CEDH, Commission, AMEKRANE et autres c. le ROYAUME-UNI, 11 octobre 1973, 5961/72

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 11 oct. 1973, n° 5961/72
Numéro(s) : 5961/72
Publication : Recueil 44, pp. 101-114
Type de document : Recevabilité
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-27965
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1973:1011DEC000596172
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Texte intégral

EN FAIT

Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par les requérants

peuvent se résumer comme suit:

1.   Malika Amekrane, née [.....] le 12 août 1939 et épouse de Mohamed

Amekrane depuis 1963, est de nationalité allemande. Après avoir habité

le Maroc avec sa famille, Mme Amekrane quitta ce pays avec ses enfants

le 17 août 1972. Au moment de l'introduction de la requête elle

résidait à [.....]. Pour des raisons de sécurité son adresse n'était

connue que de peu de personnes. Depuis peu de temps Mme Amekrane a

transféré son domicile à [.....].

Les enfants mineurs des époux Amekrane, Raschid né le 3 février 1964

et Yasmina née le 26 février 1965, ont la nationalité marocaine et

habitent chez leur mère.

Mohamed Amekrane, lieutenant-colonel des forces aériennes marocaines,

était, au moment de l'introduction de la requête, détenu au Maroc, en

un lieu inconnu. Condamné à mort par un tribunal marocain, Mohamed

Amekrane fut passé par les armes le 13 janvier 1973.

Lors de l'introduction de la requête les requérant avaient comme

conseil M. Klaus Seelig. Celui-ci, qui a des liens de parenté avec Mme

Amekrane, a fait état d'études juridiques complètes. Mme Amekrane a

décerné le 29 décembre 1972 en sa faveur un pouvoir de représentation

et M. Seelig a été agréé par la Commission comme représentant des

requérants (Article 36, par. 2, du Règlement intérieur de la

Commission).

Le 21 août 1973 (cf. le chapitre "procédure" ci-après) les requérants

ont chargé Maître Rodolphe Burger, avocat à Strasbourg, d'assurer leur

représentation devant la Commission.

2.   Le 16 août 1972, il a été attenté à la vie du Roi Hassan II du

Maroc. Après un voyage à l'étranger, le Souverain revenait au Maroc

dans un Boeing 727, quand l'appareil fut attaqué par des chasseurs de

l'armée de l'air marocaine venant de la base de Kénitra. Le Boeing 727

atterrit sans dommages et le Roi en sortit indemne. Il s'agissait d'une

tentative de putsch destinée à renverser le régime et à écarter le Roi

du Gouvernement du Royaume.

Plus tard, un appareil de l'armée de l'air marocaine attaqua, dans des

circonstances qui n'ont pas été élucidées, l'aérodrome de Rabat-Salé

et le Palais royal de Rabat, causant des pertes de vies humaines.

Après l'échec de l'attaque de l'avion transportant le Roi, le requérant

Mohamed Amekrane, qui était officier supérieur de l'armée de l'air

marocaine, ordonna à trois sous-officiers formant l'équipage d'un

hélicoptère de le transporter, lui et un autre officier, à Gibraltar.

Les requérants font remarquer que Mohamed Amekrane se trouvait déjà en

route lors de l'attaque aérienne menée contre l'aéroport de Rabat et

le Palais royal.

3.   L'hélicoptère atterrit le 16 août à 18 h. 34 GMT à Gibraltar. A

leur arrivée, Amekrane et ses compagnons furent accueillis par

l'officier britannique de service qui, sur le demande, les conduisit

auprès d'un militaire ayant le grade de général. Amekrane demanda à ce

dernier de lui accorder l'asile politique. Le général lui répondit

qu'en sa qualité de militaire il ne pouvait pas se prononcer sur cette

demande.

Amekrane et ses compagnons furent logés au mess des officiers et

ensuite dans un hôtel, au bénéfice d'une liberté apparente. Vers minuit

le même soir, ils furent internés dans une caserne où ils se trouvèrent

en état d'arrestation. La justification donnée à cette mesure était que

leur présence à Gibraltar était devenue publique et que des troubles

étaient à craindre de la part des 3.000 Marocains travaillant à

Gibraltar.

4.   Le lendemain matin 17 août, on promit de fournir à Amekrane et

à ses compagnons un nécessaire de rasage. Au lieu de cela, on leur

enleva vers 10 h. le récepteur de radio qui était à leur disposition,

pour les mettre dans l'impossibilité de suivre les discussions

auxquelles cette affaire donnait lieu et de se faire une idée du sort

qui les attendait.

Vers le soir, des militaires britanniques armés se présentèrent et leur

annoncèrent qu'ils allaient être transférés dans une autre caserne,

parce que des reporters s'étaient attroupés et avaient déjà pris des

photos. Ces déclarations pouvaient paraître plausibles, les deux

officiers n'eurent pas de raisons de s'inquiéter. Amekrane et l'autre

officier furent conduits vers une automobile et après qu'ils y furent

montés, on leur mit les menottes. Contrairement à ce qui leur avait été

annoncé, ils ne furent pas transférés dans une autre caserne, mais

conduits à l'aéroport. Là, ils furent remis à des fonctionnaires

marocains et emmenés par eux à Rabat, dans un avion de transport de

l'armée de l'air marocaine.

5.   En fait, dès que l'arrivée du lieutenant-colonel Amekrane et de

ses compagnons à Gibraltar lui avait été connue, le Gouvernement

marocain exigea du Gouvernement britannique l'extradition immédiate des

fugitifs en menaçant, en cas de refus, d'interrompre le ravitaillement

de Gibraltar en provenance du Maroc.

Un accord était alors intervenu entre les deux Gouvernements, accord

à la suite duquel un appareil de l'armée de l'air marocaine atterrit

à Gibraltar et ramena les fugitifs au Maroc.

