CEDH, Cour (cinquième section), ASBL EGLISE DE SCIENTOLOGIE c. BELGIQUE, 27 août 2013, 43075/08

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 22 septembre 2013

Les intérêts de la Scientologie à travers le monde sont confiés à une armée d'avocats très bien rémunérés. Ils ont certes pour mission de la défendre lorsqu'elle fait l'objet de poursuites, mais ils utilisent aussi la voie contentieuse à d'autres fins, pour retarder d'éventuelles condamnations et développer des campagnes de communication destinées à montrer que les scientologues sont victimes d'atteintes à leur liberté religieuse. Le combat judiciaire est donc un des multiples outils employés pour affirmer la légitimité d'un mouvement généralement considéré comme sectaire. L'arrêt …

 

CEDH · 19 septembre 2013

Communiqué de presse sur l'affaire 43075/08

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 27 août 2013, n° 43075/08
Numéro(s) : 43075/08
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 5 août 2008
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-126601
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0827DEC004307508
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 43075/08
ASBL EGLISE DE SCIENTOLOGIE
contre la Belgique

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 27 août 2013 en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 5 août 2008,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  La requérante, l’association sans but lucratif (« ASBL ») Eglise de Scientologie, est une personne morale de droit belge dont le siège social se trouve à Bruxelles. Elle est représentée devant la Cour par Me Pascal Vanderveeren, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Marc Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.La première plainte de la requérante

3.  Une instruction fut ouverte en 1997 contre la requérante pour escroquerie et abus de confiance. Des perquisitions mobilisant un grand nombre de gendarmes eurent lieu à la fin du mois de septembre 1999, notamment au siège de la requérante. Selon le Gouvernement, elles donnèrent lieu à la publication par le juge d’instruction du communiqué de presse suivant :

« A la suite d’une plainte pour escroquerie déposée en 1997, le parquet de Bruxelles a mis à l’instruction une enquête impliquant l’église de scientologie de Belgique. Une enquête effectuée depuis deux ans a permis d’établir que différentes personnes et sociétés gravitent autour de l’église de scientologie de Belgique. (...) le juge d’instruction (...) a délivré vingt-cinq mandats de perquisition qui ont été mis à exécution par la BSR (Brigade de surveillance et de recherche) de Bruxelles, sous la coordination de TEROP (service « terrorisme et ordre public ») / SECTES. L’opération a mobilisé cent-vingt gendarmes sur sept arrondissements judiciaires en Belgique et a été menée conjointement avec des perquisitions effectuées en France et ce à la demande des autorités belges. L’enquête se poursuit par les auditions des responsables et l’exploitation des saisies effectuées. Aucune inculpation n’est actuellement prononcée dans ce dossier »

4.  Plusieurs quotidiens publièrent des commentaires attribués au substitut du procureur du Roi C.C. qui mettaient la requérante en cause. Cette dernière se réfère à cet égard aux articles suivants :

- un article publié le 2 octobre 1999 dans « Le Soir », selon lequel ledit substitut avait « révélé que les enquêteurs avaient mis la main sur de nombreux dossiers personnels d’adeptes, dossiers qui, réalisés à la main puis informatisés, sembl[aient] pouvoir être en contravention avec la loi sur la protection de la vie privée : on y trouve notamment certaines pièces de type médical et, bien sûr, les profils psychologiques des clients » ;

- un article publié à la même date dans « La Lanterne », attribuant ces propos audit substitut : « si l’ASBL avance à visage découvert en tant qu’Eglise (...) les différentes sociétés qui gravitent autour ont par contre un but indéniablement commercial. Et de nombreuses entreprises se sont laissées avoir ! (...) Ces gens-là sont là pour faire du bénéfice sous le couvert d’une association sans but lucratif » ;

