CEDH, Commission (plénière), S.T. c. la FRANCE, 18 mai 1998, 31069/96

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 18 mai 1998, n° 31069/96
Numéro(s) : 31069/96
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 16 avril 1996
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Allenet de Ribemont du 10 février 1995, série A n° 308, p. 16, par. 35
Arrêt Artner du 28 août 1992, série A n° 242-A, p. 10, par. 22
Arrêt Asch du 26 avril 1991, série A n° 203, p. 10, par. 25, 27
Cour Eur. D.H. Arrêt Cardot du 19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, par. 34
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-29545
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0518DEC003106996
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Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITÉ

                      de la requête N° 31069/96

                      présentée par S.T.

                      contre la France

     La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 18 mai 1998 en présence de

           MM.   S. TRECHSEL, Président

                 J.-C. GEUS

                 E. BUSUTTIL

                 G. JÖRUNDSSON

                 A.S. GÖZÜBÜYÜK

                 A. WEITZEL

                 J.-C. SOYER

                 H. DANELIUS

                 L. LOUCAIDES

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

                 B. CONFORTI

                 N. BRATZA

                 I. BÉKÉS

                 J. MUCHA

                 D. SVÁBY

                 G. RESS

                 A. PERENIC

                 C. BÎRSAN

                 P. LORENZEN

                 K. HERNDL

                 E. BIELIUNAS

                 E.A. ALKEMA

                 M. VILA AMIGÓ

           Mme   M. HION

           MM.   R. NICOLINI

                 A. ARABADJIEV

           M.    M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission ;

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 16 avril 1996 par Samir TRABOULSI

contre la France et enregistrée le 19 avril 1996 sous le N° de dossier

31069/96 ;

     Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     Le requérant, né en 1938 à Beyrouth, est libanais. Il exerce la

profession de conseiller financier et réside à Beyrouth. Devant la

Commission, il est représenté par la SCP Piwnica-Molinié, avocats au

Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

     Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent

se résumer comme suit.

     En 1987, la société Péchiney, société nationalisée ayant pour

principale activité la production et la transformation d'aluminium,

développa une politique d'acquisition de sociétés fabriquant des

emballages. Dans ce cadre, elle racheta le 20 novembre 1988 la société

American National Can, société faisant partie du groupe Triangle,

présent sur le marché hors cote de New York.

     Des opérations suspectes étant intervenues sur les actions

Triangle dans les jours précédant la signature du contrat, la

« securities and exchange Commission » (SEC) américaine, puis la

Commission des opérations de bourse (COB) française entreprirent des

investigations. L'ouverture d'une enquête fut décidée le

14 décembre 1988 par le collège de la COB pour examiner les opérations

faites sur le titre Triangle. Celle-ci rendit son rapport public le

30 janvier 1989. Ce rapport dénonçait l'existence éventuelle de délit

d'initié, mentionnait notamment le nom du requérant, entendu en tant

que conseiller de la société Triangle pour les affaires européennes et

dont l'audition était ainsi résumée :

     « De même, Monsieur Traboulsi n'a pas dissimulé avoir, entre

     autres comptes ouverts dans les livres d'établissements

     helvétiques, un compte à la société Socofinance SA à Genève, y

     avoir effectué des opérations sur métaux précieux et rencontré

     occasionnellement certains de ses dirigeants ou avoir eu un

     compte à la société Unigestion. Monsieur Traboulsi a aussi

     précisé, en joignant des relevés, avoir possédé des titres

     Triangle et les avoir cédés avant le 20 juillet 1988. »

     Le requérant fut entendu par le juge d'instruction, à titre de

témoin, les 1er février, 6 juin, 8 juin et 30 novembre 1989.

     Le 1er février 1990, une information fut ouverte du chef de délit

d'initié et le magistrat instructeur entendit notamment le requérant.

     Le requérant fut à nouveau entendu à titre de témoin les 22 mai

et 13 juin 1990.

     Le 23 janvier 1991, le requérant fut mis en examen pour délit

d'initié, infraction prévue par l'article 10-1 de l'ordonnance du 28

septembre 1967, qui se lit ainsi dans ses parties pertinentes :

     « Seront punies d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et

     d'une amende de 6 000 francs à cinq millions de francs, dont le

     montant pourra être porté au delà de ce chiffre jusqu'au

     quadruple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que

     l'amende puisse être inférieure à ce même profit, ou de l'une de

     ces deux peines seulement, les personnes mentionnées à

     l'article 162-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée

     sur les sociétés commerciales et les personnes disposant, à

     l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs

     fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives ou

     la situation d'un émetteur de titres ou sur les perspectives

     d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un contrat à terme

     négociable qui auront réalisé ou sciemment permis de réaliser sur

     le marché, soit directement, soit par personne interposée, une

     ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de

     ces informations. »

     Le requérant contesta la compétence territoriale des juridictions

françaises pour le poursuivre, alors qu'il était soupçonné d'avoir

fourni des informations privilégiées ayant permis à des tiers, de

nationalité étrangère, de réaliser des opérations sur les titres de la

société de droit américain Triangle, cotée à la bourse de New-York.

