CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE E.R. c. FRANCE, 15 juillet 2003, 50344/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 15 juill. 2003, n° 50344/99
Numéro(s) : 50344/99
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arvois c. France, n° 38249/97, § 18, 23 novembre 1999, non publié
Bottazzi c. Italie [GC], n° 34884/97, CEDH 1999-V, § 30
Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, § 55, Recueil 1996-VI
Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil 1997-III, pp. 510-511, §§ 40-41
Di Pede c. Italie, arrêt du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1384
Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, § 45, CEDH 2000-VII
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-65776
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0715JUD005034499
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE E.R. c. FRANCE

(Requête no 50344/99)

ARRÊT

STRASBOURG

15 juillet 2003

DÉFINITIF

15/10/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire E.R. c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 juin 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 50344/99) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. E.R. (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 juillet 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me D. Jacoby, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères. Le président de la chambre a accédé à la demande de non‑divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

3.  Le requérant se plaignait de la durée de la procédure devant les juridictions civiles.

4.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

5.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

6.  Par une décision du 19 février 2002, la chambre a déclaré la requête recevable.

7.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8.  Le requérant est né en 1940 et réside à Velleron.

9.  A la suite d'une procédure en divorce diligentée par H.D. et M.D., le juge aux affaires familiales rendit une ordonnance de non-conciliation autorisant les époux à résider séparément.

Au mois d'avril 1989, M.D. s'installa au domicile du requérant avec lequel elle entretenait une relation extra-conjugale depuis plusieurs années.

Le 21 septembre 1989, elle retourna vivre avec son mari, les époux D. ayant décidé de se désister de leur procédure de divorce, et le juge ayant donné acte de ce désistement.

10.  Le requérant effectua le 2 octobre 1989 une reconnaissance prénatale de paternité naturelle d'enfant à naître devant notaire, M.D. étant enceinte d'un enfant qui devait normalement naître début mars 1990.

11.  L'enfant qui naquit le 1er mars 1990 fut déclarée à l'officier d'état civil par H.D. comme enfant légitime née de lui-même et de son épouse.

12.  Par acte d'huissier du 15 octobre 1990, le requérant introduisit devant le tribunal de grande instance de Nîmes une action en contestation de paternité légitime de l'enfant, et en déclaration de filiation naturelle à son égard. Il demandait subsidiairement au tribunal d'ordonner une expertise sanguine. Les époux D. conclurent au rejet de la demande du requérant et à l'annulation de la reconnaissance faite par le requérant.

Par jugement du 12 novembre 1991, le tribunal de grande instance de Nîmes déclara recevable l'action en contestation de paternité légitime introduite par le requérant, constata qu'il existait entre le requérant et H.D. un conflit concernant la paternité de l'enfant et, avant-dire droit au fond, ordonna un examen comparé des sangs. Il sursit à statuer sur toutes les demandes, dans l'attente de l'exécution de cette mesure. Il désigna un expert auquel il impartit un délai de deux mois pour déposer son rapport. Il fixa à la somme de 6 400 francs (FRF) le montant de la consignation à la charge du requérant, à verser par ce dernier avant le 15 décembre 1991.

13.  Le 21 novembre 1991, les époux D. interjetèrent appel de cette décision devant la cour d'appel de Nîmes, et sollicitèrent l'application de la procédure à jour fixe. Par ordonnance du 24 décembre 1991, le premier président de la cour d'appel de Nîmes fit droit à la demande tendant à l'application de la procédure à jour fixe.

Par arrêt du 3 mars 1992, la cour d'appel de Nîmes infirma le jugement du tribunal de grande instance de Nîmes, déclara la demande en recherche de paternité du requérant irrecevable et déclara nulle la reconnaissance effectuée le 2 octobre 1989 par le requérant au motif que l'enfant était, au jour de sa naissance, dotée d'un titre d'enfant légitime et de la possession d'état constante conforme à ce titre.

14.  Le 11 mai 1992, le requérant forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par arrêt du 4 mai 1994, la Cour de cassation cassa et annula l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes et désigna la cour d'appel de Montpellier comme juridiction de renvoi.

