CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE CALOGERO DIANA c. ITALIE, 15 novembre 1996, 15211/89

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 15 nov. 1996, n° 15211/89
Numéro(s) : 15211/89
Publication : Recueil 1996-V
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Campbell c. Royaume-Uni du 25 mars 1992, série A no 233, p. 16, par. 34
Arrêt Huvig c. France du 24 avril 1990, série A no 176-B, p. 52, par. 25
Arrêt Kruslin c. France du 24 avril 1990, série A no 176-A, p. 20, par. 26, pp. 24-25, par. 36
Arrêt Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 32, par. 84, p. 33, par. 88
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Exception préliminaire jointe au fond (non-épuisement des voies de recours internes) ; Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 8 ; Violation de l'art. 13 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-3-b ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Frais et dépens - demande rejetée
Identifiant HUDOC : 001-62631
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1996:1115JUD001521189
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Sur les parties

Texte intégral

COUR (CHAMBRE)

AFFAIRE CALOGERO DIANA c. ITALIE

(Requête no 15211/89)

ARRÊT

STRASBOURG

21 octobre 1996



En l'affaire Calogero Diana c. Italie[1],

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement B[2], en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,

Thór Vilhjálmsson,

F. Gölcüklü,

C. Russo,

A.N. Loizou,

A.B. Baka,

B. Repik,

P. Kuris,

U. Lohmus,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 mai et 21 octobre 1996,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.   L'affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement italien ("le Gouvernement") le 19 juin 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (no 15211/89) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Calogero Diana, avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 30 mai 1989 en vertu de l'article 25 (art. 25). La requête du Gouvernement renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences des articles 8, 6 par. 3 b) et 13 de la Convention (art. 8, art. 6-3-b, art. 13).

2.   En réponse à l'invitation prévue à l'article 35 par. 3 d) du règlement B, le requérant a manifesté le désir de participer à l'instance et a désigné son conseil (article 31), que le président a autorisé à employer la langue italienne (article 28 par. 3).

3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement B). Le 13 juillet 1995, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, F. Gölcüklü, R. Pekkanen, A.N. Loizou, B. Repik, P. Kuris et U. Lohmus, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement B) (art. 43). Ultérieurement, M. A.B. Baka, suppléant, a remplacé M. Pekkanen, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1).

4.   En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement B), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 par. 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 11 janvier 1996 et celui du Gouvernement le 16.

5.   Le 11 janvier 1996, la Commission avait produit le dossier de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

6.   Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 23 mai 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg.

La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. G. Raimondi, magistrat détaché au service du contentieux              

diplomatique du ministère des Affaires étrangères,               coagent,

M. G. Fidelbo, magistrat détaché à la direction des affaires

pénales du ministère de la Justice, conseil,

Mme M.A. Saragnano, magistrat détaché à la direction des

affaires pénales du ministère de la Justice,               conseillère;

- pour la Commission

M. J.-C. Geus, délégué;

- pour le requérant

Me G. Pelazza, avocat, conseil.

La Cour a entendu en leurs plaidoiries M. Geus, Me Pelazza et M. Raimondi.

EN FAIT

I.   LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

7.   Soupçonné de participation aux activités de l'organisation terroriste dénommée "Brigades rouges", M. Diana fut arrêté le 11 septembre 1970 et placé aussitôt en détention. Il fut condamné à onze reprises entre février 1971 et janvier 1987, les peines les plus lourdes étant celles infligées le 5 février 1981 par la cour d'assises de Novara (vingt-sept ans d'emprisonnement et 200 000 lires d'amende) et le 28 novembre 1985 par la cour d'assises d'appel de Milan (réclusion criminelle à perpétuité). En application d'une mesure de confusion des peines adoptée le 17 juin 1992 par le procureur général de la République de Cagliari, l'intéressé purge, depuis le 11 septembre 1970, la peine de la réclusion criminelle à perpétuité, assortie, entre autres, de l'interdiction perpétuelle des charges publiques, de la perte de ses droits civiques pendant l'exécution de la peine et de la déchéance de l'autorité parentale.