- également publié le 2 octobre 1999, un article dans le « Nieuwsblad », indiquant que « le magistrat bruxellois [C.C. avait] expliqué vendredi matin que l’Eglise de scientologie [avait] également commis des violations de la loi sur la protection de la vie privée » (traduit du néerlandais par la requérante) ;

- un article publié le 17 mars 2000 dans « De Morgen », d’après lequel : « l’Eglise de scientologie détient de manière illégale des données personnelles et médicales relatives à ses membres. C’est ce qu’a confirmé le substitut [C.C.] (...) au « Morgen » (...) Le substitut [C.C.] ne peut, en raison de l’enquête en cours, pas encore affirmer formellement que l’Eglise de scientologie est une secte « mais si on prend les critères que la commission d’enquête parlementaire a établis pour déterminer ce qui est une secte, l’Eglise de scientologie obtiendrait 8 sur 10 » » (traduit du néerlandais par la requérante).

5.  Le 23 mars 2000, dénonçant les propos rapportés dans l’article du « Morgen » (ci-dessus), la requérante déposa une plainte avec constitution de partie civile devant un juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles. La plainte était dirigée contre X, pour, notamment, violation de la présomption d’innocence. Par une ordonnance du 18 septembre 2000, la chambre du conseil du tribunal déclara la constitution de partie civile irrecevable, étant donné que la plainte visait en réalité un magistrat du parquet et que seul le procureur général pouvait exercer l’action publique à son égard. Le dossier fut ensuite transmis au procureur général près la cour d’appel de Bruxelles, qui le classa sans suite.

2.La deuxième plainte

6.  Le 19 février 2002, parut dans « La Libre Belgique » un article intitulé « la justice belge accuse l’Eglise de scientologie » et sous-titré « la cour d’appel de Bruxelles a déclaré les fichiers de la secte illégaux. Alors que l’enquête proprement dite avance bien ». Il indique notamment que la chambre des mises en accusation de cette juridiction avait, en janvier 2002, décidé « que les dossiers personnels des adeptes ne seraient pas rendus à la secte (classée comme dangereuse par le Parlement, en 1997) » et « expliqué pourquoi la scientologie s’était clairement mise dans l’illégalité en entretenant des fichiers de données très, très personnelles sur les adeptes ».

7.  Une décision rendue à huis clos par la chambre des mises en accusation étant ainsi révélée, la requérante déposa, le 20 juin 2002, une plainte contre X avec constitution de partie civile pour violation du secret d’instruction. Elle fut également déclarée irrecevable par la chambre du conseil, par une ordonnance du 27 mai 2003, au motif que la plainte visait en réalité un magistrat et que seul le procureur général pouvait exercer l’action publique à son égard. Le dossier fut ensuite transmis au procureur général près la cour d’appel de Bruxelles, qui le classa sans suite.

3.La troisième plainte

8.   En août et septembre 2003 des articles parurent dans « Le Soir » et « La Libre Belgique », respectivement, rapportant selon la requérante la clôture de l’instruction dont elle était l’objet.

9.  Le 20 octobre 2003, la requérante déposa une plainte contre X, pour violation du secret professionnel, entre les mains du procureur général. Cette plainte fut ensuite classée sans suite par ce dernier.

4.La quatrième plainte

10.  Plusieurs articles relatifs à la requérante et faisant état de l’instruction en cours furent publiés en 2006 dans « Le Vif-L’Express », « De Morgen », « Le Soir » et « Le Soir magazine », ainsi qu’une dépêche de l’agence Belga.

11.  Le 25 mai 2006, soulignant que ces articles se basaient sur des informations obtenues du parquet fédéral (l’agence Belga et « De Morgen ») ou de proches du dossier judiciaire (« Le Soir »), la requérante déposa un plainte contre X devant le procureur général de Bruxelles pour, notamment, violation de la présomption d’innocence. Elle fut transmise au procureur fédéral. Ultérieurement, le procureur général la classa sans suite.

