il ordonne sa sortie immédiate :

« Considérant qu'eu égard aux circonstances dans lesquelles Melle Duveau a été hospitalisée d'office en 1999, puis maintenue dans une telle situation, et en l'absence de tout élément permettant, en l'état du dossier, d'affirmer que l'intéressée n'est plus susceptible de compromettre l'ordre public ou la sûreté des personnes, la mesure de sortie immédiate sollicitée ne saurait être ordonnée ; qu'en outre, et en tout état de cause, une telle mesure ne peut davantage être regardée comme résultant nécessairement du jugement du tribunal de céans du 19 décembre 2001 qui a annulé les arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône et du préfet de Vaucluse ordonnant (...) l'hospitalisation d'office de la requérante et son transfert dans un centre hospitalier différent de celui précédemment choisi, dès lors qu'en application de l'article L. 3213‑8 (du code de la santé publique), il ne peut être mis fin aux hospitalisations d'office visées par l'article L. 3213-7 que sur décision conforme de deux psychiatres, établissant que la personne concernée n'est plus dangereuse ni pour elle-même, ni pour autrui ; qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que de telles décisions aient été rendues ; que, toutefois, eu égard aux conditions dans lesquelles a été élaboré le certificat médical du 11 janvier 2002, au vu duquel a été pris l'arrêté du 14 janvier 2002 et compte tenu de l'urgence de la situation dans laquelle se trouve la requérante, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Vaucluse de faire examiner Melle Duveau par un médecin psychiatre extérieur à l'établissement dans lequel elle est hospitalisée et ce dans un délai de quarante-huit heures à compter de la réception de la présente ordonnance, afin que de cet examen dépende le maintien, d'une part, de la mesure d'hospitalisation d'office et, d'autre part, du choix du traitement médical et du service d'accueil. »

Le 23 janvier 2002, le Dr K. examina la première requérante. Il conclut le jour même dans les termes suivants :

« Mademoiselle Duveau présente de graves troubles de la personnalité de nature schizophrénique avec antécédents de comportements hétéro-agressifs majeurs à type d'homicide.

  Son maintien sous le régime de l'hospitalisation d'office reste, à ce jour, justifié en raison de la persistance d'une dangerosité avec risque de récidive non négligeable compte tenu du caractère impulsif de ses passages à l'acte.

  Son transfert sous ce régime en dehors de l'UMD (Unité pour malades difficiles) paraît, à ce jour, envisageable compte tenu de la stabilité et de l'adaptation satisfaisante de son comportement tant dans l'unité que pendant les sorties thérapeutiques. »

Toutefois, la commission de suivi médical de l'établissement ayant rendu un avis contraire à un transfert, le préfet maintint pour trois mois, par arrêté du 14 février 2002, l'hospitalisation d'office de la première requérante dans l'Unité pour malades difficiles.

c)  Recours contre les arrêtés des 14 février, 13 mai et 13 novembre 2002 (maintien en hospitalisation d'office)

i)  Par une requête datée du 20 février 2002, la première requérante saisit le tribunal administratif d'un nouveau recours au fond contre l'arrêté du 14 février 2002 reconduisant pour trois mois son hospitalisation d'office.

Elle demanda également le 8 mars 2002 au juge des référés de suspendre cet arrêté, de constater que sa sortie était acquise au 13 février 2002 et d'enjoindre au préfet de prendre un arrêté de sortie et de prononcer sa sortie immédiate. Par ordonnance du 12 mars 2002, le juge rejeta ses demandes, au motif qu'aucun des moyens de la requête n'était de nature à démontrer que l'arrêté était manifestement illégal.

La première requérante saisit le bureau d'aide juridictionnelle du Conseil d'Etat d'une demande d'aide juridictionnelle, enregistrée le 2 avril 2002, en vue de contester l'ordonnance du 12 mars 2002, en indiquant les motifs de son recours. Par ordonnance du 16 avril 2002, le juge des référés du Conseil d'Etat, interprétant cette demande comme un appel, la rejeta, au motif notamment qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que l'arrêté en cause fût entaché d'une illégalité manifeste.