15.  Le 22 juin 1994, le requérant saisit la cour d'appel de renvoi. Les parties échangèrent des conclusions entre le 27 janvier 1995 et le 21 mars 1996. Une ordonnance de clôture fut prise le 29 mars 1996. L'audience se tint le 29 avril 1996.

Par arrêt du 10 juin 1996, la cour d'appel de Montpellier confirma le jugement du tribunal de grande instance de Nîmes du 12 novembre 1991, au motif que l'enfant n'avait pas, à l'égard des époux D., la possession d'état d'enfant légitime à la date de la reconnaissance prénatale du requérant, et qu'en conséquence sa demande en recherche de paternité était recevable. En conséquence, elle confirma le jugement en ce qu'il avait ordonné la mesure d'expertise, et fixa un nouveau délai au 15 juillet 1996 pour le versement de la consignation et pour le dépôt du rapport. Selon le Gouvernement, la consignation fut effectuée le 21 juin 1996. Le requérant affirme quant à lui que l'expert le dispensa de verser cette consignation, les frais d'expertises ayant été réglés en 1991. Aucune des parties ne produit de pièces à l'appui de son allégation.

16.  Le 3 septembre 1996, les époux D. formèrent un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

17.  Les époux D. ne répondirent pas aux convocations de l'expert et lui demandèrent de ne pas procéder aux opérations d'expertise avant que la Cour de cassation n'ait statué. Le requérant saisit le conseiller chargé de la mise en état de cette difficulté. Par ordonnance du 6 janvier 1997, le magistrat rappela que le pourvoi n'avait pas un caractère suspensif et ne pouvait en conséquence empêcher la réalisation des opérations d'expertise. Il enjoignit à l'expert de procéder aux opérations d'expertise et de déposer son rapport avant le 15 mars 1997.

18.  Par arrêt du 5 mai 1998, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable au motif que l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier ne tranchait pas une partie du principal.

19.  Entre-temps, l'expert déposa son rapport le 13 mars 1997, aux termes duquel il concluait que H.D. ne pouvait être le père de l'enfant, tandis que la paternité biologique du requérant était certaine à 99,9927 %.

Le 13 mars 1997, le conseiller de la mise en état fixa aux parties des délais pour conclure avant le 16 mai 1997. Les 9 mai 1997, 13 juin 1997 et 17 février 1998, le conseiller de la mise en état délivra des injonctions de conclure au requérant, qui déposa ses conclusions le 25 février 1998. Le 22 avril 1998, une injonction de conclure fut délivrée à la partie adverse, qui déposa ses conclusions le 25 août 1998. L'ordonnance de clôture fut prise le 6 janvier 1999. L'audience se tint le 11 janvier 1999.

Par arrêt du 22 février 1999, la cour d'appel de Montpellier constata que le requérant était le père de l'enfant, selon la reconnaissance faite par lui le 2 octobre 1989, déclara nulle la déclaration faite par H.D. le 1er mars 1990, et ordonna que l'arrêt soit transcrit sur les registres d'état civil, mention devant être faite en marge de l'acte de naissance de l'enfant.

20.  Le requérant ne parvint pas à faire transcrire la décision à l'état civil, l'administration estimant que l'arrêt n'était pas assez précis. En conséquence, le 27 octobre 2000, le procureur général près la cour d'appel demanda à la cour d'appel de Montpellier d'interpréter et au besoin préciser la mention marginale que le ministère public devrait faire apposer en marge de l'acte de naissance dressé par l'officier d'état civil le 1er mars 1990.

Par arrêt rectificatif du 19 février 2001, la cour d'appel de Montpellier apporta les précisions sollicitées.

Dans un courrier du 21 février 2001, le Parquet informa l'avocat du requérant de ce qui suit :

« Je vous prie de trouver sous ce pli, photocopie de l'arrêt prononcé le 19 février 2001 dans l'affaire citée en référence.

