CEDH, Commission (plénière), S.T. c. la FRANCE, 18 mai 1998, 31069/96
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Référence : | CEDH, Commission (Plénière), 18 mai 1998, n° 31069/96 |
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Numéro(s) : | 31069/96 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 16 avril 1996 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-29545 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1998:0518DEC003106996 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 31069/96
présentée par S.T.
contre la France
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 18 mai 1998 en présence de
MM. S. TRECHSEL, Président
J.-C. GEUS
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
L. LOUCAIDES
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
J. MUCHA
D. SVÁBY
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
P. LORENZEN
K. HERNDL
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
MM. R. NICOLINI
A. ARABADJIEV
M. M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 16 avril 1996 par Samir TRABOULSI
contre la France et enregistrée le 19 avril 1996 sous le N° de dossier
31069/96 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, né en 1938 à Beyrouth, est libanais. Il exerce la
profession de conseiller financier et réside à Beyrouth. Devant la
Commission, il est représenté par la SCP Piwnica-Molinié, avocats au
Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent
se résumer comme suit.
En 1987, la société Péchiney, société nationalisée ayant pour
principale activité la production et la transformation d'aluminium,
développa une politique d'acquisition de sociétés fabriquant des
emballages. Dans ce cadre, elle racheta le 20 novembre 1988 la société
American National Can, société faisant partie du groupe Triangle,
présent sur le marché hors cote de New York.
Des opérations suspectes étant intervenues sur les actions
Triangle dans les jours précédant la signature du contrat, la
« securities and exchange Commission » (SEC) américaine, puis la
Commission des opérations de bourse (COB) française entreprirent des
investigations. L'ouverture d'une enquête fut décidée le
14 décembre 1988 par le collège de la COB pour examiner les opérations
faites sur le titre Triangle. Celle-ci rendit son rapport public le
30 janvier 1989. Ce rapport dénonçait l'existence éventuelle de délit
d'initié, mentionnait notamment le nom du requérant, entendu en tant
que conseiller de la société Triangle pour les affaires européennes et
dont l'audition était ainsi résumée :
« De même, Monsieur Traboulsi n'a pas dissimulé avoir, entre
autres comptes ouverts dans les livres d'établissements
helvétiques, un compte à la société Socofinance SA à Genève, y
avoir effectué des opérations sur métaux précieux et rencontré
occasionnellement certains de ses dirigeants ou avoir eu un
compte à la société Unigestion. Monsieur Traboulsi a aussi
précisé, en joignant des relevés, avoir possédé des titres
Triangle et les avoir cédés avant le 20 juillet 1988. »
Le requérant fut entendu par le juge d'instruction, à titre de
témoin, les 1er février, 6 juin, 8 juin et 30 novembre 1989.
Le 1er février 1990, une information fut ouverte du chef de délit
d'initié et le magistrat instructeur entendit notamment le requérant.
Le requérant fut à nouveau entendu à titre de témoin les 22 mai
et 13 juin 1990.
Le 23 janvier 1991, le requérant fut mis en examen pour délit
d'initié, infraction prévue par l'article 10-1 de l'ordonnance du 28
septembre 1967, qui se lit ainsi dans ses parties pertinentes :
« Seront punies d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et
d'une amende de 6 000 francs à cinq millions de francs, dont le
montant pourra être porté au delà de ce chiffre jusqu'au
quadruple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que
l'amende puisse être inférieure à ce même profit, ou de l'une de
ces deux peines seulement, les personnes mentionnées à
l'article 162-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée
sur les sociétés commerciales et les personnes disposant, à
l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs
fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives ou
la situation d'un émetteur de titres ou sur les perspectives
d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un contrat à terme
négociable qui auront réalisé ou sciemment permis de réaliser sur
le marché, soit directement, soit par personne interposée, une
ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de
ces informations. »
Le requérant contesta la compétence territoriale des juridictions
françaises pour le poursuivre, alors qu'il était soupçonné d'avoir
fourni des informations privilégiées ayant permis à des tiers, de
nationalité étrangère, de réaliser des opérations sur les titres de la
société de droit américain Triangle, cotée à la bourse de New-York.