Il avait été convenu à cette occasion entre l'Ambassadeur du

Royaume-Uni à Rabat et le Ministre des Affaires étrangères du Maroc que

les extradés seraient correctement traités et traduits devant un

tribunal militaire conformément à la Constitution.

A ce sujet, les requérants ont produit le télégramme que l'Ambassadeur

du Royaume-Uni à Bonn adressa plus tard, le 20 décembre 1972, à Mme

Amekrane. Ce télégramme est ainsi libellé (traduction):

"Chère Madame Amekrane; je suis chargé par le 'Principal Secretary of

State for Foreign and Commonwealth Affairs' de Sa Majesté de répondre

aux lettres que vous lui avez adressées, ainsi qu'au Premier Ministre,

le 7 décembre, lesquelles ont été transmises par l'intermédiaire de

cette Ambassade Stop. Sir Alec Douglas-Home a étudié votre demande avec

la plus grande attention mais je regrette de devoir vous dire qu'il ne

s'est pas estimé en mesure de faire droit à votre demande d'intervenir

au sujet de votre mari et de ses collègues Stop. Je dois aussi vous

signaler que dans votre lettre et dans l'aide-mémoire que vous avez

déposés à l'Ambassade lors de votre passage le 13 décembre, figurent

un certain nombre de malentendus que je me dois de lever. Stop. Il

n'est pas tout à fait exact, comme vous l'affirmez, que le Gouvernement

de Sa Majesté n'a livré les deux officiers qu'à la condition qu'ils ne

seraient pas exécutés ni maltraités Stop. Lorsque votre époux a été

renvoyé au Maroc, l'Ambassadeur de Sa Majesté à Rabat a demandé au

Ministre des Affaires étrangères du Maroc de lui donner l'assurance

qu'il serait traité correctement Stop. En réponse, M. Benhima a donné

l'assurance que les officiers en cause étaient interrogés conformément

aux procédures juridiques établies et qu'ils seraient jugés par le

tribunal militaire conformément aux règles strictes de la justice

militaire et de la Constitution marocaine Stop. Par la suite, les

autorités marocaines ont rendu publique cette garantie Stop. C'est la

seule garantie qui ait été donnée et, à notre connaissance, elle a été

respectée jusqu'à présent Stop. Dans votre aide-mémoire, vous

mentionnez le fait qu'il n'existe pas de traité d'extradition avec le

Maroc Stop. Il ne s'agit cependant pas, en l'occurrence, d'un cas

d'extradition et la loi de 1870 relative à l'extradition n'est donc pas

applicable Stop. Le colonel Amekrane et ses collègues ont été éloignés

de Gibraltar en tant qu'immigrants indésirables en vertu de l'article

43 de l'ordonnance sur l'immigration à Gibraltar car il a été estimé

que la présence à Gibraltar des deux officiers en cause serait

contraire à l'intérêt public Stop. Nous ne pouvons donc pas admettre

que vos arguments sont susceptibles de fonder les demandes que vous

avez formulées et je regrette de devoir vous dire qu'il n'a pas été

possible de les accepter. Veuillez agréer .... Nicholas Hendersen,

Ambassadeur de Sa Majesté."

6.   Les requérants font remarquer qu'à l'époque de ces événements,

le lieutenant-colonel Amekrane était gravement malade depuis un an.

Il souffrait d'une néphrite compliquée qui, à la suite d'un traitement

à la cortisone, avait affecté sa musculature et ses articulations de

telle manière qu'il était presque incapable de se mouvoir au moment où

il fut livré aux autorités marocaines.

Même un officier de service sans formation médicale aurait dû remarque

qu'Amekrane était hors d'état de marcher normalement. Dans les minutes

qui ont précédé sa remise aux autorités marocaines, ce fait pouvait

certes passer inaperçu car un homme portant des menottes est par

là-même sérieusement gêné dans ses mouvements et doit être accompagné.

Amekrane n'avait pas de motif d'appeler l'attention sur son mauvais

état de santé afin d'éviter son extradition puisqu'il n'a que

connaissance de celle-ci qu'au moment même où elle a effectivement eu

lieu. A son arrivée au Maroc, Amekrane a dû être soigné et a été admis

à l'infirmerie de la prison où il était détenu.

En ce qui concerne l'état de santé du lieutenant-colonel Amekrane, les

requérants offrent en preuve une liste de sept médecins à qui la

Commission pourrait demander une attestation. Mme Amekrane a fourni une

déclaration déliant ces médecins du secret professionnel.

7.   Le tribunal militaire marocain de Kénitra prononça la peine de

mort contre le lieutenant-colonel Amekrane.

Une demande d'intercession adressée par Mme Amekrane à l Reine

d'Angleterre est restée sans réponse et sa réception n'a même été

confirmée.

Le 3 janvier 1973, Mme Amekrane adressa à l'Ambassadeur du Royaume-Uni

à Bonn la lettre suivante (traduction):

"....

Je vous remercie de votre télégramme du 20 décembre 1972 (Cf. par. 5

ci-dessus) et de l'attention que vous avez bien voulu accorder à ma

requête. Je regrette infiniment que votre Gouvernement ne se soit pas

cru en mesure de me donner une réponse plus favorable. Il est

extrêmement intéressant de constater que le Gouvernement de Sa Majesté

a attaché plus de prix au maintien du ravitaillement en eau de la place

forte de Gibraltar qu'à ses devoirs à l'égard d'hommes qui avaient

demandé sa protection. Je me permettrai à ce propos de rappeler un cas

d'extradition qui, à l'époque, en 1814, avait fait scandale à la

Chambre des Communes. Il est vrai que, pour le Gouvernement sollicité,

toute personne demandant l'asile politique est un indésirable. Mais la

décision d'extrader est si lourde de conséquences qu'elle mérite plus

mûre réflexion qu'il n'en a été accordé au cas de mon mari. Je prends

la liberté de mettre en doute le point de vue de votre Gouvernement

d'après lequel la loi de 1870 sur l'extradition n'était pas applicable

en l'espèce. Une tradition politique qui fait honneur à votre pays a

toujours attaché la plus grande valeur à la protection de l'individu

contre l'arbitraire de l'Etat. Or, le lieutenant-colonel Amekrane s'est

vu refuser jusqu'au droit d'être entendu par un tribunal.