     Dans un arrêt rendu le 10 juillet 1992, la chambre d'accusation

de la cour d'appel de Paris considéra :

     « Qu'en premier lieu, l'élément légal du délit d'initié tel qu'il

     ressort des dispositions de l'article 10-1 introduit dans

     l'ordonnance du 28 septembre 1967 par la loi du 23 décembre 1970,

     modifiée par les lois des 3 janvier 1983 et 22 janvier 1988,

     n'exige pas expressément que l'opération incriminée ait été

     réalisée sur le marché boursier français et porte sur des titres

     cotés en France ;

     qu'en effet, l'interprétation littérale de ce texte, par l'emploi

     singulier générique 'une valeur mobilière' et 'le marché

     boursier' admet une définition du délit d'initié indifférente à

     l'implantation française de la place boursière et du titre ;

     qu'en d'autres termes, le caractère français du marché boursier

     ou de la valeur mobilière n'est pas un élément constitutif ni une

     condition préalable du délit d'initié en droit pénal français ;

     qu'en second lieu, les arguments tirés de l'adoption par la COB

     du règlement n° 90-08 fournissant une définition plus restrictive

     du marché paraissent inopérants ;

     qu'en effet, cet organisme s'est vu attribuer compétence pour

     prendre 'des règlements concernant le fonctionnement des marchés

     placés sous son contrôle' et que, ce faisant, son champ d'action

     reste nécessairement limité au territoire national ;

     qu'il en résulte qu'en adoptant ce règlement, la COB ne pouvait

     donner du marché boursier qu'une définition enfermée dans les

     frontières de sa compétence territoriale, sans avoir la faculté

     de porter atteinte au principe de la légalité des

     incriminations ;

     que s'il s'inspire des termes de l'ordonnance du 28 septembre

     1967 et peut en éclairer le sens, notamment en ce qui concerne

     la définition du marché et de l'information privilégiée, ce

     règlement n'a de valeur que pour ce qui concerne le

     fonctionnement même de la COB et pour la réalisation des missions

     qui lui sont propres. »

     La chambre d'accusation releva également qu'existaient :

     « des présomptions sérieuses de l'existence de la détention et

     de la circulation sur le sol français entre le 12 juillet et le

     11 novembre 1988 d'une part, et entre le 14 novembre et le

     18 novembre 1988, d'autre part, d'une information privilégiée

     portant sur des négociations en cours entre les sociétés Péchiney

     et Triangle Industries et le rachat de celle-ci par celle-là ;

     que cette information paraît avoir été illégitimement exploitée

     à partir de France et notamment de Paris d'où sont partis des

     ordres d'achats et de ventes opérés sur le titre Triangle, en

     particulier entre les 11 août et 11 novembre 1988 et les 15 et

     18 novembre 1988 ;

     que Samir Traboulsi reconnaît avoir joué un rôle officieux mais

     influent pendant les négociations et lors des pourparlers de

     rachat de la société Triangle par la société Péchiney et ce

     jusqu'au 2 septembre 1988 ;

     que le 2 septembre 1988, cette activité a été confirmée par un

     contrat de commission conclu avec MM. Peltz et May lui réservant

     une rémunération fixée à 1 % du prix de vente des actions que ces

     derniers pourraient toucher ;

     qu'ainsi il est incontestable et incontesté que Samir Traboulsi

     a reçu, à l'occasion de l'exercice de ses fonctions de

     représentant de la partie américaine dans les négociations

     Péchiney/Triangle, entre le 12 juillet et le 21 novembre 1988 et

     tout au long des négociations menées, tant à Paris qu'aux USA,

     des informations privilégiées, précises, certaines et très

     suffisantes pour déterminer l'évolution de la valeur du titre

     Triangle ;

     que des éléments du dossier, il résulte que Samir Traboulsi a eu,

     à plusieurs reprises, à partir de l'étranger et aussi à partir

     de la France où est établie sa résidence, des contacts

     téléphoniques avec des personnes ayant réalisé entre juillet et

     novembre 1988 des opérations sur le titre Triangle ;

     qu'il existe ainsi, en l'état de l'information suivie à

     l'encontre de Samir Traboulsi, des indices sérieux de diffusion

     de cette information privilégiée, à savoir le projet de l'OPA

     envisagée par la société Péchiney, à partir du territoire

     français, à des connaissances de longue date, amis, libanais ou

     autres, exerçant des activités de direction au sein d'une société

     financière suisse, laquelle était aussi en relations d'affaires

     permanentes avec l'inculpé et que ces personnes ont réalisé avec

     la publication de l'OPA des opérations significatives sur le

     titre Triangle ;

     (...). »

     Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt en

invoquant notamment la violation de l'article 7 de la Convention.

     Dans son arrêt rendu le 3 novembre 1992, la Cour de cassation se

détermina comme suit :

     « En effet, l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967

     modifiée réprime le fait, par une personne disposant, à

     l'occasion de l'exercice de sa profession ou de ses fonctions,

     d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation

     d'un émetteur de titres ou sur les perspectives d'évolution d'une

     valeur mobilière, d'avoir réalisé ou sciemment permis de réaliser

     une opération sur le marché avant que le public ait connaissance

     de ces informations ; qu'il n'importe que l'opération ait été

     réalisée sur une place étrangère et qu'il suffit, pour que

     l'infraction soit réputée commise sur le territoire de la

     République selon l'article 693 du Code de procédure pénale, qu'un

     acte caractérisant un de ses éléments constitutifs ait été

     accompli en France ; que tel est le cas en l'espèce ;

     (...). »

     La Cour de cassation rejeta donc le pourvoi.

     Le 17 février 1993, le requérant et huit autres personnes furent

renvoyés devant le tribunal correctionnel pour délit d'initié ou recel

de délit d'initié.