La première requérante forma alors un recours en révision contre cette ordonnance, en demandant à bénéficier de l'aide juridictionnelle, qui lui fut refusée par décision du 26 juin 2002, au motif que la demande n'entrait pas dans les cas où une révision est possible.

ii)  Les deux premières requérantes indiquent, dans leurs observations, avoir saisi au fond le tribunal administratif de recours en annulation des arrêtés de maintien en hospitalisation d'office des 13 mai et 13 novembre 2002.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  Hospitalisation d'office

En droit français, l'hospitalisation d'office en établissement psychiatrique est ordonnée par les autorités administratives, en application des textes suivants du Code de la santé publique (rédaction issue de la loi du 4 mars 2002) :

Article L. 3213-1

« A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l'Etat prononcent par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement accueillant le malade. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'hospitalisation nécessaire (...) »

Article L. 3213-7

« Lorsque les autorités judiciaires estiment que l'état mental d'une personne qui a bénéficié d'un non-lieu, d'une décision de relaxe ou d'un acquittement en application des dispositions de l'article 122-1 du code pénal nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l'ordre public, elles avisent immédiatement le représentant de l'Etat dans le département, qui prend sans délai toute mesure utile, ainsi que la commission mentionnée à l'article L. 3222-5. L'avis médical mentionné à l'article L. 3213-1 doit porter sur l'état actuel du malade. »

Article L. 3213-8

« Il ne peut être mis fin aux hospitalisations d'office intervenues en application de l'article L. 3213-7 que sur les décisions conformes de deux psychiatres n'appartenant pas à l'établissement et choisis par le représentant de l'Etat dans le département sur une liste établie par le procureur de la République, après avis de la direction des affaires sanitaires et sociales du département dans lequel est situé l'établissement.

  Ces deux décisions résultant de deux examens séparés et concordants doivent établir que l'intéressé n'est plus dangereux ni pour lui-même ni pour autrui. »

2.  Voies de recours internes

a)  En matière d'internement psychiatrique

Il existe en droit français une double compétence juridictionnelle en matière d'internement psychiatrique, fondée sur le principe de séparation des pouvoirs : le juge administratif est compétent pour statuer sur la légalité externe des actes administratifs ordonnant l'internement, alors que le juge civil a compétence pour apprécier le bien-fondé de l'internement et pour accorder réparation de l'intégralité des préjudices subis par l'intéressé.

Dans un arrêt du 17 février 1997, le Tribunal des Conflits a ainsi défini la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions :

« Si l'autorité judiciaire est seule compétente (...) pour apprécier la nécessité d'une mesure de placement d'office en hôpital psychiatrique et les conséquences qui peuvent en résulter, il appartient à la juridiction administrative d'apprécier la régularité de la décision administrative qui ordonne le placement ; (...) lorsque cette dernière s'est prononcée sur ce point, l'autorité judiciaire est compétente pour statuer sur les conséquences dommageables de l'ensemble des irrégularités entachant la mesure de placement d'office (...) »

Par ailleurs, pendant son internement, la personne internée peut former à tout moment devant le président du tribunal de grande instance statuant « en la forme des référés », à savoir à juge unique et en urgence, une demande en sortie immédiate, en application de l'article L. 3211-12 du Code de la santé publique, qui dispose :

« Une personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit, public ou privé, qui accueille des malades soignés pour troubles mentaux, son tuteur si elle est mineure, son tuteur ou curateur si, majeure, elle a été mise sous tutelle ou en curatelle, son conjoint, son concubin, un parent ou une personne susceptible d'agir dans l'intérêt du malade et éventuellement le curateur à la personne peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir par simple requête devant président du tribunal de grande instance du lieu de la situation de l'établissement qui, statuant en la forme des référés après débat contradictoire et après les vérifications nécessaires, ordonne, s'il y a lieu, la sortie immédiate (...) »[1]

Dans la plupart des cas, dès sa saisine et avant de prendre une décision, le juge ordonne une expertise psychiatrique, confiée à un ou des experts indépendants de l'établissement psychiatrique, afin de donner un avis médical sur la demande de sortie, en leur fixant un délai, généralement bref, pour déposer leur rapport.

