CEDH, Commission, KRUSLIN c. la France, 6 mai 1988, 11801/85

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 6 mai 1988, n° 11801/85
Numéro(s) : 11801/85
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 16 octobre 1985
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H, Arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21 par. 40 Arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 31 par. 49 Arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82 p. 30 par. 64
Cour Eur. D.H, Arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21 par. 40 Arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 31 par. 49 Arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82 p. 30 par. 64
Cour Eur. D.H, Arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21 par. 40 Arrêt Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30, p. 31 par. 49 Arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82 p. 30 par. 64
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : recevable
Identifiant HUDOC : 001-24118
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1988:0506DEC001180185
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Texte intégral

                         SUR LA RECEVABILITE

                      de la requête No 11801/85

                      présentée par Jean KRUSLIN

                      contre la France

                              __________

        La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 6 mai 1988 en présence de

        MM. C.A. NØRGAARD, Président

            J.A. FROWEIN

            S. TRECHSEL

            F. ERMACORA

            G. SPERDUTI

            E. BUSUTTIL

            A. WEITZEL

            J.C. SOYER

            H. DANELIUS

            J. CAMPINOS

            H. VANDENBERGHE

        Mme G.H. THUNE

        Sir Basil HALL

        MM. F. MARTINEZ

            C.L. ROZAKIS

        Mme J. LIDDY

        M.  J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission

        Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

        Vu la requête introduite le 16 octobre 1985 par Jean KRUSLIN

contre la France et enregistrée le 17 octobre 1985 sous le No de

dossier 11801/85 ;

        Vu le rapport du 23 janvier 1987 (article 40 du Règlement

intérieur de la Commission) ;

        Vu les observations du Gouvernement défendeur sur la

recevabilité et le bien-fondé de la requête en date du 15 juin 1987 ;

        Vu les observations en réponse du requérant en date du

14 août 1987 ;

        Vu le rapport du 10 novembre 1987 (article 40 du Règlement

intérieur de la Commission) ;

        Vu l'audience sur la recevabilité et le bien-fondé de la

requête du 6 mai 1988 ;

        Après avoir délibéré,

        Rend la décision suivante :

EN FAIT

        Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les

parties, peuvent se résumer comme suit :

        Le requérant est un ressortissant français né en 1943 à Soccia

(Corse), sans profession ni domicile fixe.  Il se trouve en détention

au centre pénitentiaire de Perpignan.

        Le requérant est représenté devant la Commission par Me

Philippe Waquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation

à Paris.

        Le requérant a été mis en accusation devant la cour d'assises

de la Haute Garonne, par arrêt du 16 avril 1985 rendu par la chambre

d'accusation de la cour d'appel de Toulouse, pour avoir tenté avec des

complices de soustraire frauduleusement du numéraire et des bijoux,

d'avoir été porteur d'armes apparentes et de s'être rendu complice du

crime d'homicide volontaire.  Par ailleurs il était mis en accusation

pour avoir frauduleusement soustrait différentes sommes au préjudice

du Crédit Agricole.

        Il ressort de l'examen des pièces de la procédure que la ligne

téléphonique d'un dénommé T. a été mise sur écoute en exécution d'une

commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction de Saint-

Gaudens dans le cadre d'une information ouverte contre X. au sujet

d'un autre homicide volontaire.

        En raison de son intérêt, un enregistrement réalisé en vertu

de cette commission rogatoire a été transcrit par des officiers de

police judiciaire commis rogatoirement par le magistrat instructeur de

Toulouse, dans le cadre d'une information elle aussi ouverte contre X.

Cet enregistrement comportait des propos tenus par le requérant, qui

était hébergé provisoirement chez T. et avait utilisé la ligne

téléphonique de ce dernier.  La transcription de la conversation

enregistrée a constitué un élément déterminant dans la procédure

dirigée à l'encontre du requérant.

