CEDH, Commission (deuxième chambre), BOYER-MANET c. la FRANCE, 1er septembre 1993, 18437/91

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 1er sept. 1993, n° 18437/91
Numéro(s) : 18437/91
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 10 mai 1991
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : partiellement recevable ; partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-25434
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1993:0901DEC001843791
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Texte intégral

                                FINALE

                          SUR LA RECEVABILITE

                 de la requête No 18437/91

                 présentée par Marthe BOYER-MANET

                 contre la France

                            __________

      La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er septembre 1993 en

présence de

           MM.   S. TRECHSEL, Président

                 H. DANELIUS

                 G. JÖRUNDSSON

                 J.-C. SOYER

           Mme   G.H. THUNE

           MM.   F. MARTINEZ

                 L. LOUCAIDES

                 J.-C. GEUS

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

           M.    K. ROGGE, Secrétaire de la Chambre ;

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 10 mai 1991 par Marthe BOYER-MANET

contre la France et enregistrée le 2 juillet 1991 sous le No de dossier

18437/91 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Vu la décision de la Commission, en date du 2 septembre 1992, de

porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et

d'inviter ce dernier à présenter par écrit ses observations sur la

recevabilité et le bien-fondé des griefs tirés de la durée de la

procédure et de l'absence de recours effectif pour faire cesser cette

violation de la Convention ;

      Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

9 décembre 1992, les observations en réponse présentées par la

requérante le 3 mars 1993 et ses observations complémentaires

présentées le 31 mars 1993 ,

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :

EN FAIT

      La requérante, de nationalité française, est née en 1919 et

habite au Puy-en-Velay.  Elle exerce actuellement la profession de

commerçante. Devant la Commission, elle est représentée par M. Philippe

Bernardet, sociologue.

      Les faits de la cause, tels qu'ils sont exposés par les parties,

peuvent se résumer comme suit.

      La requérante était propriétaire d'un chenil-refuge. Le 26 avril

1983, la société protectrice des animaux (S.P.A.) de Lyon et du Sud-Est

déposa une plainte contre la requérante, qui fut classée sans suite et

que la S.P.A. renouvela le 1er septembre 1983.

      Le 9 septembre 1983,  un arrêté du préfet de la Haute-Loire

ordonna la fermeture du chenil-refuge de la requérante, et cet arrêté

lui fut notifié le 15 septembre 1983.

      Ce même 15 septembre 1983, le secrétaire général de la préfecture

de Haute-Loire et les services de police procédèrent, en exécution de

l'arrêté préfectoral du 9 septembre 1983, à la fermeture du chenil. La

requérante opposant une certaine résistance à cette exécution, elle fut

placée d'office, le même jour, au centre hospitalier spécialisé en

psychiatrie du Puy, en vertu d'un arrêté du préfet en date du 15

septembre 1983.

      La requérante, pour sa part, nie avoir fait preuve de violence

lors de l'exécution de l'arrêté préfectoral et affirme que cet arrêté

de placement d'office du 15 septembre 1983 ne lui aurait pas été

notifié.

      Le 17 septembre 1983, un arrêté préfectoral mit fin sous

condition suspensive à l'internement de la requérante, qui fut ainsi

autorisée à quitter l'hôpital psychiatrique à titre d'essai pendant un

mois. Elle fut assignée à résidence et accompagnée par des infirmiers

chez Madame R. pour y résider sous surveillance.

      Le 23 septembre 1983, elle déposa plainte auprès du procureur de

la République du tribunal de grande instance du Puy, contre le préfet

de Haute-Loire, le secrétaire général de la préfecture et le

commissaire de police du Puy, pour internement abusif et séquestration.

Elle porta également plainte pour vol puis partit de chez Madame R. le

24 septembre 1983 sans laisser d'adresse.

