CEDH, Cour (première section), AFFAIRE PANTANO c. ITALIE, 6 novembre 2003, 60851/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 6 nov. 2003, n° 60851/00
Numéro(s) : 60851/00
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Papageorgiou c. Grèce, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil 1997-VI, fasc 54, § 47
I.A. c. France, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, p. 2978, § 102
Contrada c. Italie, arrêt du 24 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, § 54 et § 67
Erdem c. Allemagne, no 38321/97, § 46, CEDH 2001-VII
Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, § 77, 26 juillet 2001
Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110-111, CEDH 2000-XI
Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 152, CEDH 2000-IV
Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, § 66, CEDH 2000-X
Vaccaro c. Italie, no 41852/98, § 38, 16 novembre 2000
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Non-violation de l'art. 5-3
Identifiant HUDOC : 001-65987
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1106JUD006085100
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PANTANO c. ITALIE

(Requête no 60851/00)

ARRÊT

STRASBOURG

6 novembre 2003

FINAL

06/02/2004

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Pantano c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant le 16 octobre 2003 en une chambre composée de :

MM.P. Lorenzen, président,
G. Bonello,
E. Levits,
A. Kovler,
V. Zagrebelsky,
MmeE. Steiner,
M.K. Hajiyev, juges,

et de M. S. Nielsen, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 mai 2002 et 16 octobre 2003,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 60851/00) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Giuseppe Pantano (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 16 septembre 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté devant la Cour par Me F. Tortorici, avocat à Palerme. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia et par son co-agent, M. F. Crisafulli.

3.  Le requérant alléguait en particulier que la durée de sa détention provisoire était déraisonnable (article 5 § 3 de la Convention).

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.

6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7.  Par une décision du 16 mai 2002, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

8.  La chambre ayant décidé après consultation des parties qu'il n'y avait pas lieu de tenir une audience consacrée au fond de l'affaire (article 59 § 3 in fine du règlement), les parties ont chacune soumis des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

9.  Le requérant est né en 1944 et réside à Villarosa (Enna).

A.  L'ouverture des poursuites et les décisions concernant le placement du requérant en détention provisoire

10.  Le 5 juin 1996, des poursuites furent entamées contre le requérant, accusé de faire partie d'une association de malfaiteurs de type mafieux enracinée dans la province d'Enna (article 416 bis du code pénal, ci-après le « CP »).

11.  Par une ordonnance du 11 juillet 1996, le juge des investigations préliminaires (ci-après le « GIP ») de Caltanissetta, estimant que de « graves indices de culpabilité » pesaient à la charge du requérant, le plaça en détention provisoire. Cette décision se fondait sur les déclarations de trois mafieux repentis, X, Y et Z. Les deux derniers avaient déclaré notamment que le requérant était un entrepreneur protégé par la mafia. Le juge estima Y et Z crédibles. Il observa que leur repentir, manifesté tout de suite après l'assassinat de l'un de leurs frères, paraissait sincère, compte tenu aussi du fait que les intéressés avait avoué leur participation à une série de crimes dont ils n'étaient pas accusés. Leurs déclarations étaient par ailleurs précises, non contradictoires et corroborées par d'autres éléments. De plus, X avait déclaré que le requérant faisait partie d'une association mafieuse, dans laquelle il avait été introduit selon un rituel classique d'affiliation.

12.  S'agissant de l'existence d'exigences spécifiques (« esigenze cautelari ») rendant nécessaire la détention provisoire aux termes de l'article 274 du code de procédure pénale (ci-après le « CPP »), le juge observa que grâce à son insertion au sein d'une organisation criminelle, le requérant disposait de contacts qui lui auraient permis de commettre d'autres infractions, de prendre la fuite ou de nuire à l'authenticité des éléments de preuve.

13.  Le 12 juillet 1996, le requérant fut arrêté. Le 16 juillet 1996, il fut interrogé par le GIP. Il se déclara innocent et allégua que X visait une vengeance personnelle.