        Les termes des propos enregistrés furent portés à la

connaissance du requérant, lequel a été amené à s'en expliquer tant

au cours de l'enquête sur commission rogatoire qu'à la suite de son

inculpation.

        Dans son mémoire, déposé devant la chambre d'accusation de la

cour d'appel, le requérant soutenait notamment que les écoutes

téléphoniques avaient été ordonnées par le juge d'instruction de

Saint-Gaudens dans le cadre d'une autre procédure et qu'en conséquence

les enregistrements lui étant opposés devaient être annulés.

        Dans l'arrêt précité du 16 avril 1985 la cour d'appel déclare :

        "... si ces écoutes téléphoniques ont été ordonnées par le

        Juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Saint-

        Gaudens dans une autre procédure, il demeure que ni

        l'article 11 ni les articles R 155 et R 156 du code de

        procédure pénale n'interdisent aux juges de décider que soient

        annexés à une procédure pénale les éléments d'une autre

        procédure dont la production peut être de nature à les

        éclairer et à contribuer à la manifestation de la vérité,

        la seule condition exigée étant, ce qui est bien le cas

        en l'espèce, qu'une telle jonction ait un caractère

        contradictoire et que les pièces communiquées aient été

        soumises à la discussion des parties et qu'en conséquence

        ce moyen ne saurait être admis."

        Le requérant s'est pourvu en cassation à l'encontre de cet

arrêt.  Il a soutenu en particulier que l'article 8 de la Convention

était violé à son détriment.

        Selon lui l'arrêt attaqué encourait la cassation en ce qu'il

refusait de prononcer la nullité des écoutes téléphoniques provenant

d'une autre procédure,

        "alors que l'ingérence des autorités publiques dans la vie

        privée et familiale, le domicile et la correspondance d'une

        personne ne constitue une mesure qui, dans une société

        démocratique, est nécessaire à la prévention des infractions

        pénales que si elle est prévue par une loi, qui doit remplir

        la double condition suivante : être d'une qualité telle

        qu'elle use de termes clairs pour indiquer à tous de manière

        suffisante en quelles circonstances et sous quelles

        conditions elle habilite la puissance publique à opérer

        pareille atteinte, secrète et virtuellement dangereuse, au

        droit au respect de la vie privée et de la correspondance,

        et définir l'étendue et les modalités d'exercice d'un tel

        pouvoir avec une netteté suffisante pour fournir à

        l'individu une protection adéquate contre l'arbitraire ;

        qu'aucune disposition de la loi française - et en particulier

        l'article 81 du code de procédure pénale - ne répond à

        ces conditions."

        La Cour de cassation rejeta le pourvoi en considérant au

contraire dans son arrêt du 23 juillet 1985 :

        "... que l'examen des pièces de la procédure révèle qu'a été

        annexée à l'information, alors suivie par le juge d'instruction

        de Toulouse contre X... du chef d'homicide volontaire en

        raison de la mort de H. P., la transcription du contenu

        d'une bande magnétique supportant l'enregistrement de

        conversations tenues lors de communications passant par la

        ligne téléphonique dont le nommé T. est attributaire ;

        que cet enregistrement avait été réalisé en exécution d'une

        commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction de

        SAINT-GAUDENS dans le cadre d'une information, ouverte aussi

        contre X..., au sujet d'un autre homicide volontaire ; que

        c'est en raison de son intérêt pour l'information relative

        à la mort de P. que cette transcription a été effectuée

        par des officiers de police judiciaire, commis rogatoirement

        par le magistrat instructeur de TOULOUSE ;

        Que les termes des propos enregistrés ont été portés à la

        connaissance des divers intéressés, notamment de Kruslin,

        lequel a été amené à s'en expliquer, tant au cours de

        l'enquête sur commission rogatoire qu'à la suite de son

        inculpation ; qu'en outre une expertise portant sur la

        bande enregistrée, jointe ensuite à la procédure, a été

        pratiquée sur décision régulière du juge d'instruction ;