Dans un arrêt rendu le 10 juillet 1992, la chambre d'accusation
de la cour d'appel de Paris considéra :
« Qu'en premier lieu, l'élément légal du délit d'initié tel qu'il
ressort des dispositions de l'article 10-1 introduit dans
l'ordonnance du 28 septembre 1967 par la loi du 23 décembre 1970,
modifiée par les lois des 3 janvier 1983 et 22 janvier 1988,
n'exige pas expressément que l'opération incriminée ait été
réalisée sur le marché boursier français et porte sur des titres
cotés en France ;
qu'en effet, l'interprétation littérale de ce texte, par l'emploi
singulier générique 'une valeur mobilière' et 'le marché
boursier' admet une définition du délit d'initié indifférente à
l'implantation française de la place boursière et du titre ;
qu'en d'autres termes, le caractère français du marché boursier
ou de la valeur mobilière n'est pas un élément constitutif ni une
condition préalable du délit d'initié en droit pénal français ;
qu'en second lieu, les arguments tirés de l'adoption par la COB
du règlement n° 90-08 fournissant une définition plus restrictive
du marché paraissent inopérants ;
qu'en effet, cet organisme s'est vu attribuer compétence pour
prendre 'des règlements concernant le fonctionnement des marchés
placés sous son contrôle' et que, ce faisant, son champ d'action
reste nécessairement limité au territoire national ;
qu'il en résulte qu'en adoptant ce règlement, la COB ne pouvait
donner du marché boursier qu'une définition enfermée dans les
frontières de sa compétence territoriale, sans avoir la faculté
de porter atteinte au principe de la légalité des
incriminations ;
que s'il s'inspire des termes de l'ordonnance du 28 septembre
1967 et peut en éclairer le sens, notamment en ce qui concerne
la définition du marché et de l'information privilégiée, ce
règlement n'a de valeur que pour ce qui concerne le
fonctionnement même de la COB et pour la réalisation des missions
qui lui sont propres. »
La chambre d'accusation releva également qu'existaient :
« des présomptions sérieuses de l'existence de la détention et
de la circulation sur le sol français entre le 12 juillet et le
11 novembre 1988 d'une part, et entre le 14 novembre et le
18 novembre 1988, d'autre part, d'une information privilégiée
portant sur des négociations en cours entre les sociétés Péchiney
et Triangle Industries et le rachat de celle-ci par celle-là ;
que cette information paraît avoir été illégitimement exploitée
à partir de France et notamment de Paris d'où sont partis des
ordres d'achats et de ventes opérés sur le titre Triangle, en
particulier entre les 11 août et 11 novembre 1988 et les 15 et
18 novembre 1988 ;
que Samir Traboulsi reconnaît avoir joué un rôle officieux mais
influent pendant les négociations et lors des pourparlers de
rachat de la société Triangle par la société Péchiney et ce
jusqu'au 2 septembre 1988 ;
que le 2 septembre 1988, cette activité a été confirmée par un
contrat de commission conclu avec MM. Peltz et May lui réservant
une rémunération fixée à 1 % du prix de vente des actions que ces
derniers pourraient toucher ;
qu'ainsi il est incontestable et incontesté que Samir Traboulsi
a reçu, à l'occasion de l'exercice de ses fonctions de
représentant de la partie américaine dans les négociations
Péchiney/Triangle, entre le 12 juillet et le 21 novembre 1988 et
tout au long des négociations menées, tant à Paris qu'aux USA,
des informations privilégiées, précises, certaines et très
suffisantes pour déterminer l'évolution de la valeur du titre
Triangle ;
que des éléments du dossier, il résulte que Samir Traboulsi a eu,
à plusieurs reprises, à partir de l'étranger et aussi à partir
de la France où est établie sa résidence, des contacts
téléphoniques avec des personnes ayant réalisé entre juillet et
novembre 1988 des opérations sur le titre Triangle ;
qu'il existe ainsi, en l'état de l'information suivie à
l'encontre de Samir Traboulsi, des indices sérieux de diffusion
de cette information privilégiée, à savoir le projet de l'OPA
envisagée par la société Péchiney, à partir du territoire
français, à des connaissances de longue date, amis, libanais ou
autres, exerçant des activités de direction au sein d'une société
financière suisse, laquelle était aussi en relations d'affaires
permanentes avec l'inculpé et que ces personnes ont réalisé avec
la publication de l'OPA des opérations significatives sur le
titre Triangle ;
(...). »
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt en
invoquant notamment la violation de l'article 7 de la Convention.
Dans son arrêt rendu le 3 novembre 1992, la Cour de cassation se
détermina comme suit :
« En effet, l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967
modifiée réprime le fait, par une personne disposant, à
l'occasion de l'exercice de sa profession ou de ses fonctions,
d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation
d'un émetteur de titres ou sur les perspectives d'évolution d'une
valeur mobilière, d'avoir réalisé ou sciemment permis de réaliser
une opération sur le marché avant que le public ait connaissance
de ces informations ; qu'il n'importe que l'opération ait été
réalisée sur une place étrangère et qu'il suffit, pour que
l'infraction soit réputée commise sur le territoire de la
République selon l'article 693 du Code de procédure pénale, qu'un
acte caractérisant un de ses éléments constitutifs ait été
accompli en France ; que tel est le cas en l'espèce ;
(...). »
La Cour de cassation rejeta donc le pourvoi.
Le 17 février 1993, le requérant et huit autres personnes furent
renvoyés devant le tribunal correctionnel pour délit d'initié ou recel
de délit d'initié.
Devant cette juridiction, les avocats du requérant, notamment,
invoquèrent le caractère tardif de l'inculpation de leur client au
regard des prescriptions de l'article 105 du Code de procédure pénale
qui dispose :
« Le juge d'instruction chargé d'une information, ainsi que les
magistrats et officiers de police judiciaire agissant sur
commission rogatoire ne peuvent, dans le dessein de faire échec
aux droits de la défense, entendre comme témoins des personnes
contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de
culpabilité. »
Sur ce point, le tribunal se détermina comme suit :
« Attendu que les noms de Charbel Ghanem et d'Arie From n'étaient
même pas cités dans le rapport de la COB, qui n'évoquait par
ailleurs ceux d'Alain Boublil et de Samir Traboulsi que pour
souligner les rapports d'amitié du premier avec
Jean-Louis Vinciguerra, Samir Traboulsi ainsi que
Roger-Patrice Pelat et les comptes ouverts par le second à la
société Socofinance ;
Que ces éléments, pas plus que les articles de presse joints au
réquisitoire introductif, ne sauraient, à l'évidence, constituer
les 'indices graves et concordants de culpabilité' de nature à
justifier des réquisitions nominatives à l'égard de ces
personnes;
Attendu qu'il ne saurait davantage être reproché au juge
d'instruction d'avoir, avant de les inculper les 23 janvier et
7 novembre 1991, entendu comme témoins Samir Traboulsi et
Alain Boublil qui ont, tout au long de la procédure, contesté
avoir commis une quelconque infraction ;
Attendu, en effet, qu'il est, selon une jurisprudence constante,
du 'devoir du juge d'instruction, avant de prendre un individu
dans les poursuites, de recueillir des renseignements et de ne
prendre parti sur les préventions qu'après s'être fait une
opinion sur sa participation aux frais (...) dans des conditions
de nature à engager sa responsabilité pénale' (Cass. crim.