5.La cinquième plainte

12.  Des articles furent encore publiés à l’automne 2007, dans la presse belge et internationale. La requérante cite à cet égard un article paru le 4 novembre 2007 dans un quotidien de Floride, le « Saint Petersburg Times » intitulé « La Belgique en procès contre la Scientologie ; le Ministère public qualifie l’Eglise d’organisation criminelle », indiquant ceci : « je dis toujours qu’une personne est innocente jusqu’à la preuve de sa culpabilité, mais nous avons réellement assez d’éléments et de témoignages pour les poursuivre en raison d’un certain nombre de crimes et délits a déclaré [L.P.], porte-parole de l’Office belge du Procureur fédéral » (traduit de l’anglais par la requérante).

13.  La requérante déposa une nouvelle plainte devant le procureur général de Bruxelles le 2 janvier 2008, qui la transmit au procureur fédéral. Ultérieurement, le procureur général la classa sans suite.

6.La saisine de la chambre des mises en accusation et la procédure subséquente

14.  Entre-temps, le 21 septembre 2007, la requérante avait saisi la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles sur le fondement des articles 136 et 235 bis du code d’instruction criminelle, d’une demande tendant à ce qu’elle déclare irrecevables les poursuites la concernant, au motif que les déclarations du ministère public à la presse, objet d’une « médiatisation persistante et fautive », violaient le secret de l’instruction, méconnaissaient la présomption d’innocence et portaient atteinte au droit à un procès équitable.

15.  Le 11 octobre 2007, la chambre des mises en accusation déclara la requête recevable mais non fondée par un arrêt ainsi motivé :

« (...) Attendu qu’il n’apparaît pas des pièces auxquelles la cour peut avoir égard que les communications du procureur fédéral à la presse n’auraient pas respecté les conditions énumérées à l’article 28 quinquies § 3 du code d’instruction criminelle, ni que le procureur fédéral aurait communiqué des informations sans que l’intérêt public l’exige et sans l’accord du juge d’instruction (article 57 § 3 du code de l’instruction criminelle ) ; que les communications faites à la presse par le ministère public trouvent leur fondement dans le droit à l’information du citoyen et doivent répondre à cette exigence d’intérêt public et tenant la balance égale avec les autres droits et intérêts en jeu ; qu’il s’ensuit que le secret de l’instruction n’a pas été violé ;

Attendu qu’il n’apparaît pas davantage que la présomption d’innocence de la requérante serait violée ; qu’une telle violation ne saurait se déduire de la seule circonstance que le procureur fédéral, qui sollicite le renvoi de la requérante devant le tribunal correctionnel, a communiqué des informations à la presse conformément au prescrit des articles 28 quinquies § 3 et 57 § 3 du code d’instruction criminelle ; qu’il n’a pas été porté atteinte à la présomption d’innocence de la requérante qui pourra faire valoir tous ses moyens de défense devant les juridictions d’instruction et (en cas de renvoi) devant les juridictions du fond ;

Attendu qu’il n’y a pas davantage violation du droit à un procès équitable du fait d’une médiatisation persistante et fautive ; que si les faits dont la requérante est soupçonnée ont certes fait l’objet d’une certaine médiatisation, il est exagéré de qualifier celle-ci de persistante et fautive ; qu’en outre, le procureur fédéral ne peut être tenu pour responsable de tout ce qui a été publié dans la presse ; que rien ne permet de supposer que cette médiatisation serait de nature à influencer l’impartialité des juges appelés à se prononcer sur le fondement des poursuites ;

Attendu qu’enfin, il ne ressort pas de l’article 13 de la [Convention], ni d’aucune autre disposition légale, que les violations alléguées, à les supposer établies (quod non), entraîneraient l’irrecevabilité des poursuites (...) ».

16.  Invoquant notamment les articles 6 §§ 1 et 2 et 13 de la Convention, la requérante forma un pourvoi, que la Cour de cassation rejeta par un arrêt du 27 février 2008.

