CEDH, Cour (cinquième section), BIRK-LEVY c. FRANCE, 21 septembre 2010, 39426/06

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 6 octobre 2010

Communiqué de presse sur l'affaire 39426/06

 

CEDH · 21 septembre 2010

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 21 sept. 2010, n° 39426/06
Numéro(s) : 39426/06
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 28 septembre 2006
Jurisprudence de Strasbourg : Baylac-Ferrer et Suarez c. France (déc.), no 27977/04, 25 septembre 2008
Fryske nationale partij c. Pays-Bas, no 11100/84, décision de la Commission du 12 décembre 1985, Décisions et rapports (DR) 45, p. 240
Georges Clerfayt et autres c. Belgique, no 10650/83, décision de la Commission du 17 mai 1985
Oberschlick c. Autriche (no 2), 1er juillet 1997, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV
Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 34, CEDH 2002-II
Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 33, Recueil 1997-I
Samo Pahor c. Italie, no 19927/92, décision de la Commission du 29 juin 1994
Un groupe d'habitants de Leeuw-Saint-Pierre c. Belgique, no 2333/64, décision de la Commission du 16 décembre 1968
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-100987
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:0921DEC003942606
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 39426/06
présentée par Sabrina BIRK-LEVY
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 21 septembre 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ganna Yudkivska, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 28 septembre 2006,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Mme Sabrina Birk-Levy, est une ressortissante française, née en 1969 et résidant à Taravao. Elle est représentée devant la Cour par Me P. Neuffer, avocat à Tahiti. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

A.  Les circonstances de l'espèce

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

La requérante est née en 1969 et réside à Taravao. Elle fut membre de l'Assemblée de la Polynésie française et élue deux fois consécutives, lors des élections organisées les 23 mai 2003 et 13 février 2005.

Le 12 juillet 2005, le haut-commissaire de la République en Polynésie française présenta un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat contre la délibération de l'assemblée de Polynésie française (no 2005/59 APF du 13 mai 2005) portant règlement intérieur de cette assemblée. Il demanda notamment l'annulation de la dernière phrase du point 1 de l'article 15 du règlement intérieur, lequel disposait :

« 1 – Le président dirige les débats. La parole doit lui être demandée. En séance plénière, l'orateur s'exprime assis. Son intervention est faite en langue française ou en langue tahitienne ou dans l'une des langues polynésiennes. »

Le président de l'assemblée intervint en qualité de défendeur et présenta un mémoire en défense. Il expliqua notamment qu'il était incontestable que, pour un représentant élu, exposer ses idées contenant des concepts parfois très abscons tels que ceux que l'on retrouve dans les textes soumis à l'approbation de l'assemblée dans la langue qu'il maîtrise le mieux, lui permettait de participer pleinement au débat démocratique. Il précisa que, s'il devait constamment rechercher les termes les plus adéquats en français, cette participation serait beaucoup plus restreinte. Il indiqua qu'il paraissait bien difficile, pour le président de l'assemblée, de sanctionner un élu qui s'exprimerait en tahitien. Surtout, il précisa qu'il était de tradition constante que, depuis l'institution de l'assemblée représentative en 1945, les élus polynésiens s'expriment en tahitien lors des débats de celle-ci. Il signala que, saisi d'une demande en ce sens, le président de l'assemblée ferait procéder à la traduction des propos tenus en tahitien par le représentant. Il énonça que l'assemblée étudiait d'ailleurs, dans ce but, la possibilité de procéder au renforcement de ses propres services afin de disposer d'un interprétariat à temps plein.

Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement indiqua que l'article 123 de la loi organique du 27 février 2004 ne précisait pas quelles étaient les personnes susceptibles de déférer le règlement intérieur adopté par l'assemblée de Polynésie française et ne venait donc pas limiter la possibilité pour toute personne ayant intérêt pour agir, de le faire. Il expliqua que le haut-commissaire, chargé du respect des lois et du contrôle de l'exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la Polynésie française, était fondé à agir. Il invita les membres du Conseil d'Etat à reconnaître l'intérêt pour agir de M. F., membre de l'assemblée et d'ailleurs président de l'un des groupes de cette assemblée. Quant au fond, le commissaire du gouvernement estima que dans l'hypothèse où les membres du Conseil d'Etat seraient amenés à examiner la légalité d'une délibération de l'Assemblée de la Polynésie française, le seul fait que certains orateurs se soient exprimés en langue tahitienne et non en français au cours des débats ne suffirait pas à considérer que la délibération aurait été adoptée dans des conditions irrégulières. A cet égard, il releva que le fait de s'exprimer en tahitien lors des débats était apparemment une pratique courante. Cependant, il considéra que les débats qui illustrent la genèse d'une délibération forment un tout avec elle. Il releva également que les dispositions de la dernière phrase du point 1 de l'article 15 du règlement intérieur étaient en réalité de nature à permettre le déroulement de l'intégralité des débats et l'adoption d'une délibération dans une autre langue que le français. Il invita donc à annuler les dispositions attaquées.

Par un arrêt du 29 mars 2006, le Conseil d'Etat annula la dernière phrase du point 1 de l'article 15 du règlement intérieur de l'Assemblée de la Polynésie française. Il constata en effet que la dernière phrase avait pour objet et pour effet de conférer aux membres de l'Assemblée de la Polynésie française le droit de s'exprimer, en séance plénière de cette assemblée, dans des langues autres que la langue française. Il estima que ces dispositions étaient contraires à l'article 57 de la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française du 27 février 2004 qui prévoit que le français est la langue officielle de la Polynésie française et que son usage s'impose notamment aux personnes morales de droit public. Il conclut que le haut-commissaire de la République en Polynésie française était fondé à demander l'annulation de la dernière phrase du point 1 de l'article 15 du règlement intérieur précité.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  La Constitution française du 4 octobre 1958

Article 1er

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Article 2

« La langue de la République est le français. (...) »

Article 74

« Les collectivités d'outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d'elles au sein de la République.

Ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l'assemblée délibérante, qui fixe (...) les compétences de cette collectivité (...), les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité (...).

La loi organique peut également déterminer, pour celles de ces collectivités qui sont dotées de l'autonomie, les conditions dans lesquelles :

-  le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante intervenant au titre des compétences qu'elle exerce dans le domaine de la loi ;

-  l'assemblée délibérante peut modifier une loi promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur du statut de la collectivité, lorsque le Conseil constitutionnel, saisi notamment par les autorités de la collectivité, a constaté que la loi était intervenue dans le domaine de compétence de cette collectivité ;

-  des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d'accès à l'emploi, de droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier ;

-  la collectivité peut participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice des compétences qu'il conserve, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques. (...) »

Article 75 – 1

(issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, Titre XII, Des collectivités territoriales)

« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

2.  La Polynésie française

a)  Le système institutionnel de la Polynésie française

Les institutions actuelles de la Polynésie française sont le résultat d'une longue évolution qui a commencé au milieu du XIXe siècle, époque où ont été établis les premiers liens entre la France et Tahiti. Après avoir été un Etat sous protectorat, puis une colonie, la Polynésie française est devenue, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une collectivité territoriale et, plus précisément, un territoire d'outre-mer. Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, la Polynésie française s'est transformée en collectivité d'outre-mer dotée de l'autonomie dont le statut a été déterminé par la loi organique du 27 février 2004.

La Polynésie française est dotée de l'autonomie au sens de l'article 74 de la Constitution.

Elle dispose d'une assemblée délibérante, nommée « Assemblée de la Polynésie française », qui vote les « lois du pays » et que le président de la République française peut dissoudre. Elle est pourvue d'un président, élu par l'Assemblée de la Polynésie française, et d'un gouvernement, responsable devant l'assemblée délibérante qui peut le renverser. Un contrôle juridictionnel spécifique exercé par le Conseil d'Etat a été mis en place. Il existe également un « représentant de l'Etat », le haut-commissaire de la République, généralement issu du corps préfectoral. Placé sous l'autorité du ministre chargé de l'Outre-mer, il est « dépositaire des pouvoirs de la République » et « a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois » en vertu de l'article 72 de la Constitution et de l'article 3 de la loi organique précitée. Le haut‑commissaire est tenu informé, avant les séances, de l'ordre du jour de l'Assemblée de la Polynésie française et de ses commissions. Il est également tenu informé de tous les actes adoptés par les institutions de la Polynésie française.

b)  La loi organique no 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française

« TITRE III : LES COMPÉTENCES

Chapitre Ier : La répartition des compétences entre l'Etat, la Polynésie française et les communes.