S'il vous était possible de procéder à nouveau, et avec la plus grande

attention, à un examen de mon aide-mémoire du 13 décembre 1972, je vous

en serais infiniment obligée.

......."

(signé) [.....] Amekrane

Le 19 janvier 1973, M. C.J. Audland, de l'Ambassade du Royaume-Uni à

Bonn, adressa à M. Seelig, conseil de la requérante, la lettre suivante

(traduction):

"......

Je suis informé que vous avez été désigné par Mme Amekrane comme son

représentant. En conséquence, je vous écris pour accuser réception de

la lettre de Mme Amekrane du 3 janvier à l'Ambassadeur de Sa Majesté.

J'ai appris qu'une copie de cette lettre a été adressé à la Commission

européenne des Droits de l'Homme, laquelle en a donné connaissance à

l'agent du Royaume-Uni, en raison de la requête introduite par Mme

Amekrane devant la Commission.

......."

(signé) C.J. Audland

Le 13 janvier 1973, après l'échec de ses recours et demandes en grâce,

la condamnation à mort fut exécutée et Mohamed Amekrane fut passé par

les armes dans la prison militaire de Kénitra. Sa dépouille fut inhumée

le 15 janvier 1973 à Chechaouen, dans le Rif, en présence d'une foule

considérable.

Le Gouvernement mis en cause conteste sur plusieurs points la version

des fait donnée par les requérants:

8.   Le Gouvernement précise notamment (cf. par. 2 ci-dessus) que le

lieutenant-colonel Amekrane, qui fonctionnait alors comme commandant

en chef de l'armée de l'air marocaine, a pris part au complot. Il a

dirigé de la tour de contrôle de la base de Kénitra les chasseurs qui

ont attaqué l'avion royal.

9.   En arrivant à Gibraltar (cf. par. 3 ci-dessus) le

lieutenant-colonel Amekrane demanda à bénéficier du droit d'asile. On

lui répondit que sa demande serait examinée.

Le Commissaire principal à l'immigration considéra les cinq militaires

marocains comme interdits d'entrée (prohibited immigrants), au sens de

l'article 43, par. 1 f) de l'Ordonnance d'Immigration (Immigration

Control Ordinance) et ordonna, en application de l'article 42, par. 3,

qu'ils soient détenus pendant une période n'excédant pas 48 heures à

compter du 16 août 1972, 19 h. GMT. La décision du commissaire en vertu

de laquelle Amekrane et ses compagnons furent détenus ne leur a pas été

notifiée. Ils ont été informés oralement des raisons de leur détention.

Il leur a été dit qu'ils étaient gardés pour que leur protection soit

assurée.  Toutefois, il ne leur a pas été précisé qu'ils étaient

considérés comme "prohibited immigrants". La loi n'exige d'ailleurs pas

une telle notification aux intéressés. Le lieutenant-colonel Amekrane

n'a formulé aucune objection contre les mesures prises à son encontre.

Le Gouvernement conteste l'affirmation des requérants (cf. par. 3, in

fine, ci-dessus) selon laquelle il aurait été déclaré que les mesures

prises étaient justifiées par le fait que la présence des militaires

marocains était connue du public et que des troubles étaient à

craindre.

D'autre part, le Gouvernement précise qu'Amekrane et ses compagnons

n'ont pas été logés à l'hôtel, mais qu'après avoir été gardés au mess

des officiers pendant peu de temps, ils furent détenus à la caserne de

Lathbury.

10.  Le Gouvernement estime que le lieutenant-colonel Amekrane n'a pas

été "extradé" (cf. par. 5 ci-dessus).

Les autorités examinèrent d'urgence la question de la présence

d'Amekrane à Gibraltar et aboutirent à la conclusion que celle-ci et

celle de l'autre officier étaient contraires à l'intérêt public. Elles

décidèrent donc qu'ils devaient être refoulés et renvoyés dans le pays

d'où ils venaient; elles prirent une ordonnance de refoulement, en

vertu de l'article 34 de l'Ordonnance d'immigration.

Ce renvoi était conforme à la législation de Gibraltar. Il n'y a eu

aucun accord entre les deux Gouvernements en vue d'une extradition

d'Amekrane puisqu'aussi bien il ne s'agissait pas d'une extradition

(cf. également l'argumentation du Gouvernement, par. 16 ci-dessous).

Il est vrai que le Gouvernement marocain réclama le renvoi d'Amerkane,

mais n'y avait pas, comme l'affirment les requérants, une véritable

menace d'interrompre le ravitaillement de Gibraltar. Il y avait

cependant un sérieux risque que les relations entre les deux pays se

détériorent et un refus du Gouvernement britannique aurait eu sans

aucun doute des conséquences sérieuses pour la population et la

territoire de Gibraltar. Les arrangements pris eurent pour seul but

d'éloigner les militaires marocains.

11.  Il n'est pas exacte que les autorités de Gibraltar ont retiré aux

militaires marocains l'usage d'un récepteur de radio (cf. par. 4

ci-dessus) car un tel récepteur n'a jamais été mis à leur disposition.

En revanche, on leur procura un nécessaire de rasage et de toilette.