     Devant cette juridiction, les avocats du requérant, notamment,

invoquèrent le caractère tardif de l'inculpation de leur client au

regard des prescriptions de l'article 105 du Code de procédure pénale

qui dispose :

     « Le juge d'instruction chargé d'une information, ainsi que les

     magistrats et officiers de police judiciaire agissant sur

     commission rogatoire ne peuvent, dans le dessein de faire échec

     aux droits de la défense, entendre comme témoins des personnes

     contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de

     culpabilité. »

     Sur ce point, le tribunal se détermina comme suit :

     « Attendu que les noms de Charbel Ghanem et d'Arie From n'étaient

     même pas cités dans le rapport de la COB, qui n'évoquait par

     ailleurs ceux d'Alain Boublil et de Samir Traboulsi que pour

     souligner les rapports d'amitié du premier avec

     Jean-Louis Vinciguerra, Samir Traboulsi ainsi que

     Roger-Patrice Pelat et les comptes ouverts par le second à la

     société Socofinance ;

     Que ces éléments, pas plus que les articles de presse joints au

     réquisitoire introductif, ne sauraient, à l'évidence, constituer

     les 'indices graves et concordants de culpabilité' de nature à

     justifier des réquisitions nominatives à l'égard de ces

     personnes;

     Attendu qu'il ne saurait davantage être reproché au juge

     d'instruction d'avoir, avant de les inculper les 23 janvier et

     7 novembre 1991, entendu comme témoins Samir Traboulsi et

     Alain Boublil qui ont, tout au long de la procédure, contesté

     avoir commis une quelconque infraction ;

     Attendu, en effet, qu'il est, selon une jurisprudence constante,

     du 'devoir du juge d'instruction, avant de prendre un individu

     dans les poursuites, de recueillir des renseignements et de ne

     prendre parti sur les préventions qu'après s'être fait une

     opinion sur sa participation aux frais (...) dans des conditions

     de nature à engager sa responsabilité pénale' (Cass. crim.

     11/12/1908) ; qu'en l'espèce, cette obligation était d'autant

     plus impérative qu'aucun aveu n'avait été recueilli et que la

     preuve des éléments constitutifs caractérisant l'infraction,

     particulièrement délicate à rapporter, nécessitait de multiples

     investigations : commissions rogatoires nationales et

     internationales, relevé des échanges téléphoniques et des

     déplacements des personnes en cause, auditions et perquisitions

     diverses (...).

     Attendu qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir ainsi procédé

     à des investigations susceptibles de mettre en cause ou hors de

     cause les personnes soupçonnées, qui n'ont été inculpées que

     lorsqu'il est objectivement résulté de ces investigations des

     indices suffisamment graves et concordants de culpabilité ;

     qu'une telle démarche, conduite dans le plein respect du principe

     de la présomption d'innocence, ne saurait, à l'évidence, nuire

     aux droits de la défense ; que le moyen sera donc rejeté. »

     Le requérant invoqua également l'incompétence territoriale des

juridictions françaises en arguant du fait qu'aucun appel téléphonique

de sa part à destination de Socofinance et émis à partir du territoire

national n'avait été mis en évidence.

     Le tribunal releva sur ce point que :

     « Plusieurs communications téléphoniques ont été échangées à

     Paris, notamment le 18 novembre 1988 (à 9 h 20 et 17 h 24) entre

     le domicile de Samir Traboulsi et l'hôtel où résidait Arie From

     depuis la veille ; que celui-ci a, le même jour et à partir du

     même lieu, téléphoné à six reprises à la société Petrusse

     securities international, chargée de faire exécuter les deux

     ordres d'achat de titres Triangle qu'il a initiés ; que

     l'incompétence territoriale de l'autorité judiciaire française

     ne saurait donc sérieusement être soulevée ;

     Attendu que, si aucun appel téléphonique à Charbel Ghanem n'a

     effectivement pu être identifié à partir du domicile parisien de

     Samir Traboulsi - où les communications n'étaient pas

     enregistrées - celui-ci n'a pas contesté avoir été

     quotidiennement en relation avec son correspondant de

     Socofinance ; qu'en toute hypothèse, Charbel Ghanem a séjourné

     à Paris du 7 au 10 septembre 1988 et y a rencontré Samir

     Traboulsi le 8, le lendemain d'achats massifs de titres et la

     veille de nouvelles acquisitions moins importantes ; que les

     informations privilégiées susceptibles d'avoir été données après

     le déjeuner du 8 septembre de Nelson Peltz et Jean Gandois, puis

     utilisées le 9, constituent au sens de l'article 693 du Code de

     procédure pénale, l'acte caractérisant un des éléments du délit

     d'initié permettant de fonder, pour cette infraction et les

     infractions connexes, la compétence des juridictions françaises,

     comme l'a précisé la Cour de cassation le 3 novembre 1992 ; que

     la présence de Charbel Ghanem à Paris les 25 octobre, 8 et 9

     novembre 1988, lors de l'achat d'actions, confirme, s'il en était

     besoin, une telle compétence ; qu'il échet dès lors de rejeter

     ce moyen. »

     Le requérant demanda également un supplément d'information aux

fins d'audition de Robert Dakkak, engagé en octobre 1988 comme gardien

des propriétés en France de l'un des actionnaires majoritaires de la

société Triangle et de Shaker Khoury, qui avait lui-même procédé à

l'achat de titres Triangle en août 1988.

     Sur ce point, le tribunal releva que Robert Dakkak avait

longuement été entendu comme témoin le 18 juillet 1989 puis avait été

cité à l'audience à laquelle il n'avait pas comparu car il avait

regagné le Liban. Quant à Shaker Khoury, le tribunal nota qu'il n'avait

pas comparu devant le juge, malgré sa convocation par voie diplomatique

et qu'il n'avait pas davantage déféré à deux citations devant le

tribunal.

     Il releva toutefois que Shaker Khoury avait déposé devant un

magistrat libanais à plusieurs reprises, que les procès-verbaux

d'audition avaient été versés au dossier et que les prévenus avaient

été invités à formuler toutes les observations que les déclarations

ainsi recueillies pouvaient appeler de leur part, qu'il ne pouvait dès

lors être sérieusement soutenu que le principe du procès équitable

n'avait pas été respecté.