Je me propose de faire immédiatement les formalités auprès de l'officier de l'état civil. »

La lettre du 27 février 2001 envoyée au requérant par son avocat contenait les informations suivantes :

« Je vous confirme que nous avons fait énormément de diligences pour arriver à faire transcrire la décision à l'état civil.

Malheureusement, l'administration étant très pointilleuse, elle a estimé à chaque fois que l'arrêt n'était pas assez précis.

Le Parquet a donc pris les choses en main, a fait rectifier l'arrêt et procède directement à la transcription de la décision aux services de l'état civil. (...)

La transcription ne devrait donc pas tarder. »

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

Article 539 du nouveau code de procédure civile

« Le délai de recours par une voie ordinaire suspend l'exécution du jugement. Le recours exercé dans le délai est également suspensif. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

21.  Le requérant se plaint de n'avoir pas été jugé dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Période à prendre en considération

22.  Les parties s'accordent à considérer que la procédure a débuté le 15 octobre 1990. Le Gouvernement affirme que la procédure s'est achevée avec l'arrêt du 22 février 1999. Le requérant estime quant à lui qu'il lui a fallu attendre encore près de deux ans après cet arrêt pour qu'un arrêt rectificatif régularise l'état civil de l'enfant.

23.  Selon la Cour, le point de départ de la procédure est le 15 octobre 1990, date d'assignation par le requérant des époux D. devant le tribunal de grande instance. Pour ce qui est de la fin de la procédure, la Cour constate que l'arrêt tranchant la contestation au fond est celui du 22 février 1999 par lequel la cour d'appel constata la paternité du requérant à l'égard de l'enfant, et ordonna que l'arrêt soit transcrit sur les registres d'état civil, mention devant être faite en marge de l'acte de naissance de l'enfant. Or il ressort d'une lettre écrite au requérant par son mandant qu'il fit « énormément de diligences pour arriver à faire transcrire la décision à l'état civil » mais que « malheureusement, l'administration étant très pointilleuse, elle a estimé à chaque fois que l'arrêt n'était pas assez précis ». En conséquence, le Parquet demanda à la cour d'appel d'interpréter et de préciser son arrêt. Cette dernière apporta les précisions requises dans un arrêt du 19 février 2001, et le Parquet fit procéder à la transcription de la décision aux registres de l'état civil. La Cour rappelle qu'il ressort du droit civil interne que l'état des personnes ne peut en principe être prouvé que par la production des actes de l'état civil ; dès lors, tant que la mention, en marge de l'acte de naissance de l'enfant, de l'arrêt modifiant la filiation de l'enfant et constatant la paternité du requérant n'était pas faite, le requérant ne pouvait juridiquement faire valoir ses droits à l'égard de l'enfant, et l'arrêt ne pouvait être exécuté. Or il ressort de la jurisprudence de la Cour que c'est quand le droit revendiqué trouve sa réalisation effective qu'il y a détermination d'un droit de caractère civil, et donc décision définitive au sens de l'article 35 de la Convention (Di Pede c. Italie, arrêt du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, p. 1384 ; Hornsby c. Grèce arrêt du 19 mars 1997, Recueil 1997-III, pp. 510-511, §§ 40-41). La procédure a donc pris fin par l'exécution du jugement, à savoir la transcription de la décision aux services de l'état civil suite à l'arrêt interprétatif du 19 février 2001. Cette date ne figurant pas au dossier, la Cour propose de fixer le dies ad quem au jour du courrier du 27 février 2001 par lequel le requérant fut informé par son avocat de l'adoption de l'arrêt rectificatif et de ce que la transcription serait effectuée sous peu par le Parquet.

La procédure a duré plus de dix ans, quatre mois et douze jours pour six degrés de juridiction (tribunal de première instance, cour d'appel, Cour de cassation, cour d'appel statuant comme juridiction de renvoi, Cour de cassation, cour d'appel statuant sur la demande d'interprétation de l'arrêt de la juridiction de renvoi).