A. Le contrôle de la correspondance du requérant

1. Pendant la détention à la prison de Palmi

8.   Le 28 mars 1987, le juge de l'application des peines (magistrato di sorveglianza) de Reggio de Calabre décida de soumettre la correspondance de M. Diana, détenu à la prison de Palmi, à un visa de censure conformément à l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (paragraphe 18 ci-dessous). La décision était motivée par la nature des crimes et délits commis par ce dernier, son appartenance à une catégorie particulière de détenus caractérisée par une attitude d'opposition totale aux organes de l'Etat, son comportement ainsi que son rejet de l'institution carcérale et de toute collaboration avec son personnel.

2. Pendant la détention à la prison d'Ascoli Piceno

9.   A une date qui n'a pas été précisée, le requérant fut transféré à la prison d'Ascoli Piceno.

10.   Le 17 décembre 1988, le juge de l'application des peines de Macerata ordonna que toute la correspondance du requérant, tant à l'arrivée qu'au départ, soit soumise à censure pendant une période de six mois à compter du 22 décembre 1988, date de la notification de la décision à l'intéressé. Il estimait que les motifs qui avaient justifié l'adoption d'une pareille mesure par son homologue de Reggio de Calabre (paragraphe 8 ci-dessus) demeuraient valables, et que subsistait un danger d'utilisation par le requérant de sa correspondance afin de commettre des infractions ou de troubler l'ordre ou la sécurité publics. A cette époque-là, M. Diana avait déjà été condamné par deux fois et faisait l'objet de deux autres procédures pénales. La première, devant la cour d'assises d'appel de Cagliari, concernait les accusations d'enlèvement, de fabrication, détention et port d'explosifs, destruction qualifiée et résistance à la force publique; elle s'est terminée par un arrêt du 17 mars 1989, passé en force de chose jugée le 5 mars 1990, qui a condamné le requérant à huit ans et six mois d'emprisonnement avec interdiction perpétuelle des charges publiques. La seconde, pendante devant le juge d'instance (pretore) de Novara, tirait son origine des poursuites engagées à la suite de l'évasion du requérant le 23 septembre 1986; M. Diana avait été repris le 5 décembre 1986.

11.   Les lettres suivantes furent sans conteste soumises au visa de censure:

- une lettre du requérant à son avocat, datée du 22 janvier 1989;

- une lettre recommandée, datée du 27 janvier 1989, envoyée au requérant par son avocat;

- une lettre du requérant à son avocat, datée du 16 février 1989;

- une lettre du requérant à son avocat, datée du 18 avril 1989;

- une lettre recommandée datée du 24 mai 1989, adressée au requérant par son avocat et contenant la formule de requête nécessaire pour introduire un recours auprès de la Commission;

- une lettre du requérant à son avocat, datée du 30 mai 1989 et contenant la formule de requête à la Commission signée par le requérant et datée du même jour, chaque page portant le visa de censure.

B. Les recours contre le visa de censure pendant la détention à Ascoli Piceno

12.   M. Diana a introduit plusieurs recours contre les mesures de contrôle de sa correspondance. En particulier, le 10 janvier 1989, il forma un recours gracieux (richiesta di riesame) auprès du juge de l'application des peines de Macerata en vue d'un réexamen de la décision adoptée le 17 décembre 1988 (paragraphe 10 ci-dessus). Le magistrat le rejeta le 13 janvier 1989. Le 22 janvier 1989, le requérant communiqua une copie des décisions rendues par ce juge à son avocat. Le 27 janvier 1989, ce dernier demanda la levée du visa de censure sur sa correspondance avec l'intéressé et la révocation de la mesure du 17 décembre 1988 (paragraphe 10 ci-dessus). Invoquant les articles 6 par. 3 b) et 8 de la Convention (art. 6-3-b, art. 8), il faisait valoir, entre autres, que ce contrôle constituait une violation manifeste des droits de la défense et ne pouvait être décidé sur la base d'une décision analogue prise par un autre magistrat presque deux ans auparavant ou sur celle de considérations concernant le comportement du requérant dans une autre prison, d'autant plus que celui-ci bénéficiait d'un traitement plus favorable au sein de l'établissement pénitentiaire d'Ascoli Piceno.

