CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE NESME c. FRANCE, 14 décembre 2004, 72783/01

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 14 déc. 2004, n° 72783/01
Numéro(s) : 72783/01
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 3 août 2001
Jurisprudence de Strasbourg : Berger c. France, n° 42221/99, §§ 42 et seq., CEDH 2002-X (extraits)
Bricmont c. Belgique, requête n° 10857/84, décision du 15 juillet 1986, Décisions et Rapports (DR) 48, p. 106
Vacher c. France, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI
Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 32
Vermeulen c. Belgique, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 34
Levages Prestations Services c. France, arrêt du 23 octobre 1996, Recueil 1996-V, §§ 40 et seq.
Borgers c. Belgique, arrêt du 30 octobre 1991, série A n° 214-B §§ 28-29
Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998-II, § 105, §§ 106-107
Duriez-Costes c. France, n° 50638/99, § 33, 7 octobre 2003
Fontaine et Bertin c. France, n°s 38410/97 et 40373/98, § 60, §§ 47-50, 8 juillet 2003
García Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, § 28, CEDH 1999-I
Richen et Gaucher c. France, n°s 31520/96 et 34359/97, § 35, 23 janvier 2003
Meftah et autres c. France [GC], n°s 32911/96, 35237/97 et 34595/97, §§ 41-42, §§ 47-52, CEDH 2002-VII
Mac Gee c. France, n° 46802/99, § 15, 7 janvier 2003
Slimane-Kaïd c. France (n° 2), n° 48943/99, § 17, 27 novembre 2003
Voisine c. France, n° 27362/95, 8 février 2000
Welter c. Suède, requête n°11122/84, décision du 2 décembre 1985, DR 45, p. 246
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 en raison de l'absence de communication du rapport du conseiller rapporteur, ainsi que de la présence de l'avocat général lors du délibéré ; Non-violation de l'art. 6-1 en ce qui concerne le délai fixé pour le dépôt de mémoires ampliatifs ; Non-violation de l'art. 6-1 Convention en ce qui concerne l'absence de convocation et de participation du requérant à l'audience ; Violation de l'art. 6-1 en raison de la non-communication alléguée des conclusions de l'avocat général ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-67721
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2004:1214JUD007278301
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE NESME c. FRANCE

(Requête no 72783/01)

ARRÊT

STRASBOURG

14 décembre 2004

DÉFINITIF

14/03/2005 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Nesme c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.I. Cabral Barreto, président,
J.-P. Costa,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
MmesE. Fura-Sandström,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 novembre 2004,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 72783/01) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Georges Nesme (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 août 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au Ministère des Affaires Etrangères.

3.  Le 20 janvier 2004, la Cour a décidé de communiquer le grief tiré de l'iniquité de la procédure devant la Cour de cassation au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

4.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1945 et réside à Lyon.

6.  Le requérant exerçait, à compter de 1988, une activité de courtage financier, à l'enseigne d'un cabinet de courtage, la Communication Financière Industrielle (« la CFI »), dont il obtint l'immatriculation au registre du commerce de Lyon, en nom personnel, le 18 octobre 1988. L'activité déclarée du cabinet était celle de courtier, apporteur d'affaires bancaires et industrielles, ingénieur d'affaires-conseil ; elle consistait essentiellement à démarcher téléphoniquement des sociétés généralement en difficulté, en vue de leur proposer des solutions de financement, et de présenter celles-ci à des établissements bancaires ou financiers.

7.  Après qu'un informateur anonyme eut dénoncé, au service régional de la police judiciaire de Lyon, les agissements de la CFI que dirigeait le requérant, une enquête préliminaire s'ensuivit, et le 10 mars 1995, une information judiciaire fut ouverte à l'encontre du requérant.

8.  Par une ordonnance du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Lyon en date du 6 août 1996, le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Lyon. Il lui était reproché, d'une part, d'avoir commis des délits d'escroquerie au préjudice de clients du cabinet CFI ainsi que de tiers lui ayant consenti une aide financière, en faisant usage, notamment, d'une fausse qualité, en l'espèce celle d'agent de la Fiduciaire de France et d'autre part, de s'être livré au démarchage financier et à la perception de fonds par un intermédiaire en matière de prêts d'argent en violation de l'interdiction édictée par la loi du 28 décembre 1966, relative à l'usure, aux prêts d'argent et à certaines opérations de démarchage et de publicité.