La loi no 2000-597 du 30 juin 2000 (relative au référé devant les juridictions administratives), entrée en vigueur le 1er janvier 2001, a institué la possibilité de saisir le juge administratif d'un référé‑suspension ou d'un référé‑liberté. Les articles L. 521-1 et L. 521‑2 du Code de justice administrative, institués par la loi, sont ainsi rédigés :

Article L. 521-1

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

  Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »

Article L. 521-2

« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, les juges des référés des juridictions administratives ont été saisis à plusieurs reprises de demandes tendant, soit à la suspension d'un arrêté de placement ou de maintien en hospitalisation d'office, soit à la sortie immédiate de personnes placées sous ce régime. Ils se reconnaissent en principe compétents pour prendre de telles décisions, sous réserve que les conditions en soient réunies (notamment condition d'urgence et illégalité manifeste de la décision administrative) et dans le cadre de leur compétence (appréciation de la régularité des décisions et notamment du caractère suffisant de la motivation).

Ainsi, dans deux décisions des 30 septembre 2002 et 23 juin 2004, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a suspendu deux arrêtés préfectoraux d'hospitalisation d'office, aux motifs qu'eu égard aux conséquences d'une telle mesure, la condition d'urgence était remplie et qu'il existait un doute sérieux sur la légalité des décisions en cause.

Pour sa part, dans une décision du 9 novembre 2001 (Deslandes), le Conseil d'Etat, saisi en appel d'une demande de suspension d'un arrêté maintenant l'intéressé en hospitalisation d'office, a considéré que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en cause était de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité, mais a considéré comme non remplie la condition d'urgence, l'intéressé ayant bénéficié du régime de la sortie d'essai.

Le 17 mai 2004, le Conseil d'Etat a approuvé le juge des référés du tribunal administratif de Dijon d'avoir rejeté une requête fondée sur l'article L. 521-2 précité relativement à une décision d'hospitalisation d'office, en retenant que tant l'arrêté préfectoral que le certificat médical étaient motivés et circonstanciés et que le juge administratif n'était pas compétent pour apprécier la nécessité d'une hospitalisation d'office.

b)  En matière de durée de procédure

i)  Les juridictions civiles, selon une jurisprudence désormais établie et constante (voir décisions Giummarra et autres c. France, no 61166/00, 12 juin 2001 et Mifsud c. France [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII), indemnisent le préjudice résultant de la durée déraisonnable d'une procédure (en cours ou terminée) sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, qui se lit ainsi :

« L'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

ii)  De même, l'arrêt de principe rendu par le Conseil d'Etat dans l'affaire Magiera le 28 juin 2002 (RFDA juillet-août 2002, p.756) a consacré la responsabilité de l'Etat pour le non‑respect du délai raisonnable devant les juridictions administratives et la possibilité pour les particuliers d'obtenir la réparation du dommage causé (voir Broca et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, 21 octobre 2003).

GRIEFS

1.  La première requérante considère que le bref délai prescrit par l'article 5 § 4 de la Convention n'a été respecté, ni dans les procédures de sortie immédiate devant le juge civil, ni dans celles devant le juge des référés administratifs.

2.  Citant la même disposition, les requérants se plaignent de ce que ces procédures n'étaient ni équitables, ni contradictoires. Ils considèrent notamment que les expertises médicales auxquels a été soumise la première requérante n'étaient pas contradictoires, puisqu'elle n'était assistée ni d'un avocat, ni d'un médecin conseil pendant les examens.

Dans leurs observations en réponse, ils font valoir que la juridiction administrative n'offre pas de garanties suffisantes pour garantir « une écoute équitable » de leur cause.

3.  Estimant qu'aucune disposition du droit national ne permet de mettre fin aux violations dénoncées, ils allèguent la violation de l'article 13 de la Convention.