     Le tribunal estima que le fait que le requérant avait été

l'informateur qui avait permis l'achat des titres découlait du fait

qu'il était le seul à savoir le 18 août 1988 que des pourparlers de

rachat étaient en cours, qu'il entretenait des relations assidues avec

Charbel Ghanem, fondateur et dirigeant de la société anonyme

Socofinance qui avait procédé à l'achat de titres Triangle dès le

18 août 1988, qu'un grand nombre d'appels téléphoniques avait été passé

par le requérant à Charbel Ghanem aux moments forts des négociations

et alors qu'il n'initiait aucune opération sur ses comptes personnels

à Socofinance, qu'il y avait une simultanéité entre certains

« tournants » pris par les négociations et la présence du requérant à

Genève, siège de Socofinance, ou de Charbel Ghanem à Paris, de la

politique d'achat des titres qui, loin de faire peser le moindre risque

sur l'avenir des négociations et sur la perception de la commission du

requérant, avait accompagné et parfois accéléré le cours de celles-ci

pour s'arrêter avant la période suspecte au regard des autorités

boursières. Il releva également que les informations sur l'existence

et le déroulement des négociations, puisées « à la source »

présentaient le caractère précis, particulier et certain requis pour

constituer une information privilégiée et avaient été sciemment

transmises à Charbel Ghanem.

     Le 29 septembre 1993, le requérant fut déclaré coupable de délit

d'initié et fut condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et

vingt-cinq millions de francs d'amende.

     Sur appel de sept des condamnés, dont le requérant, et du

ministère public, la cour d'appel de Paris rendit un arrêt le

6 juillet 1994.

     Elle confirma pour partie le jugement de première instance et

condamna le requérant à deux ans d'emprisonnement dont un avec sursis

et vingt millions de francs d'amende.

     Sur l'argument repris de l'inculpation tardive du requérant, la

cour d'appel se détermina comme suit :

     « Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte,

     les premiers juges ont à juste titre sur ce point rejeté les

     nullités soulevées par les concluants ; qu'il apparaît en effet

     que le rapport de la COB annexé au réquisitoire introductif et

     qui mettait, il est vrai, certains des prévenus en cause,

     indiquait toutefois qu'il n'avait pas été révélé d'éléments

     décisifs permettant l'identification des personnes ayant donné

     des informations privilégiées ; que ce document ainsi que les

     articles de presse qui y étaient joints, lesquels ont été encore

     présentés par Alain BOUBLIL dans ses conclusions en cause d'appel

     comme une campagne de presse injustifiée à son égard, ne

     pouvaient constituer lors de l'ouverture de l'information, comme

     l'ont à tort prétendu les conseils des prévenus, des indices

     graves précis et concordants de culpabilité à l'encontre de ces

     derniers, pouvant en l'absence d'investigations complémentaires,

     entraîner leur inculpation immédiate ;

     Considérant que le juge d'instruction se devait dès lors, comme

     l'a relevé le tribunal de procéder à toutes investigations qu'il

     estimait utiles tant sur le territoire national qu'à l'étranger ;

     qu'il ne saurait donc lui être fait grief d'avoir, compte tenu

     de l'extrême complexité de l'affaire, attendu, notamment pour

     Samir Traboulsi, le résultat des recherches relatives aux

     entretiens téléphoniques passés par l'intéressé, et le retour des

     procès-verbaux d'auditions des témoins par lui demandées pour

     éclaircir l'affaire ;

     (...)

     Considérant enfin qu'il ne résulte d'aucune des pièces du

     dossier, que le magistrat instructeur, même si l'inculpation de

     certains des prévenus a pu leur paraître tardive, ait eu pour

     autant le dessein, compte tenu de la complexité de l'affaire

     qu'il avait à charge d'élucider, de faire échec aux droits de la

     défense ;

     Que cette condition telle que requise par l'article 105 du Code

     de procédure pénale applicable à l'époque des faits n'était

     nullement établie, que la Cour ne peut, eu égard à l'ensemble des

     éléments ci(dessus rappelés, que rejeter l'exception de nullité

     du chef de la violation des dispositions de l'article 105 du Code

     de procédure pénale, soulevée par les prévenus, et confirmer sur

     ce point le jugement attaqué. »

     La cour d'appel confirma par ailleurs le jugement de première

instance concernant la compétence territoriale des juridictions

françaises.

     Quant à la demande réitérée de complément d'information aux fins

d'audition de Robert Dakkak et de Shaker Khoury, la cour d'appel releva

qu'elle ne disposait pas en l'occurrence, s'agissant de témoins

résidant à l'étranger, d'un quelconque moyen de coercition pour les

faire comparaître au titre de l'entraide répressive internationale.

Elle ajouta que Shaker Khoury avait fait connaître à la Cour, par

télécopie du 28 avril 1994, qu'il n'avait selon lui pas d'autres

renseignements à donner par rapport à son audition du 24 avril 1994.

La cour rejeta la demande de supplément d'information en rappelant que

les dernières auditions de ces deux témoins avaient été versées au

dossier de la procédure et soumises au débat contradictoire et qu'elle

se réservait d'apprécier le sens et la portée de ces nouvelles

auditions en fonction de l'ensemble des éléments du dossier ainsi que

des débats.

     Sur le fond, la cour d'appel reprit les mêmes éléments pour

établir que l'informateur de Charbel Ghanem ne pouvait être que le

requérant et avait sciemment transmis à Charbel Ghanem l'information

particulière, précise et certaine prévue par la loi afin de lui

permettre d'effectuer des opérations sur le titre Triangle, que le

délit était ainsi constitué en ses éléments matériel et intentionnel.

     Le requérant et trois autres condamnés se pourvurent en cassation

contre cet arrêt.