11/12/1908) ; qu'en l'espèce, cette obligation était d'autant
plus impérative qu'aucun aveu n'avait été recueilli et que la
preuve des éléments constitutifs caractérisant l'infraction,
particulièrement délicate à rapporter, nécessitait de multiples
investigations : commissions rogatoires nationales et
internationales, relevé des échanges téléphoniques et des
déplacements des personnes en cause, auditions et perquisitions
diverses (...).
Attendu qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir ainsi procédé
à des investigations susceptibles de mettre en cause ou hors de
cause les personnes soupçonnées, qui n'ont été inculpées que
lorsqu'il est objectivement résulté de ces investigations des
indices suffisamment graves et concordants de culpabilité ;
qu'une telle démarche, conduite dans le plein respect du principe
de la présomption d'innocence, ne saurait, à l'évidence, nuire
aux droits de la défense ; que le moyen sera donc rejeté. »
Le requérant invoqua également l'incompétence territoriale des
juridictions françaises en arguant du fait qu'aucun appel téléphonique
de sa part à destination de Socofinance et émis à partir du territoire
national n'avait été mis en évidence.
Le tribunal releva sur ce point que :
« Plusieurs communications téléphoniques ont été échangées à
Paris, notamment le 18 novembre 1988 (à 9 h 20 et 17 h 24) entre
le domicile de Samir Traboulsi et l'hôtel où résidait Arie From
depuis la veille ; que celui-ci a, le même jour et à partir du
même lieu, téléphoné à six reprises à la société Petrusse
securities international, chargée de faire exécuter les deux
ordres d'achat de titres Triangle qu'il a initiés ; que
l'incompétence territoriale de l'autorité judiciaire française
ne saurait donc sérieusement être soulevée ;
Attendu que, si aucun appel téléphonique à Charbel Ghanem n'a
effectivement pu être identifié à partir du domicile parisien de
Samir Traboulsi - où les communications n'étaient pas
enregistrées - celui-ci n'a pas contesté avoir été
quotidiennement en relation avec son correspondant de
Socofinance ; qu'en toute hypothèse, Charbel Ghanem a séjourné
à Paris du 7 au 10 septembre 1988 et y a rencontré Samir
Traboulsi le 8, le lendemain d'achats massifs de titres et la
veille de nouvelles acquisitions moins importantes ; que les
informations privilégiées susceptibles d'avoir été données après
le déjeuner du 8 septembre de Nelson Peltz et Jean Gandois, puis
utilisées le 9, constituent au sens de l'article 693 du Code de
procédure pénale, l'acte caractérisant un des éléments du délit
d'initié permettant de fonder, pour cette infraction et les
infractions connexes, la compétence des juridictions françaises,
comme l'a précisé la Cour de cassation le 3 novembre 1992 ; que
la présence de Charbel Ghanem à Paris les 25 octobre, 8 et 9
novembre 1988, lors de l'achat d'actions, confirme, s'il en était
besoin, une telle compétence ; qu'il échet dès lors de rejeter
ce moyen. »
Le requérant demanda également un supplément d'information aux
fins d'audition de Robert Dakkak, engagé en octobre 1988 comme gardien
des propriétés en France de l'un des actionnaires majoritaires de la
société Triangle et de Shaker Khoury, qui avait lui-même procédé à
l'achat de titres Triangle en août 1988.
Sur ce point, le tribunal releva que Robert Dakkak avait
longuement été entendu comme témoin le 18 juillet 1989 puis avait été
cité à l'audience à laquelle il n'avait pas comparu car il avait
regagné le Liban. Quant à Shaker Khoury, le tribunal nota qu'il n'avait
pas comparu devant le juge, malgré sa convocation par voie diplomatique
et qu'il n'avait pas davantage déféré à deux citations devant le
tribunal.
Il releva toutefois que Shaker Khoury avait déposé devant un
magistrat libanais à plusieurs reprises, que les procès-verbaux
d'audition avaient été versés au dossier et que les prévenus avaient
été invités à formuler toutes les observations que les déclarations
ainsi recueillies pouvaient appeler de leur part, qu'il ne pouvait dès
lors être sérieusement soutenu que le principe du procès équitable
n'avait pas été respecté.
Le tribunal estima que le fait que le requérant avait été
l'informateur qui avait permis l'achat des titres découlait du fait
qu'il était le seul à savoir le 18 août 1988 que des pourparlers de
rachat étaient en cours, qu'il entretenait des relations assidues avec
Charbel Ghanem, fondateur et dirigeant de la société anonyme
Socofinance qui avait procédé à l'achat de titres Triangle dès le
18 août 1988, qu'un grand nombre d'appels téléphoniques avait été passé
par le requérant à Charbel Ghanem aux moments forts des négociations
et alors qu'il n'initiait aucune opération sur ses comptes personnels
à Socofinance, qu'il y avait une simultanéité entre certains
« tournants » pris par les négociations et la présence du requérant à
Genève, siège de Socofinance, ou de Charbel Ghanem à Paris, de la
politique d'achat des titres qui, loin de faire peser le moindre risque
sur l'avenir des négociations et sur la perception de la commission du
requérant, avait accompagné et parfois accéléré le cours de celles-ci
pour s'arrêter avant la période suspecte au regard des autorités
boursières. Il releva également que les informations sur l'existence
et le déroulement des négociations, puisées « à la source »
présentaient le caractère précis, particulier et certain requis pour
constituer une information privilégiée et avaient été sciemment
transmises à Charbel Ghanem.