Section 7 : L'identité culturelle

Article 57

« Le français est la langue officielle de la Polynésie française. Son usage s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. La langue tahitienne est un élément fondamental de l'identité culturelle : ciment de cohésion sociale, moyen de communication quotidien, elle est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues polynésiennes, aux côtés de la langue de la République, afin de garantir la diversité culturelle qui fait la richesse de la Polynésie française. Le français, le tahitien, le marquisien, le paumotu et le mangarevien sont les langues de la Polynésie française. Les personnes physiques et morales de droit privé en usent librement dans leurs actes et conventions ; ceux-ci n'encourent aucune nullité au motif qu'ils ne sont pas rédigés dans la langue officielle.

La langue tahitienne est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et primaires, dans les établissements du second degré et dans les établissements d'enseignement supérieur.

Sur décision de l'Assemblée de la Polynésie française, la langue tahitienne peut être remplacée dans certaines écoles ou établissements par l'une des autres langues polynésiennes.

L'étude et la pédagogie de la langue et de la culture tahitiennes sont enseignées dans les établissements de formation des personnels enseignants. »

Chapitre II : L'Assemblée de la Polynésie française.

Article 102

« L'Assemblée de la Polynésie française règle par ses délibérations les affaires de la Polynésie française. Les compétences de la collectivité relevant du domaine de la loi sont exercées par l'Assemblée de la Polynésie française.

Toutes les matières qui sont de la compétence de la Polynésie française relèvent de l'Assemblée de la Polynésie française, à l'exception de celles qui sont attribuées par la présente loi organique au conseil des ministres ou au président de la Polynésie française.

L'assemblée vote le budget et les comptes de la Polynésie française.

Elle contrôle l'action du président et du gouvernement de la Polynésie française. »

Article 123

« L'Assemblée de la Polynésie française établit son règlement intérieur. Ce règlement fixe les modalités de son fonctionnement qui ne sont pas prévues au présent titre. Il est publié au journal officiel de la Polynésie française. Il peut être déféré au Conseil d'Etat statuant au contentieux. »

Article 137

« (...) Le président de l'Assemblée de la Polynésie française décide d'intenter les actions ou de défendre devant les juridictions au nom de l'Assemblée de la Polynésie française (...) »

Article 140

« Les actes de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés « lois du pays », sur lesquels le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique, sont ceux qui, relevant du domaine de la loi, soit ressortissent à la compétence de la Polynésie française en application de l'article 13, soit sont pris au titre de la participation de la Polynésie française à l'exercice des compétences de l'Etat dans les conditions prévues aux articles 31 à 36 (...) »

TITRE V : LE HAUT-COMMISSAIRE ET L'ACTION DE L'ÉTAT

Chapitre Ier : Le haut-commissaire de la République.

Article 166

« Le haut-commissaire veille à l'exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la Polynésie française et à la légalité de leurs actes.

Afin d'assurer la sécurité de la population, le fonctionnement normal des services publics ou de mettre fin à une violation grave et manifeste des dispositions de la présente loi organique relatives au fonctionnement des institutions et lorsque ces autorités n'ont pas pris les décisions qui leur incombent de par la loi, le haut‑commissaire de la République peut prendre, en cas d'urgence et après mise en demeure restée sans résultat, les mesures qui s'imposent. Il en informe sans délai le président de la Polynésie française. » »

3.  La jurisprudence constitutionnelle

a)  Décision du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française (no 96-373 DC, JO 13 avril 1996)

« (...) SUR LE TITRE VII RELATIF A L'IDENTITE CULTURELLE :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 115 : « Le français étant la langue officielle, la langue tahitienne et les autres langues polynésiennes peuvent être utilisées » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français » ;

Considérant qu'eu égard à cette disposition, la référence faite par l'article 115, premier alinéa, au français en qualité de « langue officielle », doit s'entendre comme imposant en Polynésie française l'usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics ; que toute autre interprétation serait contraire à l'article 2 de la Constitution ; (...)