Le 17 août 1972 vers 22 h., les autorités firent sortir Amekrane et

l'autre officier de la caserne de Lathbury et leur firent savoir

oralement qu'ils allaient être renvoyés au Maroc. Amekrane ne fit aucun

commentaire et n'éleva aucune objection. Le Gouvernement n'a pu

préciser combien de temps s'était écoulé entre la décision de renvoyer

les deux officiers et leur transfert à l'aéroport, mais laisse entendre

que ce transfert eut lieu peu après que la décision fut prise.

Le Gouvernement ne conteste pas le fait qu'Amekrane ait été menotté

pendant son transfert, mais ne donne aucune précision à cet égard.

Les deux officiers quittèrent Gibraltar à 22 h. 40 dans un appareil de

l'armée de l'air marocaine.

12.  Le Gouvernement conteste l'affirmation des requérants selon

laquelle le lieutenant-colonel Amekrane était gravement malade (cf.

par. 6 ci-dessus).

Durant son séjour à Gibraltar Amekrane n'a montré aucun signe de

mauvaise santé et n'a pas demandé la visite d'un médecin. Il ne s'est

plaint à aucun moment d'avoir été maltraité. Amekrane n'a pas non plus

sollicité l'aide des autorités ou des personnes sous la garde

desquelles il était placé pour obtenir les conseils ou l'assistance

d'un avocat.

13.  Enfin, le Gouvernement affirme n'avoir retrouvé aucune trace

d'une demande d'intercession adressée à la Reine d'Angleterre (cf. par.

7 ci-dessus). Des recherches ont été effectuées à l'Ambassade du

Royaume-Uni à Bonn, au Ministère des Affaires étrangères, au

Commonwealth Office et à Buckingham Palace, sans résultat.

Les griefs des requérants peuvent se résumer comme suit (cf. également

ci-dessous l'argumentation des requérants):

14.  Les requérants soutiennent qu'en extradant Mohamed Amekrane au

Maroc comme il l'a fait, le Gouvernement du Royaume-Uni l'a privé du

droit d'introduire devant un tribunal un recours contre sa détention

à Gibraltar avant son extradition illégale (article 5, par. 4, de la

Convention), l'a soumis et livré à un traitement inhumain (article 3

de la Convention) et a également détruit sa vie familiale (article 8

de la Convention).

PROCEDURE

15.  La requête a été introduite le 16 décembre et enregistrée le 18

décembre 1972. Par une ordonnance du 18 décembre 1972 le Vice-Président

de la Commission agissant au nom de la Commission, décida que cette

requête sera traitée par priorité (articles 9 et 38, par. 1, in fine,

du Règlement intérieur de la Commission).

Le 20 décembre 1972, la requête a été soumise à un groupe de trois

membres aux fins d'examen préalable de sa recevabilité (article 45,

par. 1 du Règlement intérieur). Le même jour, le groupe présenta son

rapport à la Commission qui après en avoir délibéré décida de donner

connaissance de la requête au Gouvernement mis en cause et d'inviter

celui-ci à présenter par écrit à la Commission ses observations sur la

recevabilité de la requête (article 45, par. 3, b) du Règlement

intérieur).

Un délai de quatre semaines échéant le 19 janvier 1973 a été imparti

au Gouvernement pour présenter ses observations. A la demande du

Gouvernement, ce délai a été prorogé au 31 janvier 1973 (cf. ordonnance

du Vice-Président de la Commission du 22 janvier 1973).

Le 30 janvier 1973, le Gouvernement mis en cause présenta ses

observations sur la recevabilité. Par ordonnance du 1er février 1973,

le Vice-Président de la Commission décida de communiquer ces

observations au conseil des requérants, en lui accordant la faculté d'y

répondre par écrit dans un délai de trois semaines, échéant le 23

février 1973. Les requérant présentèrent leur réponse le 21 février

1973.

Le 24 mai 1973, la requête a été examiné par un groupe de trois

membres. La Commission a repris l'examen de la requête les 29 mai et

1er juin 1973 et décida d'inviter le Gouvernement mis en cause à

présenter par écrit des observations complémentaires (article 46, par.

1, du Règlement intérieur). Par lettre du 15 juin 1973 l'agent du

Gouvernement demanda des précisions sur l'objet des observations

complémentaires.

le 11 juillet 1973, la Commission a repris l'examen de la requête et

décida d'inviter les parties à présenter oralement leurs observations

au cours d'une audience contradictoire (Article 46, par. 1, in fine du

Règlement intérieur). Celle-ci a été fixé au 10 octobre 1973.

Le 21 août 1973, les requérants chargèrent Me Rodolphe Burger, avocat

à Strasbourg, d'assurer leur représentation devant la Commission et en

particulier à l'audience sur la recevabilité. En même temps, ils

demandèrent à la Commission de leur accorder l'assistance judiciaire

conformément à l'Addendum au Règlement intérieur de la Commission.

Après avoir recueilli les observations du Gouvernement mis en cause

(article 3 b) de l'Addendum), le Président en exercice, agissant au nom

de la Commission, décida le 14 septembre 1973 l'octroi de l'assistance

judiciaire. Cette décision fut confirmée par la Commission lors de sa

séance du 9 octobre 1973.

L'audience sur la recevabilité a eu lieu le 10 octobre 1973.

Les requérants y étaient représentés par Me Rodolphe Burger, avocat à

Strasbourg. Mme Amekrane et son conseil, M. Klaus Seelig, étaient

également présents.

Ont comparu pour le Gouvernement mis en cause: M. Paul Fifoot,

Barrister-at-Law, Conseiller juridique au Foreign and Commonwealth

Office, en qualité d'agent; Sir Francis Vallat, K.C.M.G., Q.C.; M.

Nicholas Bratza, Barrister-at-Law; M. E.G. Donohoe, Premier secrétaire

au Foreign and Commonwealth Office, en qualité de conseils.