Le 29 septembre 1993, le requérant fut déclaré coupable de délit
d'initié et fut condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et
vingt-cinq millions de francs d'amende.
Sur appel de sept des condamnés, dont le requérant, et du
ministère public, la cour d'appel de Paris rendit un arrêt le
6 juillet 1994.
Elle confirma pour partie le jugement de première instance et
condamna le requérant à deux ans d'emprisonnement dont un avec sursis
et vingt millions de francs d'amende.
Sur l'argument repris de l'inculpation tardive du requérant, la
cour d'appel se détermina comme suit :
« Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte,
les premiers juges ont à juste titre sur ce point rejeté les
nullités soulevées par les concluants ; qu'il apparaît en effet
que le rapport de la COB annexé au réquisitoire introductif et
qui mettait, il est vrai, certains des prévenus en cause,
indiquait toutefois qu'il n'avait pas été révélé d'éléments
décisifs permettant l'identification des personnes ayant donné
des informations privilégiées ; que ce document ainsi que les
articles de presse qui y étaient joints, lesquels ont été encore
présentés par Alain BOUBLIL dans ses conclusions en cause d'appel
comme une campagne de presse injustifiée à son égard, ne
pouvaient constituer lors de l'ouverture de l'information, comme
l'ont à tort prétendu les conseils des prévenus, des indices
graves précis et concordants de culpabilité à l'encontre de ces
derniers, pouvant en l'absence d'investigations complémentaires,
entraîner leur inculpation immédiate ;
Considérant que le juge d'instruction se devait dès lors, comme
l'a relevé le tribunal de procéder à toutes investigations qu'il
estimait utiles tant sur le territoire national qu'à l'étranger ;
qu'il ne saurait donc lui être fait grief d'avoir, compte tenu
de l'extrême complexité de l'affaire, attendu, notamment pour
Samir Traboulsi, le résultat des recherches relatives aux
entretiens téléphoniques passés par l'intéressé, et le retour des
procès-verbaux d'auditions des témoins par lui demandées pour
éclaircir l'affaire ;
(...)
Considérant enfin qu'il ne résulte d'aucune des pièces du
dossier, que le magistrat instructeur, même si l'inculpation de
certains des prévenus a pu leur paraître tardive, ait eu pour
autant le dessein, compte tenu de la complexité de l'affaire
qu'il avait à charge d'élucider, de faire échec aux droits de la
défense ;
Que cette condition telle que requise par l'article 105 du Code
de procédure pénale applicable à l'époque des faits n'était
nullement établie, que la Cour ne peut, eu égard à l'ensemble des
éléments ci(dessus rappelés, que rejeter l'exception de nullité
du chef de la violation des dispositions de l'article 105 du Code
de procédure pénale, soulevée par les prévenus, et confirmer sur
ce point le jugement attaqué. »
La cour d'appel confirma par ailleurs le jugement de première
instance concernant la compétence territoriale des juridictions
françaises.
Quant à la demande réitérée de complément d'information aux fins
d'audition de Robert Dakkak et de Shaker Khoury, la cour d'appel releva
qu'elle ne disposait pas en l'occurrence, s'agissant de témoins
résidant à l'étranger, d'un quelconque moyen de coercition pour les
faire comparaître au titre de l'entraide répressive internationale.
Elle ajouta que Shaker Khoury avait fait connaître à la Cour, par
télécopie du 28 avril 1994, qu'il n'avait selon lui pas d'autres
renseignements à donner par rapport à son audition du 24 avril 1994.
La cour rejeta la demande de supplément d'information en rappelant que
les dernières auditions de ces deux témoins avaient été versées au
dossier de la procédure et soumises au débat contradictoire et qu'elle
se réservait d'apprécier le sens et la portée de ces nouvelles
auditions en fonction de l'ensemble des éléments du dossier ainsi que
des débats.
Sur le fond, la cour d'appel reprit les mêmes éléments pour
établir que l'informateur de Charbel Ghanem ne pouvait être que le
requérant et avait sciemment transmis à Charbel Ghanem l'information
particulière, précise et certaine prévue par la loi afin de lui
permettre d'effectuer des opérations sur le titre Triangle, que le
délit était ainsi constitué en ses éléments matériel et intentionnel.
Le requérant et trois autres condamnés se pourvurent en cassation
contre cet arrêt.
Le 12 décembre 1995, le requérant déposa une requête de dispense
de mise en état devant la cour d'appel de Paris, conformément à
l'article 583 du Code de procédure pénale qui dispose notamment :
« Sont déclarés déchus de leur pourvoi les condamnés à une peine
emportant privation de liberté pour une durée de plus de
six mois, qui ne sont pas en état ou qui n'ont pas obtenu, de la
juridiction qui a prononcé, dispense, avec ou sans caution, de
se mettre en état. »
Dans sa demande de dispense, le requérant soulignait qu'il
disposait des meilleures garanties de représentation, qu'il s'était
toujours présenté aux convocations de justice et qu'il connaissait de
graves problèmes de santé nécessitant une hospitalisation urgente.