Considérant que le législateur a pu sans méconnaître la Constitution prévoir au quatrième alinéa de l'article 115 que l'étude et la pédagogie de la langue et de la culture tahitiennes sont enseignées à l'école normale de la Polynésie française ; (...) »

b)  Décision du 15 juin 1999 relative à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (No 99-412 DC, JO du 18 juin 1999)

Le 20 mai 1999, le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel de la question de savoir si la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, doit être précédée, compte tenu de la déclaration interprétative faite par la France et des engagements qu'elle entend souscrire dans la partie III de cette convention, d'une révision de la Constitution. Dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel estima que la Charte comportait des clauses contraires à la Constitution et s'exprima comme suit :

« Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de son préambule, la Charte reconnaît à chaque personne « un droit imprescriptible » de « pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique » ; qu'aux termes de l'article 1 (a) de la partie I : « par l'expression « langues régionales ou minoritaires », on entend les langues : i)  pratiquées traditionnellement sur un territoire d'un État par des ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l'État ; et ii)  différentes de la (des) langue(s) officielle(s) de cet État », exception faite des dialectes de la langue officielle et des langues des migrants ; que, par « territoire dans lequel une langue régionale ou minoritaire est pratiquée », il convient d'entendre, aux termes de l'article 1 (b), « l'aire géographique dans laquelle cette langue est le mode d'expression d'un nombre de personnes justifiant l'adoption des différentes mesures de protection et de promotion » prévues par la Charte ; qu'en vertu de l'article 7 : « les Parties fondent leur politique, leur législation et leur pratique sur les objectifs et principes » que cet article énumère ; qu'au nombre de ces objectifs et principes figurent notamment « le respect de l'aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue ... », ainsi que « la facilitation et/ou l'encouragement de l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée » ; que, de surcroît, en application de l'article 7, « les Parties s'engagent à prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues » en créant, si nécessaire, des « organes chargés de conseiller les autorités » sur ces questions ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu'elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ;

Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l'article 2 de la Constitution en ce qu'elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ; (...) »

c)  Décision du 12 février 2004 relative à la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française (No 2004-490 DC)

« (...) Considérant que l'article 57 de la loi organique traite de l'usage du français, du tahitien et des autres langues polynésiennes en Polynésie française ; que relèvent des matières mentionnées à l'article 74 de la Constitution le premier alinéa de l'article 57, qui, en faisant du français la langue officielle de la Polynésie française, a trait aux règles de fonctionnement des institutions de cette collectivité ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français » ;

Considérant que, si l'article 57 de la loi organique prévoit l'enseignement de la langue tahitienne ou d'une autre langue polynésienne « dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et primaires, dans les établissements du second degré et dans les établissements d'enseignement supérieur », cet enseignement ne saurait revêtir pour autant un caractère obligatoire ni pour les élèves ou étudiants, ni pour les enseignants ; qu'il ne saurait non plus avoir pour effet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ; que, sous ces réserves, l'article 57 n'est contraire ni à l'article 2 de la Constitution ni à aucune autre de ses dispositions. »

4.  La jurisprudence administrative

Arrêt du Conseil d'Etat du 22 février 2007, M. Fritch et autres (no 299649)

« (...) Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la « loi du pays » contestée a été adoptée au terme de la séance en date du 30 novembre 2006 de la 10ème session budgétaire de l'Assemblée de la Polynésie française ; qu'au cours de cette séance, le vice-président de la Polynésie française, également ministre des finances de la Polynésie française, a présenté le projet de loi du pays et répondu aux questions des représentants exclusivement en tahitien, et s'est refusé à s'exprimer en français, contrairement à la demande de plusieurs représentants qui alléguaient leur incompréhension du tahitien ; que dès lors, la procédure d'adoption de la « loi du pays » du 30 novembre 2006 est entachée d'une irrégularité qui, dans les circonstances de l'espèce et au regard des dispositions précitées de l'article 57 de la loi organique du 27 février 2004, présente un caractère substantiel ; que par suite, M A. et autres sont fondés à soutenir que la « loi du pays » du 30 novembre 2006 portant création d'un droit d'utilisation des ressources de numérotation téléphonique est illégale et ne peut être promulguée ; (...) »

