CEDH, Cour (troisième section), VIOLA c. ITALIE, 13 décembre 2005, 45106/04

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 13 déc. 2005, n° 45106/04
Numéro(s) : 45106/04
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 30 novembre 2004
Jurisprudence de Strasbourg : Akay c. Turquie (déc.), n° 34501/97, 19 févier 2002
Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 45-46
Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 15, § 25
Ciulla c. Italie, arrêt du 22 février 1989, série A no 148, p. 16, § 38
Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, p. 40, § 65
B. c. Autriche, arrêt du 28 mars 1990, série A no 175, p. 14, § 36
Worm c. Autriche, arrêt du 29 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997 V, p. 1552, § 50
Craxi c. Italie (no 1), no 34896/97, §§ 100, 102-035 décembre 2002
Del Giudice c. Italie (déc.), n° 42351/98, 6 juillet 1999
Forcellini c. Saint Marin (déc.), n° 34657/97, 28 mai 2002
García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999 I
Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999 I
Jerino c. Italie (déc.), n° 27549/02, 2 juin 2005 Comm. Eur. D.H. No 17265/90, déc. 21.10.93, D.R. 75, pp. 76, 97-98
Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000 V
De Lorenzo c. Italie (déc.), n° 69264/01, 12 février 2004
Lucà c. Italie, no 33354/96, § 38, CEDH 2001 II
Natoli c. Italie (déc.), n° 4290/02, 27 novembre 2003
Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 55, CEDH 2003 III
Papon c. France (déc.), n° 54210/00, 19 novembre 2001
Priebke c. Italie (déc.), n° 48799/99, 5 avril 2001
Pullicino c. Malte (déc.), n° 45441/99, 15 juin 2000
Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, no 33290/96, § 26, CEDH 1999 IX
D'Urso et Sgorbati c. Italie (déc.), n° 52948/99, 3 avril 2001
Sofri et autres c. Italie (déc.), no 37235/97, CEDH 2003 VIII
Uzeyir c. Italie (déc.), n° 60268/00, 16 novembre 2000
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-71965
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2005:1213DEC004510604
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION PARTIELLE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 45106/04
présentée par Marcello VIOLA
contre l’Italie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant le 13 décembre 2005 en une chambre composée de :

MM.B.M. Zupančič, président,
L. Caflisch,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
M.V. Zagrebelsky,
MmeA. Gyulumyan,
M.David Thór Björgvinsson,
MmeI. Ziemele, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 30 novembre 2004,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Marcello Viola, est un ressortissant italien, né en 1959 et actuellement détenu au pénitencier de Costarelle di Preturo (L’Aquila).

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

1.  La première procédure pénale

Le 16 mars 1992, le requérant, accusé de faire partie d’une association de malfaiteurs de type mafieux et d’homicide, fut arrêté et placé en détention provisoire. Il était également accusé de plusieurs épisodes de port d’armes prohibé. En particulier, le requérant aurait été complice dans le port en lieu public de l’arme utilisée par d’autres personnes pour commettre des meurtres, parmi lesquels celui d’un certain M. L.

Par un arrêt du 16 octobre 1995, la cour d’assises de Palmi condamna le requérant à une peine de quinze ans d’emprisonnement pour association de malfaiteurs de type mafieux. Elle le relaxa pour les autres chefs d’accusations à son encontre.

Le requérant interjeta appel.

Par un arrêt du 10 février 1999, la cour d’assises d’appel de Reggio de Calabre réduisit la peine infligée au requérant à douze ans d’emprisonnement.

Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 8 février 2000, dont le texte fut déposé au greffe le 25 février 2000, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi.

2.  La deuxième procédure pénale

(a)  Les investigations préliminaires et le procès de première instance

Le 19 juin 1996, le juge des investigations préliminaires (« le GIP ») de Reggio de Calabre ordonna à nouveau le placement du requérant en détention provisoire. Le 15 octobre 1996, il renvoya le requérant en jugement devant la cour d’assises de Palmi. L’intéressé était accusé de plusieurs homicides et tentatives d’homicide, d’association de malfaiteurs de type mafieux et de port d’armes prohibé. En particulier, le requérant était accusé d’avoir été le mandant de l’homicide de M. L. et de complicité dans le port des armes utilisées pour commettre ce délit. Le requérant allègue que ces armes étaient les mêmes qu’il avait été accusé de porter dans le cadre de la première procédure pénale.