La requête de dispense de mise en état fut rejetée par la cour
d'appel de Paris.
Dans son pourvoi, le requérant soutenait notamment que manquait
au dossier l'avis de la COB prévu à l'article 12-1 de l'ordonnance du
28 septembre 1967, qu'il avait été entendu comme témoin à plusieurs
reprises par le juge d'instruction sans l'assistance d'un avocat et que
la cour d'appel avait néanmoins rejeté l'exception de nullité tirée de
la violation de l'article 105 du Code de procédure pénale, que deux
témoins n'avaient pas été entendus, que l'infraction de délit d'initié
n'était pas caractérisée, que les juridictions françaises étaient
incompétentes et que la peine prononcée à son encontre n'était pas
justifiée.
Sur la violation alléguée de l'article 105 du Code de procédure
pénale et des droits de la défense, la Cour se prononça comme suit dans
son arrêt du 26 octobre 1995 :
« Attendu que, pour rejeter les exceptions de nullité,
régulièrement soulevées par les demandeurs et tirées de leur
inculpation tardive, l'arrêt attaqué énonce que les documents
joints au réquisitoire introductif ne constituaient pas, lors de
l'ouverture de l'information, 'des indices graves, précis et
concordants de culpabilité pouvant, en l'absence d'investigations
complémentaires, entraîner l'inculpation immédiate' des prévenus,
et 'que le juge d'instruction se devait, dès lors, de procéder
à toutes investigations utiles, tant sur le territoire national
qu'à l'étranger' ;
Qu'il ajoute 'qu'il ne résulte d'aucune des pièces du dossier que
le magistrat instructeur, même si l'inculpation de certains des
prévenus a pu leur paraître tardive, ait eu le dessein, compte
tenu de la complexité de l'affaire qu'il avait à charge
d'élucider, de faire échec aux droits de la défense' ;
(...)
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'en vertu
de l'article 105 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction
applicable aux faits de la cause, non contraire aux dispositions
de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, il appartient
au juge d'instruction, saisi de réquisitions contre personne non
dénommée, de n'inculper une personne déterminée qu'après s'être
éclairé, notamment par son audition préalable, en qualité de
témoin, sur sa participation aux agissements incriminés dans des
conditions pouvant engager sa responsabilité pénale, la cour
d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs
allégués. »
Quant au refus de supplément d'information pour entendre les
témoins, la Cour de cassation considéra que la cour d'appel avait
souverainement apprécié l'inutilité d'un supplément d'information et
justifié l'impossibilité de l'audition de témoins sollicitée.
Sur la compétence territoriale des juridictions françaises, la
Cour de cassation estima que :
« Dans leur rédaction applicable aux faits de la cause, les
dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du
28 septembre 1967 modifiée, non contraires à la
directive 89/592/CEE du 13 novembre 1989 qui se borne à
prescrire, dans tous les Etats membres de l'Union européenne, un
degré minimal d'incrimination du délit d'initié, n'exigent pas
que l'opération réalisée grâce aux informations privilégiées
l'ait été sur le marché boursier français, ni qu'elle porte sur
des titres cotés en France, le terme de 'marché' s'appliquant à
tout lieu où s'effectue le rapprochement d'une offre et d'une
demande portant sur des valeurs mobilières ;
Selon l'article 693 du Code de procédure pénale, dont les
dispositions, reprises dans l'article 113-2 du Code pénal, ne
font aucune référence à la loi étrangère, il suffit, pour que
l'infraction soit réputée commise sur le territoire de la
République et soit punissable en vertu de la loi française, qu'un
de ses faits constitutifs ait eu lieu sur ce territoire ;
Dès lors, les moyens, qui, pour le surplus, reviennent à remettre
en question l'appréciation souveraine des faits par les juges du
fond, ne peuvent être admis. »
Quant au moyen tiré du caractère excessif de la peine prononcée
à l'encontre du requérant, la Cour de cassation estima :
« D'une part, que, pour condamner Samir Traboulsi à la peine de
deux ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis, la cour
d'appel se réfère à 'l'ampleur des opérations illicitement
réalisées à partir des renseignements privilégiés communiqués'
par lui, et à 'la gravité des faits retenus à sa charge' ;
Qu'en l'état de ces énonciations, qui répondent aux exigences de
l'article 132-19 du Code pénal, les juges du second degré ont
justifié le prononcé d'une peine d'emprisonnement assortie
seulement pour partie du sursis ;
D'autre part, que, les juges ayant constaté que les opération
réalisées par Charbel Ghanem grâce aux informations privilégiées
que lui a communiquées Samir Traboulsi ont entraîné un profit de
21 millions de francs, et dès lors que, selon l'article 10-1 de
l'ordonnance du 28 septembre 1967, l'auteur d'un délit d'initié
peut être puni d'une amende proportionnelle au profit obtenu,
même s'il n'a pas réalisé lui-même les opérations sur le marché,
la peine de 20 millions d'amende qu'ils ont prononcée contre le
demandeur est justifiée. »
La Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.
GRIEFS
1. Le requérant se plaint tout d'abord de ne pas avoir bénéficié
d'un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial
concernant la procédure menée devant la COB. Il soutient que la
procédure se déroulant devant la COB doit respecter les règles de
l'article 6 de la Convention, les sanctions susceptibles d'être
prononcées par cette commission devant être apparentées à une sanction
pénale et l'accusation en matière pénale étant caractérisée. Il ajoute
que la COB est à la fois juge et partie puisqu'elle définit les normes
et prononce les sanctions, se saisit elle-même sans contrôle du juge,
procède à des investigations grâce à ses enquêteurs spécialisés et se
prononce sur l'existence éventuelle d'un délit boursier, son avis étant
obligatoire en cas de délit d'initié. Il expose enfin ne pas avoir pu
contester le rapport de la COB, élément fondamental et déterminant de
la poursuite et ne pas avoir pu ainsi exercer les droits de la défense.