EN DROIT

1.  Les requérants allèguent la violation de l'article 5 § 4 de la Convention, qui est ainsi rédigé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

a)  Sur la qualité de victime des requérants

La Cour observe que seule la première requérante, qui a été privée de sa liberté au sens de l'article 5 § 4 de la Convention, peut se prétendre victime d'une éventuelle violation de cette disposition.

A supposer même que les griefs des deuxième et troisième requérants tenant au défaut d'équité et de publicité des procédures devant le juge des libertés et de la détention et la cour d'appel soient envisagés sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, la Cour relève que ces juridictions ont déclaré irrecevable leur intervention volontaire faute d'intérêt à agir et n'ont en conséquence pas statué sur un éventuel droit de caractère civil dont ils seraient titulaires.

Dès lors, cet aspect de la requête est incompatible ratione personae et materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l'article 35 § 4.

b)  Sur l'applicabilité de l'article 5 § 4 à la procédure devant le juge des référés administratifs

Le Gouvernement soutient que l'article 5 § 4 n'est pas applicable à ce type de procédure. Il rappelle la jurisprudence ancienne et constante selon laquelle il n'appartient pas à la juridiction administrative d'apprécier le bien-fondé de la mesure d'hospitalisation d'office, mais seulement sa légalité externe et il se réfère à la jurisprudence de la Cour sur ce point (cf. Delbec c. France, no 43125/98, 18 juin 2002).

Le Gouvernement précise que l'intervention de la loi du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives, n'a eu aucune incidence sur cette solution. Certes, cette procédure permet au juge des référés de contrôler le respect par l'administration de certaines garanties accordées à la personne hospitalisée d'office (ainsi le juge peut-il vérifier le caractère suffisant de la motivation de la décision préfectorale d'hospitalisation) ; mais elle ne permet en aucun cas la remise en liberté de la personne internée : c'est là, selon le Gouvernement, la fonction du juge judiciaire et non du juge administratif statuant en référé.

Le Gouvernement en conclut que le grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de l'article 5 § 4 précité.

La première requérante (ci‑après la requérante) estime, pour sa part, que la loi du 30 juin 2000 a donné au juge administratif de nouveaux pouvoirs et un nouvelle compétence qui en font désormais l'un des juges de l'article 5 § 4. Elle souligne à cet égard que cette loi n'a pas seulement institué la procédure de référé‑liberté permettant au juge administratif, saisi en urgence, d'ordonner à l'administration de procéder à telle ou telle mesure, elle a encore créé, par l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, une procédure de référé‑suspension donnant pouvoir au juge de suspendre, en cas d'urgence, l'exécution d'une décision administrative manifestement illégale.

Elle fait valoir que dans son arrêt Deslandes du 9 novembre 2001 (également cité par le Gouvernement), le Conseil d'Etat n'a nullement exclu l'hypothèse d'une remise en liberté, par le juge des référés administratifs, de la personne détenue de façon manifestement illégale en hôpital psychiatrique sur ordre du préfet. Il a seulement précisé que la suspension de la décision en cause ne pouvait être ordonnée qu'en cas d'urgence, non présente en l'espèce.

La requérante souligne que, dans la présente affaire, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille n'a pas davantage décliné sa compétence à ordonner, le cas échéant, la suspension de l'arrêté préfectoral : constatant l'illégalité manifeste de cet arrêté, il a ordonné une mesure d'instruction et ce n'est que dans la mesure où le médecin désigné a confirmé la nécessité de l'hospitalisation d'office qu'il n'a donné aucune suite à la demande de suspension de l'arrêté préfectoral.

Dans ces conditions, on ne saurait dire, selon la requérante, que le juge des référés administratifs ne dispose pas du pouvoir d'ordonner la sortie immédiate lorsqu'il constate l'illégalité d'une décision d'hospitalisation sous contrainte ; à tout le moins peut-il ordonner la suspension de l'exécution de la décision et enjoindre au préfet d'ordonner la sortie comme mesure d'exécution de ladite suspension. Elle cite à cet égard une affaire Ravin, dans laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a ordonné la suspension de l'arrêté préfectoral prescrivant l'hospitalisation d'office de l'intéressé.