Rappelant que le respect du principe de la présomption d’innocence  consacré par l’article 6 § 2 de la Convention devait s’apprécier au regard de l’ensemble de la procédure, elle jugea qu’il ne pouvait se déduire, avant même le règlement de la procédure, ni d’une campagne médiatique, ni des déclarations émanant d’autorités publiques, ni de la reproduction dans la presse de certains extraits du dossier répressif, qu’en cas de renvoi devant la juridiction de jugement, les magistrats composant celle-ci méconnaîtraient cette présomption ou s’avéreraient incapables de statuer de manière indépendante et impartiale. Elle ajouta qu’il convenait pareillement d’avoir égard à la procédure dans son ensemble pour apprécier si une cause avait été entendue équitablement au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et que, si l’article 6 pouvait être invoqué dès la phase préparatoire d’un procès pénal, il ne s’en déduisait pas que le respect de ses dispositions ne puisse être également vérifié quant à la procédure suivie, le cas échéant, devant la juridiction de jugement. Elle en déduisit qu’une chambre des mises en accusation appelée à statuer sur la régularité d’une instruction en cours pouvait, sans violer les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, considérer que les violations alléguées n’étaient pas de nature à empêcher, à l’en supposer saisi, le déroulement d’un procès équitable devant le juge du fond.

17.  Prévue le 12 mai 2009, l’audience devant la chambre du conseil pour le règlement de la procédure fut reportée au 4 mai 2010, date à laquelle cette juridiction décida d’ajourner l’affaire sine die pour permettre une éventuelle jonction d’un autre dossier au dossier en cause. D’après les informations figurant dans les observations des parties, le règlement de la procédure n’est pas encore intervenu.

B.  Le droit interne pertinent

18.  Les articles 28 quinquies, 57 § 3, 136 et 235 bis du code d’instruction criminelle sont ainsi libellés :

Article 28 quinquies

« § 1. Sauf les exceptions prévues par la loi, l’information [par le ministère public] est secrète. Toute personne qui est appelée à prêter son concours professionnel à l’information est tenue au secret. Celui qui viole ce secret est puni des peines prévues à l’article 458 du Code pénal.

(...)

§ 3. Le procureur du Roi peut, lorsque l’intérêt public l’exige, communiquer des informations à la presse. Il veille au respect de la présomption d’innocence, des droits de la défense des personnes soupçonnées, des victimes et des tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes. Dans la mesure du possible, l’identité des personnes citées dans le dossier n’est pas communiquée.

(...) »

Article 57 § 3

« [Dans le cadre d’une instruction conduite par le juge d’instruction,] le procureur du Roi peut, de l’accord du juge d’instruction et lorsque l’intérêt public l’exige, communiquer des informations à la presse. Il veille au respect de la présomption d’innocence, des droits de la défense des inculpés, des victimes et des tiers, de la vie privée et de la dignité des personnes. Dans la mesure du possible, l’identité des personnes citées dans le dossier n’est pas communiquée. »

Article 136

« La chambre des mises en accusation contrôle d’office le cours des instructions, peut demander des rapports sur l’état des affaires et peut prendre connaissance des dossiers. Elle peut déléguer un de ses membres et statuer conformément aux articles 235 et 235bis.

Si l’instruction n’est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par requête adressée au greffe de la cour d’appel par l’inculpé ou la partie civile. La chambre des mises en accusation agit conformément à l’alinéa précédent et à l’article 136 bis. La chambre des mises en accusation statue sur la requête par arrêt motivé, qui est communiqué au procureur général, à la partie requérante et aux parties entendues. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l’expiration du délai de six mois à compter de la dernière décision. »

Article 235 bis

« § 1er. Lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Elle peut même le faire d’office.

§ 2. La chambre des mises en accusation agit de même, dans les autres cas de saisine.

(...) ».