14.  A une date non précisée, le requérant interjeta ensuite appel contre l'ordonnance du 11 juillet 1996.

15.  Par une ordonnance du 29 juillet 1996, la chambre du tribunal de Caltanissetta chargée de réexaminer les mesures de précaution, estimant que le GIP avait correctement évalué les indices à charge, rejeta l'appel du requérant. Elle observa notamment que les déclarations de X avaient été évaluées dans le cadre de nombreuses autres procédures pénales et avaient fourni une énorme masse d'informations concernant la structure de la mafia sicilienne. Dans la mesure où elles concernaient le requérant, ces déclarations étaient confirmées par les affirmations de Y et Z. Par ailleurs, étant donné que le requérant était accusé de l'infraction prévue à l'article 416 bis du CP, l'existence des exigences énumérées à l'article 274 du CPP devait être présumée, sauf preuve du contraire (article 275 § 3 du CPP).

16.  Le requérant se pourvut en cassation. Il contesta notamment la crédibilité des repentis et la cohérence de leurs déclarations, observant en particulier qu'en 1993 une autre procédure pénale avait été ouverte contre lui sur la base des affirmations de X ; cependant, le 20 octobre 1993, le GIP de Caltanissetta avait classé ces poursuites, estimant les affirmations en question insuffisantes pour justifier le renvoi en jugement de l'accusé.

17.  Par un arrêt du 7 janvier 1997, dont le texte fut déposé au greffe le 13 mars 1997, la Cour de cassation, estimant que la décision attaquée était motivée de manière logique et correcte, débouta le requérant de son pourvoi.

18.  Entre-temps, le 16 septembre 1996, le requérant avait demandé sa libération immédiate. Il contestait la crédibilité de X et soulignait que Y et Z relataient des épisodes dont ils avaient eu une connaissance indirecte fondée sur les affirmations d'un certain V. Or, ce dernier, qui avait fourni des informations quant aux familles mafieuses d'Enna, n'avait jamais fait référence au requérant.

19.  Par une ordonnance du 27 septembre 1996, le GIP de Caltanissetta avait rejeté cette demande, confirmant, pour l'essentiel, son ordonnance du 11 juillet 1996 et celle du tribunal de Caltanissetta du 29 juillet 1996.

20.  Le 21 octobre 1996, le requérant avait interjeté appel contre cette décision.

21.  Par une ordonnance du 8 novembre 1996, dont le texte avait été déposé au greffe le 11 novembre 1996, la chambre du tribunal de Caltanissetta chargée de réexaminer les mesures de précaution avait rejeté cet appel. Elle avait observé que le requérant n'avait produit aucun nouvel élément à décharge après le prononcé de l'ordonnance du 29 juillet 1996, qui devait par conséquent être confirmée dans la mesure où elle portait sur l'existence de graves indices de culpabilité. Par ailleurs, aux termes de l'article 275 § 3 du CPP, le juge était tenu de présumer l'existence d'exigences imposant la détention provisoire. En tout cas, en raison du lien entre le requérant et l'organisation criminelle à laquelle il était soupçonné d'être affilié, il y avait un risque de réitération des infractions.

22.  Le 13 mars 1997, le requérant demanda à nouveau sa libération immédiate aux termes de l'article 299 du CPP . Par une ordonnance du 24 mars 1997, le GIP de Caltanissetta rejeta cette demande. Il estima que le requérant n'avait produit aucun nouvel élément après le prononcé de l'ordonnance du 11 juillet 1996 et qu'il fallait attendre l'audience préliminaire afin de décider sur une éventuelle demande de révocation de la détention. Le requérant n'a pas interjeté appel contre cette décision.

B.  Le renvoi en jugement du requérant et la suspension des délais maxima de sa détention provisoire

23.  L'audience préliminaire se tint le 16 avril 1997.

24.  Le même jour, le requérant et quarante-trois autres personnes furent renvoyés en jugement devant la cour d'assises de Caltanissetta. Les débats furent fixés au 8 octobre 1997.