13.   Le 17 mars 1989, le juge de l'application des peines considéra que la mesure litigieuse était tout à fait justifiée compte tenu des arguments déjà exposés dans sa décision du 17 décembre 1988, des rapports disciplinaires concernant M. Diana, ainsi que de l'adhésion de celui-ci, lors de sa détention à la prison de Palmi, à un groupe de détenus tous affiliés à des mouvements subversifs d'extrême gauche. Il décida néanmoins de surseoir à statuer sur la demande de l'avocat et d'adresser une question d'interprétation de la loi pertinente à la direction générale des établissements de prévention et de peine (Direzione generale degli Istituti di prevenzione e pena), sur le point de savoir si le contrôle de la correspondance du requérant avec son conseil était légitime, étant donné qu'à l'époque le premier faisait toujours l'objet de deux procédures pénales. Le contrôle du courrier restait tout de même en vigueur dans l'attente de la réponse de l'autorité compétente.

14.   Le 26 mai 1989 le juge, en réponse à une lettre que la défense lui avait adressée le 18 mai, confirma à nouveau sa décision du 17 décembre 1988.

15.   La direction générale des établissements de prévention et de peine répondit le 1er juin 1989. A son avis, le visa de censure sur la correspondance d'un détenu, au cas où toutes les conditions prévues par la loi sont satisfaites, couvrait toute sa correspondance, y compris celle avec son défenseur, et ne pouvait passer pour porter atteinte aux droits de la défense garantis par l'article 24 de la Constitution. Le caractère confidentiel des communications entre le détenu, sous le coup d'une accusation pénale, et son défenseur serait sauvegardé par la possibilité de communication au cours d'entretiens privés se déroulant à l'intérieur de la prison. Le 10 juin 1989, le juge de l'application des peines rejeta la demande de l'avocat du 27 janvier 1989.

16.   La mesure litigieuse cessa automatiquement le 22 juin 1989, à l'échéance du délai prévu dans la décision (paragraphe 10 ci-dessus).

17.   Le 26 juin 1992, le requérant fut transféré à la prison spéciale de Trani (Bari). Depuis février 1994, il bénéficie du régime de semi-liberté.

II.   LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La législation applicable

18.   Selon l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 ("la loi no 354"), tel que modifié par l'article 2 de la loi no 1 du 12 janvier 1977, l'autorité compétente en matière de visa de censure sur la correspondance des détenus est le juge saisi de l'affaire - la juridiction d'instruction ou celle de jugement - jusqu'à la décision de première instance, et le juge de l'application des peines pendant le déroulement ultérieur de la procédure. Le magistrat peut ordonner le contrôle de la correspondance d'un détenu par acte motivé; cette disposition ne précise toutefois pas les cas dans lesquels une telle décision peut être prise.

19.   Le visa de censure dont se plaint le requérant consiste en particulier en l'interception et la lecture par l'autorité judiciaire qui l'a ordonné, par le directeur de la prison ou par le personnel pénitentiaire désigné par ce dernier, de tout le courrier, ainsi qu'en l'apposition d'un cachet sur les lettres, qui sert à prouver la réalité dudit contrôle. Ce contrôle ne peut pas comporter l'effacement de mots ou de phrases, mais l'autorité judiciaire peut ordonner qu'une ou plusieurs lettres ne soient pas remises; dans ce cas, le détenu doit en être aussitôt informé. Cette dernière mesure peut aussi être ordonnée provisoirement par le directeur de la prison, qui doit toutefois en donner communication à l'autorité judiciaire.

20.   Par ailleurs, l'article 103 du Nouveau code de procédure pénale interdit la saisie et toute forme de contrôle de la correspondance entre un détenu et son défenseur, à condition qu'elle soit reconnaissable comme telle et sauf dans le cas où l'autorité judiciaire a des motifs fondés de croire que cette correspondance constitue le corps du délit. De même, aux termes de l'article 35 des dispositions transitoires dudit code, les normes relatives au visa de censure sur la correspondance d'un détenu prévues par la loi no 354 et le décret du président de la République no 431 du 29 avril 1976, ne s'appliquent pas à la correspondance entre le détenu et son défenseur. Il s'ensuit, entre autres, que la seule autorité qui peut ordonner le contrôle de cette correspondance, et uniquement dans le cas ci-dessus mentionné, est la juridiction saisie de l'affaire.