Le 23 avril 1998, le requérant demanda à être remis en liberté, au motif qu’il n’avait pas été interrogé par le GIP après son placement en détention provisoire. Par une ordonnance du 27 mai 1998, la cour d’assises de Palmi rejeta cette demande. Elle observa que selon la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (arrêt no 77 du 3 avril 1997), l’interrogatoire d’un accusé devait avoir lieu dans les cinq jours qui suivaient son placement en garde à vue. Les arrêts de la Cour constitutionnelle ayant un effet rétroactif, l’omission de procéder en temps utile à l’interrogatoire entraînait la nullité du placement en garde à vue ou en détention provisoire. Cependant, cet effet rétroactif s’appliquait uniquement aux procédures dans lesquelles, à la date du prononcé de l’arrêt no 77 de 1997, les actes n’avaient pas encore été transmis au juge du fond ou les débats n’avaient pas encore commencé. Dans l’affaire du requérant, les actes avaient été transmis à la cour d’assises le 11 janvier 1997.

Au cours des débats, plusieurs témoins, parmi lesquels des repentis, furent interrogés.

Par un arrêt du 22 septembre 1999, la cour d’assises de Palmi prononça à l’encontre du requérant cinq condamnations à perpétuité avec isolement pour une durée de trois ans, ainsi qu’une condamnation additionnelle à une peine totale de soixante-dix ans d’emprisonnement.

Cette décision se fondait sur les déclarations des témoins repentis, estimées précises, crédibles et corroborées par d’autres éléments.

(b)  La procédure d’appel

Le requérant interjeta appel.

A partir de 2000, le requérant fut soumis à un régime carcéral différencié, prévu par l’article 41bis de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (dite loi sur l’organisation des pénitenciers), entraînant, entre autres, des restrictions aux contacts avec l’extérieur. Dès lors, il ne fut plus transféré de la prison à la salle d’audience. Il eut cependant l’opportunité de suivre le déroulement des audiences au moyen d’une liaison audiovisuelle avec la salle où les débats avaient lieu.

Par un arrêt du 5 mars 2002, la cour d’assises d’appel de Reggio de Calabre acquitta le requérant pour l’un des chefs d’accusation d’homicide. Estimant que les infractions commises par le requérant s’inscrivaient dans un projet criminel unique (unico disegno criminoso), elle réduisit la peine qui lui avait été infligée à une condamnation à perpétuité avec isolement pour une durée de deux ans.

(c)  Le pourvoi en cassation du requérant

Le requérant se pourvut en cassation. Il se plaignit notamment d’un manque de motivation quant aux raisons qui avaient amené la cour d’assises d’appel à estimer que, malgré certaines lacunes, les témoignages à charge étaient crédibles. En ce qui concernait l’homicide de M. L., le requérant observa que l’un des élément à sa charge était le fait qu’à l’intérieur d’une voiture garée près d’un terrain lui appartenant la police avait trouvé un pistolet Walther, modèle P.38. Cependant, dans le cadre de la première procédure pénale, le requérant avait été relaxé pour le port de ce pistolet. Par ailleurs, la circonstance incriminée ne démontrait nullement que le requérant avait été le mandant de l’homicide.

Le requérant n’allégua pas de violation du principe du procès équitable en conséquence des modalités de sa participation aux audiences d’appel.

Par un arrêt du 26 février 2004, dont le texte fut déposé au greffe le 3 juin 2004, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Elle estima que la cour d’assises d’appel avait motivé de manière logique et correcte tous les points controversés.

Les procédures judiciaires dirigées contre le requérant ont fait l’objet de plusieurs articles de journal, publiés dans la presse locale ou nationale.

  1. Le droit et la pratique internes pertinents

La loi no 11 du 7 janvier 1998 a introduit, parmi les dispositions d’exécution du code de procédure pénale (« le CPP »), un article 146 bis, qui, dans ses parties pertinentes et après les modifications introduites par la loi no 4 du 19 janvier 2001, est ainsi libellé :

« 1. Lorsqu’on procède pour l’une des infractions prévues à l’article 51, paragraphe 3 bis, ainsi qu’à l’article 407, paragraphe 2, alinéa a), no 4 du code [il s’agit principalement des infractions liées aux activités de la mafia et d’autres graves délits], pour la personne qui, à n’importe quel titre, se trouve détenue dans un pénitencier, la participation aux débats a lieu à distance (a distanza) dans les cas suivants :

a)      lorsqu’il y a de graves exigences de sûreté ou d’ordre public ;

b)      lorsque les débats sont particulièrement complexes et la participation à distance paraît nécessaire pour éviter de retards dans leur déroulement. L’exigence d’éviter des retards dans le déroulement des débats est évaluée aussi en relation avec le fait que se trouvent en même temps pendants contre le même accusé des procès distincts auprès de tribunaux différents.