     Le 12 décembre 1995, le requérant déposa une requête de dispense

de mise en état devant la cour d'appel de Paris, conformément à

l'article 583 du Code de procédure pénale qui dispose notamment :

     « Sont déclarés déchus de leur pourvoi les condamnés à une peine

     emportant privation de liberté pour une durée de plus de

     six mois, qui ne sont pas en état ou qui n'ont pas obtenu, de la

     juridiction qui a prononcé, dispense, avec ou sans caution, de

     se mettre en état. »

     Dans sa demande de dispense, le requérant soulignait qu'il

disposait des meilleures garanties de représentation, qu'il s'était

toujours présenté aux convocations de justice et qu'il connaissait de

graves problèmes de santé nécessitant une hospitalisation urgente.

     La requête de dispense de mise en état fut rejetée par la cour

d'appel de Paris.

     Dans son pourvoi, le requérant soutenait notamment que manquait

au dossier l'avis de la COB prévu à l'article 12-1 de l'ordonnance du

28 septembre 1967, qu'il avait été entendu comme témoin à plusieurs

reprises par le juge d'instruction sans l'assistance d'un avocat et que

la cour d'appel avait néanmoins rejeté l'exception de nullité tirée de

la violation de l'article 105 du Code de procédure pénale, que deux

témoins n'avaient pas été entendus, que l'infraction de délit d'initié

n'était pas caractérisée, que les juridictions françaises étaient

incompétentes et que la peine prononcée à son encontre n'était pas

justifiée.

     Sur la violation alléguée de l'article 105 du Code de procédure

pénale et des droits de la défense, la Cour se prononça comme suit dans

son arrêt du 26 octobre 1995 :

     « Attendu que, pour rejeter les exceptions de nullité,

     régulièrement soulevées par les demandeurs et tirées de leur

     inculpation tardive, l'arrêt attaqué énonce que les documents

     joints au réquisitoire introductif ne constituaient pas, lors de

     l'ouverture de l'information, 'des indices graves, précis et

     concordants de culpabilité pouvant, en l'absence d'investigations

     complémentaires, entraîner l'inculpation immédiate' des prévenus,

     et 'que le juge d'instruction se devait, dès lors, de procéder

     à toutes investigations utiles, tant sur le territoire national

     qu'à l'étranger' ;

     Qu'il ajoute 'qu'il ne résulte d'aucune des pièces du dossier que

     le magistrat instructeur, même si l'inculpation de certains des

     prévenus a pu leur paraître tardive, ait eu le dessein, compte

     tenu de la complexité de l'affaire qu'il avait à charge

     d'élucider, de faire échec aux droits de la défense' ;

     (...)

     Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'en vertu

     de l'article 105 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction

     applicable aux faits de la cause, non contraire aux dispositions

     de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des

     Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, il appartient

     au juge d'instruction, saisi de réquisitions contre personne non

     dénommée, de n'inculper une personne déterminée qu'après s'être

     éclairé, notamment par son audition préalable, en qualité de

     témoin, sur sa participation aux agissements incriminés dans des

     conditions pouvant engager sa responsabilité pénale, la cour

     d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs

     allégués. »

     Quant au refus de supplément d'information pour entendre les

témoins, la Cour de cassation considéra que la cour d'appel avait

souverainement apprécié l'inutilité d'un supplément d'information et

justifié l'impossibilité de l'audition de témoins sollicitée.

     Sur la compétence territoriale des juridictions françaises, la

Cour de cassation estima que :

     « Dans leur rédaction applicable aux faits de la cause, les

     dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du

     28 septembre 1967 modifiée, non contraires à la

     directive 89/592/CEE du 13 novembre 1989 qui se borne à

     prescrire, dans tous les Etats membres de l'Union européenne, un

     degré minimal d'incrimination du délit d'initié, n'exigent pas

     que l'opération réalisée grâce aux informations privilégiées

     l'ait été sur le marché boursier français, ni qu'elle porte sur

     des titres cotés en France, le terme de 'marché' s'appliquant à

     tout lieu où s'effectue le rapprochement d'une offre et d'une

     demande portant sur des valeurs mobilières ;

     Selon l'article 693 du Code de procédure pénale, dont les

     dispositions, reprises dans l'article 113-2 du Code pénal, ne

     font aucune référence à la loi étrangère, il suffit, pour que

     l'infraction soit réputée commise sur le territoire de la

     République et soit punissable en vertu de la loi française, qu'un

     de ses faits constitutifs ait eu lieu sur ce territoire ;

     Dès lors, les moyens, qui, pour le surplus, reviennent à remettre

     en question l'appréciation souveraine des faits par les juges du

     fond, ne peuvent être admis. »

     Quant au moyen tiré du caractère excessif de la peine prononcée

à l'encontre du requérant, la Cour de cassation estima :

     « D'une part, que, pour condamner Samir Traboulsi à la peine de

     deux ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, la cour

     d'appel se réfère à 'l'ampleur des opérations illicitement

     réalisées à partir des renseignements privilégiés communiqués'

     par lui, et à 'la gravité des faits retenus à sa charge' ;

     Qu'en l'état de ces énonciations, qui répondent aux exigences de

     l'article 132-19 du Code pénal, les juges du second degré ont

     justifié le prononcé d'une peine d'emprisonnement assortie

     seulement pour partie du sursis ;

     D'autre part, que, les juges ayant constaté que les opération

     réalisées par Charbel Ghanem grâce aux informations privilégiées

     que lui a communiquées Samir Traboulsi ont entraîné un profit de

     21 millions de francs, et dès lors que, selon l'article 10-1 de

     l'ordonnance du 28 septembre 1967, l'auteur d'un délit d'initié

     peut être puni d'une amende proportionnelle au profit obtenu,

     même s'il n'a pas réalisé lui-même les opérations sur le marché,

     la peine de 20 millions d'amende qu'ils ont prononcée contre le

     demandeur est justifiée. »

     La Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.