25.  Le jour venu, la cour d'assises releva que les actes de la procédure n'avaient pas été régulièrement notifiés à trois coïnculpés et renvoya l'affaire au 10 décembre 1997. A cette date, deux des magistrats composant la chambre de la cour d'assises déclarèrent s'abstenir. L'affaire fut ajournée d'abord au 17 janvier 1998 pour permettre la désignation des juges remplaçants, puis, en raison d'une grève des avocats, au 9 février 1998. En effet, les accusés déclarèrent ne pas souhaiter être représentés par des avocats d'office et préférer attendre la fin de la grève. Par la suite, la procédure fut ajournée d'abord au 9, puis au 16 mars en raison des empêchements de nature familiale de l'un de juges remplaçants. Le 16 mars 1998, le parquet demanda la jonction de la procédure avec une autre affaire et les parties demandèrent l'admission des moyens des preuves. Après avoir fait droit à la demande du parquet et avoir délibéré en ce qui concernait les demandes des moyens de preuve, la cour d'assises renvoya la procédure au lendemain.

26.  Le 17 mars 1998, le parquet demanda la suspension des délais maxima de détention provisoire aux termes du paragraphe 2 de l'article 304 du CPP. Par une ordonnance du même jour, la cour d'assises fit droit à cette demande. Elle observa que l'affaire était particulièrement complexe à cause du nombre des prévenus, de la nature des accusations, du fait que plusieurs témoins devaient être entendus et une expertise concernant la transcription de certaines écoutes téléphoniques devait être accomplie. La procédure fut renvoyée au 31 mars 1998.

27.  Le requérant a indiqué que par la suite, le procès se déroula régulièrement, au rythme d'environ une audience par semaine jusqu'au 26 mars 1999.

28.  Entre-temps, le 27 mars 1998, le requérant avait interjeté appel contre l'ordonnance du 17 mars 1998. Il alléguait que la cour d'assises n'avait pas dûment motivé son affirmation selon laquelle l'affaire était complexe et observait que les retards accumulés dans la procédure étaient pour la plupart dus à des manques d'organisation du système judiciaire, qui ne pouvaient pas justifier une compression du droit à la liberté des accusés.

29.  Par une ordonnance du 17 avril 1998, la chambre du tribunal de Caltanissetta chargée de réexaminer les mesures de précaution avait rejeté l'appel du requérant. Elle avait estimé que la cour d'assises avait clairement indiqué les circonstances qui rendaient l'affaire complexe et avait relevé que les difficultés rencontrées dans la première phase des débats n'avaient pas su effacer les exigences imposant une suspension des délais maxima de la détention provisoire.

30.  Le 9 mai 1998, le requérant s'était pourvu en cassation. Par un arrêt du 1er octobre 1998, dont le texte fut déposé au greffe le 29 octobre 1998, estimant que la décision attaquée était motivée de manière logique et correcte, la Cour de cassation avait débouté le requérant de son pourvoi.

C.  Les décisions sur le bien-fondé des accusations contre le requérant

31.  Par un arrêt du 26 mars 1999, dont le texte fut déposé au greffe le 22 mai 1999, la cour d'assises de Caltanissetta condamna le requérant à une peine de neuf ans d'emprisonnement. De lourdes peines furent prononcées à l'encontre d'autres coïnculpés.

32.  Le 22 septembre 1999, le requérant interjeta appel.

33.  A une date non précisée, le requérant demanda l'application d'une peine de quatre ans et six mois d'emprisonnement qu'il avait convenue avec le parquet. Il renonça en même temps à tous ses moyens d'appel.

34.  Par un arrêt du 4 octobre 2000, dont le texte fut déposé au greffe le 19 octobre 2000, la cour d'assises d'appel de Caltanissetta infligea la peine sollicitée.

35.  Le 17 novembre 2000, le requérant se pourvut en cassation.

36.  Entre-temps, par une ordonnance du 20 octobre 2000, la cour d'assises d'appel de Caltanissetta, observant que le requérant avait quasiment purgé la peine qui lui avait été infligée, avait remplaçé la détention provisoire de l'intéressé par son assignation à domicile. Le 12 janvier 2001, la même cour avait ordonné la libération du requérant.