B.  Appréciation de la durée de la procédure

24.  Le Gouvernement fait tout d'abord valoir que l'affaire présentait incontestablement une réelle complexité juridique.

25.  Par ailleurs, le Gouvernement relève qu'à l'exception du dernier arrêt rendu par la cour d'appel de Montpellier les parties ont formé un recours contre toutes les décisions rendues, retardant ainsi nécessairement l'issue de la procédure. Il note en outre que les parties ont échangé de nombreuses écritures, allongeant ainsi considérablement les phases d'instruction de l'affaire. Ainsi, lors du renvoi de l'affaire devant la cour d'appel de Montpellier par l'arrêt rendu le 4 mai 1994 par la Cour de cassation, sur les deux années de procédure devant la cour d'appel de Montpellier, 15 mois ont été nécessaires aux parties pour échanger leurs conclusions. De même, après le dépôt du rapport d'expertise le 12 mars 1997, le requérant n'a conclu sur ce rapport que le 25 février 1998, et les époux D. le 25 août 1998, attendant manifestement l'issue de leur pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 10 juin 1996. Ainsi, sur la durée totale de ces deux procédures, soit plus de quatre ans et demi, deux années et dix mois résultent uniquement des délais d'échange entre les parties de leurs conclusions.

26.  Pour ce qui est du comportement des autorités judiciaires, le Gouvernement relève ce qui suit : s'agissant d'abord de l'expertise ordonnée par le jugement du 12 novembre 1991, le Gouvernement rappelle qu'en application de l'article 544 alinéa 1 du nouveau code de procédure civile, le jugement du 12 novembre 1991 pouvait être immédiatement frappé d'appel. Or en vertu de l'article 539 du nouveau code de procédure civile, l'appel suspend l'exécution du jugement, de sorte que la mission d'expertise ne pouvait plus être exécutée. Le Gouvernement ajoute que le requérant ne consigna pas la totalité de la provision à valoir sur les frais d'expertise mise à sa charge par le jugement du 12 novembre 1991, si bien que la désignation de l'expert devint caduque en application de l'article 271 du nouveau code de procédure civile. Suite à l'arrêt du 3 mars 1992 par lequel la cour d'appel infirma le jugement du 12 novembre 1991, l'expertise biologique devenait ipso facto sans objet. Selon le Gouvernement, c'est au jour de l'arrêt du 10 juin 1996 confirmant le jugement du 12 novembre 1991, y compris en ce qu'il avait ordonné la mesure d'expertise, et fixant un nouveau délai au 15 juillet 1996 pour le versement de la consignation et pour le dépôt du rapport, qu'il convient de se placer pour apprécier le délai mis par l'expert pour déposer son rapport. Il a donc été déposé dans un délai de neuf mois et trois jours. Le Gouvernement estime qu'il s'agit d'un délai raisonnable compte tenu des délais de consignation, de convocation des parties, d'expertise et de rédaction du rapport et de l'attitude des époux D. Selon le Gouvernement, à supposer même qu'un délai de neuf mois soit excessif, force est de constater qu'il est dû au comportement des époux D. qui ne saurait être imputé aux autorités nationales. En conséquence, seules les conséquences juridiques de l'appel expliquent, selon le Gouvernement, que l'expertise n'ait pu être réalisée après le jugement de 1991.

Le Gouvernement rappelle par ailleurs que quatre juridictions ont été successivement saisies dont par deux fois la juridiction suprême. Elles ont, selon lui, statué dans des délais parfaitement raisonnables. Devant la cour d'appel de Montpellier, qui a statué à deux reprises, la procédure a duré environ quatre ans et demi, ce délai étant imputable aux parties dans l'échange de leurs conclusions. Le Gouvernement note que, notamment après le dépôt du rapport d'expertise, le conseiller de la mise en état a usé de ses pouvoirs pour faire accélérer la procédure en délivrant trois injonctions de conclure.

27.  Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le Gouvernement estime que la durée globale de la procédure résulte pour l'essentiel du comportement des parties, et non de celui des autorités judiciaires qui se sont au contraire efforcées de la traiter dans des délais raisonnables.