GRIEFS

1.   Le requérant se plaint tout d'abord de ne pas avoir bénéficié

d'un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial

concernant la procédure menée devant la COB. Il soutient que la

procédure se déroulant devant la COB doit respecter les règles de

l'article 6 de la Convention, les sanctions susceptibles d'être

prononcées par cette commission devant être apparentées à une sanction

pénale et l'accusation en matière pénale étant caractérisée. Il ajoute

que la COB est à la fois juge et partie puisqu'elle définit les normes

et prononce les sanctions, se saisit elle-même sans contrôle du juge,

procède à des investigations grâce à ses enquêteurs spécialisés et se

prononce sur l'existence éventuelle d'un délit boursier, son avis étant

obligatoire en cas de délit d'initié. Il expose enfin ne pas avoir pu

contester le rapport de la COB, élément fondamental et déterminant de

la poursuite et ne pas avoir pu ainsi exercer les droits de la défense.

2.    Le requérant se plaint encore d'avoir été entendu à six reprises

par le juge d'instruction en qualité de témoin sans l'assistance d'un

défenseur, alors qu'il existait à son encontre des indices susceptibles

d'être considérés comme graves, précis et concordants sur sa

culpabilité. Il considère qu'au stade de ces auditions, il était déjà

implicitement considéré comme un accusé et non plus comme un simple

témoin et que l'assistance d'un avocat s'imposait, ainsi que la

communication du dossier afin qu'il puisse connaître les charges pesant

effectivement sur lui. Il conclut qu'il n'a pas bénéficié des droits

de la défense au sens de l'article 6 par. 3 c de la Convention.

3.   Le requérant se plaint également de ne pas avoir pu faire

interroger deux témoins ou leur être confronté, que ce soit au cours

de l'instruction ou devant la juridiction de jugement. Il expose que

l'un de ces témoins n'a été entendu par le juge d'instruction que les

24 et 25 mai 1993, soit après que l'ordonnance de renvoi en jugement

ait été rendue et que l'autre l'a été le 18 février 1989, mais qu'il

n'a pu obtenir leur audition par les juridictions de jugement. Il

invoque l'article 6 par. 3 d de la Convention.

4.   Le requérant allègue la violation de l'article 7 de la

Convention. Il expose qu'il a été condamné pour des faits qui, à

l'époque où ils ont été prétendument commis, n'étaient pas pénalement

sanctionnés. Il ajoute que la Cour de cassation a interprété de manière

extensive la loi pénale et notamment la notion de marché boursier en

modifiant les éléments constitutifs du délit d'initié.

5.   Le requérant invoque également l'article 6 par. 1 de la

Convention. Il soutient qu'il n'a pas été jugé dans un délai

raisonnable puisque les faits remontent à 1988, qu'il a été mis en

examen en 1991 et que le procès ne s'est achevé que le 26 octobre 1995

avec le prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation.

6.   Il allègue également une violation du principe de

proportionnalité, considérant que la peine d'emprisonnement ferme est

excessive, de même que l'amende qui lui a été infligée alors qu'il n'a

réalisé aucun profit et invoque la violation de l'article 3 de la

Convention.

7.   Le requérant se plaint encore de ce qu'il a été contraint de se

mettre en état avant que son pourvoi soit examiné et estime que cette

mesure est contraire aux articles 5, 6 et 13 de la Convention.

8.   Le requérant se plaint enfin d'une violation de la présomption

d'innocence telle que garantie par l'article 6 par. 2 de la Convention,

les juridictions n'ayant, selon lui, pas prouvé sa culpabilité avant

de le condamner.

EN DROIT

1.   Le requérant se plaint tout d'abord de ne pas avoir bénéficié

d'un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial au

sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention concernant la

procédure menée devant la COB.

     Cet article dispose notamment :

     « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

     équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un

     tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui

     décidera, (...), soit du bien-fondé de toute accusation en

     matière pénale dirigée contre elle. (...). »

     Toutefois, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention,

« la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de

recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit

international généralement reconnus ».

     Or en l'espèce, le requérant n'a soulevé le présent grief ni

formellement ni en substance dans son pourvoi devant la Cour de

cassation.

     Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait, quant à ce grief,

à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes

et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à

l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

2.    Le requérant se plaint encore d'avoir été entendu à six reprises

par le juge d'instruction en qualité de témoin sans l'assistance d'un

défenseur, alors qu'il existait à son encontre des indices susceptibles

d'être considérés comme graves, précis et concordants sur sa

culpabilité. Il considère qu'au stade de ces auditions, l'assistance

d'un avocat s'imposait ainsi que la communication du dossier afin qu'il

puisse connaître les charges pesant effectivement sur lui. Il conclut

qu'il n'a pas bénéficié des droits de la défense au sens de l'article

6 par. 3 c (art. 6-3-c) de la Convention qui dispose :

     « Tout accusé a droit notamment à :

     (...)

     c.    se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur

           de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un

           défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat

           d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;

            (...). »

     La Commission relève que l'application de l'article 105 du Code

de procédure pénale suppose qu'il existe contre les personnes entendues

en qualité de témoins des « indices graves et concordants de

culpabilité ». Le requérant soutient que tel était le cas lors de ses

auditions comme témoin.

     La Commission rappelle tout d'abord à cet égard qu'elle n'est pas

compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou

de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et

dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir

entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la

Convention.

     Or en l'espèce, elle ne relève pas d'éléments, dans le dossier,

attestant d'une telle atteinte.

     En effet, la Commission note que la citation du requérant faite

dans le rapport de la COB n'était, comme l'ont d'ailleurs relevé les

juridictions internes, pas de nature à pouvoir être considérée comme

apportant « des indices graves et concordants » de culpabilité.