      Les recherches d'adresse de la requérante, effectuées aux fins

de son audition suite à la plainte déposée à son encontre par la S.P.A.

de Lyon, restèrent infructueuses ainsi qu'il est constaté dans les

procès-verbaux des 29 octobre et 28 novembre 1983. Ce dernier précise

que, lors d'un contact téléphonique avec une de ses connaissances, la

requérante se serait refusée à communiquer son lieu de résidence,

indiquant qu'elle n'avait aucune déclaration à faire suite à la plainte

déposée par la S.P.A.

      La plainte de la requérante du 23 septembre 1983 ayant été

classée sans suite, elle se constitua partie civile, le 12 septembre

1984, devant le juge d'instruction du tribunal du Puy, pour les mêmes

faits, à savoir arrestation illégale et séquestration, et se plaignit,

en sus de son internement, du fait que le préfet aurait également

disposé de certains de ses biens.

      Le 15 septembre 1984, ce magistrat transmit la plainte au

parquet, qui prit un réquisitoire de refus d'informer en date du 20

septembre 1984.

      Le juge d'instruction rendit le 18 octobre 1984 une ordonnance

d'incompétence, en raison du privilège de juridiction dont

bénéficiaient les personnes mises en cause, et il transmit le dossier

au parquet.

      Le procureur de la République adressa, le 28 mars 1985, une

requête à la chambre criminelle de la Cour de cassation, tendant à la

désignation d'une chambre d'accusation.  En effet, aux termes de

l'article 681 du Code de procédure pénale, lorsque certains

fonctionnaires sont susceptibles d'être inculpés d'un crime ou d'un

délit commis dans l'exercice de leurs fonctions, "le procureur de la

République saisi de l'affaire présente, sans délai, requête à la

chambre criminelle de la Cour de cassation, qui (...) désigne la

chambre d'accusation qui pourra être chargée de l'instruction".

      Par arrêt du 9 mai 1985, la chambre criminelle de la Cour de

cassation désigna la chambre d'accusation de la cour d'appel de Riom.

      Le 25 septembre 1985, la requérante réitéra sa plainte auprès du

procureur de la République du tribunal de grande instance du Puy, mais

il semble qu'elle n'obtint pas de réponse.

      Le 8 avril 1986, elle écrivit au premier président de la Cour de

cassation afin de connaître la suite donnée au recours exercé par le

procureur de la République sur le fondement de l'article 681 du Code

de procédure pénale.  Par lettre du 22 avril 1986, il lui fut répondu

qu'"il ne semble pas que (votre lettre) concerne une procédure pendante

devant la Cour de cassation".

      La requérante envoya deux autres lettres, le 22 mai 1986 et le

5 août 1986, à divers services de la Cour de cassation, par lesquelles

elle demandait à connaître la suite donnée à la requête du procureur

de la République.

      Par lettre du 1er octobre 1986, l'avocat de la requérante

communiqua au président de la chambre d'accusation de la cour d'appel

de Riom l'arrêt de la Cour de cassation du 9 mai 1985 chargeant cette

juridiction de l'instruction, et sollicita une audition de sa cliente.

      Le 7 décembre 1986, la requérante réitéra sa plainte auprès du

président de la chambre d'accusation.

      Le 19 mai 1987, la requérante demanda des informations sur l'état

de la procédure au parquet du tribunal de grande instance du Puy.

      Le 1er juin 1987, le procureur de la République lui répondit que

sa plainte du 23 septembre 1983 avait été classée sans suite, et qu'il

constatait qu'elle n'avait pas déféré aux convocations des services de

police.

      Le 17 novembre 1987, l'avocat de la requérante l'informait que

le greffe de la chambre d'accusation lui avait précisé n'avoir "aucune

affaire ouverte" à son nom ; l'avocat ajoutait avoir remis un nouvel

exemplaire de l'arrêt de la Cour de cassation du 9 mai 1985 à la

greffière.

      Par acte d'huissier du 9 décembre 1987, le procureur de la

République du Puy signifia à la requérante ce même arrêt du 9 mai 1985.

      La requérante changea d'avocat à une date non précisée qui se

situerait au moment où le parquet lui notifia l'arrêt de la Cour de

cassation du 9 mai 1985.