28.  Le requérant conteste la complexité de l'affaire. Il estime que l'examen de sang ordonné dès 1991 aurait permis de déterminer de manière claire la situation, et qu'il aurait dû être pratiqué avant.

29.  Le requérant estime que le comportement des parties ne peut être incriminé. Les parties défenderesses ont résisté à ses demandes avec les moyens procéduraux à leur disposition, mais dans des conditions nullement abusives. Les parties ont, selon lui, respecté les calendriers qui leur étaient donnés par les différentes cours d'appel pour échanger leurs conclusions.

30.  En revanche, le requérant affirme que le comportement des autorités peut être critiqué. S'agissant en particulier de l'expertise ordonnée par le jugement du 12 novembre 1991, le requérant affirme que le tribunal de grande instance de Nîmes omit d'ordonner l'exécution provisoire de cette demande d'examen comparé des sangs, de sorte que l'appel interjeté par les époux D. retarda de manière considérable l'expertise ordonnée par les premiers juges. A cet égard, le requérant relève que l'expertise avait commencé puisque les parties avaient été convoquées par l'expert et la provision à valoir sur les frais d'expertise avait été réglée. Il affirme que cette expertise ne devint pas caduque mais fut suspendue pendant la durée de la procédure ; il ajoute que l'expert, qui fut à nouveau saisi après l'arrêt du 10 juin 1996, le dispensa du paiement des frais de l'expertise, ceux-ci ayant déjà été réglés en 1991. Le requérant estime en conséquence que le point de départ du dépôt du rapport d'expertise doit être placé au 12 novembre 1991, l'arrêt du 10 juin 1996 ayant simplement confirmé le jugement de première instance. C'est donc, selon lui, une négligence du tribunal qui est à l'origine d'un retard dans le dépôt du rapport d'expertise de cinq ans et quatre mois. Selon le requérant, aucune mesure ne fut prise par les autorités judiciaires pour accélérer le dépôt du rapport d'expertise ; au contraire, un délai de huit mois s'est encore écoulé suite à l'arrêt de l'appel de Montpellier avant que soit déposé le rapport d'expertise.

Le requérant relève par ailleurs que la cour d'appel de Montpellier, appelée à connaître de l'affaire à deux reprises, a mis au total quatre ans et demi pour statuer, dont deux ans après le dépôt du rapport d'expertise. Il aura en outre fallu deux ans pour que, par arrêt rectificatif, la cour d'appel de Montpellier régularise l'état civil de l'enfant.

31.  Le requérant estime que les délais sont manifestement excessifs, et que les autorités judiciaires n'ont pas apporté à la résolution de cette affaire les diligences appropriées d'autant plus que la nature du litige qui mettait en cause les intérêts d'un enfant mineur exigeait un règlement rapide.

32.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

33.  La Cour estime que l'affaire présentait une certaine complexité juridique en ce qu'elle impliquait une interprétation des dispositions légales régissant l'établissement de la filiation.

34.  La Cour estime qu'une durée globale de dix ans, quatre mois et douze jours est, en soi, excessive.

35.  Elle relève que la durée de la procédure pourrait techniquement s'expliquer par l'intervention de six degrés d'instances. Pourtant, elle rappelle que l'article 6 § 1 de la Convention oblige les Etats contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs cours et tribunaux puissent remplir chacune de ses exigences (voir, parmi beaucoup d'autres, Duclos c. France, arrêt du 17 décembre 1996, § 55, Recueil 1996-VI) et, notamment, garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, CEDH 2000, § 45). Tel est d'autant plus le cas dans le cadre d'un litige tendant à l'établissement de la paternité qui, portant sur des questions qui sont d'une importance capitale pour l'établissement du lien parent/enfant, doit être résolu avec une célérité toute particulière. Il s'agit en l'espèce d'une procédure par laquelle le requérant souhaitait voir établie sa paternité à l'égard d'un jeune enfant. Les possibilités de construire un lien entre le père et l'enfant concernés s'amenuisaient au fur et à mesure que les années passaient, de sorte que l'écoulement du temps constituait indéniablement un obstacle au développement de relations personnelles entre ces deux individus. Le litige présentait donc un enjeu particulier tant pour le requérant que pour l'enfant, et exigeait une célérité des juridictions internes.