     En outre, aucun élément du dossier ne permet d'étayer la thèse

selon laquelle le juge d'instruction aurait disposé, avant de procéder

aux nombreuses investigations nécessaires, tant sur le plan national

qu'international, dans cette affaire fort complexe, d'éléments lui

permettant d'inculper le requérant. Au demeurant, ce dernier n'a jamais

reconnu avoir commis une quelconque infraction. C'est ainsi que les

juridictions internes ont pu considérer qu'il ne pouvait être fait

grief au juge d'instruction d'avoir attendu, notamment pour le

requérant, le résultat des recherches relatives aux entretiens

téléphoniques passés par lui et le retour des procès-verbaux d'audition

de témoins par lui demandées pour éclaircir l'affaire.

     Dès lors, rien ne permet d'établir que le requérant aurait pu

être inculpé plus tôt qu'il ne l'a été.

     La Commission n'aperçoit dès lors aucune apparence de violation

de l'article 6 par. 3 c (art. 6-3-c) de la Convention.

     Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée

comme étant manifestement mal fondée en application de l'article 27

par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

3.   Le requérant se plaint également de ne pas avoir pu faire

interroger deux témoins ou leur être confronté, que ce soit au cours

de l'instruction ou devant la juridiction de jugement. Il invoque

l'article 6 par. 3 d (art. 6-3-d) de la Convention qui dispose :

     « Tout accusé a droit notamment à :

     (...)

     d.    interroger ou faire interroger les témoins à charge et

           obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à

           décharge dans les mêmes conditions que les témoins à

           charge. »

     La Commission rappelle que selon sa jurisprudence et celle de la

Cour, « les éléments de preuve doivent normalement être produits devant

l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire. Il

n'en résulte pourtant pas que la déclaration d'un témoin doive toujours

se faire dans le prétoire et en public pour pouvoir servir de preuve ;

en particulier, cela peut se révéler impossible dans certains cas.

Utiliser de la sorte des dépositions remontant à la phase de

l'instruction préparatoire ne se heurte pas en soi aux paragraphes 3 d

et 1 de l'article 6 (art. 6), sous réserve du respect des droits de la

défense. En règle générale, ils commandent d'accorder à l'accusé une

occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et

d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard »

(Cour eur. D.H., arrêt Asch c. Autriche du 26 avril 1991, série A

n° 203, p. 10, par. 25 et 27).

     En outre, faute de pouvoir obtenir la présence d'un témoin dans

le prétoire, il est loisible au tribunal, sous réserve des droits de

la défense, d'avoir égard aux dépositions recueillies par le magistrat

instructeur, « d'autant qu'elles peuvent lui avoir semblé corroborées

par d'autres données en sa possession » (Cour eur. D.H., arrêt Artner

c. Autriche du 28 août 1992, série A n° 242-A, p. 10, par. 22).

     La Commission relève que dans la présente affaire le requérant

se plaint de l'absence de confrontation avec deux témoins résidant au

Liban.

     Elle constate que le juge d'instruction a convoqué ces

deux personnes qui n'ont pas donné suite à ses convocations. Elle note

en outre que ces deux témoins ont été cités à deux reprises devant le

tribunal et n'ont pas déféré à ces citations.

     Ces témoins ont toutefois accepté de déposer à plusieurs reprises

devant un magistrat libanais et les procès-verbaux de leurs auditions

ont été versés au dossier, les prévenus étant invités à formuler toutes

les observations que ces déclarations pouvaient appeler de leur part.

     Elle estime que, dans de telles circonstances où la confrontation

avec des témoins était impossible en France, le fait d'utiliser des

déclarations faites par ces témoins ne constitue pas automatiquement

une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention.

     La Commission note par ailleurs que les juridictions internes

n'ont pas forgé leur conviction spécialement sur les déclarations

faites par ces deux témoins mais sur de nombreux éléments matériels

rassemblés au cours de l'instruction et sur d'autres témoignages.

     Dans ces conditions, compte tenu de ce qui précède et notamment

de l'impossibilité où se trouvaient les autorités françaises d'obtenir

la comparution de Shaker Khoury et de Robert Dakkak afin qu'ils

témoignent, du fait que d'autres témoignages ont été apportés et de ce

que les juridictions se sont fondées pour une part importante sur des

éléments matériels, la Commission estime qu'il n'était pas contraire

à l'article 6 (art. 6) de verser au dossier les déclarations de Shaker

Khoury et de Robert Dakkak, sans que ceux-ci aient été confrontés au

requérant et en particulier que ce fait n'a pas porté atteinte aux

droits de la défense et à l'équité du procès garantis par cette

disposition.

     Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée

comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

4.   Le requérant allègue la violation de l'article 7 (art. 7) de la

Convention. Il expose qu'il a été condamné pour des faits qui, à

l'époque où ils ont été prétendument commis, n'étaient pas pénalement

sanctionnés. Il ajoute que la Cour de cassation a interprété de manière

extensive la loi pénale et notamment la notion de marché boursier en

modifiant les éléments constitutifs du délit d'initié.

     L'article 7 (art. 7) de la Convention dispose :

     « 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission

     qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une

     infraction d'après le droit national ou international. De même

     il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était

     applicable au moment où l'infraction a été commise (...). »

     La Commission relève qu'à l'époque où le requérant a été

condamné, l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 prévoyait

la condamnation des personnes « disposant, à l'occasion de l'exercice

de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées

sur les perspectives ou la situation d'un émetteur de titres ou sur les

perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un contrat à terme

négociable, qui auront réalisé ou sciemment permis de réaliser sur le

marché, soit directement, soit par personne interposée, une ou

plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces

informations. »

     Elle constate que les juridictions françaises ont établi de

manière très détaillée et très précise l'implication du requérant dans

l'affaire en cause et le fait qu'il était le seul à pouvoir avoir

fourni certaines informations présentant les caractéristiques requises

par l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967.