2. Le requérant se plaint encore d'avoir été entendu à six reprises
par le juge d'instruction en qualité de témoin sans l'assistance d'un
défenseur, alors qu'il existait à son encontre des indices susceptibles
d'être considérés comme graves, précis et concordants sur sa
culpabilité. Il considère qu'au stade de ces auditions, il était déjà
implicitement considéré comme un accusé et non plus comme un simple
témoin et que l'assistance d'un avocat s'imposait, ainsi que la
communication du dossier afin qu'il puisse connaître les charges pesant
effectivement sur lui. Il conclut qu'il n'a pas bénéficié des droits
de la défense au sens de l'article 6 par. 3 c de la Convention.
3. Le requérant se plaint également de ne pas avoir pu faire
interroger deux témoins ou leur être confronté, que ce soit au cours
de l'instruction ou devant la juridiction de jugement. Il expose que
l'un de ces témoins n'a été entendu par le juge d'instruction que les
24 et 25 mai 1993, soit après que l'ordonnance de renvoi en jugement
ait été rendue et que l'autre l'a été le 18 février 1989, mais qu'il
n'a pu obtenir leur audition par les juridictions de jugement. Il
invoque l'article 6 par. 3 d de la Convention.
4. Le requérant allègue la violation de l'article 7 de la
Convention. Il expose qu'il a été condamné pour des faits qui, à
l'époque où ils ont été prétendument commis, n'étaient pas pénalement
sanctionnés. Il ajoute que la Cour de cassation a interprété de manière
extensive la loi pénale et notamment la notion de marché boursier en
modifiant les éléments constitutifs du délit d'initié.
5. Le requérant invoque également l'article 6 par. 1 de la
Convention. Il soutient qu'il n'a pas été jugé dans un délai
raisonnable puisque les faits remontent à 1988, qu'il a été mis en
examen en 1991 et que le procès ne s'est achevé que le 26 octobre 1995
avec le prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation.
6. Il allègue également une violation du principe de
proportionnalité, considérant que la peine d'emprisonnement ferme est
excessive, de même que l'amende qui lui a été infligée alors qu'il n'a
réalisé aucun profit et invoque la violation de l'article 3 de la
Convention.
7. Le requérant se plaint encore de ce qu'il a été contraint de se
mettre en état avant que son pourvoi soit examiné et estime que cette
mesure est contraire aux articles 5, 6 et 13 de la Convention.
8. Le requérant se plaint enfin d'une violation de la présomption
d'innocence telle que garantie par l'article 6 par. 2 de la Convention,
les juridictions n'ayant, selon lui, pas prouvé sa culpabilité avant
de le condamner.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint tout d'abord de ne pas avoir bénéficié
d'un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial au
sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention concernant la
procédure menée devant la COB.
Cet article dispose notamment :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un
tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui
décidera, (...), soit du bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre elle. (...). »
Toutefois, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention,
« la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de
recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus ».
Or en l'espèce, le requérant n'a soulevé le présent grief ni
formellement ni en substance dans son pourvoi devant la Cour de
cassation.
Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait, quant à ce grief,
à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes
et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à
l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
2. Le requérant se plaint encore d'avoir été entendu à six reprises
par le juge d'instruction en qualité de témoin sans l'assistance d'un
défenseur, alors qu'il existait à son encontre des indices susceptibles
d'être considérés comme graves, précis et concordants sur sa
culpabilité. Il considère qu'au stade de ces auditions, l'assistance
d'un avocat s'imposait ainsi que la communication du dossier afin qu'il
puisse connaître les charges pesant effectivement sur lui. Il conclut
qu'il n'a pas bénéficié des droits de la défense au sens de l'article
6 par. 3 c (art. 6-3-c) de la Convention qui dispose :
« Tout accusé a droit notamment à :
(...)
c. se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur
de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un
défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat
d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ;
(...). »
La Commission relève que l'application de l'article 105 du Code
de procédure pénale suppose qu'il existe contre les personnes entendues
en qualité de témoins des « indices graves et concordants de
culpabilité ». Le requérant soutient que tel était le cas lors de ses
auditions comme témoin.
La Commission rappelle tout d'abord à cet égard qu'elle n'est pas
compétente pour examiner une requête relative à des erreurs de fait ou
de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et
dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d'avoir
entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la
Convention.
Or en l'espèce, elle ne relève pas d'éléments, dans le dossier,
attestant d'une telle atteinte.
En effet, la Commission note que la citation du requérant faite
dans le rapport de la COB n'était, comme l'ont d'ailleurs relevé les
juridictions internes, pas de nature à pouvoir être considérée comme
apportant « des indices graves et concordants » de culpabilité.
En outre, aucun élément du dossier ne permet d'étayer la thèse
selon laquelle le juge d'instruction aurait disposé, avant de procéder
aux nombreuses investigations nécessaires, tant sur le plan national
qu'international, dans cette affaire fort complexe, d'éléments lui
permettant d'inculper le requérant. Au demeurant, ce dernier n'a jamais
reconnu avoir commis une quelconque infraction. C'est ainsi que les
juridictions internes ont pu considérer qu'il ne pouvait être fait
grief au juge d'instruction d'avoir attendu, notamment pour le
requérant, le résultat des recherches relatives aux entretiens
téléphoniques passés par lui et le retour des procès-verbaux d'audition
de témoins par lui demandées pour éclaircir l'affaire.