37.  A une date non précisée, le requérant (aux termes de la loi no 14 du 19 janvier 1999) demanda l'application d'une peine négociée avec le procureur général près la Cour de cassation. Il renonça en même temps à tous ses moyens de pourvoi. A une date non précisée, la Cour de cassation réduisit la peine du requérant. La mesure définitive de celle-ci n'est pas connue.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Les conditions d'application d'une mesure de précaution privative de liberté

38.  Les conditions d'application d'une mesure de précaution (misura cautelare) dans le cadre d'une procédure pénale sont énumérées aux articles 272 et suivants du CPP.

1.  Existence de « graves indices de culpabilité »

39.  Aux termes de l'article 273 § 1 du CPP, « nul ne peut faire l'objet d'une mesure de précaution s'il n'existe pas de graves indices de sa culpabilité (gravi indizi di colpevolezza) ». Ces indices doivent concerner une infraction punie de la réclusion à perpétuité ou d'une détention de plus de trois ans.

40.  La Cour de cassation a précisé que par « graves indices de culpabilité », il faut entendre tout élément à charge qui, sans être de nature à prouver au-delà de tout doute raisonnable la responsabilité du suspect, permet cependant de supposer qu'une telle responsabilité pourra être établie par la suite, ce qui crée, au stade de l'instruction, une probabilité de culpabilité renforcée (voir Cour de cassation, chambre plénière, arrêt du 21 avril 1995, Costantino, publié dans Giust. pen. 1996, III, 321, et Cour de cassation, arrêt du 10 mars 1999, Capriati, publié dans C.E.D. Cass., no 212998 ).

2.  Les exigences de précaution : le risque de récidive

41.  L'article 274 du CPP expose les circonstances justifiant l'adoption d'une mesure de précaution. L'existence d'au moins une de ces circonstances, qui s'ajoute aux « graves indices de culpabilité » mentionnés à l'article 273 § 1 du CPP, constitue une condition sine qua non pour prendre une mesure privative de liberté.

42.  L'article 274 dispose notamment que des mesures de précaution peuvent être ordonnées pour empêcher une entrave au cours de la justice (article 274 a)), en cas de danger de fuite (article 274 b)) et pour prévenir les infractions pénales (article 274 c)).

Aux termes de l'article 274 c), des mesures de précaution sont ordonnées

« lorsque, pour les modalités spécifiques et les circonstances entourant les faits et compte tenu de la personnalité du suspect ou de l'accusé, telle qu'elle ressort de ses comportements ou de ses actes ou de son casier judiciaire, il existe un danger concret que l'intéressé commette de graves délits en ayant recours à des armes ou d'autres moyens de violence contre les personnes, ou des délits contre l'ordre constitutionnel, ou des délits en rapport avec le crime organisé, ou encore des délits du même type que celui qui lui est reproché ».

3.  La motivation des décisions ordonnant des mesures de précaution

43.  L'article 292 du CPP dispose que la décision ordonnant une mesure de précaution doit être motivée ; elle doit notamment indiquer les motifs à l'origine de la mesure et les indices de culpabilité, y compris les faits sur lesquels se fondent ces indices et les raisons pour lesquelles ils sont pertinents. Elle doit aussi tenir compte du temps qui s'est écoulé depuis que l'infraction a été commise.

44.  Selon la Cour de cassation, la motivation en question ne peut pas se fonder sur des formules standard, mais doit au contraire expliquer les raisons concrètes prises en considération par le juge dans le cas d'espèce (voir, notamment, Cour de cassation, arrêt du 5 juillet 1990, Ranucci, publié dans Arch. n. proc. pen., 1991, 124, qui a annulé une décision où le caractère dangereux avait été retenu sur la seule base de la gravité de l'infraction et de la personnalité du suspect, telle qu'elle ressortait des antécédents de celui-ci).

4.  La présomption de l'existence des exigences de précaution

45.  Selon l'article 275 § 3 du CPP, tel que modifié par les décrets-lois nos 152 de 1991 (converti en la loi no 203 de 1991) et 292 de 1991 (converti en la loi no 356 de 1991), lorsque la procédure nationale concerne certains délits particulièrement graves, parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l'existence des exigences de précaution indiquées à l'article 274 du CPP est présumée sauf si des éléments versés au dossier démontrent le contraire.