1 bis. Hors des cas prévus au paragraphe 1, la participation aux débats a lieu à distance également lorsqu’on procède à l’encontre d’un détenu qui a fait l’objet des mesures prévues à l’article 41 bis, paragraphe 2, de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (...).

2. La participation aux débats à distance est décidée, même d’office, par le président du tribunal ou de la cour d’assises (...) dans la phase des actes préliminaires, ou bien par le juge (...) au cours des débats. L’ordonnance est communiquée aux parties et aux défenseurs au moins dix jours avant l’audience.

3. Lorsqu’on ordonne la participation à distance, une liaison audiovisuelle entre la salle d’audience et le lieu de détention est activée, avec des modalités de nature à assurer la vision contemporaine, effective et réciproque des personnes présentes dans les deux endroits et la possibilité d’entendre ce qui est dit. Si la mesure est adoptée à l’encontre de plusieurs prévenus se trouvant, à n’importe quel titre, en détention dans des lieux différents, chacun [d’entre eux] est mis en mesure, par l’intermédiaire du même dispositif, de voir et entendre les autres.

4. Le défenseur ou son remplaçant ont toujours le droit d’être présents à l’endroit où se trouve l’accusé. Le défenseur ou son remplaçant présents dans la salle d’audience et l’accusé peuvent se consulter de manière confidentielle, au moyen d’instruments techniques adaptés.

5. Le lieu où l’accusé est relié par liaison audiovisuelle à la salle d’audience est traité au même titre que celle-ci (è equiparato all’aula d’udienza).

6. Un auxiliaire habilité à assister le juge (...) est présent à l’endroit où se trouve l’accusé et en certifie l’identité, donnant acte qu’il n’y a aucun empêchement ou limitation à l’exercice des droits et des facultés dont il est titulaire. Il donne également acte du respect des dispositions du paragraphe 3 et de la deuxième phrase du paragraphe 4, ainsi que, si l’examen a lieu, des précautions adoptées pour en assurer la régularité (...). A cette fin, il consulte, si nécessaire, l’accusé et son défenseur. (...)

7. Si au cours des débats il est nécessaire de procéder à une confrontation ou à la reconnaissance de l’accusé ou à un autre acte qui implique l’observation de sa personne, le juge, s’il l’estime indispensable, après avoir entendu les parties, ordonne la présence de l’accusé dans la salle d’audience pour le temps nécessaire à l’accomplissement de l’acte. » 

Selon la Cour constitutionnelle (ordonnance no 483 du 26 novembre 2002), la participation à distance vise le but suivants : a) protéger l’ordre public par rapport aux accusés pouvant intimider les autres parties du procès ; b) éviter que le transfert desdits accusés du pénitencier à la salle d’audience puisse être l’occasion de renouer des contacts avec les associations criminelles auxquelles ils sont affiliés ; c) accélérer le déroulement de procès particulièrement complexes et longs, qui ont souvent lieu dans des tribunaux différents. La Cour constitutionnelle a également précisé que le système introduit par la loi no 11 du 7 janvier 1998 assure le droit des personnes accusées d’infractions d’une gravité exceptionnelle de participer à leur procès, tout en le mettant en balance avec les exigences de la protection de la collectivité et du déroulement des procès (ordinato svolgimento dei processi).

Dans son arrêt no 342 du 22 juillet 1999, la Cour constitutionnelle a estimé que la participation à distance était compatible avec le « droit à la défense », tel que garanti par l’article 24 § 2 de la Constitution. Elle a précisé ne pas pouvoir accepter l’idée selon laquelle seule la présence physique de l’accusé dans la salle d’audience assure l’effectivité de ce droit, la Constitution se bornant à exiger la participation personnelle et consciente (consapevole) du prévenu aux débats. Or, l’article 146 bis des dispositions d’exécution du CPP ne se limite pas à indiquer les moyens techniques pour réaliser la liaison entre la salle d’audience et le lieu de détention, mais impose d’atteindre certains « résultats », et notamment une participation « effective » de l’accusé à la procédure dans la perspective d’un exercice adéquat du droit à la défense. Par ailleurs, le législateur a également garanti les contacts entre les accusés, le droit du défenseur d’être présent à l’endroit où se trouve le prévenu et la faculté réciproque de consultation entre ce dernier et son conseil. Le juge a le pouvoir et le devoir de s’assurer que les moyens techniques mis en place sont adaptés aux buts visés et peut ordonner, le cas échéant, la présence de l’accusé dans la salle d’audience. De l’avis de la Cour constitutionnelle, le fait que les nouvelles dispositions s’écartent de la « tradition » n’est pas de nature à rompre les équilibres et les dynamiques du procès qui, au contraire, demeurent, en substance, inchangés.