Après avoir délibéré, la Commission a déclaré la requête recevable le

11 octobre 1973.

ARGUMENTATION DES PARTIES

a)   Les arguments du Gouvernement mis en cause peuvent se résumer

comme suit:

16.  En ce qui concerne le grief tiré par les requérants de l'article

3 de la Convention, le Gouvernement observe tout d'abord qu'il n'existe

pas d'accord d'extradition entre le Royaume-Uni et le Maroc et que le

lieutenant-colonel Amekrane n'a pas été "extradé". Il a été éloigné

conformément aux dispositions du droit interne (cf. par. 17

ci-dessous), au motif que sa présence sur le territoire de Gibraltar

était contraire à l'intérêt public. Il a été renvoyé dans un pays

voisin, qui était à la fois le pays d'où il était venu à Gibraltar et

son pays d'origine. Or, c'est une pratique courante des Etats de

renvoyer les personnes qu'ils jugent indésirables vers le pays d'où

elles sont venues ou vers leur pays d'origine. De toute manière, les

Gouvernements sont libres de décider vers quel pays une personne à

éloigner sera dirigée.

17.  Le renvoi du requérant était conforme au droit interne. Sous

réserve des exceptions concernant les employés de l'Etat et leur

famille, aucune "personne étrangère á Gibraltar" (c'est-à-dire n'ayant

avec Gibraltar aucun lien de nationalité) ne peut y entrer ou y

séjourner sans un permis (article 5 de l'Ordonnance sur l'immigration

à Gibraltar, "[Gibraltar] Immigration Control Ordinance").

L'article 42, par. 1 déclare illicite l'entrée et la présence à

Gibraltar de tout interdit d'entrée (prohibited immigrant), celui-ci

pouvant être détenu pendant 48 heures au plus en un lieu fixé par le

Commissaire principal à l'immigration (article 42, par. 3). Les

interdits d'entrée pourront être traités (article 42, par. 4) comme le

prévoit l'article 34 pour les personnes non autorisées à résider

(unauthorised persons). Aux de l'article 43, par. 1, le Commissaire

principal à l'immigration peut déclarer interdite d'entrée toute

personne qui, étant étrangère à Gibraltar, appartient à l'une des

catégories énumérées par ladite disposition, notamment une personne

considérée comme indésirable (undesirable immigrant, article 43, par.

1 f)).

En vertu de l'article 34, par. 1, quiconque se trouve à Gibraltar ou

tente d'y entre en violation de l'Ordonnance sur l'immigration, ou y

réside illégalement, peut être éloigné par order du Gouverneur ou du

tribunal de district (Magistrates' court). En attendant son

éloignement, l'intéressé peut être détenu pendant une période de 28

jours au plus (article 34, par. 2). L'éloignement s'effectue par

embarquement sur un navire ou dans un avion sur le point de quitter

Gibraltar (article 34, par. 3). Toute personne arrêté ou détenue en

vertu de l'Ordonnance sur l'immigration est considérée comme se

trouvant en détention régulière (lawful custody, article 32).

L'article 46 de l'Ordonnance traite des réfugiés politiques,

c'est-à-dire des réfugiés étrangers à Gibraltar qui demandent ou

recherchent l'asile politique à Gibraltar afin d'échapper à une

arrestation par un Gouvernement étranger pour délit politique. Le

Gouverneur peut ordonner l'éloignement d'une telle personne, lui

délivrer un permis de séjour à Gibraltar ou ordonner sa détention.

Enfin, la Constitution de Gibraltar garantit le droit à la liberté

individuelle et définit les restrictions à ce droit (article 3). En

outre, la Constitution prévoit comment faire valoir ce droit au moyen

d'un recours devant la Cour suprême (article 15).

18.  Selon la jurisprudence de la Commission, la Convention ne

garantit que les droits et libertés qui y sont définis, en

particuliers, elle ne garantit ni le droit d'entrer sur la territoire

d'un Etat dont le requérant n'est pas ressortissant, ni le droit de ne

pas être expulsé ou extradé ni le droit à l'asile politique. Le

Gouvernement se réfère sur ce point aux décisions N° 1802/62 (Annuaire

6, page 314), N° 1983/63 (Annuaire 8, page 228), N° 2143/64 (Annuaire

7, page 314), N° 3040/67 (Annuaire 10, page 518) et N° 3745/68 (Recueil

31, page 107). En outre, sauf dans le case où un droit garanti par la

Convention est en cause, la Commission n'examine pas l'application du

droit interne (cf. décision N° 1197/61, Annuaire 5, page 88). La

Convention n'exige pas non plus que les litiges relatifs à l'entrée

dans un pays ou au refoulement soient réglés par voie judiciaire (cf.

requête N° 3325/67, Annuaire 10, page 528).

Il est vrai que la Commission a estimé que l'expulsion ou l'extradition

d'une personne peut, dans des circonstances exceptionnelles, poser la

question de savoir s'il y a eu traitement inhumain, au sens de

l'article 3. Or, c'est aux requérants de prouver qu'il existait de

telles circonstances exceptionnelles. Outre le fait que le

lieutenant-colonel Amekrane a été renvoyé au Maroc où il risquait

d'être jugé pour certains délits (mais cette situation ne crée pas de

problème sur le terrain de l'article 3, vu la jurisprudence de la

Commission), les requérants pourraient, en relation avec l'article 3,

prétendre ce qui suit:

Amekrane était à ce point malade "qu'il était presque incapable de se

mouvoir" lorsqu'il fut mis à bord de l'avion qui devait le ramener au

Maroc (cf. par. 6 ci-dessus). - Comme il a été dit (cf. par. 12

ci-dessus), Amekrane n'a montré aucun signe de mauvaise santé. Le

Gouvernement offre en preuve le témoignage de l'officier á qui Amekrane

a été présenté à son arrivée. En ce qui concerne le fait qu'Amekrane

a été menotté, le Gouvernement rappelle que la Commission a estimé

qu'il n'était pas contraire à l'article 3 de menotter un détenu (cf.

requêtes N° 2291/64, Recueil 24, page 20 et N° 4220/69, Recueil 37,

page 51).