      Le 8 janvier 1988, la requérante envoya des lettres au président

de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Riom et au parquet du

tribunal de grande instance du Puy, en faisant état du renouvellement

de sa plainte,

      Le 19 janvier 1988, le parquet lui répondit en lui rappelant tout

d'abord qu'elle avait omis à nouveau de déférer à la convocation des

services de police et en ajoutant que, le parquet ayant décidé de ne

pas poursuivre les faits, il lui appartenait, si elle l'estimait utile,

de saisir la chambre d'accusation désignée par la Cour de cassation

d'une nouvelle plainte assortie d'une constitution de partie civile,

conformément aux dispositions de l'article 681 al. 3 du Code de

procédure pénale.

      Le 9 février 1988, la requérante renouvela sa plainte avec

constitution de partie civile devant la chambre d'accusation de la cour

d'appel de Riom.  Elle compléta sa plainte initiale en y incluant les

médecins intervenus lors de son bref internement à l'hôpital

psychiatrique, et en déposant plainte contre X. pour violation de

domicile, vol et pillage.

      Le 2 mars 1988, le président de la chambre d'accusation fut saisi

par le procureur général.

      Par arrêt du 30 mars 1988, la chambre d'accusation constata le

dépôt de la plainte de la requérante du 9 février 1988 et fixa à cinq

mille francs le montant de la consignation à verser par la requérante.

      Le 28 avril 1988, la requérante demanda le bénéfice de l'aide

judiciaire et, dans cette demande, elle évalua son dommage à cinq cent

mille francs.

      La requérante déposa la consignation le 31 mai 1988. L'aide

judiciaire lui fut accordée par décision du 1er juin 1988, décision qui

lui fut adressée le 13 juin 1988. La consignation versée n'a, à ce

jour, pas été remboursée à la requérante.

      Le 5 janvier 1990, l'avocat de la requérante déposa à la chambre

d'accusation un volumineux dossier relatif à l'affaire de sa cliente.

      Le 28 décembre 1990, le conseil de la requérante écrivit au

procureur général près la cour d'appel de Riom pour lui demander de

l'informer des suites données à la plainte avec constitution de partie

civile de sa cliente.

      Le procureur lui répondit le 9 janvier 1991, "qu'il n'a pas été

trouvé trace de cette affaire à la cour", ce qui provoqua, le 11

janvier 1991, des protestations de l'avocat.

      Le 14 janvier 1991, le procureur général prit un réquisitoire aux

fins d'informer devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de

Riom et en informa le conseil de la requérante.

      Le 29 janvier 1991, la chambre d'accusation, se référant à la

plainte avec constitution de partie civile en date du 9 février 1988,

constata l'ouverture de l'information et désigna, conformément à

l'article 682 du Code de procédure pénale, l'un de ses membres comme

conseiller chargé de prescrire tous les actes d'instruction

nécessaires.

      Ce conseiller, membre de la chambre d'accusation, désigna un juge

d'instruction du tribunal de grande instance du Puy, et lui demanda,

par commission rogatoire du 12 avril 1991, d'entendre la partie civile.

      Le juge d'instruction désigné procéda à une première audition de

la requérante le 30 mai 1991. Il transmit, le 17 juin 1991, l'ensemble

du dossier d'audition ainsi qu'une note établie le 14 juin 1991 par la

requérante, au conseiller compétent au sein de la chambre d'accusation.

      Le 24 juin 1991, la commission rogatoire du 12 avril 1991 fut

retournée, et une note de la partie civile en date du 21 juin 1991 fut

transmise à la cour d'appel.

      Par ordonnance du 18 novembre 1991, deux psychiatres furent

commis aux fins d'expertise tendant à établir si, du point de vue

médical, l'internement et ses conditions d'exécution étaient justifiés.

La commission rogatoire précisait que toutes auditions utiles de la

requérante devaient être effectuées.