        Attendu qu'en cet état, en refusant de prononcer l'annulation

        des écoutes téléphoniques provenant d'une autre procédure,

        la Chambre d'accusation n'a pas encouru le grief énoncé au

        moyen ;

        Qu'en effet, en premier lieu, aucune disposition de la loi

        n'interdit d'annexer à une procédure pénale les éléments

        d'une autre procédure dont la production peut être de nature

        à éclairer les juges et à contribuer à la manifestation de

        la vérité ; que la seule condition exigée est qu'une telle

        jonction ait un caractère contradictoire, ce qui est le cas

        en l'espèce où les documents sont soumis à la discussion

        des parties ;

        Qu'en second lieu, il résulte des articles 81 et 151 du code

        de procédure pénale et des principes généraux de la procédure

        pénale que notamment, d'une part, des écoutes téléphoniques

        ne peuvent être ordonnées par un juge d'instruction, par voie

        de commission rogatoire, que sur présomption d'une infraction

        déterminée ayant entraîné l'ouverture de l'information dont

        le magistrat est saisi et que ces mesures ne sauraient viser,

        de façon éventuelle, toute une catégorie d'infractions ; que,

        d'autre part, les écoutes ordonnées doivent être réalisées

        sous le contrôle du juge d'instruction, sans que soit mis en

        oeuvre aucun artifice ou stratagème et sans qu'elles puissent

        avoir pour résultat de compromettre les conditions d'exercice

        des droits de la défense ;

        Que ces dispositions auxquelles est soumis le recours par le

        juge d'instruction aux écoutes téléphoniques et auxquelles il

        n'est pas établi qu'il ait été en l'espèce dérogé, répondent

        aux exigences résultant de l'article 8 de la Convention

        européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés

        fondamentales".

GRIEFS

        Le requérant se plaint de l'interception de la conversation

téléphonique qu'il a eue en utilisant la ligne surveillée de T.

        A son avis, aucune disposition de la loi française - et en

particulier l'article 81 du code de procédure pénale - n'autorise la

puissance publique à opérer des écoutes téléphoniques.  Il invoque

l'article 8 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

        La requête a été introduite le 16 octobre 1985.  Elle a été

enregistrée le 17 octobre 1985.

        Le 2 mars 1987 la Commission a décidé de porter la requête à

la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter

ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.

Le Gouvernement a présenté ses observations le 15 juin 1987.  Invité à

répondre aux observations du Gouvernement, le requérant a présenté ses

propres observations le 14 août 1987.

        Le 9 décembre 1987 la Commission a décidé d'inviter les

parties à lui présenter oralement des observations sur la recevabilité

et le bien-fondé de la requête.

        Le 6 mai 1988 la Commission a tenu une audience sur la

recevabilité et le bien-fondé de la requête.  A l'audience les parties

étaient représentées comme suit :

     -  Pour le Gouvernement :

        M.  J.C. Chouvet, Sous-directeur des Droits de l'Homme

            à la Direction des Affaires juridiques du Ministère

            des Affaires Etrangères, Agent du Gouvernement

        M.  F. Le Gunehec, Magistrat à la Direction des Affaires

            criminelles et des grâces du Ministère de la Justice,

            conseil

        Mme I. Chaussade, Magistrat, détachée à la Direction des

            Affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères,

            conseil

     -  Pour le requérant :

        Me Ph.  Waquet, avocat au barreau de Paris

        Me Cl.  Waquet, avocat au barreau de Paris

ARGUMENTATION DES PARTIES

        A. Législation pertinente

        Les parties se réfèrent toutes deux aux dispositions suivantes

du code de procédure pénale et du code pénal français.

        Code de procédure pénale

        Article 81

        "Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous

        les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation

        de la vérité.

        Il est établi une copie de ces actes ainsi que de toutes les

        pièces de la procédure : chaque copie est certifiée conforme

        par le greffier ou l'officier de police judiciaire commis

        mentionné à l'alinéa 4.  Toutes les pièces du dossier sont

        cotées et inventoriées par le greffier au fur et à mesure

        de leur rédaction ou de leur réception par le juge

        d'instruction.