Les requérants pourraient également prétendre que l'"extradition" d'une

personne qui a commis un crime politique et qui risque la peine de mort

est à ce point contraire aux normes ou à la politique internationales

qu'elle constitue un acte extraordinaire de caractère inhumain. Le

Gouvernement relève que l'existence de la peine de mort n'est pas une

question qui, en elle-même, relève l'article 3. L'article 2, par. 1,

qui garantit le droit à la vie, prévoit lui-même l'exécution d'une

sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le crime est puni

de cette peine par la loi. L'application de la peine de mort n'est pas

exceptionnelle pour les crimes d'attentat á la vie d'un chef d'Etat ou

de tentative de coup d'Etat ayant causé des pertes en vies humaines.

En outre, il n'y a pas de normes ou pratiques internationales

applicables au renvoi d'une personne accusée d'un délit politique vers

un pays où elle peut être jugée. Lorsque les Etats concluent des

accords qui excluent l'extradition pour les délits politiques, il n'est

pas inhabituel d'excepter des "délits politiques", l'assassinat ou la

tentative d'assassinat d'un chef d'Etat. Cette exception est reconnue

à l'article 3 de la Convention européenne d'extradition.

Quant à l'article 11 de la même Convention, à supposer même, quod non,

qu'elle fût applicable en l'espèce, il n'aurait pas interdit au

Royaume-Uni de procéder à l'extradition. Le Gouvernement estime que ou

bien cet article aurait empêché le Royaume-Uni de refuser

l'extradition, puisque le même crime y est également passible de la

peine de mort, ou bien, à tout le moins, il lui aurait laissé le choix

entre l'extradition ou la non-extradition.

Pour les motifs exposés ci-dessus (par.par. 16 à 18) le Gouvernement

soutient que, pour autant que les requérant invoquent l'article 3,

leurs griefs sont ou bien incompatibles avec les dispositions de la

Convention, ou bien manifestement mal fondés.

19.  En ce qui concerne le grief de l'article 5, par. 4, de la

Convention, le Gouvernement fait remarquer que la législation de

Gibraltar reconnaît à une personne détenue dans les mêmes circonstances

que le lieutenant-colonel Amekrane le droit d'introduire un recours

devant un tribunal. Le droit à la liberté de la personne humaine est

garanti par l'article 3 de la Constitution de Gibraltar (cf. par. 17,

in fine, ci-dessus). L'exception prévue à l'alinéa (i), par. 1, de cet

article est conforme à l'alinéa (f) de l'article 5, par. 1, de la

Convention. L'article 15 de la Constitution prévoit un recours à la

Cour suprême. Il était donc loisible à Amekrane de faire valoir ses

droits. A tout moment, il pouvait s'adresser pour cela aux officiers

qui le gardaient.

En conséquence, toute allégation d'une violation de l'article 5 par.

4, est manifestement mal fondée.

20.  En ce qui concerne le grief tiré de l'article 8 de la Convention,

le Gouvernement soutient que le renvoi du lieutenant-colonel Amekrane

ne constituait nullement une atteinte au respect de sa vie familiale

commise par une autorité relevant du Gouvernement. Les requérants ne

prétendent d'ailleurs pas qu'une telle atteinte ait été commise dans

la sphère de juridiction de Gibraltar. Toute atteinte à ce droit qui

aurait pu suivre des actes de personnes ou d'autorités ne relevant pas

du Gouvernement du Royaume-Uni, et qui ont eu lieu avant et après le

séjour d'Amekrane à Gibraltar, c'est-à-dire en dehors de la sphère de

juridiction du Gouvernement du Royaume-Uni.

Toute allégation d'une violation de l'article 8 est donc manifestement

mal fondée.

21.  En conséquence, le Gouvernement du Royaume-Uni prie la Commission

de déclarer la requête irrecevable sur tous les chefs, au motif que les

griefs sont incompatibles avec les dispositions de la Convention ou

manifestement mal fondées (Article 27, paragraphe 2 de la Convention).

Par ailleurs, le Gouvernement demande à la Commission de rejeter les

observations des requérants soumises à la Commission le 18 septembre

1973 (cf. par. 27 ci-dessous) et confirmées à l'audience du 10 octobre

1973, au motif qu'elles comportent des éléments nouveaux qui ont été

présentés en dehors du délai de six mois prévu à l'article 26 de la

Convention.

b)   Les arguments des requérants peuvent se résumer comme suit:

22.  Des thèses du Gouvernement mis en cause se dégage l'impression

qu'il tente a posteriori de concilier l'extradition précipitée et

illégale de Mohamed Amekrane avec les dispositions légales pertinentes.

Si le principe de la prééminence du droit et les dispositions de la

Constitution de Gibraltar et de l'"Immigration Control Ordinance"

avaient été appliqués, les choses se seraient passées autrement et les

décisions concernant la demande d'asile auraient été différentes.

23.  Les requérants contestent la thèse du Gouvernement selon laquelle

Amekrane aurait fait l'objet d'un simple renvoi (cf. par. 16

ci-dessus). Au contraire, Amekrane a été extradé. Lors d'une expulsion

ou d'un éloignement un Etat enjoint à un ressortissant étranger de

quitter son territoire dans un délai donné, faute de quoi il est

conduit de force hors du territoire. Les différences avec une

extradition sont considérables: L'extradition est faite aux fins de

poursuites pénales; l'expulsion ou l'éloignement, par contre,

constituent exclusivement une mesure de sûreté prise par l'Etat, même

s'ils ont parfois lieu en raison d'un délit commis sur le territoire

de cet Etat ou à l'étranger. L'extradition requiert l'accord et la

coopération de deux Etats, alors que l'éloignement constitue une mesure

unilatérale. En vertu de sa législation en matière d'extradition, le

Royaume-Uni n'extrade un individu que lorsqu'un traité lui en fait

obligation.