      Suite à un courrier des experts du 11 mars 1992 convoquant la

requérante pour le 1er avril 1992, l'avocat de cette dernière informa,

par lettre du 25 mars 1992, ces deux praticiens, exerçant à Clermont-

Ferrand, que la requérante ne pouvait se présenter, faute de pouvoir

abandonner son commerce de dentelles et se déplacer jusqu'à Clermont-

Ferrand.

      Les deux experts envoyèrent chacun une lettre les 31 mars et 1er

avril 1992 au juge d'instruction, lui faisant part des difficultés de

déplacement de la requérante et l'informant de leur impossibilité

respective de se déplacer pour assurer cette mission. Le conseiller à

la cour d'appel adressa un courrier à l'avocat de la requérante le 20

mai 1992, l'informant de son intention de désigner des experts de

Haute-Loire.

      Par ordonnance du 21 mai 1992, deux autres experts furent commis,

mais, résidant au Puy et ayant eu connaissance de l'objet du litige

avant sa désignation, l'un des deux experts désignés sollicita son

remplacement par lettre du 26 mai 1992. Il fut remplacé par ordonnance

du 11 juin 1992. Le médecin désigné, connaissant la requérante et

faisant partie du personnel de l'établissement hospitalier impliqué,

refusa également la mission confiée.

      Deux autres experts de Clermont-Ferrand furent alors désignés par

une ordonnance du 22 octobre 1992 qui leur imposait un délai de quatre

mois pour se prononcer, et, par lettre du même jour, le conseiller à

la cour d'appel demanda à l'avocat de la requérante de faire part à sa

cliente de cette nouvelle - et dernière - désignation, précisant

qu'elle devrait s'y soumettre.

      Le 25 février 1993, la requérante reçut une lettre des derniers

experts commis la convoquant pour le 3 mars 1993.

GRIEFS

1.    La requérante se plaint de la durée de la procédure diligentée

suite à son dépôt de plainte avec constitution de partie civile et

allègue que sa cause n'a pas été entendue dans le délai raisonnable

prévu à l'article 6 par. 1 de la Convention. Elle estime en effet que

cette procédure a débuté le 23 septembre 1983 par le dépôt de sa

plainte pour internement abusif et séquestration et rappelle qu'elle

fut entendue pour la première fois par le juge d'instruction le 30 mai

1991. Elle ajoute avoir reçu, le 25 février 1993, une convocation des

experts nommés le 22 octobre 1992 et note que l'instruction est

toujours en cours.

2.    La requérante se plaint également de l'absence de recours

effectif en droit français, qui permettrait de faire cesser la

violation de l'article 6 par. 1 de la Convention, et allègue à cet

égard la violation de l'article 13 de la Convention.

3.    Dans ses observations en réponse du 3 mars 1993, la requérante

se plaint par ailleurs de ce que les articles 679 à 688 du Code de

procédure pénale instaurent, selon elle, un privilège de juridiction

contraire à l'article 14 de la Convention, combiné avec l'article 13

dans la mesure où la partie civile ne dispose d'aucun recours interne

pour remédier à cette situation.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

      La requête a été introduite le 10 mai 1991 et enregistrée le 2

juillet 1991.

      Le 2 septembre 1992, la Commission a décidé, conformément à

l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de donner

connaissance de la requête au Gouvernement français, de l'inviter à

présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le

bien-fondé des griefs portant sur la longueur de la procédure au regard

de l'article 6 par. 1 de la Convention et sur l'absence de recours

effectif pour faire cesser cette violation de la Convention au sens de

son article 13.

      La Commission a décidé de déclarer la requête irrecevable pour

le surplus (griefs tirés du caractère prétendument inéquitable de la

procédure au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention et de

l'absence de voies de recours internes propres à remédier à cette

situation au sens de l'article 13 de la Convention).

      Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées le

9 décembre 1992.

      Les observations en réponse de la requérante ont été présentées

le 3 mars 1993 et ses observations complémentaires ont été adressées

le 31 mars 1993.