Dès lors, rien ne permet d'établir que le requérant aurait pu
être inculpé plus tôt qu'il ne l'a été.
La Commission n'aperçoit dès lors aucune apparence de violation
de l'article 6 par. 3 c (art. 6-3-c) de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée en application de l'article 27
par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant se plaint également de ne pas avoir pu faire
interroger deux témoins ou leur être confronté, que ce soit au cours
de l'instruction ou devant la juridiction de jugement. Il invoque
l'article 6 par. 3 d (art. 6-3-d) de la Convention qui dispose :
« Tout accusé a droit notamment à :
(...)
d. interroger ou faire interroger les témoins à charge et
obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à
décharge dans les mêmes conditions que les témoins à
charge. »
La Commission rappelle que selon sa jurisprudence et celle de la
Cour, « les éléments de preuve doivent normalement être produits devant
l'accusé en audience publique, en vue d'un débat contradictoire. Il
n'en résulte pourtant pas que la déclaration d'un témoin doive toujours
se faire dans le prétoire et en public pour pouvoir servir de preuve ;
en particulier, cela peut se révéler impossible dans certains cas.
Utiliser de la sorte des dépositions remontant à la phase de
l'instruction préparatoire ne se heurte pas en soi aux paragraphes 3 d
et 1 de l'article 6 (art. 6), sous réserve du respect des droits de la
défense. En règle générale, ils commandent d'accorder à l'accusé une
occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et
d'en interroger l'auteur, au moment de la déposition ou plus tard »
(Cour eur. D.H., arrêt Asch c. Autriche du 26 avril 1991, série A
n° 203, p. 10, par. 25 et 27).
En outre, faute de pouvoir obtenir la présence d'un témoin dans
le prétoire, il est loisible au tribunal, sous réserve des droits de
la défense, d'avoir égard aux dépositions recueillies par le magistrat
instructeur, « d'autant qu'elles peuvent lui avoir semblé corroborées
par d'autres données en sa possession » (Cour eur. D.H., arrêt Artner
c. Autriche du 28 août 1992, série A n° 242-A, p. 10, par. 22).
La Commission relève que dans la présente affaire le requérant
se plaint de l'absence de confrontation avec deux témoins résidant au
Liban.
Elle constate que le juge d'instruction a convoqué ces
deux personnes qui n'ont pas donné suite à ses convocations. Elle note
en outre que ces deux témoins ont été cités à deux reprises devant le
tribunal et n'ont pas déféré à ces citations.
Ces témoins ont toutefois accepté de déposer à plusieurs reprises
devant un magistrat libanais et les procès-verbaux de leurs auditions
ont été versés au dossier, les prévenus étant invités à formuler toutes
les observations que ces déclarations pouvaient appeler de leur part.
Elle estime que, dans de telles circonstances où la confrontation
avec des témoins était impossible en France, le fait d'utiliser des
déclarations faites par ces témoins ne constitue pas automatiquement
une violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention.
La Commission note par ailleurs que les juridictions internes
n'ont pas forgé leur conviction spécialement sur les déclarations
faites par ces deux témoins mais sur de nombreux éléments matériels
rassemblés au cours de l'instruction et sur d'autres témoignages.
Dans ces conditions, compte tenu de ce qui précède et notamment
de l'impossibilité où se trouvaient les autorités françaises d'obtenir
la comparution de Shaker Khoury et de Robert Dakkak afin qu'ils
témoignent, du fait que d'autres témoignages ont été apportés et de ce
que les juridictions se sont fondées pour une part importante sur des
éléments matériels, la Commission estime qu'il n'était pas contraire
à l'article 6 (art. 6) de verser au dossier les déclarations de Shaker
Khoury et de Robert Dakkak, sans que ceux-ci aient été confrontés au
requérant et en particulier que ce fait n'a pas porté atteinte aux
droits de la défense et à l'équité du procès garantis par cette
disposition.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
4. Le requérant allègue la violation de l'article 7 (art. 7) de la
Convention. Il expose qu'il a été condamné pour des faits qui, à
l'époque où ils ont été prétendument commis, n'étaient pas pénalement
sanctionnés. Il ajoute que la Cour de cassation a interprété de manière
extensive la loi pénale et notamment la notion de marché boursier en
modifiant les éléments constitutifs du délit d'initié.
L'article 7 (art. 7) de la Convention dispose :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission
qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une
infraction d'après le droit national ou international. De même
il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était
applicable au moment où l'infraction a été commise (...). »
La Commission relève qu'à l'époque où le requérant a été
condamné, l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 prévoyait
la condamnation des personnes « disposant, à l'occasion de l'exercice
de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées
sur les perspectives ou la situation d'un émetteur de titres ou sur les
perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un contrat à terme
négociable, qui auront réalisé ou sciemment permis de réaliser sur le
marché, soit directement, soit par personne interposée, une ou
plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces
informations. »
Elle constate que les juridictions françaises ont établi de
manière très détaillée et très précise l'implication du requérant dans
l'affaire en cause et le fait qu'il était le seul à pouvoir avoir
fourni certaines informations présentant les caractéristiques requises
par l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre 1967.