B. La jurisprudence relative à l'existence de voies de recours internes pour contester le contrôle de la correspondance

21.   La Cour de cassation a estimé à plusieurs reprises que le contrôle de la correspondance d'un détenu constitue un acte de nature administrative; elle a aussi affirmé que le droit italien ne prévoit pas de voies de recours à cet égard, le visa de censure ne pouvant notamment pas faire l'objet d'un pourvoi en cassation, car il ne concerne pas la liberté personnelle du détenu (Cour de cassation, arrêts nos 3141 du 14 février 1990 et 4687 du 4 février 1992).

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

22.   M. Diana a saisi la Commission le 30 mai 1989 (requête no 15211/89). Il se plaignait: 1) d'atteintes à son droit au respect de sa correspondance (article 8 de la Convention) (art. 8); 2) d'une violation de son droit de se défendre et de disposer de toutes les facilités nécessaires à la préparation de sa défense (article 6 par. 3 b)) (art. 6-3-b); 3) de ne pas avoir obtenu une décision par un tribunal impartial sur sa demande de main-levée du visa de censure sur sa correspondance (article 6 par. 1) (art. 6-1); 4) de l'absence de recours effectifs pour faire valoir les violations alléguées de la Convention (article 13) (art. 13).

23.   Le 5 juillet 1994, la Commission a retenu, outre les deuxième et quatrième griefs, le premier, dans la mesure où il concernait le contrôle de la correspondance avec l'avocat résultant des décisions prises par le juge de l'application des peines de Macerata (paragraphe 10 ci-dessus); en revanche, elle a rejeté le troisième et le restant du premier. Dans son rapport du 28 février 1995 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité que l'article 8 (art. 8) a été enfreint, que le grief relatif aux droits de la défense ne soulève aucun problème séparé sous l'angle de l'article 6 par. 3 (art. 6-3) et qu'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt[3].

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT

24.   Dans son mémoire puis à l'audience, le Gouvernement a demandé à la Cour, à titre principal, de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et, subsidiairement, de juger qu'il n'y a pas eu violation des articles 6, 8 et 13 (art. 6, art. 8, art. 13).

EN DROIT

I.   SUR L'EXCEPTION PRELIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

25.   Le Gouvernement excipe, comme déjà devant la Commission, du non-épuisement des voies de recours internes: le requérant n'aurait contesté les mesures litigieuses ni devant le juge de l'application des peines ni devant les tribunaux administratifs régionaux. Comme ce moyen porte aussi sur le fond du grief tiré de l'article 13 (art. 13), la Cour le joint au fond (paragraphe 41 ci-dessous).

II.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION (Art. 8)

26.   Selon le requérant le contrôle des lettres en question a violé l'article 8 de la Convention (art. 8), ainsi libellé:

"1. Toute personne a droit au respect (...) de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."

27.   Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission y souscrit.

28.   De toute évidence, il y a eu "ingérence d'une autorité publique" dans l'exercice du droit du requérant au respect de sa correspondance - en l'espèce avec son avocat -, garanti par le paragraphe 1 de l'article 8 (art. 8-1). Du reste, nul ne le conteste. Pareille ingérence méconnaît ce texte sauf si, "prévue par la loi", elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 (art. 8-2) et, de plus, est "nécessaire, dans une société démocratique", pour les atteindre (voir les arrêts Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61, p. 32, par. 84, Kruslin c. France du 24 avril 1990, série A no 176-A, p. 20, par. 26, Huvig c. France du 24 avril 1990, série A no 176-B, p. 52, par. 25, et Campbell c. Royaume-Uni du 25 mars 1992, série A no 233, p. 16, par. 34).