        Toutefois, si les copies peuvent être établies à l'aide de

        procédés photographiques ou similaires, elles sont exécutées

        à l'occasion de la transmission du dossier.  Il en est alors

        établi autant d'exemplaires qu'il est nécessaire à

        l'administration de la justice.  Le greffier certifie la

        conformité du dossier reproduit avec le dossier original.

        Si le dessaisissement momentané a pour cause l'exercice

        d'une voie de recours, l'établissement des copies doit être

        effectué immédiatement pour qu'en aucun cas ne soit retardée

        la mise en état de l'affaire prévue à l'article 194.

        Si le juge d'instruction est dans l'impossibilité de procéder

        lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner

        commission rogatoire aux officiers de police judiciaire

        afin de leur faire exécuter tous les actes d'information

        nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues

        aux articles 151 et 152.

        Le juge d'instruction doit vérifier les éléments d'information

        ainsi recueillis (...)."

        Article 151

        "Le juge d'instruction peut requérir par commission rogatoire

        tout juge de son tribunal, tout "juge d'instance" du ressort

        de ce tribunal, tout officier de police judiciaire compétent

        dans ce ressort ou tout juge d'instruction, de procéder aux

        actes d'information qu'il estime nécessaires dans les lieux

        soumis à la juridiction de chacun d'eux.

        La commission rogatoire indique la nature de l'infraction,

        objet des poursuites.  Elle est datée et signée par le

        magistrat qui la délivre et revêtue de son sceau.

        Elle ne peut prescrire que des actes d'instruction se

        rattachant directement à la répression de l'infraction

        visée aux poursuites (...)."

        Article 152

        "Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis

        pour l'exécution exercent, dans les limites de la commission

        rogatoire, tous les pouvoirs du juge d'instruction.

        Toutefois, les officiers de police judiciaire ne peuvent

        procéder aux interrogatoires et aux confrontations de

        l'inculpé.  Ils ne peuvent procéder aux auditions de la

        partie civile qu'à la demande de celle-ci."

        Code pénal

        Article 368

        "Sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une

        amende de 2 000 à 50 000 F, ou de l'une de ces deux peines

        seulement, quiconque aura volontairement porté atteinte à

        l'intimité de la vie privée d'autrui :

        1.  En écoutant, en enregistrant ou transmettant au moyen

        d'un appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu

        privé par une personne, sans le consentement de celle-ci ;

        2.  En fixant ou transmettant, au moyen d'un appareil

        quelconque, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu

        privé, sans le consentement de celle-ci."

        B. Le Gouvernement

        Le Gouvernement soutient qu'en France, l'interception de

communications téléphoniques par écoute téléphonique, ordonnée par un

magistrat instructeur dans le cadre d'une instruction ouverte devant

lui, est prévue par les articles 81 et 151 du code de procédure pénale

et réglementée par la jurisprudence de la chambre criminelle de la

Cour de cassation.

        Celle-ci a admis la licéité des écoutes téléphoniques

ordonnées dans le cadre d'une information par un juge d'instruction

lorsque "l'opération (...) a été accomplie par délégation du juge

d'instruction et sous le contrôle de ce magistrat sans qu'aucun

artifice ou stratagème ait été mis en oeuvre" et "lorsqu'aucun élément

ne permet d'établir que le procédé ainsi employé ait eu pour résultat

de compromettre les conditions d'exercice des droits de la défense"

(Cour de cassation, arrêt Tournet du 9 octobre 1980).

        Les écoutes qui ne rempliraient pas ces conditions seraient

annulées (Cour de cassation, arrêt Imbert du 12 juin 1952).

        En l'espèce, la Cour de cassation, dans son arrêt du

23 juillet 1985, a effectivement vérifié que la loi et les principes

fixés par sa jurisprudence en cette matière ont bien été respectés.