C.  Le droit international

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ouverte à la signature le 5 novembre 1992 et entrée en vigueur le 1er mars 1998, a été signée par la France mais n'a pas été ratifiée. Ses dispositions pertinentes sont libellées comme suit :

Article 10 – Autorités administratives et services publics

« (...) 2)  En ce qui concerne les autorités locales et régionales sur les territoires desquels réside un nombre de locuteurs de langues régionales ou minoritaires qui justifie les mesures ci-après, les Parties s'engagent à permettre et/ou à encourage :

a)  l'emploi des langues régionales ou minoritaires dans le cadre de l'administration régionale ou locale ;

b)  la possibilité pour les locuteurs de langues régionales ou minoritaires de présenter des demandes orales ou écrites dans ces langues ; (...)

e)  l'emploi par les collectivités régionales des langues régionales ou minoritaires dans les débats de leurs assemblées, sans exclure, cependant, l'emploi de la (des) langue(s) officielle(s) de l'Etat ;

f)  l'emploi par les collectivités locales de langues régionales ou minoritaires dans les débats de leurs assemblées, sans exclure, cependant, l'emploi de la (des) langue(s) officielle(s) de l'Etat ; (...) »

Rapport explicatif

« Le paragraphe 2, alinéa a, prévoit l'emploi des langues régionales ou minoritaires « dans le cadre » de l'autorité régionale ou locale. Cette formulation veut indiquer qu'une langue régionale ou minoritaire peut être employée comme langue de travail par l'autorité en question ; toutefois, elle n'implique pas que la langue régionale ou minoritaire puisse être employée dans les relations avec le gouvernement central. »

GRIEFS

Invoquant les articles 10, 11 et 14 de la Convention, la requérante se plaint de l'interdiction, pour les représentants de l'Assemblée de la Polynésie française, de s'exprimer en tahitien lors des séances de cette assemblée. Elle estime que l'obligation d'utiliser le français dans l'hémicycle de l'Assemblée de la Polynésie française constitue une discrimination à son égard ainsi qu'à l'égard de tous les Polynésiens, lesquels utilisent quotidiennement le tahitien.

EN DROIT

1.  La requérante se plaint de l'interdiction de s'exprimer dans une autre langue que le français devant l'Assemblée de la Polynésie française. Elle invoque à cet égard l'article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à l'intégrité territoriale (...) »

a)  Thèses des parties

Le gouvernement conteste en premier lieu l'interprétation extensive de l'article 10 de la Convention. Certes, même si la Cour a estimé à maintes reprises que « outre la substance des idées et informations exprimées, l'article 10 protège aussi leur mode de diffusion » (entre autres, Oberschlick c. Autriche (no 2), 1er juillet 1997, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1997‑IV), il est néanmoins excessif d'en conclure que ces dispositions garantissent le droit pour un élu de s'exprimer dans une assemblée parlementaire dans la langue de son choix. Le gouvernement rappelle que la jurisprudence de la Commission est constante en la matière, et qu'elle a plusieurs fois affirmé que les dispositions de la Convention ne garantissaient pas la « liberté linguistique » en tant que telle (Un groupe d'habitants de Leeuw-Saint-Pierre c. Belgique, no 2333/64, décision de la Commission du 16 décembre 1968 ; Fryske nationale partij c. Pays-Bas, no 11100/84, décision de la Commission du 12 décembre 1985, Décisions et rapports (DR) 45, p. 240 ; Samo Pahor c. Italie, no 19927/92, décision de la Commission du 29 juin 1994). En application de la jurisprudence précitée, le gouvernement en conclut que le grief tiré de la violation de l'article 10 de la Convention est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

Le gouvernement considère par ailleurs que la requérante n'a pas épuisé les voies de recours internes dès lors qu'elle n'est pas intervenue à la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 mars 2006.

Enfin, le gouvernement estime que la requérante, non partie à la procédure, ne saurait justifier de sa qualité de victime par le simple fait qu'elle est membre de l'Assemblée de la Polynésie française. Selon lui, la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention.

La requérante estime que la liberté d'expression, telle que garantie par l'article 10 de la Convention, inclut le droit pour des titulaires de fonctions électives de s'exprimer librement, dans le cadre d'un débat parlementaire, dans la langue qu'ils comprennent et qui est parlée par la majorité des locuteurs de cette collectivité.