A. "Prévue par la loi"

29.   Selon le Gouvernement, l'article 18 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 ("la loi no 354"), qui prévoit la possibilité de soumettre à contrôle la correspondance d'un détenu, est conforme à la jurisprudence de la Cour: le pouvoir d'ordonner une telle mesure est confié à l'autorité judiciaire - indépendante et impartiale - avec l'obligation précise de motiver la décision, ce qui exclurait l'arbitraire.

30.   Le requérant rejette cette thèse en soutenant que, s'il est vrai que la censure de la correspondance est prévue par le droit interne, la disposition en question ne précise pas les cas et les limites dans lesquels une telle mesure peut être adoptée.

31.   Quant à la Commission, même si elle doute que le libellé de la loi no 354 corresponde aux exigences du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention (art. 8-2), elle ne juge pas nécessaire de trancher la question dans son rapport car de toute façon les mesures litigieuses seraient contraires à l'article 8 (art. 8) à d'autres égards.

32.   La Cour rappelle que si une loi conférant un pouvoir d'appréciation doit en principe en fixer la portée, il est impossible d'arriver à une certitude absolue dans sa rédaction, une rigidité excessive du texte étant le probable résultat d'un tel souci de certitude (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Silver et autres précité, p. 33, par. 88). En l'occurrence, toutefois, la loi no 354 laisse aux autorités une trop grande latitude: elle se borne notamment à identifier la catégorie de personnes dont la correspondance "peut être soumise à contrôle" et la juridiction compétente, sans s'intéresser à la durée de la mesure ni aux raisons pouvant la justifier. Les lacunes de l'article 18 de ladite loi militent pour le rejet de l'argument du Gouvernement.

33.   En résumé, la loi italienne n'indique pas avec assez de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré, de sorte que M. Diana n'a pas joui du degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (arrêt Kruslin précité, pp. 24 et 25, par. 36). Il y a donc eu violation de l'article 8 (art. 8).

B. Finalité et nécessité de l'ingérence

34.   Eu égard à la conclusion qui précède, la Cour n'estime pas nécessaire de vérifier en l'espèce le respect des autres exigences du paragraphe 2 de l'article 8 (art. 8-2).

III.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 3 b) DE LA CONVENTION (Art. 6-3-b)

35.   Le requérant se plaint aussi d'une violation de son droit de se défendre et de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Il invoque l'article 6 par. 3 b) de la Convention (art. 6-3-b), aux termes duquel

"3. Tout accusé a droit notamment à:

(...)

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

(...)"

36.   Selon le Gouvernement, l'ouverture et la lecture des lettres dont il s'agit n'ont pas porté préjudice à la défense de l'intéressé, qui aurait toujours gardé la possibilité de s'entretenir avec son avocat dans le parloir sous le simple contrôle visuel d'un gardien.

37.   M. Diana dénonce le caractère purement théorique de la confidentialité des entretiens puisque le gardien serait souvent en mesure de capter les conversations. En outre, ses transferts de la prison de Milan à celles de Palmi, puis Ascoli Piceno, distantes respectivement de 1 000 et 600 kilomètres de Milan, siège du cabinet de son défenseur, auraient davantage entravé l'exercice du droit garanti par l'article 6 par. 3 (art. 6-3).

38.   A l'instar du délégué de la Commission, la Cour considère que les observations déposées au greffe par le conseil de l'intéressé ne sont pas de nature à remettre en cause la conclusion figurant au paragraphe 40 du rapport, selon laquelle ce grief ne doit pas être examiné séparément, mais doit plutôt passer pour absorbé par celui relatif à l'article 8 (art. 8).

IV.   SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION (Art. 13)

39.   Le requérant dénonce l'absence en droit italien d'un recours effectif contre les décisions du juge de l'application des peines ordonnant le contrôle de sa correspondance. Il allègue la violation de l'article 13 de la Convention (art. 13), ainsi libellé:

"Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles."