La Cour n'estime pas nécessaire de statuer dans la présente affaire sur l'exception soulevée par le Gouvernement, dans la mesure où le grief tiré du non-respect de l'article 5 § 4 devant le juge des référés administratif doit en tout état de cause être rejeté pour d'autres motifs (voir point d) ci dessous).

c)  Sur l'épuisement des voies de recours internes

Le Gouvernement souligne que la nature du contentieux relatif à la violation de la condition de « bref délai » posée à l'article 5 § 4 est la même que celle relative au « délai raisonnable » évoqué à l'article 6 § 1 de la Convention, puisqu'il s'agit dans les deux cas de rechercher la responsabilité de l'Etat en raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice. Il en déduit que les voies de recours internes qui doivent être épuisées préalablement à la saisine de la Cour sont nécessairement les mêmes.

Pour ce qui est de la procédure devant le juge administratif, se référant à l'arrêt rendu le 28 juin 2002 par le Conseil d'Etat dans l'affaire Magiera, qui n'est selon lui que la mise en œuvre de l'arrêt Darmont du Conseil d'Etat du 29 décembre 1978, il fait valoir que le droit français prévoit désormais un recours effectif en matière de droit à un délai raisonnable de jugement et demande à la Cour de considérer que le recours en cause avait acquis un degré suffisant de certitude dès l'arrêt Darmont précité.

Selon le Gouvernement, si la Cour juge cependant que l'efficacité du recours dont il est question n'était pas certaine à la date d'introduction de la présente requête, cela ne ferait pas nécessairement obstacle à ce qu'elle soit déclarée irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes. Il rappelle à cet égard que la Cour est parvenue à une telle conclusion dans des affaires relatives à la durée de procédures devant les juridictions italiennes (Brusco c. Italie (déc.), no 39789/01, 6 septembre 2001, CEDH 2001-IX), croates (Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01, 5 septembre 2002, CEDH 2002-VIII) et slovaques (Andrášik et autres c. Slovaquie (déc.), nos 57984/00, 60237/00, 60242/00, 60679/00, 60680/00, 68563/01 et 60226/00, 22 octobre 2002), au motif que les requérants avaient accès à des procédures pourtant instituées par les législateurs de ces Etats après l'introduction des requêtes. Or, d'une part, les justiciables français disposeraient d'une possibilité équivalente d'obtenir aujourd'hui réparation devant les juridictions administratives ; d'autre part, soumis à une règle de prescription quadriennale, le recours en responsabilité contre l'Etat à raison de la durée excessive d'une procédure resterait en l'espèce ouvert à la requérante.

De même, en tant que le grief porte sur les procédures en sortie immédiate, le Gouvernement considère que la requérante avait à sa disposition une voie de recours en droit interne fondée sur l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire, qui permet d'accorder une réparation en cas de durée excessive de procédure. La Cour a d'ailleurs reconnu que ce recours était effectif à compter du 20 septembre 1999, que la procédure soit achevée ou encore pendante. Certes, ce recours n'a pas encore été utilisé en droit interne pour demander la réparation d'un délai excessif mis par une juridiction pour statuer sur une demande de sortie immédiate, mais le Gouvernement estime que, pour les raisons précédemment exposées, il y a lieu de considérer que ledit recours, effectif en ce qui concerne la méconnaissance de la condition de « délai raisonnable » posée à l'article 6 § 1 de la Convention l'est également en qui concerne celle de « bref délai » mentionnée à l'article 5 § 4.

Le Gouvernement demande donc à la Cour de déclarer ce grief irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes.

