CEDH, Cour (cinquième section comité), HERNAIZ-VAN DEN EYNDEN c. BELGIQUE, 7 mai 2013, 618/08

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section Comité), 7 mai 2013, n° 618/08
Numéro(s) : 618/08
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 17 décembre 2007
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-120529
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2013:0507DEC000061808
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 618/08
Purification HERNAIZ-VAN DEN EYNDEN
contre la Belgique

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 7 mai 2013 en un comité composé de :

Angelika Nußberger, présidente,
André Potocki,
Paul Lemmens, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 17 décembre 2007,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  La requérante, Mme Purification Hernaiz-van Den Eynden, est une ressortissante belge née en 1924 et résidant à Uccle. Elle a été représentée devant la Cour par Me Martin Denys, avocat à Hoeilaart. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Marc Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

3.  La société anonyme « Cimenteries et Briqueteries » acheta en 1954 un terrain à la société anonyme « De Caester-kalkmergelexploitatie ». Une clause du contrat de vente précisait que tous les arbres croissant sur ce terrain et ayant, à la date du contrat, une circonférence d’un mètre et plus d’un mètre cinquante centimètres de hauteur, soit six cent quatre-vingt quatre arbres, étaient exclus de la vente et restaient la propriété de la société venderesse qui pourrait les vendre, les abattre et les enlever des lieux à ses frais, risques et périls.

4.  Suite à la liquidation de la société venderesse, la requérante devint seule propriétaire de ces arbres.

5.  Les terrains se trouvent en « zone naturelle d’intérêt scientifique » du plan de secteur Sint-Truiden-Tienen adopté par arrêté royal du 5 avril 1977.

Ils furent de plus classés « site rural protégé » par un arrêté royal du 27 novembre 1978, dont l’article 2, point 12, interdit, « dans l’intérêt général », « toute intervention qui dérange l’équilibre naturel de la forêt, plus particulièrement la coupe totale », sauf approbation donnée en vertu de l’article 6 de la loi du 7 août 1931 sur la conservation des monuments et des sites.

6.  En 1986, la requérante déposa devant le Collège échevinal une demande d’autorisation urbanistique tendant à l’obtention de l’autorisation d’abattre les arbres susmentionnées. Le Collège échevinal rejeta la demande le 20 mai 1986 au motif que l’abattage était incompatible avec le classement du site en zone naturelle d’intérêt scientifique. La requérante formula également à cette fin une demande d’exécution de travaux sur site classée, que l’administration flamande des monuments et sites rejeta le 22 avril 1986 au motif que la requérante ne pourrait procéder à la replantation en cas d’abatage puisqu’elle n’était pas propriétaire du terrain, de sorte que l’abattage équivaudrait à une déforestation. La requérante n’exerça pas de recours contre ces décisions.

La requérante déposa deux autres demandes d’exécution de travaux sur site classé en janvier 1988 et en janvier 1990, qui furent pareillement rejetées.

7.  Le 3 avril 1987, la requérante saisit le tribunal de première instance de Tongres d’une action en indemnisation dirigée contre la Communauté et la Région flamandes. Elle se fondait à titre principal sur l’article 37 de la loi organique du 29 mars 1962 sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme qui prévoit une indemnité lorsqu’une interdiction de bâtir ou de lotir résultant d’un plan revêtu de la force obligatoire met fin à l’usage auquel un bien est affecté ou normalement destiné. A titre subsidiaire, elle invoquait l’article 7 de la loi du 7 août 1931 sur la conservation des monuments et des sites, aux termes duquel les propriétaires et autres intéressés ont droit à une indemnité pour le préjudice que leur occasionnent les restrictions apportées à leurs droits. Elle renvoyait également à l’article 1382 du code civil qui pose le principe de la responsabilité pour faute.

8.  Le 13 janvier 1993, le tribunal jugea que l’interdiction d’arrachage résultait de l’affectation prévue par le plan de secteur, qu’aucune indemnisation n’était prévue à cet effet par la loi organique de l’urbanisme et qu’une indemnisation sur la base de l’arrêté de protection n’était pas possible puisque l’interdiction résultait de prescriptions urbanistiques.

9.  Saisie par la requérante, la cour d’appel d’Anvers, par un arrêt du 26 novembre 1996, infirma ce jugement. Elle considéra que la requérante avait droit à une indemnisation en vertu de l’article 7 de la loi du 7 août 1931, jugeant que le fait que le plan de secteur du 5 avril 1977 protégeait déjà le site rural en tant que zone naturelle était à cet égard sans importance.

10.  Sur pourvoi de la Région flamande, la Cour de cassation, le 18 mai 2000, cassa cet arrêt. Elle considéra que la cour d’appel avait indûment retenu que le plan de secteur n’était pas pertinent et que l’article 7 de la loi du 7 aout 1931 ne stipulait pas que le préjudice devait résulter exclusivement de l’arrêté de classement. Elle renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Gand.

11.  Entretemps, la loi du 7 août 1931 sur la conservation des monuments et des sites avait été abrogée pour la Région flamande par un décret du 16 avril 1996. Ce décret contenait une disposition similaire à l’article 7 de cette loi, qui fut modifiée par un décret du 8 décembre 2000. Ainsi amendé, le décret du 16 avril 1996 dispose que les propriétaires d’un bien immeuble situé dans un site classé peuvent bénéficier d’une indemnité si la diminution de la valeur de ce bien résulte directement de prescriptions d’un arrêté relatif à la protection définitive du site, à l’exclusion – notamment – de l’hypothèse où « un même travail ou opération est refusé sur la base d’une autre réglementation » (article 35 §§ 1 et 5, 6o).