En l'espèce, il y aurait eu simple éloignement si on avait déclaré à

Amekrane qu'on ne lui accordait pas l'asile politique et qu'il devait

quitter le territoire britannique dans un délai donné. Selon l'usage

international en vigueur, il aurait d'abord fallu lui donner la

possibilité de quitter librement Gibraltar. Il aurait alors pu se

rendre dans un pays de son choix par les voies terrestre, maritime ou

aérienne. Il est évident que dans ce cas, il ne serait pas retourné au

Maroc. Il avait suffisamment d'argent sur lui pour supporter les frais

d'un voyage. C'est seulement si Amekrane avait refusé d'obéir à un

ordre de départ qu'il aurait pu être éloigné par la force, après avoir

eu la possibilité d'épuiser les voies de recours dont il pouvait

disposer à Gibraltar. Le droit international ne connaît pas de règle

selon laquelle une personne à éloigner doit être renvoyée dans l'Etat

d'où elle est venue ou dans son Etat d'origine. La procédure

d'éloignement ou de l'expulsion décrite ci-dessus, n'a pourtant pas été

appliquée dans le cas d'espèce.

24.  Il y a eu bel et bien extradition à la suite d'un accord.

L'utilisation d'un appareil militaire marocain et le fait qu'on ait

passé les menottes à Amekrane plaident déjà contre un départ volontaire

en exécution d'un ordre de renvoi. Les motifs qui poussent aujourd'hui

le Gouvernement à contester la thèse de l'extradition sont évidents:

en effet, étant donné qu'en droit une extradition n'est opérée par le

Royaume-Uni qui lorsqu'un traité y oblige, il y a eu violation du droit

en vigueur.

Le traitement inhumain, au sens de l'article 3 de la Convention, réside

dans le fait qu'un réfugié politique qui demandait à bénéficier de

l'asile dans un Etat démocratique fondé, d'après sa Constitution, sur

la prééminence du droit, a été livré, sans avoir été entendu par un

tribunal et au mépris délibéré de ses droits individuels, à un pays

dans lequel - comme on a pu le constater par la suite - il a été

condamné à mort et exécuté.

Par sa participation à la tentative de coup d'Etat, Amekrane s'est

rendu coupable d'un délit politique. Le droit international admet sans

exception qu'il y a délit politique en cas de menées contre l'existence

ou la sécurité de l'Etat, contre le chef de l'Etat ou un membre du

Gouvernement, etc... Certaines Etats, s'inspirant du droit belge, ont

prévu un exception sous la forme d'une "clause d'attentat". Toutefois,

le Royaume-Uni n'a pas, jusqu'à présent, suivi cet exemple, car une

restriction de ce genre a été jugée inconciliable avec la notion de

délit politique telle qu'elle s'est développée dans ce pays. Dans le

système juridique anglais, aucun délit politique ne peut donner lieu

à extradition.

Malgré l'article 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

des Nations Unies, le droit international ne reconnaît aucun droit

d'obtenir l'asile politique. La présente requête n'est cependant pas

dirigée principalement contre le refus d'accorder à Amekrane l'asile

politique, mais contre son extradition irrégulière en droit

international. S'il existe des motifs valables de supposer que la

personne qui demande l'asile politique risque la peine de mort dans son

Etat d'origine, il est peut-être défendable de lui refuser l'asile

politique, mais il est inadmissible de la livrer à l'Etat où elle doit

s'attendre à être condamnée à mort.

Si l'on considère la manière dont l'extradition a eu lieu, on doit

supposer que les autorités britanniques ont considéré Amekrane comme

un criminel ordinaire: Seuls des malfaiteurs de droit commun sont

emmenés les menottes aux poignets. Des officiers supérieurs qui

reconnaissent leur acte, un délit politique, bénéficient

traditionnellement d'un autre traitement. C'est un indice

supplémentaire d'une violation de l'article 3 de la Convention.

25.  Le comportement inhumain des autorités apparaît, en outre, dans

le fait que les officiers fugitifs ont été tenus le plus longtemps

possible dans l'ignorance de l'extradition projetée.

Il a été omis d'informer officiellement Amekrane de la nature et de la

portée des mesures administratives prises contre lui, au point qu'il

n'a su quel était son sort que lorsqu'il s'est aperçu que les autorités

britanniques le livraient aux mains des représentants du Gouvernement

marocain.

Ces faits constituent en même temps le fondement du grief tiré de

l'article 5, par. 4, de la Convention. La manière dont l'extradition

s'est déroulée démontre une volonté d'empêcher Amekrane d'élever la

moindre objection contre son extradition. A aucun moment, à partir de

l'internement jusqu'à la remise aux autorités marocaines, il n'a été

révélé à Amekrane à quel titre, pour quel motif et en vertu de quelle

décision il était privé de sa liberté. Dans ces circonstances, il eût

été vain d'espérer en la protection des tribunaux. Le Gouvernement n'a

d'ailleurs produit aucun procès-verbal des mesures prises contre

Amekrane, ni aucune pièce montrant qu'il aurait été informé de la

possibilité de recourir contre la décision prise à son égard.

26.  Les arguments du Gouvernement relatifs au grief tiré de l'article

8 de la Convention (cf. par. 20 ci-dessus), portent à faux. Si le

Gouvernement suggère que Mme Amekrane aurait provoqué elle-même la

séparation de sa famille en quittant le Maroc le 17 août 1972, cela

démontre une méconnaissances des règles reconnues de la causalité.