     Quant au fait que les juridictions françaises ont considéré que

la notion de marché boursier ne pouvait être limitée au seul marché

français, la Commission note que la loi ne spécifie pas qu'il s'agit

du marché français mais mentionne « le marché ». La Commission estime

qu'une telle interprétation, dans un domaine par nature international,

ne modifie pas, par une lecture abusivement extensive, l'incrimination

prévue par le droit français.

     En conséquence, la Commission considère que le requérant a été

condamné sur le fondement d'une infraction prévue par le droit national

lors de la commission des faits au sens de l'article 7 (art.  7) de la

Convention.

     Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée

comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

5.   Le requérant invoque également l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de

la Convention et soutient qu'il n'a pas été jugé dans un délai

raisonnable au sens de cette disposition.

     L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose

notamment :

     « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)

     dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera

     (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée

     contre elle (...). »

     La Commission relève qu'en l'espèce le requérant a été mis en

examen le 23 janvier 1991, qu'il a été renvoyé devant le tribunal

correctionnel le 17 février 1993, que ce dernier a statué le

29 septembre 1993, que la cour d'appel a rendu son arrêt le

6 juillet 1994 et que la Cour de cassation a rendu le sien le

26 octobre 1995. La procédure a donc duré quatre ans et neuf mois pour

trois degrés de juridictions.

     Compte tenu de la complexité évidente de l'affaire qui portait

sur des infractions très particulières et impliquait un grand nombre

de personnes, dont beaucoup résidant à l'étranger, et exigeait une

reconstitution de faits difficiles à établir et s'étant également

passés dans différents pays, la Commission estime qu'une durée de

procédure de quatre ans et neuf mois incluant l'instruction et l'examen

de l'affaire par trois degrés de juridictions ne saurait être

considérée comme déraisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)

de la Convention.

     Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée

comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

6.   Le requérant allègue également une violation du principe de

proportionnalité, considérant que la peine d'emprisonnement ferme est

excessive, de même que l'amende qui lui a été infligée alors qu'il n'a

réalisé aucun profit. Il invoque l'article 3 (art. 3) de la Convention

qui stipule :

     « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou

     traitements inhumains ou dégradants. »

     Il est vrai que l'article 3 (art. 3) de la Convention prohibe

notamment les peines inhumaines et dégradantes.

     La Commission relève que le requérant a été condamné à une peine

dans le cadre strict de la loi.

     Même à supposer que l'article 3 (art. 3) soit applicable en

l'espèce, la Commission estime dès lors qu'aucune violation de ses

dispositions ne peut être relevée dans la présente affaire.

     Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée

comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

7.   Le requérant se plaint également de ce qu'il a été contraint de

se mettre en état la veille de l'examen de son pourvoi par la Cour de

cassation. Il estime que cette mesure est contraire aux articles 5, 6

et 13 (art. 5, 6, 13) de la Convention, sans préciser quel droit

garanti par ces dispositions aurait été violé en l'espèce.

     La Commission relève que le requérant a déposé le

12 décembre 1995 une requête de dispense de mise en état devant la cour

d'appel de Paris.

     Elle note que dans cette demande, le requérant a fait état de ses

garanties de représentation, du fait qu'il s'était toujours présenté

aux convocations de justice et du fait qu'il connaissait de graves

problèmes de santé.

     Elle constate que le requérant n'a soulevé aucun des arguments

qu'il soumet à présent à la Commission et n'a nullement invoqué le fait

que cette obligation de se mettre en état serait contraire à la

Convention.

     Or, la Commission rappelle qu'aux termes de l'article 26

(art. 26) de la Convention, elle « ne peut être saisie qu'après

l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon

les principes de droit international généralement reconnus. »

     Cet article « n'exige pas seulement la saisine des juridictions

nationales compétentes et l'exercice de recours destinés à combattre

une décision déjà rendue : il oblige aussi, en principe, à soulever

devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes

et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend

formuler par la suite à Strasbourg (...) ; il commande en outre

l'emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de

la Convention. » (Cour eur. D.H., arrêt Cardot c. France du

19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, par. 34).

     En l'espèce, le requérant n'a soulevé le présent grief ni

formellement ni en substance dans sa demande de dispense de mise en

état.

     Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait, quant à ce grief,

à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes

et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à

l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.

8.   Le requérant se plaint encore d'une violation de la présomption

d'innocence telle que garantie par l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la

Convention, les juridictions n'ayant, selon lui, pas prouvé sa

culpabilité avant de le condamner.

     L'article 6 par. 2 (art. 6-2) dispose :

     « Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente

     jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

     La Commission rappelle que la présomption d'innocence consacrée

par le paragraphe 2 de l'article 6 (art. 6-2) figure parmi les éléments

du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1. Elle se trouve

méconnue si une décision judiciaire concernant un prévenu reflète le

sentiment qu'il est coupable, alors que sa culpabilité n'a pas été

préalablement légalement établie. Il suffit, même en l'absence de

constat formel, d'une motivation donnant à penser que le juge considère

l'intéressé comme coupable (Cour eur. D.H., arrêt Allenet de Ribemont

c. France du 10 février 1995, série A n° 308, p. 16, par. 35).

     La Commission constate que dans la présente espèce, les

juridictions du fond ont procédé à un examen long et minutieux des

faits et des différents éléments nécessaires pour que l'infraction soit

constituée.

     Elle ne relève dans le dossier aucun élément permettant de

supposer que les tribunaux internes avaient le sentiment que le

requérant était coupable avant qu'elles se soient livrées à cet examen

qui a abouti à la déclaration de culpabilité.

     Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée

comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

     Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

     DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

      M. de SALVIA                         S. TRECHSEL

       Secrétaire                           Président

    de la Commission                    de la Commission

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CEDH, Commission (plénière), S.T. c. la FRANCE, 18 mai 1998, 31069/96