EN DROIT

1.    La requérante se plaint de la durée de la procédure. Elle invoque

sur ce point l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui dispose

notamment que "toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

... dans un délai raisonnable par un tribunal ... qui décidera ... des

contestations sur ses droits et obligations de caractère civil...".

      Le Gouvernement soulève tout d'abord une exception

d'irrecevabilité tirée de l'incompatibilité ratione materiae de la

requête avec les dispositions de la Convention.

      Il fait valoir d'une part que, la requérante étant partie civile,

aucune accusation en matière pénale n'est dirigée contre elle.

      D'autre part, le Gouvernement soutient que la constitution de

partie civile constitue une prérogative attachée à la personne et

pouvant tendre seulement à la défense de son honneur et de sa

considération, indépendamment de toute réparation par la voie de

l'action civile.

      Il ajoute que l'éventualité d'une allocation de dommages-intérêts

ne fait pas à elle seule rentrer la procédure dans le champ

d'application de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le

Gouvernement se réfère à cet égard à l'arrêt Editions Périscope c/

France (Cour eur. D.H., arrêt du 26 mars 1992, série A n° 234-B).

      Or, en l'espèce, la procédure est relative à l'internement d'une

personne en hôpital psychiatrique et le Gouvernement rappelle que,

selon la jurisprudence de la Commission, cette procédure ne porte pas

sur des droits de caractère civil.

      De même, il relève que la Commission a jugé que l'article 6

par. 1 (art. 6-1) ne s'appliquait pas à une action en indemnisation

après détention car le droit à la liberté n'était pas un droit de

caractère civil.

      En l'espèce, le Gouvernement estime donc que, la requérante

visant principalement à faire constater l'existence de l'infraction de

séquestration arbitraire et le droit à réparation étant strictement

subordonné à cette reconnaissance, l'article 6 (art. 6) de la

Convention ne s'applique pas.

      La requérante affirme, quant à elle, que la procédure en cause

est relative à une contestation sur un droit de caractère civil et que

l'article 6 (art. 6) de la Convention est applicable.

      Elle rappelle tout d'abord qu'eu égard au droit français, la

constitution de partie civile vise, avant tout, la réparation du

préjudice. L'article 2 du Code de procédure pénale prévoit en effet que

"l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit

ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement

souffert du dommage directement causé par l'infraction". En outre, elle

rappelle que l'article 3 du même code dispose que l'action civile "sera

recevable pour tous les chefs de dommages, aussi bien matériels que

corporels ou moraux".

      De surcroît, la requérante soutient que même si la constitution

de partie civile d'une personne peut tendre seulement à la défense de

son honneur et de sa considération, comme l'affirme le Gouvernement,

il s'agit encore d'un droit civil qui s'attache directement à la

personne et à la protection de la vie privée au sens de l'article 8

(art. 8) de la Convention.

      En l'espèce, le droit présente, selon la requérante, un caractère

civil résultant non seulement de la possibilité d'obtenir une

réparation pécuniaire de l'éventuel préjudice subi par elle du fait de

la "séquestration", mais encore de l'objet même du droit à la

réhabilitation. La privation de liberté résultant d'un internement

psychiatrique  ne concerne, selon elle, pas seulement la liberté

d'aller et venir, mais met également en cause la réputation de

l'intéressé et sa vie familiale et privée.

      Enfin, la requérante ajoute que, dans le formulaire de demande

d'aide judiciaire, qui lui a été accordée, elle avait évalué son

dommage à cinq cent mille francs et a ainsi apporté la preuve de sa

volonté de voir son dommage pécuniairement réparé.

      En conséquence, la requérante soutient que son droit revêt un

caractère civil, même si la contestation en cause est traitée dans le

cadre d'une action pénale et que l'article 6 (art. 6) de la Convention

s'applique.

      Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement estime à titre

subsidiaire et dans la mesure où l'article 6 (art. 6) de la Convention

serait déclaré applicable, qu'aucune violation de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) ne saurait être constatée.