GRIEFS

19.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable résultant du fait que, par ses déclarations aux médias, le ministère public a fait connaître publiquement son opinion sur les faits imputés à l’intéressée avant la présentation du réquisitoire dans le cadre du règlement de la procédure.

20.  Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, la requérante se plaint du fait qu’au mépris de la présomption d’innocence, le ministère public a fait des déclarations publiques reflétant le sentiment de sa culpabilité.

EN DROIT

21.  La requérante se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable. Elle invoque l’article 6 § 1, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

22.  La Cour rappelle que l’équité d’une procédure s’apprécie au regard de la globalité de celle-ci. Il s’ensuit qu’elle n’est en principe susceptible d’examiner un tel grief que lorsque, notamment, les juridictions de jugement compétentes ont été saisies et ont statué définitivement sur l’« accusation » litigieuse (voir, par exemple, Beljanski c. France (déc.), no 44070/00, 2 mars 2000). Or il n’en va manifestement pas de la sorte en l’espèce (paragraphe 17 ci-dessus). Partant, vu l’état de la procédure au plan interne, cette partie de la requête est en tout état de cause prématurée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

23.  La requérante se plaint en outre du fait qu’au mépris de la présomption d’innocence, le ministère public a fait des déclarations publiques reflétant le sentiment de sa culpabilité. Elle invoque l’article 6 § 2, lequel est ainsi rédigé :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

24.  Le Gouvernement soutient que ce grief est irrecevable ratione personae en ce qu’il vise en vérité la presse plutôt que l’Etat belge, les déclarations prétendument attentatoires à la présomption d’innocence étant imputables aux seuls journalistes, qui d’ailleurs n’auraient pas exactement repris les propos des membres du parquet en cause. Il affirme ensuite qu’il est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et non-respect du délai prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. D’après lui, la requérante aurait dû soit saisir la Cour dans les six mois suivant les décisions de classement sans suite opposées à ses plaintes, un appel contre celles-ci n’étant pas possible, soit introduire une action en responsabilité civile sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que la requête est mal-fondée. Il rappelle que la Cour reconnaît le besoin pour les autorités d’informer le public sur les enquêtes pénales en cours, mais exige qu’elles respectent un équilibre entre ce besoin et la protection de la présomption d’innocence en s’abstenant de faire des déclarations s’apparentant à un constat de culpabilité. Il souligne qu’à la fin des années 1990, l’opinion publique belge était très sensible à la question des agissements des mouvements sectaires ou présumés tels ; il était donc important de lui fournir des informations sur l’enquête relatives aux faits dont la requérante était soupçonnée. Il ajoute que les déclarations faites en l’espèce par les membres du ministère publiques étaient réactives plutôt qu’actives et réduites à ce qui était strictement nécessaire au regard de la quantité importante d’actes d’enquêtes et de procédure intervenus entre 1997 et aujourd’hui. Il soutient en outre que, même telles que relatées par les articles litigieux, ces déclarations ne constituent pas des déclarations de culpabilité (il évoque en particulier les articles parus le 2 octobre 1999 dans le Nieuwsblad et Le Soir, le 17 mars 2000 dans le Morgen et le 4 novembre 2007 dans le Saint Petersburg Times). Selon lui, à supposer qu’il puisse être considéré que certaines des déclarations relatées par la presse étaient ambigües, il conviendrait de tenir compte des déclarations officielles – telles que le communiqué de presse publié par le juge d’instruction après les perquisitions de septembre 1999 – qui montreraient la réserve avec laquelle les autorités ont communiqué sur cette enquête. Enfin, il rappelle la décision Bricmont c. Belgique du 15 juillet 1986 (requête no 10857/84, Décisions et rapports no 48, p. 122) dans laquelle la Commission européenne des droits de l’homme avait considéré que renvoyer à un article de presse relatant des propos d’un membre du parquet éventuellement contraires à l’article 6 § 2 n’établissait pas qu’il les avait tenus et qu’il y avait atteinte à la présomption d’innocence. Il considère qu’il doit en aller de même en l’espèce.