La requérante souligne, pour sa part, que le Gouvernement a reconnu qu'il n'existait aucune jurisprudence nationale concernant l'applicabilité de l'article L. 781-1 du Code de l'organisation judiciaire au contentieux relatif à la violation de la notion de « bref délai », au sens de l'article 5 § 4. Elle fait valoir que cette voie de recours est si peu assurée que personne ne s'y est aventuré (qu'il s'agisse des tuteurs, juges des tutelles ou procureurs chargés des intérêts ou du strict respect des droits des personnes protégées). Elle rappelle la jurisprudence de la Commission sur ce point (notamment Lempereur c. France, no 14493/88, décision de la Commission du 11 avril 1991). Elle souligne que, même si l'on peut penser que, sous l'empire des dispositions des articles 5 § 5 et 5 § 4 combinés, les juridictions nationales pourraient être amenées à opérer le même cheminement que pour l'article 6 § 1 combiné avec l'article 13, force est de constater qu'aucune décision nationale ni arrêt de la Cour n'est intervenu entre temps (dans des affaires portant sur la violation du bref délai prévu par l'article 5 § 4) pouvant laisser penser que le recours institué par l'article L. 781-1 précité constituait une voie de recours pertinente.

De plus, elle souligne que, contrairement à l'article 6 § 1, dont aucune disposition ne garantit une réparation financière, l'article 5 § 5 prévoit expressément la réparation du préjudice né d'une telle violation, ce qui se conçoit dans le contexte de l'article 5 qui garantit le droit à la sûreté des personnes et la liberté individuelle, clé de voûte de tout édifice démocratique.  Elle en déduit qu'en la matière, le droit de recours spécifique ne peut être que de disposer d'une voie de recours pour faire accélérer toute procédure de sortie judiciaire qui « s'ensable » et que le Gouvernement n'apporte pas la preuve de ce qu'une telle voie existe. Elle conclut à la recevabilité du grief.

La requérante fait en outre valoir qu'à supposer pertinent, au moins théoriquement, le recours indemnitaire, les nouvelles compétences accordées au juge administratif ne pourront, du fait de leur chevauchement avec celles du juge civil, que compliquer ledit recours pour les victimes en multipliant les juridictions, voire en créant des conflits de compétence. Elle soutient en tout état de cause que la solution de l'arrêt Mifsud (qu'elle critique par ailleurs) ne saurait lui être appliquée, notamment parce qu'en l'espèce les retards dénoncés résultent aussi des juridictions administratives qui, selon elle, ne présentent pas de garanties suffisantes pour lui accorder une écoute équitable. Relativement à l'arrêt Magiera du Conseil d'Etat, elle souligne, d'une part, que la requête a été introduite avant son adoption et, d'autre part, qu'il n'existe pas de jurisprudence fixant le terme au-delà duquel le délai de procédure pourrait paraître excessif au regard de la notion de « bref délai », et que les critères retenus par le Conseil d'Etat lui apparaissent nettement en retrait par rapport à la jurisprudence de la Cour. Elle en déduit que cette voie de recours ne présente pas le degré de certitude et d'effectivité requis et souligne en outre la faiblesse de l'indemnisation accordée dans l'affaire Magiera précitée.

Enfin, elle combat les arguments du Gouvernement tirés notamment de l'arrêt Brusco précité, en faisant valoir que les éléments qui ont conduit la Cour à statuer ainsi ne sont pas présents en l'espèce.

La Cour rappelle qu'il incombe au gouvernement défendeur, qui excipe du non‑épuisement, de la convaincre que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible d'offrir à la personne lésée le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (voir notamment Chypre c. Turquie, [GC], no 25781/94, § 116 CEDH 2001-IV).

Or en l'espèce, s'il est incontestable que le droit français offre désormais des voies de recours disponibles et accessibles pour se plaindre du non‑respect, devant les juridictions civiles et administratives, du délai raisonnable au sens de l'article 6 § 1 de la Convention, le Gouvernement reconnaît qu'il n'existe pour l'heure aucune décision d'une juridiction, qu'elle soit administrative ou civile, qui ait sanctionné le non-respect du bref délai prévu par l'article 5 § 4. Quelles que soit les similarités entre ces deux notions, leurs critères d'application sont différents, notamment pour ce qui est de l'appréciation du délai en cause. La Cour considère en conséquence que les voies de recours internes citées par le Gouvernement ne présentent pas, en l'absence de toute décision dans un cas d'espèce similaire, un degré suffisant de certitude.