      Le Gouvernement considère tout d'abord que la procédure a débuté

le 12 septembre 1984, date du dépôt de la plainte avec constitution de

partie civile de la requérante.

      S'appuyant sur une chronologie de la procédure visant à établir

que celle-ci n'a pas connu une durée excessive, il ajoute que l'affaire

était complexe du fait qu'elle mettait en cause des personnes accusées

d'avoir, dans l'exercice de leurs fonctions, commis des faits graves

attentatoires à la liberté individuelle.

      En effet, compte tenu de la qualité de ces personnes, les

articles 679 à 688 du Code de procédure pénale, qui prévoient une

procédure particulière, étaient effectivement applicables en l'espèce.

Ce n'est donc qu'après l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de

cassation du 9 mai 1985 désignant la chambre d'accusation compétente

que l'action publique a pu être mise en mouvement, ce qui a été fait

le 9 février 1988 lorsque la requérante a renouvelé sa plainte avec

constitution de partie civile devant la chambre d'accusation.

      Le Gouvernement souligne à cet égard que la requérante aurait pu

mettre en mouvement l'action publique dès le 9 décembre 1987, date de

la signification de l'arrêt de la Cour de cassation du 9 mai 1985

désignant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Riom.

      Le Gouvernement avance également que la requérante a, par son

attitude, contribué à l'allongement de la procédure dans la mesure où

elle a refusé de se rendre à la convocation des premiers experts

commis.

      S'agissant du comportement des autorités judiciaires, le

Gouvernement soutient que celles-ci ont cherché, avant tout, à faire

montre de prudence et de bienveillance à l'égard de la requérante.

      Ainsi, le Gouvernement explique les interruptions de procédure,

notamment entre le 31 mai 1988 et le 14 janvier 1991, par la prise en

compte de ces considérations humanitaires et par la nature procédurale

complexe de l'espèce.

      En outre, le Gouvernement souligne que la requérante a attendu

le 9 février 1988 pour régulariser sa situation devant la chambre

d'accusation, alors que la lettre du 1er octobre 1986 de son conseil

démontre que celui-ci possédait l'arrêt de la Cour de cassation du 9

mai 1985 avant sa signification à la requérante.

      En conséquence, le Gouvernement conclut que le grief tiré de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dans la mesure où

celui-ci serait déclaré applicable, est manifestement mal fondé.

      La requérante, quant à elle, fait tout d'abord observer que le

privilège de juridiction, prévu par les articles 681 et 687 du Code de

procédure pénale et invoqué par le Gouvernement, constitue en soi une

violation des articles 6 par. 1 et 14 (art. 6-1, 14) de la Convention.

      Elle souligne également que l'affaire ne revêtait pas une

complexité exceptionnelle.

      La requérante argue également du fait que sa plainte du 12

septembre 1984 avait pour objet d'obliger le procureur à saisir "sans

délai" la chambre criminelle de la Cour de cassation. Or, en l'espèce,

le procureur ne saisit cette juridiction que le 28 mars 1985, soit sept

mois et demi après sa plainte. La requérante estime en outre que les

navettes entre le juge d'instruction et le procureur n'ont fait que

souligner la confusion qui régnait dans l'instruction de cette plainte.

      De même, si la Cour de cassation s'est prononcée dans un bref

délai, la requérante relève que le procureur ne lui écrivit que le 1er

juin 1987 et que l'arrêt de la Cour de cassation ne lui fut signifié

que le 9 décembre 1987. Selon elle, rien ne saurait expliquer ce délai

de deux ans et sept mois pour procéder à la signification.

      S'agissant de son propre comportement, la requérante estime que

le Gouvernement défendeur ne peut lui reprocher d'avoir attendu la

signification de l'arrêt de la Cour de cassation pour renouveler sa

plainte, alors qu'elle s'est adressée à la chambre d'accusation dans

les délais et que "la magistrature nationale resta quant à elle

pétrifiée durant trois ans".