25.  La requérante réplique que son grief ne saurait être déclaré irrecevable ratione personae puisqu’elle ne met pas en cause la responsabilité des journalistes mais celle du ministère public. Elle affirme ensuite qu’elle a dûment épuisé les voies de recours internes en saisissant la chambre des mises en accusation puis la Cour de cassation sur le fondement d’une méconnaissance de la présomption d’innocence, et qu’elle s’est adressée à la Cour dans les six mois suivant l’arrêt de cette dernière juridiction.

Quant au fond, la requérante insiste sur le fait que les passages des articles litigieux auxquelles elle se réfère relatent des déclarations par lesquelles des membres du parquet la désignent comme coupable. Renvoyant aux arrêts Butkevičius c. Lituanie (no 48297/99, § 49, CEDH 2002‑II (extraits)), Marziano c. Italie (no 45313/99, § 28, 28 novembre 2002) et Lavents c. Lettonie (no 58442/00, § 127, 28 novembre 2002), elle ajoute qu’un constat formel de culpabilité n’est pas nécessaire pour qu’il y ait méconnaissance de la présomption d’innocence : il suffit d’une motivation donnant à penser qu’une autorité publique considère un individu comme coupable alors qu’il n’a pas été définitivement condamné. Or cette condition serait en tout cas remplie en l’espèce. La requérante dément en outre l’affirmation du Gouvernement selon laquelle les déclarations des membres du ministère publiques étaient purement réactives et réduites à ce qui était strictement nécessaire : relevant en particulier que la presse a régulièrement évoqué l’affaire, en 1999, 2000, 2002, 2006 et 2007 notamment, elle déclare avoir l’impression que ces déclarations étaient « beaucoup moins justifiées par les exigences de l’intérêt public que par l’opportunité de maintenir une publicité à propos d’une instruction que les médias perdaient complètement de vue ». Elle observe de plus que si la presse avait inexactement retranscrit des propos de membres du parquet, ce dernier aurait dû non seulement faire des démentis dans la presse mais aussi manifester une prudence accrue par la suite.

26.  La Cour observe tout d’abord que la requête est dûment dirigée contre un Etat partie à la Convention et que le grief tiré de l’article 6 § 2 vise des faits que la requérante impute à une autorité de celui-ci. Ce grief ne saurait donc être jugé incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention comme le voudrait le Gouvernement.

S’agissant de la thèse du Gouvernement selon laquelle la requérante n’aurait pas épuisé les voies de recours internes, la Cour constate que cette dernière a saisi la chambre des mises en accusations de la cour d’appel de Bruxelles sur le fondement des articles 136 et 235 bis du code d’instruction criminelle (paragraphe 18 ci-dessus), d’une demande tendant à ce qu’elle déclare les poursuites irrecevables au motif notamment que les déclarations du ministère public à la presse méconnaissaient la présomption d’innocence. Par un arrêt du 11 octobre 2007, la chambre des mises en accusation a déclaré la requête recevable mais l’a jugée non fondée, retenant en particulier qu’une violation de la présomption d’innocence ne pouvait se déduire de la communication d’informations à la presse intervenue dans les conditions prévues par les articles 28 quinquies § 3 et 27 § 3 du code d’instruction criminelle. La requérante a ensuite développé un moyen tiré d’une violation de l’article 6 § 2 de la Convention dans le cadre de son pourvoi en cassation, que la Cour de cassation a dûment examiné et rejeté par un arrêt du 27 février 2008 (paragraphes 15-16 ci-dessus). La Cour en déduit qu’en usant de cette voie de recours, la requérante a donné aux juridictions internes l’occasion de prévenir ou de redresser la violation alléguée de l’article 6 § 2, conformément à la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, par exemple, Simons c. Belgique (déc.), no 71407/10, 28 août 2012, § 23). Elle constate de plus que la requérante l’a saisie moins de six mois après l’arrêt de la Cour de cassation, soit dans le délai prévu par cette disposition.