Dès lors, l'exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

d)  Sur le bien-fondé des griefs

i.  Sur le respect du bref délai

La requérante considère que le bref délai prescrit par l'article 5 § 4 de la Convention n'a été respecté, ni dans les procédures de sortie immédiate devant le juge civil, ni dans celles devant le juge des référés administratifs.             

α)  Devant le juge des référés administratifs

Le Gouvernement souligne que le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a statué respectivement trois et quatre jours après le dépôt des requêtes en référé, et le Conseil d'Etat deux semaines après avoir été saisi. Il en déduit que la condition de « bref délai » a été respectée.

La Cour observe que, dans la première procédure devant le juge des référés administratifs, celui-ci, saisi le 18 janvier 2002, a rendu le 21 janvier 2002, soit trois jours plus tard, une ordonnance prescrivant une expertise, qui a été pratiquée le 23 janvier suivant. Dans la seconde procédure, le juge des référés a statué le 12 mars 2002 sur une requête enregistrée le 8 mars, soit quatre jours auparavant. Enfin, la procédure en appel devant le Conseil d'Etat a duré quatorze jours (soit du 2 au 16 avril 2002).

La Cour considère que, dans ces différentes procédures, les juridictions administratives ont parfaitement respecté l'exigence de célérité qui est requise en la matière (Delbec précité, §33) et ont statué dans le bref délai prévu par l'article 5 § 4 (cf. Herz c. Allemagne, no 44672/98, § 73, 12 juin 2003).

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

β)  Devant les juridictions civiles

S'agissant des procédures devant les juridictions civiles, le Gouvernement relève que, dans la première procédure, un délai de deux mois et vingt jours s'est écoulé en première instance entre le dépôt de la requête et le prononcé de la décision, ce qu'il estime répondre aux exigences du bref délai. En revanche, le Gouvernement reconnaît que le laps de temps de plus de sept mois en appel entre la saisine de la cour d'appel et le prononcé de l'arrêt peut ne pas correspondre à cette exigence.

De même, dans la seconde procédure, le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour s'agissant de l'appréciation du bien-fondé du grief, dans la mesure où, en première instance, la procédure a duré près de six mois et, en appel, quatre mois.

La Cour relève que, dans la première procédure de sortie immédiate, le président du tribunal de grande instance de Marseille, saisi le 14 mars 2001, a rendu une ordonnance le 5 juin suivant, soit deux mois et vingt jours plus tard. La cour d'appel a statué sur l'appel des requérants plus de sept mois après sa saisine. Enfin, dans la seconde procédure de sortie immédiate, le juge des libertés et de la détention a rendu une ordonnance cinq mois et deux semaines après avoir reçu la demande et la cour d'appel a mis trois mois et plus de trois semaines pour statuer sur l'appel des requérants.

La Cour estime, à la lumière de l'ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s'ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été relevé.

ii  Sur l'équité et le caractère contradictoire des procédures

La requérante se plaint de ce que les procédures devant le juge des référés administratifs et le juge civil n'étaient pas contradictoires et donc, pas équitables.

Le Gouvernement considère que ce grief est manifestement mal fondé. Il souligne que les examens médicaux en cause ont été ordonnés en application de l'article L. 3211-8 du Code de la santé publique, qui prévoit dans des cas comme celui de l'espèce qu'il ne peut être mis fin à l'hospitalisation d'office que sur conclusions conformes de deux psychiatres extérieurs au centre hospitalier et établissant, à la suite d'examens séparés et concordants, que l'intéressé n'est dangereux ni pour lui‑même, ni pour autrui. Le Gouvernement fait valoir que les experts médicaux sont investis d'une mission de consultation dont le résultat est soumis à débat contradictoire ; le respect du contradictoire, en l'espèce, signifie que les parties doivent pouvoir prendre connaissance des rapports d'expertise et pouvoir en débattre à l'audience. Or, selon le Gouvernement, tel a été le cas dans toutes les procédures en cause, mention étant faite de ce que la requérante était représentée par un avocat. En effet, devant le juge civil, elle a pu prendre connaissance des rapports des experts et les contester à l'audience ; devant le juge des référés administratifs, elle a également eu connaissance des pièces (notamment les certificats médicaux à l'origine de la prolongation de l'hospitalisation d'office) et a pu les contester et, dans la première procédure, le juge des référés lui a donné au moins partiellement raison en ordonnant une nouvelle expertise.