36.  La Cour observe que les délais devant les différentes juridictions appelées à statuer furent les suivants : un an et vingt-huit jours en première instance, trois mois et douze jours en appel, et un an, onze mois et vingt‑quatre jours en cassation. Devant la juridiction de renvoi, la procédure dura au total quatre ans et huit mois : la cour d'appel de Montpellier statua sur le fond du litige en un an, onze mois et dix-huit jours, l'expert mit ensuite neuf mois et trois jours pour déposer son rapport et il fallut ensuite un an, onze mois et neuf jours à la cour d'appel de Montpellier pour statuer au regard du rapport d'expertise. Entre temps, la Cour de cassation, statuant après renvoi, avait mis un an, huit mois et deux jours pour déclarer irrecevable le pourvoi formé contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Montpellier le 10 juin 1996.

La Cour prend note de ce que l'exécution de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance le 12 novembre 1991 ne put avoir lieu, en raison de l'effet suspensif de l'appel qui fut interjeté contre le jugement de première instance et de la remise en cause subséquente de cette décision. Ce n'est donc que suite à l'adoption de l'arrêt du 10 juin 1996, qui confirma le jugement du 12 novembre 1991 notamment en ce qu'il avait ordonné l'expertise, que l'opération d'expertise pouvait à nouveau être réalisée.

La Cour rappelle que l'article 2 du nouveau code de procédure civile laisse l'initiative aux parties : il leur incombe « d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis », de sorte que leur comportement a une influence particulière sur le déroulement de la procédure. Cela ne dispense pourtant pas les tribunaux de veiller à ce que le procès se déroule dans un délai raisonnable ; l'article 3 du même code prescrit d'ailleurs au juge de veiller au bon déroulement de l'instance et l'investit du « pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires ».

La Cour estime que la procédure devant la cour d'appel de renvoi a été globalement longue. Devant cette juridiction saisie le 22 juin 1994, les parties échangèrent des conclusions entre le 27 janvier 1995 et le 21 mars 1996. La Cour relève que le conseiller de la mise en état ne leur fixa, durant cette période, aucun délai pour conclure et ne délivra aucune injonction. La cour d'appel rendit son arrêt le 10 juin 1996, et ce n'est ensuite que neuf mois plus tard que l'expert déposa son rapport. La Cour estime qu'un tel délai est relativement long et ne saurait être imputé au requérant. Suite à la remise du rapport d'expertise le 13 mars 1997, le conseiller de la mise en état fixa des délais aux parties pour conclure avant le 16 mai 1997. Entre le 9 mai 1997 et le 17 février 1998, il délivra trois injonctions de conclure au requérant avant qu'il dépose ses conclusions le 25 février 1998, puis il délivra une injonction de conclure à la partie adverse le 22 avril 1998, qui déposa ses conclusions le 25 août 1998. A ce stade de la procédure, le conseiller de la mise en état fit donc preuve de diligence en fixant un calendrier et en sanctionnant les retards des parties. La Cour relève en revanche que le conseiller de la mise en état prit une ordonnance de clôture plus de quatre mois après le dépôt des dernières conclusions des parties.

Au vu de ces considérations, la Cour estime que seuls les retards dans le dépôt des conclusions des parties, par rapport aux délais fixés par le conseiller de la mise en état, et ayant donné lieu a des injonctions de conclure, sont directement imputables aux parties, et notamment au requérant. En revanche, les retards dans le dépôt du rapport d'expertise et les autres périodes de latence injustifiées ne sauraient en aucun cas être imputées au requérant.