B.  Délais maxima de détention provisoire

46.  L'article 303 du CPP prévoit les délais maxima de détention provisoire en fonction de l'état de la procédure. Lorsque le délit reproché est celui prévu à l'article 416 bis du CP, les délais applicables au cours de la procédure de première instance sont les suivants :

– un an du début de la détention jusqu'au renvoi en jugement ;

– un an du début des débats jusqu'au jugement de première instance.

47.  L'article 303 du CPP dispose en particulier que si avant l'échéance de ces délais le décret fixant la date du commencement du procès n'a pas été pris ou le jugement de condamnation en première instance n'a pas été rendu, la détention provisoire cesse d'être légale et l'accusé doit être mis en liberté.

48.  Au sens du paragraphe 2 de l'article 304, les délais prescrits par l'article 303 peuvent être suspendus au cours du procès, s'agissant de certains délits parmi lesquels figure celui prévu par l'article 416 bis du CP, si les débats se révèlent particulièrement complexes. L'article 304 dispose en outre que la durée de la détention provisoire ne peut en tout cas dépasser les deux tiers du maximum de la peine prévue pour l'infraction reprochée.

C.  Les voies de recours pour contester l'application d'une mesure de précaution

49.  Aux termes de l'article 309 du CPP, la décision ordonnant une mesure de précaution peut faire l'objet d'un recours devant le tribunal compétent (« richiesta di riesame »).

50.   L'intéressé peut former un pourvoi en cassation (article 311 du CPP) à l'encontre d'une décision défavorable du tribunal. En effet, l'article 111 de la Constitution prévoit qu'il « est toujours possible de se pourvoir en cassation, pour faire valoir des violations de la loi, à l'encontre des arrêts et des décisions statuant sur la liberté personnelle, prononcés par des juridictions ordinaires ou spéciales ».  En tirant toutes les conséquences de l'article 111 de la Constitution, le deuxième paragraphe de l'article 311 CPP prévoit que l'intéressé peut aussi saisir directement la Cour de cassation contre la mesure de mise en détention, mais dans ce cas, le recours éventuellement déposé parallèlement devant le tribunal devient irrecevable.

51.  Par la suite, l'intéressé peut demander à tout moment la révocation de la mesure de détention et sa mise en liberté (« richiesta di revoca »). Cette demande est adressée au juge qui mène la procédure à un stade donné (article 299 du CPP). L'intéressé peut ensuite interjeter appel devant le tribunal compétent contre une décision négative du juge, au sens de l'article 310 CPP. Aux termes du même article 311 CPP précité, la décision du tribunal en appel peut à son tour faire l'objet d'un pourvoi en cassation.

52.  Aucun contrôle automatique et/ou périodique des conditions justifiant le maintien en détention provisoire n'est prévu par la loi italienne, il appartient à la personne privée de la liberté d'introduire, si elle le souhaite, un recours pour solliciter le réexamen desdites conditions.

D.  Autres dispositions pertinentes

53.  L'article 477 du CPP prévoit que si les débats ne peuvent s'achever en une seule audience, le président en ordonne la continuation le jour ouvrable suivant. En outre, le juge peut suspendre les débats uniquement pour des raisons de nécessité absolue et pendant au maximum dix jours ouvrables.

54.  A cet égard, la Cour de cassation a considéré que le délai de dix jours prescrit par l'article 477 § 2 constitue un délai d'orientation (termine di natura ordinatoria), dont le dépassement ne comporte aucune nullité et ne saurait avoir de répercussions sur la suspension des délais de détention provisoire en application de l'article 304 § 1 du CPP. En effet, si le juge est tenu de respecter les délais prescrits par l'article 477, surtout dans les cas où la durée du procès se répercute sur la durée de la détention, le déroulement du procès doit tenir compte de la charge de travail du tribunal concerné (voir Cour de cassation, arrêt du 18 février 1994, Butera).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

55.  Le requérant considère que la durée de sa détention provisoire a été excessive. Il invoque l'article 5 § 3 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience. »

A.  La période à prendre en considération

56.  La période à considérer a débuté le 12 juillet 1996, date de l'arrestation du requérant, et s'est terminée le 26 mars 1999, date à laquelle la cour d'assises de Caltanissetta a condamné l'accusé à une peine de neuf ans d'emprisonnement. Elle s'étend donc sur deux ans, huit mois et quatorze jours.