La Cour rappelle que, si la procédure au titre de l'article 5 § 4 ne doit pas toujours s'accompagner de garanties identiques à celles que l'article 6 § 1 prescrit pour les procès civils ou pénaux (arrêt Megyeri c. Allemagne du 12 mai 1992, série A no 237-A, p. 11, § 22), il faut qu'elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties appropriées aux types de privation de liberté en question.

En particulier, il faut que l'intéressé ait accès à un tribunal et l'occasion d'être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation. Le procès doit être contradictoire et garantir dans tous les cas « l'égalité des armes » entre les parties (Nikolova c. Bulgarie, [GC], no 31195/96, §58, CEDH 1999-II).

Il ressort clairement du dossier – et il n'est pas contesté en l'espèce – que la requérante a eu accès à un tribunal (qu'il s'agisse du juge civil ou du juge des référés administratifs), devant lequel elle a comparu et était représentée par un avocat. Par ailleurs, les pièces, et notamment les rapports d'expertise, ont été dûment mis à sa disposition et à celle de son conseil, qui a pu en débattre contradictoirement à l'audience devant les différentes juridictions saisies. Les griefs de nature générale formulés dans ses observations par la requérante à l'encontre des juridictions administratives ne sont pas de nature à infirmer cette conclusion (cf. mutatis mutandis Loyen c. France (déc.), no 4602/99, 27 avril 2000 et Kress c. France [GC], no 39594/98, §§ 72 et s., CEDH 2001-VI).

La Cour en conclut que les procédures en cause se sont déroulées dans le respect des conditions posées par l'article 5 § 4 de la Convention, tel qu'interprété par la jurisprudence.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  La requérante estime qu'aucune disposition du droit national ne permet de mettre fin aux violations dénoncées et allègue la violation de l'article 13 de la Convention, qui dispose :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement considère que l'article 5 § 4 constitue en l'espèce la lex specialis et que, de ce fait, ce grief doit être déclaré irrecevable comme étant manifestement mal fondé.

a)  La Cour rappelle que le droit reconnu par l'article 13 ne peut être exercé que pour un grief défendable (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A no 131, § 52). Pour autant que la requérante invoque cet article relativement aux griefs que la Cour a déclaré irrecevables, cet aspect du grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b)  Dans la mesure où la requérante se plaint de ce qu'elle ne dispose pas d'un recours pour se plaindre du non‑respect du bref délai, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l'article 5 § 4 de la Convention constitue une lex specialis par rapport aux exigences plus générales de l'article 13. En l'occurrence, les faits à l'origine du grief que la requérante tire de l'article 13 de la Convention sont identiques à ceux soulevés sous l'angle de l'article 5 § 4 (arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1865, § 126 ; arrêt Nikolova précité, § 69).

Il s'ensuit que cette partie du grief est également manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour,

Déclare, à l'unanimité, recevable, tous moyens de fond réservés, le grief de la première requérante concernant le non-respect du bref délai devant les juridictions civiles ;

Déclare, à la majorité, la requête irrecevable pour le surplus.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident


[1] NB : La loi du 15 juin 2000 a modifié l'article L. 351 du Code de la santé publique : le mot "président" est remplacé par les mots "juge des libertés et de la détention". Cette modification n'a pas été insérée dans la rédaction du nouvel article L. 3211-12 du Code de la santé publique (ancien L. 351), issu de l'ordonnance 2000‑548 du 15 juin 2000.

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CEDH, Cour (deuxième section), DUVEAU, ASSANTE et DUVEAU c. FRANCE, 14 décembre 2004, 77403/01