Au contraire, c'est l'extradition de Mohamed Amekrane qui a détruit

l'unité de la famille. Si le Gouvernement l'avait mis en mesure de se

rendre dans un pays autre que le Maroc, la famille aurait pu se réunir.

Il est superflu de démontrer comment la violation de l'article 8 se

répercute sur la situation matérielle des membres survivants de la

famille, sur l'éducation et l'instruction des deux enfants sur les

ressources de Mme Amekrane, etc....

27.  Le 18 septembre 1973, le conseil des requérants a présenté par

écrit les observations suivantes:

"J'ai l'honneur d'exposer ce qui suit en complément aux développements

qui ont été présentés antérieurement par les requérants.

1)   L'accord conclu entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et

d'Irlande d'une part et les autorités marocaines d'autre part au sujet

de l'extradition du lieutenant-colonel Amekrane et de ses compagnons

prévoyait que le Gouvernement marocain promettait un procès correct et

la renonciation à de mauvais traitements.

Cet engagement n'a pas été respecté. Dans la période après le 7

novembre 1972 le lieutenant-colonel Amekrane a été torturé à plusieurs

reprises à l'occasion de ses interrogatoires à Kénitra et à Rabat, afin

d'obtenir de lui des dépositions.

Les tortures sont choses courantes dans les méthodes d'interrogation

par la police politique au Maroc. Il est renvoyé à des rapports y

relatifs à propos de procès qui se sont déroulés en 1971 et 1973.

Pendant ces procès le Juge fédéral [.....] séjournait comme observateur

au Maroc. Celui-ci est en mesure et disposé à témoigner devant la

Commission européenne des Droits de l'Homme que les tortures font

partie de la pratique courante devant les tribunaux marocains. La

preuve est offerte en toute forme que cette affirmation est exact. Par

les dires de : Monsieur [....], Juge fédéral à citer auprès du tribunal

fédéral (Bundesgerichtshof D - 7500 - Karlsruhe, Herrenstrasse 45 a).)

Monsieur [....] ne peut pas faire une déposition en rapport direct avec

le procès qui était dirigé contre le lieutenant-colonel Amekrane mais

en sa qualité d'observateur il a pu se procurer des impressions très

nettes de la situation qui devait nécessairement être connue à

l'administration de la partie opposante.

Un journal français a rendu compte des mauvais traitements qui ont été

appliqués au lieutenant-colonel Amekrane. Les requérants s'efforceront

de se procurer ce compte rendu et de le déposer au dossier (1).

------------------------

(1)  Le conseil des requérants a produit à l'audience du 10 octobre

1973 la copie d'un article paru en août 1973 dans "Le Monde

diplomatique".

------------------------

2)   Il a été fait état à plusieurs reprises déjà de l'obligation de

garantie qui résultait pour la partie opposante de l'extradition

irrégulière. Elle n'y satisfaisait d'aucune manière lorsqu'elle s'est

simplement bornée à se faire donner la promesse que les officiers

extradés ne feraient pas l'objet de mauvais traitements. Elle n'a en

effet rien entrepris pour s'assurer que cette promesse serait tenue.

Ce manquement représente un autre élément constituant la violation de

l'article 3 de la Convention.

A l'audience du 10 octobre 1973, le conseil des requérants a incorporé,

en tant que de besoin, ces observations à sa plaidoirie.

EN DROIT

28.  Les requérants allèguent la violation des articles 3, 5 par. 4

et 8 (art. 3, 5-4, 8) de la Convention. Ces articles disposent:

Article 3 - "Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou

traitements inhumains ou dégradants."

Article 5, par. 4 - "Toute personne privée de sa liberté par

arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un

tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa

détention et ordonne sa libération si la détention est illégale."

Article 8, par. 1 - "Toute personne a droit au respect de sa vie privée

et familiale, de son domicile et de sa correspondance."

Article 8, par. 2 - "Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité

publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette

ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui,

dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale,

à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de

l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de

la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés

d'autrui."

29.  Le Gouvernement mis en cause demande à la Commission de déclarer

la requête irrecevable au motif que les griefs qu'elle contient sont

incompatibles avec les dispositions de la Convention ou manifestement

mal fondés (Article 27, paragraphe 2 (art. 27-2) de la Convention).

Il demande en outre de rejeter comme tardifs, en application de

l'article 26 (art. 26) de la Convention, les griefs que les requérants

ont formulés dans leurs observations du 18 septembre 1973 (cf. par. 27

ci-dessus).

30.  La Commission estime que les allégations relatives à la torture

qui figurent dans les observations des requérants du 18 septembre 1973,

n'équivalent pas à la présentation d'un grief nouveau, mais viennent

à l'appui d'un grief formulé dans la requête introductive, selon lequel

Amekrane aurait été soumis à un traitement inhumain contraire à

l'article 3 (art. 3) de la Convention. En conséquence, la Commission

rejette l'objection du Gouvernement à ce sujet.

La Commission a procédé à un examen préliminaire des faits et arguments

présentés par les parties. Elle est d'avis que la requête pose, sur le

terrain des dispositions invoquées par les requérants - articles 3, 5

par. 4 et 8 (art. 3, 5-4, 8)- , ainsi que sur le terrain de l'article

5, par. 1, 2 et 3 (art. 5-1, 5-2, 5-3) de la Convention, des problèmes

suffisamment complexes pour nécessiter un examen au fond. Il s'ensuit

que la requête, dans son ensemble, ne peut être considérée comme

manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2)

de la Convention et qu'elle doit être déclarée recevable.

Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE RECEVABLE.

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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CEDH, Commission, AMEKRANE et autres c. le ROYAUME-UNI, 11 octobre 1973, 5961/72