12.  Par un arrêt du 22 avril 2004, la cour d’appel de Gand conclut que la requérante ne pouvait obtenir une indemnisation ni sur le fondement du droit de l’urbanisme, ni sur celui du droit de la protection des sites. Elle souligna que la nouvelle disposition en vigueur en matière de protection des sites prévoyait que le dommage devait résulter directement de l’arrêté relatif à la protection définitive du site. Or, en l’espèce, l’interdiction de coupe résultait du plan de secteur qui classait les terrains en zone naturelle ; le dommage ne résultait donc pas du classement des terrains en tant que site protégé. Elle considéra ensuite, à l’instar du tribunal de première instance de Tongres, que la requérante ne pouvait être indemnisée sur le fondement de l’article 37 de la loi du 29 mars 1962 puisqu’elle n’était pas confrontée à une interdiction de bâtir ou de lotir résultant d’un plan, mais uniquement à une interdiction de couper des arbres. Elle souligna que les Etats contractants à la Convention pouvaient imposer une servitude d’intérêt général en vertu de l’article 1 du Protocole no 1. Enfin, elle rejeta la demande de la requérante fondée sur l’article 1382 du code civil.

13.  La requérante se pourvut en cassation, en invoquant la violation de l’arrêté royal du 28 décembre 1972 relatif à la présentation et à la mise en œuvre des projets de plans et des plans de secteurs, de dispositions de la loi organique du 29 mars 1962 sur l’aménagement du territoire et l’urbanisme, de la loi du 7 août 1931 et du décret du 16 avril 1996, et de l’article 149 de la Constitution (aux termes duquel « tout jugement est motivé [et] prononcé en audience publique »). La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 22 juin 2007.

GRIEFS

14.  Invoquant l’article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint de l’impossibilité d’obtenir une indemnisation à raison de l’interdiction d’abattre des arbres dont elle est propriétaire. Elle dénonce en outre l’application d’une loi nouvelle au cours de la procédure en indemnisation qu’elle a vainement conduite devant les juridictions internes.

15.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de la durée de cette procédure.

EN DROIT

16.  La requérante se plaint de l’impossibilité d’obtenir une indemnisation à raison de l’interdiction d’abattre des arbres dont elle est propriétaire, et dénonce l’application d’une loi nouvelle au cours de la procédure en indemnisation qu’elle a vainement conduite devant les juridictions internes. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1, aux termes duquel :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

17.  Le Gouvernement soutient à titre principal que cette partie de la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il reproche à la requérante, premièrement, de ne pas avoir introduit un recours contre la décision de refus du 20 mai 1986 et, deuxièmement, de ne pas avoir soulevé son grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 dans le cadre de la procédure en indemnisation. A titre subsidiaire, il invite la Cour à conclure à la non-violation de cette disposition.

18.  La requérante réplique que ce dont elle se plaint sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, ce n’est pas de ne pas avoir été autorisée d’abattre les arbres en questions mais de ne pas avoir été indemnisée à ce titre. Pour épuiser les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, il convenait donc qu’elle use du recours en indemnisation. Elle estime en outre qu’il y a lieu de considérer qu’elle a soulevé son grief en substance dès lors que l’objet de cette procédure était l’indemnisation des servitudes pesant sur son bien.

19.  La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées. L’obligation découlant de l’article 35 se limite cependant à faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles. En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats (voir, parmi de nombreux autres, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 43-46, CEDH 2006‑II). Ce qui importe aux fins de cette disposition, c’est que les requérants aient donné aux juridictions internes l’opportunité de statuer en premier lieu sur les griefs dont ils saisissent la Cour, en usant d’une voie de recours appropriée (voir, par exemple, Simons c. Belgique (déc.), no 71407/10, 28 août 2012, § 23).

20.  Cela étant, la Cour estime que le fait que la requérante n’a pas contesté devant le juge administratif la décision du 20 mai 1986 rejetant sa demande tendant à l’obtention d’une autorisation d’abattre les arbres dont il est question est sans incidence sur la réalisation de la condition de l’épuisement des voies de recours internes. Le recours en indemnisation que la requérante a conduit était en effet, par définition, la procédure la plus appropriée pour obtenir du juge interne qu’il examine la question de son indemnisation à l’aune de l’article 1 du Protocole no 1. Quant à la question de l’application d’une loi nouvelle dans le contexte de la procédure en indemnisation, elle est intrinsèquement liée aux modalités de cette procédure.

La Cour constate cependant que, dans le cadre de cette procédure, la requérante n’a pas soulevé devant la Cour de cassation – ne serait-ce qu’en substance – son grief tiré d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 résultant du rejet de sa demande d’indemnisation. Elle s’est bornée à placer les débats sur le terrain du droit interne sans en tirer aucune conséquence quant à son droit au respect de ses biens. Elle n’a pas d’avantage saisi la Cour de cassation d’un grief relatif à une prétendue intervention législative dans une affaire pendante. La Cour en déduit que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes, et que cette partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

21.   La requérante se plaint également de la durée de la procédure en indemnisation. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

22.  La Cour constate que la requérante n’a pas préalablement saisi les juridictions internes d’un recours fondé sur les articles 1382 et 1383 du code civil. Elle en déduit que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes (Depauw c. Belgique (déc.), no 2115/04, 15 mai 2007), et que cette partie de la requête est irrecevable et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Stephen PhillipsAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente

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Textes cités dans la décision

  1. Décret n°96-327 du 16 avril 1996
  2. Code civil
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CEDH, Cour (cinquième section comité), HERNAIZ-VAN DEN EYNDEN c. BELGIQUE, 7 mai 2013, 618/08