40.   Le Gouvernement considère ce grief non fondé. Il s'appuie d'abord sur la possibilité d'adresser au juge de l'application des peines un recours gracieux et souligne le caractère juridictionnel de la mesure de censure prévue par l'article 18 de la loi no 354, qui réserve à l'autorité judiciaire le pouvoir de soumettre à contrôle la correspondance d'un détenu. En soustrayant à l'Administration un domaine aussi sensible, le législateur italien a voulu entourer la matière des garanties d'indépendance et d'impartialité. L'approche trop formelle de la Commission au sujet de l'effectivité du droit garanti par l'article 13 (art. 13), lequel n'exige pas que l'"instance nationale" appartienne à l'ordre judiciaire, méconnaîtrait la portée de la loi en question. A défaut d'admettre cette thèse, il faudrait donner à la mesure de censure la qualification d'"acte administratif émis par" le juge de l'application des peines "dans le cadre des fonctions inhérentes à la surveillance des établissements pénitentiaires". En interprétant la jurisprudence de la Cour de cassation, qui exclut tout recours en cassation ou devant une juridiction pénale autre que le juge de l'application des peines, le Gouvernement affirme qu'il est possible de s'adresser aux tribunaux administratifs régionaux pour contester les mesures litigieuses.

41.   Selon la Cour, le recours gracieux au juge de l'application des peines ne saurait passer pour un recours effectif au sens de l'article 13 (art. 13) car ledit magistrat est appelé à réexaminer le bien-fondé d'un acte qu'il a pris lui-même, d'ailleurs en l'absence de toute procédure contradictoire. Le prétendu caractère juridictionnel des décisions litigieuses découlant de la nature de l'autorité pouvant les adopter ne résiste pas non plus à la critique: le juge de l'application des peines de Macerata, en réponse à une demande de mainlevée de l'avocat de M. Diana, crut nécessaire d'adresser une question d'interprétation de la loi no 354 à la direction générale des instituts de prévention et de peine - une autorité administrative donc - sur la légitimité du contrôle des rapports épistolaires entre un détenu et son conseil (paragraphe 13 ci-dessus). Quant au troisième argument, il y a lieu de procéder à un double constat. D'une part, la Cour de cassation a affirmé que le droit italien ne prévoit pas de voies de recours à l'égard des décisions ordonnant le contrôle de la correspondance des détenus (paragraphe 21 ci-dessus). D'autre part, aucun jugement de tribunal administratif régional ne semble avoir été rendu à ce jour sur la matière. Partant, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement et estime qu'il y a eu violation de l'article 13 (art. 13).

V.   SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION (Art. 50)

42.   Aux termes de l'article 50 de la Convention (art. 50),

"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."

A. Dommage

43.   M. Diana sollicite sans la chiffrer ni la préciser une satisfaction équitable pour les préjudices qu'il aurait subis.

44.   La Cour estime que le requérant n'a pas prouvé l'existence d'un dommage matériel. Quant au tort moral, elle considère, avec le Gouvernement et le délégué de la Commission, que dans les circonstances de l'affaire le simple constat de violation de la Convention constitue en soi une satisfaction équitable suffisante de ce chef.

B. Frais et dépens

45.   Le requérant réclame le remboursement des frais et dépens supportés devant les organes de la Convention, mais laisse à la Cour le soin d'en déterminer le montant.

46.   Le Gouvernement s'en remet également à la Cour. Quant au délégué de la Commission, il se borne à souligner que l'intéressé n'a pas formulé de demande précise et étayée par des justificatifs.

47.   La Cour relève que M. Diana n'a présenté aucune note de frais et honoraires, ni avant ni pendant l'audience du 23 mai 1996. Dans ces conditions, elle rejette sa demande.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,

1. Joint au fond l'exception préliminaire du Gouvernement, mais la rejette après examen au fond;

2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention (art. 8);

3. Dit que le grief relatif aux droits de la défense ne soulève aucun problème séparé sous l'angle de l'article 6 par. 3 b) de la Convention (art. 6-3-b);

4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 de la Convention (art. 13);

5. Dit que le présent arrêt constitue par lui-même une satisfaction équitable suffisante pour dommage moral;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 15 novembre 1996.

Rolv RYSSDAL

Président

Herbert PETZOLD

Greffier


[1] L'affaire porte le n° 56/1995/562/648. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[2] Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s'applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9 (P9).

[3] Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1996-V), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE CALOGERO DIANA c. ITALIE, 15 novembre 1996, 15211/89