Pour les mêmes raisons, la Cour constitutionnelle a estimé que le système introduit par la loi no 11 du 7 janvier 1998 ne saurait passer pour contraire à l’article 6 de la Convention, une disposition qui impose, entre autres, le respect de l’exigence du « délai raisonnable », en particulier pour les accusés détenus.

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant se plaint, sous différents aspects, d’un manque d’équité des procédures pénales menées à son encontre.

2.  Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir été traduit devant un juge après son placement en détention provisoire du 19 juin 1996.

3.  Invoquant l’article 14 de la Convention, le requérant affirme avoir été victime d’une discrimination par rapport aux personnes accusées d’infractions non liées aux activités de la mafia.

4.  Invoquant l’article 4 du Protocole no 7, le requérant se plaint d’avoir été condamné pour une infraction (port d’armes prohibé) pour laquelle il avait été acquitté à l’issue de la première procédure pénale.

EN DROIT

1.  Le requérant considère que les procédures pénales menées à son encontre n’ont pas été équitables. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition. Partant, la Cour examinera les différentes doléances du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (voir, parmi beaucoup d’autres, Van Geyseghem c. Belgique [GC], no 26103/95, § 27, CEDH 1999-I).

a)  Le requérant allègue en premier lieu que dans la deuxième procédure pénale le même GIP a ordonné son placement en détention provisoire et son renvoi en jugement. Ce cumul de fonctions serait incompatible avec l’impartialité requise par la Convention. Le requérant souligne en outre qu’en Italie toutes les enquêtes concernant les crimes liés aux activités de la mafia sont confiées à la Direction Départementale contre la Mafia (Direzione Distrettuale Antimafia, « DDA ») et au même GIP, ce qui équivaudrait à créer des « tribunaux spéciaux » pour ceux qui sont soupçonnés d’être de mafieux. Ces derniers seraient jugés de manière différente par rapport aux prévenus « éminents » (hommes politiques ou magistrats).

La Cour rappelle d’emblée que les garanties d’indépendance et d’impartialité propres au procès équitable fixées par l’article 6 § 1 de la Convention concernent uniquement les juridictions appelées à décider d’une accusation en matière pénale et ne s’appliquent pas au représentant du parquet, ce dernier étant notamment l’une des parties d’une procédure judiciaire contradictoire (Forcellini c. Saint Marin (déc.) no 34657/97, 28 mai 2002, et Priebke c. Italie (déc.), no 48799/99, 5 avril 2001). En effet, si l’article 6 de la Convention peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond, cette disposition a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider de l’innocence ou de la culpabilité d’un prévenu (Brennan c. Royaume-Uni [GC], no 39846/98, § 45, CEDH 2001-X, et Berlinski c. Pologne, nos 27715/95 et 30209/96, § 75, 20 juin 2002).

Le requérant ne saurait donc se plaindre, sous l’angle de la Convention, d’un manque d’impartialité de la DDA ou de l’organe qui a prononcé son renvoi en jugement. Ce dernier s’est borné à décider que le requérant devait être jugé par un « tribunal », sans se pencher sur l’innocence ou la culpabilité du prévenu (De Lorenzo c. Italie (déc.), no 69264/01, 12 février 2004).

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

b)  Le requérant se plaint d’avoir été condamné sur la base des déclarations de témoins repentis, qui avaient un intérêt à l’accuser pour obtenir des remises de peine et des avantages économiques, et qui souhaitaient se venger. En outre, les questions posées aux débats par le représentant du parquet aux repentis auraient visé à suggérer les réponses. Par ailleurs, dans le cadre de la première procédure pénale, certains repentis se seraient prévalus de leur faculté de garder le silence aux débats, se soustraient ainsi aux questions posées par la défense.

Dans la mesure où le requérant se plaint d’un manque d’équité de la première procédure pénale, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle doit être saisie dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. Or, la première procédure pénale a été clôturée par l’arrêt de la Cour de cassation du 8 février 2000, déposé au greffe le 25 février 2000.