        Le Gouvernement précise en outre que les textes réglementant

les écoutes téléphoniques judiciaires sont publics et suffisamment

accessibles : les articles 81 et 151 figurent dans le code de

procédure pénale, la jurisprudence de la chambre criminelle a été

publiée dans le "Bulletin" de la chambre criminelle de la Cour de

cassation et a été amplement commentée par la doctrine dans les

principales revues juridiques françaises.

        Enfin, le Gouvernement rappelle que l'utilisation des écoutes

téléphoniques fait l'objet d'un système de surveillance adapté qui

vient ainsi délimiter les pouvoirs des autorités judiciaires en ce

domaine.

        Les écoutes téléphoniques ont lieu en application d'une

commission rogatoire et se déroulent sous le contrôle du juge

d'instruction.  Celui-ci adresse une réquisition aux services des P.

et T.  L'Instruction sur le service téléphonique de 1958 dispose que

"les chefs du bureau central et les receveurs ou gérants sont tenus de

déférer à toute réquisition du juge d'instruction ayant pour objet

l'écoute de communications originaires ou à destination d'un poste

téléphonique déterminé".  Le juge d'instruction peut décider à tout

moment de mettre fin aux écoutes.

        La commission rogatoire ordonnant de telles écoutes est versée

au dossier de l'instruction ainsi que les procès-verbaux d'écoutes

effectuées.  La défense a donc accès à ces pièces lors de la

consultation du dossier de l'instruction et peut demander, en cas

d'irrégularité, l'annulation des actes.  La Cour de cassation contrôle

la conformité de ces commissions rogatoires à la loi et aux principes

fixés par sa jurisprudence.

        Quant à l'interdiction d'enregistrer les paroles prononcées

dans un lieu privé par une personne sans le consentement de celle-ci,

prévue par l'article 368 du code pénal, le Gouvernement souligne, en

se référant aux travaux préparatoires de la loi du 17 juillet 1970

introduisant cette disposition dans le code pénal et à un arrêt de la

cour d'appel de Colmar du 9 mars 1984 (arrêt Chalvignac et autres),

que cette disposition ne s'applique pas au juge d'instruction agissant

légalement dans l'exercice de ses fonctions.

        Enfin, le Gouvernement soutient que l'existence d'une

législation autorisant l'interception de communications téléphoniques

dans le cadre d'une information a pour but d'aider les autorités

judiciaires à s'acquitter de leurs tâches et est dès lors "nécessaire

dans une société démocratique" à la défense de l'ordre et à la

prévention des infractions pénales, au sens de l'article 8 par. 2

(art. 8-2) de la Convention.

        Le Gouvernement conclut que l'ingérence en question est

justifiée aux termes du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2)

de la Convention.

        C. Le requérant

        Les arguments du requérant peuvent se résumer comme suit :

        Une ingérence dans l'exercice du droit garanti par l'article 8

(art. 8) doit en premier lieu "être prévue par la loi" ; or, ni

l'article 81 ni l'article 151 du code de procédure pénale ne

constituent la "loi" susceptible de permettre une telle ingérence.

        Ces textes ne mentionnent aucunement les écoutes téléphoniques.

L'article 81 du code de procédure pénale a pour unique propos de

permettre au juge d'instruction de poursuivre l'information

conformément à la loi.  Ce texte ne peut donc être considéré comme la

loi autorisant les écoutes téléphoniques.  Quant à l'article 151 du

même code, il n'autorise le juge qu'à déléguer une partie de ses

pouvoirs par commission rogatoire ; il ne lui permet pas de déléguer

un pouvoir qu'il n'a pas.

        Le requérant souligne encore que les écoutes téléphoniques

sont interdites par l'article 368 du code pénal.  Les termes généraux

des dispositions des articles 81 et 151 du code de procédure pénale ne

sauraient constituer une dérogation à cette interdiction.

        Par ailleurs, le requérant soutient que les articles 81 et 151

du code de procédure pénale ne présentent pas les qualités de clarté

et précision requises par le paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2) de la

Convention.