Quant au fait que les juridictions françaises ont considéré que
la notion de marché boursier ne pouvait être limitée au seul marché
français, la Commission note que la loi ne spécifie pas qu'il s'agit
du marché français mais mentionne « le marché ». La Commission estime
qu'une telle interprétation, dans un domaine par nature international,
ne modifie pas, par une lecture abusivement extensive, l'incrimination
prévue par le droit français.
En conséquence, la Commission considère que le requérant a été
condamné sur le fondement d'une infraction prévue par le droit national
lors de la commission des faits au sens de l'article 7 (art. 7) de la
Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
5. Le requérant invoque également l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de
la Convention et soutient qu'il n'a pas été jugé dans un délai
raisonnable au sens de cette disposition.
L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose
notamment :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)
dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera
(...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée
contre elle (...). »
La Commission relève qu'en l'espèce le requérant a été mis en
examen le 23 janvier 1991, qu'il a été renvoyé devant le tribunal
correctionnel le 17 février 1993, que ce dernier a statué le
29 septembre 1993, que la cour d'appel a rendu son arrêt le
6 juillet 1994 et que la Cour de cassation a rendu le sien le
26 octobre 1995. La procédure a donc duré quatre ans et neuf mois pour
trois degrés de juridictions.
Compte tenu de la complexité évidente de l'affaire qui portait
sur des infractions très particulières et impliquait un grand nombre
de personnes, dont beaucoup résidant à l'étranger, et exigeait une
reconstitution de faits difficiles à établir et s'étant également
passés dans différents pays, la Commission estime qu'une durée de
procédure de quatre ans et neuf mois incluant l'instruction et l'examen
de l'affaire par trois degrés de juridictions ne saurait être
considérée comme déraisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée, au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
6. Le requérant allègue également une violation du principe de
proportionnalité, considérant que la peine d'emprisonnement ferme est
excessive, de même que l'amende qui lui a été infligée alors qu'il n'a
réalisé aucun profit. Il invoque l'article 3 (art. 3) de la Convention
qui stipule :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou
traitements inhumains ou dégradants. »
Il est vrai que l'article 3 (art. 3) de la Convention prohibe
notamment les peines inhumaines et dégradantes.
La Commission relève que le requérant a été condamné à une peine
dans le cadre strict de la loi.
Même à supposer que l'article 3 (art. 3) soit applicable en
l'espèce, la Commission estime dès lors qu'aucune violation de ses
dispositions ne peut être relevée dans la présente affaire.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
7. Le requérant se plaint également de ce qu'il a été contraint de
se mettre en état la veille de l'examen de son pourvoi par la Cour de
cassation. Il estime que cette mesure est contraire aux articles 5, 6
et 13 (art. 5, 6, 13) de la Convention, sans préciser quel droit
garanti par ces dispositions aurait été violé en l'espèce.
La Commission relève que le requérant a déposé le
12 décembre 1995 une requête de dispense de mise en état devant la cour
d'appel de Paris.
Elle note que dans cette demande, le requérant a fait état de ses
garanties de représentation, du fait qu'il s'était toujours présenté
aux convocations de justice et du fait qu'il connaissait de graves
problèmes de santé.
Elle constate que le requérant n'a soulevé aucun des arguments
qu'il soumet à présent à la Commission et n'a nullement invoqué le fait
que cette obligation de se mettre en état serait contraire à la
Convention.
Or, la Commission rappelle qu'aux termes de l'article 26
(art. 26) de la Convention, elle « ne peut être saisie qu'après
l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon
les principes de droit international généralement reconnus. »
Cet article « n'exige pas seulement la saisine des juridictions
nationales compétentes et l'exercice de recours destinés à combattre
une décision déjà rendue : il oblige aussi, en principe, à soulever
devant ces mêmes juridictions, au moins en substance et dans les formes
et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l'on entend
formuler par la suite à Strasbourg (...) ; il commande en outre
l'emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de
la Convention. » (Cour eur. D.H., arrêt Cardot c. France du
19 mars 1991, série A n° 200, p. 18, par. 34).
En l'espèce, le requérant n'a soulevé le présent grief ni
formellement ni en substance dans sa demande de dispense de mise en
état.
Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait, quant à ce grief,
à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes
et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à
l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
8. Le requérant se plaint encore d'une violation de la présomption
d'innocence telle que garantie par l'article 6 par. 2 (art. 6-2) de la
Convention, les juridictions n'ayant, selon lui, pas prouvé sa
culpabilité avant de le condamner.
L'article 6 par. 2 (art. 6-2) dispose :
« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
La Commission rappelle que la présomption d'innocence consacrée
par le paragraphe 2 de l'article 6 (art. 6-2) figure parmi les éléments
du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1. Elle se trouve
méconnue si une décision judiciaire concernant un prévenu reflète le
sentiment qu'il est coupable, alors que sa culpabilité n'a pas été
préalablement légalement établie. Il suffit, même en l'absence de
constat formel, d'une motivation donnant à penser que le juge considère
l'intéressé comme coupable (Cour eur. D.H., arrêt Allenet de Ribemont
c. France du 10 février 1995, série A n° 308, p. 16, par. 35).
La Commission constate que dans la présente espèce, les
juridictions du fond ont procédé à un examen long et minutieux des
faits et des différents éléments nécessaires pour que l'infraction soit
constituée.
Elle ne relève dans le dossier aucun élément permettant de
supposer que les tribunaux internes avaient le sentiment que le
requérant était coupable avant qu'elles se soient livrées à cet examen
qui a abouti à la déclaration de culpabilité.
Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée
comme étant manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
M. de SALVIA S. TRECHSEL
Secrétaire Président
de la Commission de la Commission