La présente requête n’ayant été introduite que le 30 novembre 2004, pour cette partie du grief il y a eu dépassement du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention.

Quant aux allégations concernant la deuxième procédure pénale, La Cour rappelle qu’elle a pour tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Etats contractants. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk c. Suisse, arrêt du 12 juillet 1988, série A no 140, p. 29, §§ 45-46). La Cour n’est donc pas compétente pour se prononcer sur le point de savoir si des dépositions de témoins ont été à bon droit admises comme preuves ou encore sur la culpabilité du requérant (voir, parmi beaucoup d’autres, Lucà c. Italie, no 33354/96, § 38, CEDH 2001-II, Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000-V, et García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, CEDH 1999-I, § 28). Il ne lui incombe donc pas d’établir si les affirmations des témoins à charge étaient crédibles. La mission confiée à la Cour par la Convention consiste uniquement à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable et si les droits de la défense ont été respectés (De Lorenzo, décision précitée).

Or, il ne ressort pas des décisions internes mises en cause par l’intéressé que les juges aient tiré des éléments devant eux des conclusions manifestement arbitraires ou illogiques. De plus, aux sens de la jurisprudence des organes de la Convention, un procès ne cesse pas d’être équitable lorsque la condamnation se fonde, essentiellement, sur les déclarations des témoins coïnculpés (Jerinò c. Italie (déc.), no 27549/02, 7 juin 2005, Natoli c. Italie (déc.), no 4290/02, 27 novembre 2003, et Bargiola c. Suisse, no 17265/90, décision de la Commission du 21 octobre 1993, Décisions et rapports (DR) 75, pp. 76, 97-98). Pour ce qui est de la nature des questions posées par le représentant du parquet, la Cour vient de rappeler que ce dernier est l’une des parties d’une procédure contradictoire et relève que les avocats du requérant ont eu l’occasion de poser aux témoins repentis les questions qu’ils ont estimées nécessaires pour la défense de leur client.

Il s’ensuit que ce grief est en partie tardif et en partie manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

c)  Le requérant expose que les cours d’assises se composent de six juges populaires et de deux juges professionnels. Or, les juges populaires, qui sont des citoyens résidant dans les lieux où les faits incriminés ont été commis, seraient influencés par les informations relatées par la presse et par les bruits courants dans la population. Ils ne pourraient dès lors pas être objectifs et impartiaux.

La Cour rappelle qu’aux termes de la jurisprudence des organes de la Convention, une campagne de presse virulente est dans certains cas susceptible de nuire à l’équité du procès, en influençant l’opinion publique et, par là même, les jurés appelés à se prononcer sur la culpabilité d’un accusé (Akay c. Turquie (déc.), no 34501/97, 19 février 2002, Priebke, décision précitée, D’Urso et Sgorbati c. Italie (déc.), no 52948/99, 3 avril 2001, et Del Giudice c. Italie (déc.), no 42351/98, 6 juillet 1999).

Par ailleurs, on s’accorde en général à penser que les tribunaux ne sauraient fonctionner dans le vide : bien qu’ils aient seuls compétence pour se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence quant à une accusation en matière pénale, il n’en résulte point qu’auparavant ou en même temps, les questions dont ils connaissent ne puissent donner lieu à discussion, que ce soit dans des revues spécialisées, dans la grande presse ou le public en général (Sunday Times c. Royaume-Uni (no1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, p. 40, § 65, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, 19 novembre 2001).

A condition de ne pas franchir les bornes fixées aux fins d’une bonne administration de la justice, les comptes rendus de procédures judiciaires, y compris les commentaires, contribuent à les faire connaître et sont donc compatibles avec l’exigence de publicité de l’audience énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention. A la fonction des médias consistant à communiquer de telles informations et idées s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir (Craxi c. Italie, no 34896/97, § 100, 5 décembre 2002).

Cependant, tout individu est en droit de bénéficier d’un procès équitable tel que garanti à l’article 6 § 1 de la Convention, ce qui comprend le droit à être entendu par un tribunal impartial. Dans une société démocratique, ce droit occupe une place si éminente qu’une interprétation restrictive de l’article 6 ne correspondrait pas au but et à l’objet de cette disposition (Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 15, § 25). Les journalistes doivent s’en souvenir lorsqu’ils rédigent des articles sur des procédures pénales en cours, car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration de la justice pénale (Worm c. Autriche, arrêt du 29 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-V, p. 1552, § 50, Pullicino c. Malte (déc.), no 45441/99, 15 juin 2000, et Papon, décision précitée).