B.  Les arguments des parties

1.  Le Gouvernement

57.  Le Gouvernement allègue tout d'abord que la détention du requérant était fondée sur des indices sérieux. Les juges auraient également pris en compte les risques de fuite et de manipulation des preuves. De plus, dans son ordonnance du 29 juillet 1996, la cour d'assises de Caltanissetta a examiné, à la demande de la défense, les éléments justifiant le maintien en détention. En ce qui concerne les décisions successives, les autorités italiennes ont confirmé la persistance des éléments qui avaient conduit le GIP à adopter la mesure restrictive de la liberté personnelle.

58.  Quant à la suspension des délais maxima de détention ordonnée le 17 mars 1998, le Gouvernement fait valoir qu'en droit italien une telle mesure peut être adoptée lorsque le juge constate que les débats présentent une complexité particulière.

59.  Le Gouvernement souligne qu'en l'espèce, l'enquête était effectivement très complexe comme toute procédure en matière de mafia. Des difficultés auraient été rencontrées dans la recherche des preuves à l'encontre des quarante-quatre suspects, accusés dans l'ensemble de plus de soixante infractions.

60.  Par ailleurs, la durée de la détention pendant les débats s'expliquerait par la complexité de l'affaire et par la difficulté d'achever le procès plus rapidement. Malgré la surcharge de son rôle, la cour d'assises aurait accompli un travail important. Le Gouvernement relève que lors des débats, plus de deux cent personnes ont été interrogées et que les experts nommés d'office ont dû dédier un temps considérable à la transcription du contenu des écoutes téléphoniques.

61.  En ce qui concerne les renvois des quatre premières audiences, le Gouvernement considère qu'ils sont imputables seulement en partie à des raisons d'organisation et qu'il ne semble pas que le procès se soit prolongé au-delà du raisonnable. En particulier, il signale que l'audience du 8 octobre 1997 a été ajournée afin de permettre la notification des actes de la procédure à trois coïnculpés. L'audience suivante, fixée le 10 décembre 1997, a été renvoyée afin de designer les juges remplaçants. Les audiences des 17 janvier, 9 février et 9 mars 1998 ont été renvoyées en raison des grèves des avocats.

62.  Le Gouvernement rappelle que les dispositions internes pertinentes ont déjà été considérées compatibles avec la Convention par la Cour dans l'affaire Contrada c. Italie.

2.  Le requérant

63.  Le requérant s'oppose aux thèses du Gouvernement. Il soutient que le retard dans la procédure en question doit être imputé aux autorités judiciaires et souligne qu'un intervalle d'un an et huit mois s'est écoulé entre son arrestation (le 12 juillet 1996) et le début des débats (le 31 mars 1998). Selon les dires du requérant, les trois premières audiences auraient été renvoyées respectivement à cause d'une erreur de notification de la part de l'huissier de justice, de l'abstention de deux juges de la cour d'assises et d'une grève des avocats.

64.  Le requérant fait noter que, contrairement à ce que le Gouvernement affirme, seule l'audience du 17 janvier 1998 a été renvoyée à cause de la grève des avocats et que les audiences du 9 février et du 9 mars 1998 ont été renvoyées en raison des empêchements de l'un de juges remplaçants. De plus, l'audience successive, fixée au 16 mars 1998, a été ajournée d'abord au 17 mars, puis au 31 mars 1998.

65.  Le requérant relève qu'il a terminé de purger sa peine le 12 janvier 2001 et que par conséquent la cour d'assises d'appel a été contrainte d'ordonner sa libération sur-le-champ.