        Enfin, le requérant soutient que le régime général des écoutes

téléphoniques n'est pas une mesure nécessaire dans une société

démocratique.  Une mesure de procédure pénale reste à l'intérieur de

ce qui est nécessaire dans une société démocratique à la condition

qu'elle assortisse l'ingérence qu'elle autorise des garanties des

droits de la défense.  Or, s'agissant des écoutes téléphoniques,

aucune garantie n'est prévue.

        En résumé, aucune des conditions prévues par l'article 8

par. 2 (art. 8-2) n'a, selon le requérant, été respectée.

EN DROIT

        Le requérant allègue que l'interception de la conversation

téléphonique qu'il a eue en utilisant la ligne placée sur écoute de T.

constitue une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de sa

vie privée et de sa correspondance.  Il invoque l'article 8 (art. 8)

de la Convention, qui stipule :

        "1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et

        familiale, de son domicile et de sa correspondance.

        2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans

        l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence

        est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui,

        dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité

        nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du

        pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des

        infractions pénales, à la protection de la santé ou de la

        morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."

        La Commission rappelle d'abord que selon la jurisprudence de

la Cour européenne des Droits de l'Homme les conversations

téléphoniques se trouvent comprises dans les notions de "vie privée"

et de "correspondance", au sens de l'article 8 (art. 8) (Cour eur.

D.H., arrêt Klass et autres du 6 septembre 1978, série A n° 28 p. 21

par. 40). L'interception de conversations téléphoniques s'analyse, dès

lors, en une ingérence d'une autorité publique dans l'exercice d'un

droit garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1) (Cour eur.

D.H., arrêt Malone du 2 août 1984, série A n° 82 p. 30 par. 64).

        Il n'est pas contesté, en l'espèce, que l'interception et

l'enregistrement de la conversation téléphonique qui a été à l'origine

des poursuites pénales exercées contre le requérant constituent une

ingérence dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée ou

de sa correspondance.  Le Gouvernement défendeur soutient, toutefois,

que cette mesure était "prévue par la loi" et "nécessaire dans une

société démocratique", notamment à la défense de l'ordre et à la

prévention des infractions pénales et que, dès lors, cette ingérence

était justifiée aux termes du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2).

Le requérant soutient que les dispositions sur la base desquelles les

écoutes ont été effectuées, à savoir les articles 81 et 151 du code de

procédure pénale, ne peuvent être considérées comme prévoyant la

mesure en question.

        La Commission a procédé à un examen préliminaire des arguments

des parties, à la lumière notamment des arrêts précités de la Cour

européenne des Droits de l'Homme.  Elle estime que des questions

importantes se posent au regard du paragraphe 2 de l'article 8

(art. 8-2), notamment la question de savoir si les normes juridiques

nationales qui constituent la base légale de la mesure en question,

telles qu'elles ont été interprétées par la jurisprudence de la Cour

de cassation, peuvent être considérées, d'une part, comme

"suffisamment accessibles et énoncées avec assez de précision pour

permettre au citoyen de régler sa conduite" (Cour eur.  D.H., arrêt

Sunday Times du 26 avril 1979, série A n° 30 p. 31 par. 49) et,

d'autre part, comme offrant "des garanties adéquates et suffisantes

contre les abus" (Cour eur.  D.H., arrêt Klass et autres précité, p.

23 par. 50).

        La Commission estime que, vu l'importance et la complexité des

questions soulevées, la requête ne saurait être déclarée manifestement

mal fondée et que, dès lors, elle doit être déclarée recevable, aucun

autre motif d'irrecevabilité n'ayant été relevé.

        Par ces motifs, la Commission

        DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tout moyen de fond étant

        réservé.

    Le Secrétaire adjoint                    Le Président

      de la Commission                     de la Commission

        (J. RAYMOND)                        (C.A. NØRGAARD)

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Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, Commission, KRUSLIN c. la France, 6 mai 1988, 11801/85