La Cour relève qu’en l’espèce, l’intérêt des médias italiens pour l’affaire du requérant résultait de la gravité des faits mis à la charge des accusés. Elle considère qu’il est inévitable, dans une société démocratique, que la presse exprime des commentaires sur une affaire sensible (voir, mutatis mutandis, Craxi, arrêt précité, §§ 102-103).

Par ailleurs, en l’espèce le requérant n’a ni indiqué avec précision les articles de journal qui auraient porté atteinte aux droits de la défense, ni expliqué dans quelle mesure ceux-ci auraient influencé les jurés. De plus, la Cour ne saurait spéculer, dans l’abstrait, sur les effets que les « bruits courant dans la population » pourraient avoir sur une procédure judiciaire. Au demeurant, elle rappelle que la participation de jurés aux chambres des tribunaux appelées à juger les infractions les plus graves est une pratique courante dans plusieurs Etats membres, qui ne saurait, en tant que telle, être considérée comme contraire à la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

d)  Le requérant observe qu’à partir de 2000 il a été soumis au régime carcéral différencié prévu par l’article 41 bis de loi sur l’organisation des pénitenciers. Il n’a donc pas pu être présent aux audiences d’appel de la deuxième procédure pénale, qu’il a suivies par vidéoconférence. Cela aurait violé les droits de la défense et aurait discriminé le requérant vis-à-vis d’autres détenus.

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

2.  Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir été traduit devant un juge après son placement en détention provisoire dans le cadre de la deuxième procédure pénale.

Dans ses parties pertinentes, l’article 5 de la Convention est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a)  s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

(...). »

La Cour vient de rappeler qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie que dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. Lorsqu’un requérant se plaint d’une situation continue, ce délai court à partir de la fin de celle-ci (Uzeyir c. Italie (déc.), no 60268/00, 16 novembre 2000, et Sofri et autres c. Italie (déc.), no 37235/97, CEDH 2003–VIII).

Or, au sens de la jurisprudence de la Cour l’article 5 § 3, qui garantit le droit de toute personne détenue d’être aussitôt traduite devant un juge et d’être jugée dans un délai raisonnable, s’applique uniquement dans la situation envisagée à l’article 5 § 1 c), avec lequel il forme un tout (Ciulla c. Italie, arrêt du 22 février 1989, série A no 148, p. 16, § 38). Une personne condamnée en première instance se trouve dans le cas prévu à l’article 5 § 1 a), qui autorise la privation de liberté des personnes après condamnation (B. c. Autriche, arrêt du 28 mars 1990, série A no 175, p. 14, § 36).

En l’espèce, dans le cadre de la deuxième procédure pénale, le requérant a été condamné en première instance le 22 septembre 1999, date à laquelle il convient de fixer la fin de la période à prendre en considération aux fins de l’article 5 § 3 de la Convention.

La présente requête n’ayant été introduite que le 30 novembre 2004, il y a eu dépassement du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3.  Réitérant, en substance, les allégations développées sous l’angle de l’article 6, le requérant se plaint d’avoir été discriminé par rapport aux personnes accusées d’infractions non liées aux activités de la mafia. Il invoque l’article 14 de la Convention, qui se lit ainsi :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour rappelle que l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 55, CEDH 2003-III, et Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, no 33290/96, § 26, CEDH 1999-IX). Or, le requérant n’a pas prouvé qu’il a été traité différemment par rapport à des personnes accusées de faits d’une gravité comparable à ceux qui lui étaient reprochés.

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4.  Le requérant note que dans le cadre de la première procédure pénale, il a été acquitté pour l’infraction de port des armes utilisées pour tuer M. L. Cependant, il a été condamné pour cette même infraction à l’issue de la deuxième procédure pénale, ce qui aurait violé son droit à ne pas être jugé deux fois. Il invoque l’article 4 du Protocole no 7, ainsi libellé :

« 1.  Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.

2.  Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3.  Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »

En l’état actuel du dossier, la Cour ne s’estime pas en mesure de se prononcer sur la recevabilité de ce grief et juge nécessaire de communiquer cette partie de la requête au gouvernement défendeur conformément à l’article 54 § 2 b) de son règlement.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Ajourne l’examen des griefs du requérant tirés de l’article 4 du Protocole no 7 et de sa participation par vidéoconférence aux audiences d’appel dans la deuxième procédure pénale ;

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (troisième section), VIOLA c. ITALIE, 13 décembre 2005, 45106/04