       La requérante rappelle qu'elle n'a été convoquée par les experts

que le 11 mars 1992 et que, dès le 25 mars 1992, son avocat informait

les experts de ses difficultés de déplacement. En outre, elle soutient

qu'on ne saurait lui faire grief des impossibilités des experts de se

déplacer ou de leurs désistements successifs.

      Concernant le comportement des autorités nationales, la

requérante affirme que les seuls actes d'information effectués depuis

le 23 septembre 1983 sont l'audition de la partie civile le 30 mai 1991

et la désignation d'experts.

      Par ailleurs, la requérante relève qu'après le dépôt de la

consignation de cinq mille francs le 31 mai 1988, aucun acte des

autorités ne fut pris jusqu'au 14 janvier 1991, date du réquisitoire

aux fins d'information devant la chambre d'accusation du procureur

général.

      La requérante, qui nie avoir refusé de collaborer à la

réalisation des expertises, juge également que le délai de six mois,

accordé aux experts pour remplir leur mission, était excessif eu égard

à la simplicité de cette mission.

      En conclusion, la requérante soutient que, sur un total de neuf

ans et cinq mois de procédure, sept ans et presque cinq mois sont

demeurés improductifs et inutiles.

      Dès lors, la requérante conclut à la violation de l'article 6

par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

       La Commission a procédé à un examen préliminaire des thèses

développées par les parties. Elle estime que la requête pose sur ce

point de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être

résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais nécessitent un

examen au fond.

      Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal

fondée sur ce point au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention.

2.    La requérante se plaint également de ce qu'il n'existe, selon

elle,  aucune voie de recours interne permettant de remédier à la

violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en ce qu'il

impose aux tribunaux le respect d'un délai raisonnable pour statuer.

Elle allègue à ce titre la violation de l'article 13 (art. 13) de la

Convention.

      Cet article stipule que "toute personne dont les droits et

libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit

à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors

même que la violation aurait été commise par des personnes agissant

dans l'exercice de leurs fonctions officielles".

      Le Gouvernement soutient que, l'article 6 (art. 6) de la

Convention étant selon lui inapplicable, il n'existe dès lors aucune

base permettant d'appliquer l'article 13 (art. 13) de la Convention.

      Toutefois, dans l'hypothèse où la Commission déclarerait

l'article 6 (art. 6) applicable, le Gouvernement estime que le grief

tiré de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) étant manifestement mal fondé,

il n'existerait aucune base permettant d'appliquer l'article 13

(art. 13) de la Convention.

      Enfin, le Gouvernement ajoute que, à supposer que le grief tiré

de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention soit déclaré

recevable, il ne saurait en l'espèce y avoir violation de l'article 13

(art. 13) de la Convention. Il rappelle en effet que, selon la

jurisprudence constante de la Cour, lorsqu'une violation de l'article

6 par. 1 (art. 6-1) est constatée, les exigences de l'article 13 sont

"absorbées" par l'article 6 (art. 6) et il est alors inutile d'examiner

l'affaire sous l'angle de l'article 13 (art. 13).

      Le Gouvernement se réfère également au rapport de la Commission

dans l'affaire Bartolomeo Pizzetti c/ Italie (No 12444/86, , rapport

10.12.91, à paraître dans la série A n°257-B), dans lequel la

Commission a considéré que l'article 13 (art. 13) ne s'appliquait pas

lorsque la violation alléguée de la Convention consistait en un acte

judiciaire.

      Le Gouvernement soutient par ailleurs que la requérante peut, en

droit français, mettre en jeu la responsabilité de l'Etat pour

fonctionnement défectueux du service de la justice sur la base de

l'article L 781-1 du Code de l'organisation judiciaire. Cet article

prévoit que dans ce cas, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé

si sa responsabilité est engagée par une faute lourde ou par un déni

de justice. De même, la requérante peut saisir le ministre de la

Justice d'un recours gracieux et/ou saisir les tribunaux judiciaires

pour obtenir réparation sur le même fondement.