Elle conteste par ailleurs les exceptions d'irrecevabilité tirées du non‑épuisement et de l'absence de qualité de victime.

b)  Appréciation de la Cour

La Cour rappelle qu'aucun article de la Convention ne consacre expressément la « liberté linguistique » en tant que telle. La Commission a notamment considéré que la Convention ne garantissait pas le droit de se servir de la langue de son choix dans les rapports avec l'administration (Un groupe d'habitants de Leeuw-Saint-Pierre, précité ; Fryske nationale partij, précité ; Samo Pahor, précité). Plus encore, la Convention ne garantit pas le droit, pour un élu, de se servir de la langue de son choix pour faire des déclarations et exprimer son vote au sein d'une assemblée (Georges Clerfayt et autres c. Belgique, no 10650/83, décision de la Commission du 17 mai 1985).

La Cour rappelle également que l'intérêt, pour chaque Etat, d'assurer un fonctionnement normal de son propre système institutionnel revêt incontestablement un caractère légitime. Eu égard au principe de respect des particularités nationales, la Cour n'a pas à prendre position sur la langue de travail d'un parlement national. En effet, ce choix, dicté par des considérations d'ordre historique et politique qui lui sont propres, relève en principe du domaine de compétence exclusive de l'Etat (Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 34, CEDH 2002-II ; voir également, mutatis mutandis, Baylac-Ferrer et Suarez c. France (déc.), no 27977/04, 25 septembre 2008).

La Cour relève qu'à l'issue d'un long processus historique et politique, la Polynésie française est devenue une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution et se trouve dotée d'une certaine autonomie, se traduisant par l'exercice d'un nombre élevé de compétences et une adaptation des institutions locales à ce système institutionnel (voir partie « droit et pratique internes pertinents »). Elle dispose notamment de sa propre assemblée législative, l'Assemblée de la Polynésie française, laquelle est compétente pour adopter des « lois du pays » qui sont soumises à un « contrôle juridictionnel spécifique », confié au Conseil d'Etat. Parallèlement à cet enjeu du statut institutionnel, la question du statut des langues régionales et de la langue tahitienne comme symbole de cette autonomie revendiquée s'est posée. La Cour observe que l'article 57 de la loi organique no 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française dispose que le français est la langue officielle et que son usage s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. Même si la loi organique reconnaît la langue tahitienne comme « élément fondamental de l'identité culturelle », la Cour considère, eu égard au principe de respect des particularités nationales des Etats quant à leur propre système institutionnel (Podkolzina, précité), que la revendication de la requérante du droit de pouvoir se servir de la langue tahitienne au sein de l'Assemblée de la Polynésie française sort du cadre de la Convention et en particulier de l'article 10. Partant, l'examen du grief échappe à sa compétence ratione materiae, et doit être rejeté conformément à l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2.  La requérante allègue également que l'obligation d'utiliser la langue française au sein de l'Assemblée de la Polynésie française constitue une discrimination à l'égard des membres de cet organe législatif qui, en majorité, s'expriment plus aisément en tahitien. Elle se fonde sur l'article 14 de la Convention, combiné en substance avec l'article 10, qui se lit comme suit :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) la langue, (...) l'appartenance à une minorité nationale, (...) ou toute autre situation. »

La Cour rappelle que l'article 14 ne saurait trouver à s'appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l'empire de l'une au moins des clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles (Van Raalte c. Pays-Bas, 21 février 1997, § 33, Recueil 1997-I).

En l'espèce, elle a conclu précédemment à l'incompatibilité ratione materiae du grief de la requérante tiré de l'article 10 de la Convention.

Il s'ensuit que ce grief doit être également déclaré incompatible ratione materiae et qu'il doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3.  La requérante estime que l'interdiction d'utiliser le tahitien au sein de l'Assemblée de la Polynésie française porte atteinte à son droit à la liberté de réunion et d'association. Elle invoque à cet égard l'article 11 de la Convention.


La Cour renvoie à ses considérations sous l'angle de l'article 10 de la Convention et, pour des raisons similaires, rejette ce grief en vertu de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Claudia WesterdiekPeer Lorenzen
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (cinquième section), BIRK-LEVY c. FRANCE, 21 septembre 2010, 39426/06