37.  La Cour relève par ailleurs que, suite à l'arrêt du 22 février 1999 par lequel la cour d'appel de Montpellier constata la paternité du requérant et ordonna que l'arrêt soit transcrit sur les registres d'état civil, le requérant ne put faire transcrire la décision à l'état civil, l'administration estimant que l'arrêt n'était pas assez précis. Le 27 octobre 2000, soit plus d'un an et huit mois plus tard, le procureur général près la cour d'appel demanda à la cour d'appel de Montpellier d'interpréter et au besoin de préciser la mention marginale que le ministère public devrait faire apposer en marge de l'acte de naissance dressé par l'officier d'état civil le 1er mars 1990. Par arrêt rectificatif du 19 février 2001 la cour d'appel de Montpellier apporta les précisions sollicitées. Ce n'est que suite à cet arrêt rectificatif, soit presque deux ans après que la paternité du requérant avait été établie, que les formalités purent être faites auprès de l'officier de l'état civil et que le requérant put juridiquement faire valoir ses droits à l'égard de l'enfant.

La Cour estime que ce délai de près de deux ans séparant l'arrêt par lequel la cour d'appel reconnut la paternité du requérant et la date à laquelle le requérant eut effectivement la possibilité de faire valoir son droit ne saurait trouver justification. En effet, le problème juridique avait été résolu et seules des considérations techniques, à savoir le manque de précision de l'arrêt, empêchaient le requérant de faire exécuter cet arrêt. Ce retard est donc exclusivement imputable à la défaillance des autorités internes.

38.  Au vu de ces considérations, la Cour considère, eu égard en particulier à la durée globale de la procédure et à l'enjeu du litige, que la cause du requérant n'a pas été entendue dans un « délai raisonnable ».

39.  Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

2.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

40.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

41.  Le requérant réclame 60 578 euros (EUR) pour les dommages matériels qu'il aurait subis, à savoir la perte du supplément familial de rémunération pendant 99 mois, les frais de déplacements exposés pour l'exercice de son droit de visite et d'hébergement sur sa fille et les frais occasionnés par un accident de voiture subi à l'occasion de ces trajets.

Il sollicite en outre 67 913 EUR pour le préjudice moral qu'il aurait subi du fait de l'absence de contact avec son enfant jusqu'à ce qu'elle ait neuf ans.

42.  Le Gouvernement affirme que le requérant fait une confusion entre les conséquences des décisions de justice internes et celles directement liées à la durée de la procédure. Il estime que seul le préjudice moral pourrait être alloué au requérant si la Cour parvenait à un constat de violation. Il propose à ce titre la somme de 6 000 EUR.

43.  La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d'une méconnaissance du droit du requérant à voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable ». Dans ces circonstances, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont le requérant aurait eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (voir, par exemple, Arvois c. France, no 38249/97, § 18, 23 novembre 1999, non publié).

La Cour considère en revanche que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé au requérant un tort moral certain, justifiant l'octroi d'une indemnité. Statuant en équité comme le veut l'article 41, elle alloue au requérant la somme proposée par le Gouvernement, soit 6 000 EUR.

B.  Frais et dépens

44.  Le requérant demande la somme totale de 6 089,43 EUR au titre des frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour. D'une part, il fournit une note d'honoraires datée du 31 mai 2001 qui porte sur un montant de 36 030 FRF, soit 5 492,74 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise. D'autre part, il réclame, sans donner plus de précisions, le remboursement des frais d'un voyage à Paris d'un montant de 594,55 EUR et des frais de rédaction, de photocopie et de timbrage d'un montant de 25 EUR.

45.  Le Gouvernement affirme que seuls doivent être pris en compte les frais et dépens exposés devant la Cour et sous réserve d'être dûment justifiés.

46.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, CEDH 1999-V, § 30). Considérant que les prétentions du requérant sont excessives, la Cour estime raisonnable de lui accorder la somme de 2 000 EUR, TVA comprise.

C.  Intérêts moratoires

47.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i.  6 000 EUR (six mille euros) pour dommage moral ;

ii.  2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, taxe sur la valeur ajoutée comprise ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;


3.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 juillet 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE E.R. c. FRANCE, 15 juillet 2003, 50344/99