      Le Gouvernement conclut donc, en tout état de cause, au défaut

manifeste de fondement du grief tiré de l'article 13 (art. 13) de la

Convention.

      La requérante, quant à elle,  fait valoir que l'article L 781-1

du Code de l'organisation judiciaire ne permet que la réparation du

préjudice issu d'un mauvais fonctionnement, et ne constitue donc pas

un recours effectif susceptible de faire disparaître la violation de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Elle relève qu'il en

va de même de  la saisine du ministre de la Justice ou des tribunaux

du fait d'un allongement fautif de la procédure puisque ces recours ne

permettent pas de faire cesser la violation.

      En outre, la requérante affirme que la jurisprudence française

refuse de considérer les retards d'instruction comme constituant une

faute lourde ou un déni de justice, ce qui rend, en pratique, incertain

le recours fondé sur l'article L 781-1 du Code de l'organisation

judiciaire. Ce recours étant inefficace et insuffisant, il ne constitue

d'ailleurs pas un recours à épuiser au titre de l'article 26 (art. 26)

de la Convention.

      La requérante soutient donc qu'il n'existe pas, en droit

français, de recours effectif au sens de l'article 13 (art. 13) de la

Convention qui permette de parer à la durée déraisonnable d'une

procédure, et allègue en conséquence la violation de cette disposition.

      La Commission estime que l'applicabilité de l'article 13

(art. 13) au cas d'espèce ainsi que la question de savoir si le droit

français offre un recours effectif pour se plaindre de la durée d'une

procédure posent des problèmes suffisamment complexes pour nécessiter

un examen au fond.

      Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement mal

fondée sur ce point au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention.

3.    Dans ses observations en réponse en date du 3 mars 1993, la

requérante se plaint par ailleurs de ce que les articles 681 et 687 du

Code de procédure pénale qui étaient applicables en l'espèce,

instaurent, selon elle, un privilège de juridiction contraire à

l'article 14 (art. 14) de la Convention. Elle semble combiner cette

disposition avec l'article 13 (art. 13) de la Convention, dans la

mesure où la partie civile ne disposerait d'aucun recours interne pour

remédier à cette situation. Elle ajoute que les articles 681 et 687 en

question ont d'ailleurs été abrogés en juillet 1992 pour cette raison.

      L'article 681 du Code de procédure pénale prévoit que, lorsque

certains fonctionnaires sont susceptibles d'être inculpés d'un crime

ou d'un délit commis dans l'exercice de leurs fonctions, "le procureur

de la République saisi de l'affaire présente, sans délai, requête à la

chambre criminelle de la Cour de cassation, qui (...) désigne la

chambre d'accusation qui pourra être chargée de l'instruction".

      L'article 14 (art. 14) de la Convention prévoit que "la

jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention

doit être assurée sans distinction aucune (...)".

      La Commission constate que la décision faisant grief à la

requérante sur ce point est l'arrêt de la Cour de cassation du 9 mai

1985, désignant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Riom.

      Or, la Commission relève d'emblée que l'arrêt de la chambre

criminelle de la Cour de cassation, qui constitue ici la décision

interne définitive, a été rendue le 9 mai 1985, soit plus de six mois

avant le 3 mars 1993, date des observations de la requérante dans

lesquelles le grief tiré de l'article 14 (art. 14) de la Convention est

soulevé pour la première fois.

      Dès lors, la Commission estime que ce grief doit être rejeté pour

non-respect du délai de six mois prévu à l'article 26 (art. 26),

conformément à l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

      Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

      DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs

      tirés des articles 6 par. 1 et 13 (art. 6-1, 13) de la Convention

      concernant la durée de la procédure.

      DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

           Le Secrétaire                           Le Président

      de la Deuxième Chambre                   de la Deuxième Chambre

           (K.ROGGE)                                 (S.TRECHSEL)

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CEDH, Commission (deuxième chambre), BOYER-MANET c. la FRANCE, 1er septembre 1993, 18437/91