C.  L'appréciation de la Cour

1.  Principes généraux

66.  La Cour rappelle les principes fondamentaux suivants en la matière :

a)  Le caractère raisonnable de la durée d'une détention ne se prête pas à une évaluation abstraite. La légitimité du maintien en détention d'un accusé doit s'apprécier dans chaque cas d'après les particularités de la cause. La poursuite de l'incarcération ne se justifie dans une espèce donnée que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d'intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d'innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l'article 5 de la Convention.

b)  Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que dans une affaire donnée la détention provisoire subie par un accusé n'excède pas une durée raisonnable. A cet effet, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d'innocence, examiner toutes les circonstances de nature à manifester ou écarter l'existence de l'exigence d'intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l'article 5 et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement au vu des motifs figurant dans ces décisions et sur la base des faits non contestés indiqués par l'intéressé dans ses moyens que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3.

c)  La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus. La Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, § 77, 26 juillet 2001 ; Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110-111, CEDH 2000-XI ; Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 152, CEDH 2000-IV ; voir aussi Contrada c. Italie, arrêt du 24 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, § 54 et I.A. c. France, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII, p. 2978, § 102).

2.  Application en l'espèce des principes susmentionnés

67.  La Cour note que les autorités compétentes ont examiné la question du maintien en détention du requérant à la suite de ses demandes de mise en liberté à cinq reprises (le 29 juillet, le 27 septembre et le 8 novembre 1996, le 7 janvier et le 24 mars 1997). En outre, le 17 avril et le 9 mai 1998, elles ont examiné la question de la prorogation des délais maxima de détention provisoire (paragraphes 26-30 ci-dessus). Ces décisions ont justifié le maintien de la privation de liberté d'abord en raison de l'existence de graves indices de culpabilité et des exigences de précaution liées au risque de fuite et d'altération des preuves ainsi qu'au danger de récidive, puis, essentiellement sur la base de la présomption établie par l'article 275 § 3 du CPP, selon laquelle l'existence des exigences de précaution est présumée pour certaines infractions graves comme celles reprochées au requérant sauf si des éléments versés au dossier démontrent le contraire. Les juges n'ont fait référence au danger de réitération de l'infraction que dans l'ordonnance du 8 novembre 1996, en raison du lien entre le requérant et l'organisation criminelle à laquelle il était soupçonné d'être affilié. Pour suspendre les délais maxima de détention provisoire, elles ont invoqué la complexité de l'affaire et la nécessité de l'instruction.

a)  Le risque d'altération des preuves, le danger de fuite et de récidive

68.  La Cour relève que, conformément au CPP, la décision de maintenir la mesure de privation de liberté se fondait, au moins au début, sur les exigences de précaution prévues par l'article 274 du CPP. Tout au long de la détention, les autorités internes se sont également fondées sur la base de la présomption établie par l'article 275 § 3 du CPP. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté.

69.  La Cour relève qu'en l'absence d'éléments amenant à croire qu'aucun réel danger ne serait posé par l'accusé, une présomption comme celle prévue par l'article 275 § 3 du CPP risque d'empêcher le juge d'adapter la mesure de précaution aux exigences de chaque cas d'espèce et pourrait dès lors paraître excessivement rigide (voir l'arrêt Vaccaro c. Italie no 41852/98, § 38, 16 novembre 2000). Cependant, la Cour estime qu'il faut tenir compte du fait que la procédure dirigée contre le requérant concernait des délits liés à la criminalité de type mafieux. Or, la lutte contre ce fléau peut, dans certains cas, appeler à l'adoption de mesures justifiant une dérogation à la règle fixée à l'article 5, visant à protéger, avant tout, la sécurité et l'ordre publics, ainsi qu'à prévenir la commission d'autres infractions pénales graves. Dans ce contexte, une présomption légale de dangerosité peut se justifier, en particulier lorsqu'elle n'est pas absolue, mais se prête à être contredite par la preuve du contraire.

70.  En effet, la détention provisoire des personnes accusées du délit prévu à l'article 416 bis en Italie tend à couper les liens existant entre les personnes concernées et leur milieu criminel d'origine, afin de minimiser le risque qu'elles ne maintiennent des contacts personnels avec les structures des organisations criminelles et ne puissent commettre entre-temps des délits similaires. Dans ce contexte, la Cour tient compte de la nature spécifique du phénomène de la criminalité organisée et notamment de type mafieux, et considère que le législateur italien pouvait raisonnablement estimer, face aux conditions très critiques des enquêtes sur la mafia menées par les autorités italiennes, comme celle menée contre le requérant, que les mesures de précaution s'imposaient pour une véritable exigence d'intérêt public, notamment pour la défense de l'ordre et de la sûreté publics, ainsi que pour la prévention des infractions pénales (voir mutatis mutandis, dans le cadre de l'article 8 de la Convention l'arrêt Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, § 66, CEDH 2000-X ).