27.  La Cour rappelle ensuite qu’une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal, mais aussi d’autres autorités publiques comme des membres du parquet. Pour qu’il y ait une telle atteinte, il suffit d’une formulation donnant à penser qu’une autorité de ce type considère l’intéressé comme coupable alors qu’il n’a pas été définitivement jugé tel. Le fait que les propos litigieux étaient tenus sous une forme interrogative ou dubitative ne suffit pas pour les soustraire à l’emprise de l’article 6 § 2. Si cette disposition n’empêche pas les autorités de renseigner le public sur les enquêtes en cours, elle requiert qu’elles le fassent avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence, le choix des termes dont elles usent dans un tel contexte revêtant une importance particulière (voir, notamment, Allenet de Ribemont c. France, §§ 35 et 36, série A no 308, 10 février 1995, ainsi que les arrêts précités).

28.  La Cour constate toutefois que se pose en l’espèce la question de la preuve du contenu des déclarations prétendument attentatoires à la présomption d’innocence que la requérante attribue à des membres du parquet. Elle observe en effet qu’il n’existe pas d’enregistrement audio ou audiovisuel, ce qui distingue la présente affaire de l’affaire Allenet de Ribemont précitée notamment. Les déclarations litigieuses ne sont pas davantage transcrites dans des documents imputables incontestablement aux membres du parquet mis en cause par la requérante, tels que des actes de la procédure ou des communiqués de presse, comme c’était le cas par exemple dans les affaires Marziano (précitée), Poncelet c. Belgique (no 44418/07, 30 mars 2010) ou Shuvalov c. Estonie (no 39820/08 et 14942/09, 29 mai 2012). Les seuls éléments produits par la requérante sont des articles de presse, dont la responsabilité revient aux journalistes qui en sont les auteurs et qui, comme le soutient le Gouvernement (paragraphe 24 ci-dessus), pourraient fort bien ne pas refléter dans leurs nuances la teneur des propos tenus. Autrement dit, les éléments produits par la requérante n’établissent pas que, lorsqu’elles se sont exprimées publiquement sur l’enquête relative aux faits dont la requérante est soupçonnée, ces autorités ont manqué à leur obligation de le faire avec toute la discrétion et la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence (voir, mutatis mutandis, Karakaş et Yeşilırmak c. Turquie, no 43925/985, § 53, 28 juin 2005).

29.  La Cour observe à cet égard que l’espèce se distingue de l’affaire Lavents c. Lettonie précitée, dans laquelle elle a conclu à la violation de l’article 6 § 2 de la Convention à raison de propos relatifs à un prévenu tenus par le juge chargé d’examiner l’affaire au fond à l’occasion d’interviews publiées dans des journaux. Dans cette affaire en effet, contrairement au gouvernement belge en l’espèce, le gouvernement letton ne soutenait pas que les déclarations litigieuses avaient été improprement reproduites par lesdits journaux, mais prétendait que leur contenu n’avait pas été retranscrit dans leur intégralité et, surtout, qu’il ne ressortait pas des déclarations retranscrites que leur auteur avait formellement dit que le prévenu était coupable (voir en particulier les paragraphes 108 et  126 de cet arrêt).  La Cour a rejeté la thèse du gouvernement letton, rappelant que la présomption d’innocence peut être violée même en l’absence d’une imputation formelle de culpabilité et soulignant que c’est le sens réel des déclarations en question qui importe plutôt que leur forme littérale (voir les paragraphes 126 et 127 de cet arrêt).

30.  Cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code civil
  2. CODE PENAL
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CEDH, Cour (cinquième section), ASBL EGLISE DE SCIENTOLOGIE c. BELGIQUE, 27 août 2013, 43075/08