71.  En conclusion, la Cour estime que les décisions adoptées par les juridictions internes pour proroger la détention provisoire du requérant n'étaient pas déraisonnables et elle estime qu'aucune apparence d'arbitraire ne saurait être décelée en l'espèce.

b)  La conduite de la procédure

72.  La Cour relève que les débats devant la cour d'assises de Caltanissetta ont réellement débuté le 17 mars 1998, soit environ un an et huit mois après l'arrestation du requérant. De l'avis de la Cour, les autorités italiennes ont provoqué certains retards dans la conduite de la procédure. Ceux-ci seraient particulièrement frappants à partir du 8 octobre 1997, date fixée pour le début des débats, jusqu'au 16 mars 1998, date à laquelle les débats ont réellement commencé. En particulier, la première audience, fixée au 8 octobre 1997, a été renvoyée au 10 décembre 1997 à cause de certaines erreurs dans les notifications à trois coïnculpés. De plus, il a fallu un mois pour remplacer les juges s'étant abstenus à l'audience du 10 décembre 1997. Enfin, en ce qui concerne les renvois des deux audiences du 9 février et du 9 mars 1998, le retard était dû aux empêchements de nature familiale de l'un de deux juges. Cependant, la Cour estime que le retard qui peut être imputé aux autorités judiciaires - découlant notamment des erreurs dans les notifications, du remplacement des juges de la cour chargée de l'affaire et des intervalles entre l'audience du 9 février et celle du 16 mars dus aux empêchements de l'un des juges - ne dépasse pas, dans les circonstances de l'espèce, ce qui peut être considéré comme "raisonnable", le retard global étant d'environ cinq mois et vingt-huit jours. Par contre, quant à l'audience du 17 janvier 1998, ajournée au 9 février 1998 en raison d'une grève des avocats, la Cour rappelle que pareil événement ne saurait à lui seul engager la responsabilité d'un Etat contractant (voir mutatis mutandis en ce qui concerne l'article 6 § 1 de la Convention Papageorgiou c. Grèce, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil 1997-VI, fasc 54, § 47). De plus, le requérant a déclaré ne pas souhaiter être représenté par des avocats d'office et préférer attendre la fin de la grève.

73.  La Cour note en outre qu'après cette période, le procès s'est déroulé régulièrement, au rythme d'environ une audience par semaine.

74.  La Cour rappelle que la célérité particulière à laquelle un accusé détenu a droit dans l'examen de son affaire ne doit pas porter préjudice aux efforts des magistrats pour accomplir leur tâche avec le soin voulu (voir les arrêts Contrada précité, § 67 et Erdem c. Allemagne, no 38321/97, § 46). Ensuite et surtout, à eux seuls, les retards dus au fonctionnement d'un système judiciaire garantissant les droits de la défense et le principe d'impartialité des tribunaux, ne suffisent pas à fonder un constat de violation de l'article 5 § 3 de la Convention. En effet, la durée totale de la détention provisoire en l'espèce - deux ans, huit mois et quatorze jours - n'apparaît pas excessive, compte tenu de la gravité des faits à l'origine de l'affaire, de la complexité indéniable de celle-ci, qui concernait une procédure en matière de mafia contre quarante-quatre personnes accusées dans l'ensemble de plus de soixante crimes et qui a requis l'accomplissement d'un grand nombre d'actes d'instruction (voir mutatis mutandis l'arrêt Contrada précité, où la Cour a estimé non excessive une détention provisoire ayant duré deux ans, sept mois et sept jours).

75.  En conclusion, il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

Dit, qu'il n' y a pas eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 novembre 2003 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenPeer Lorenzen              Greffier adjoint              Président

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (première section), AFFAIRE PANTANO c. ITALIE, 6 novembre 2003, 60851/00