9.  Lors de l'audience publique du 6 mai 1999 devant le tribunal correctionnel de Lyon, le requérant souleva une exception de nullité, tirée de ce qu'un document produit par lui, portant sur l'organisation de son cabinet de courtage par la Fiduciaire de France, n'avait pas été joint au dossier de la procédure. Il alléguait que ce document établissait son innocence sur un chef de prévention, en ce qu'il démontrait qu'il avait agi en qualité d'agent de la Fiduciaire de France.

10.  Par un jugement du 1er juillet 1999, le tribunal correctionnel rejeta l'exception de nullité, au motif que l'examen du dossier de l'instruction faisait apparaître que ni le requérant ni son conseil n'avaient communiqué un tel document. Sur le fond, le tribunal reconnut le requérant coupable des faits reprochés, et le condamna à trois ans de prison avec sursis et à cinq ans d'interdiction d'exercer la profession de courtier.

11.  Sur appel du requérant et du Ministère public, la cour d'appel de Lyon tint une audience publique le 14 avril 2000. Par un arrêt du 7 juin 2000, la cour d'appel réforma partiellement le jugement déféré ; elle considéra qu'en l'absence d'usage de fausse qualité d'agent de la Fiduciaire de France, ou d'emploi de manœuvres frauduleuses, les infractions d'escroqueries reprochées au requérant dans le cadre de son activité de courtier n'étaient pas constituées. En revanche, la cour confirma le jugement en ce qu'il avait déclaré le requérant coupable d'escroquerie au préjudice de sociétés tierces, et en ce qu'il l'avait reconnu coupable d'infractions à la loi du 28 décembre 1966, mais uniquement pour une période déterminée, l'action publique étant éteinte par la prescription pour les faits commis antérieurement à cette période. Sur les exceptions de nullités soulevées par le requérant, la cour d'appel de Lyon les rejeta en s'exprimant comme suit :

« Attendu que [le requérant] soulève la nullité du jugement déféré pour violation des articles 485 du Code de procédure pénale et 6-2 de la Convention européenne des droits de l'homme (...) dès lors que le dispositif, qui se borne à le déclarer coupable des « faits qui lui sont reprochés », n'énonce ni les infractions retenues à son encontre ni les textes de loi applicables ;

Mais attendu que le jugement comportant dans son corps l'indication et des délits poursuivis et des textes répressifs appliqués, il ne subsiste aucune incertitude quant aux infractions dont le prévenu a été reconnu coupable, aux textes de loi dont il a été faits application et aux peines prononcées contre lui ;

Attendu que le second moyen de nullité (...) est tiré de la violation de l'article 459 du Code de procédure pénale et de l'article 6-2 de la Convention précitée ; que le prévenu soutient qu'il n'a pas été répondu par les premiers juges aux chefs péremptoire des conclusions dont il avait saisi le Tribunal ;

Attendu que pour démontrer ce défaut de réponse, [le requérant affirme] que les premiers juges ne se sont pas expliqués sur sa contestation de la prévention d'escroquerie par la prise de qualité d'agent de la Fiduciaire de France et ont écarté son exception de nullité de la procédure en raison de la disparition d'une pièce relative à l'organisation de l'entreprise par la Fiduciaire de France "sans réponse au grief d'interruption dans la cotation du dossier, notamment pour la pièce D14" ;

Mais attendu que le Tribunal a expressément relevé l'absence de communication du document dont le requérant se plaint de la disparition ; que l'absence de pièce cotée en D14 ne peut procéder que d'une erreur de cotation du dossier dès lors que se suivent bien le procès-verbal numéro 3177/11 coté en D13 et le procès-verbal numéro 3177/12 coté en D15 ;

Qu'en outre le jugement, dans sa motivation au fond, s'explique sur les relations entre la CFI et la Fiduciaire de France ; 

(...) ; »

12.  Le 13 juin 2000, le requérant forma un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel.

13.  Le 11 juillet 2000, ayant choisi de ne pas recourir au ministère d'un avocat à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, le requérant déposa un mémoire ampliatif personnel, dans lequel il faisait grief à la cour d'appel de Lyon d'avoir rejeté l'exception de nullité de la procédure relative à la disparition d'une pièce versée par lui au dossier, et de n'avoir caractérisé ni le délit d'escroquerie ni les violations à la loi du 28 décembre 1966 ; il demandait également à être entendu personnellement à l'audience des débats.

14.  Le 20 décembre 2000, le requérant adressa à la Cour de cassation un mémoire additionnel, soulevant un nouveau moyen de cassation relatif au prononcé de sa peine.

15.  Le 30 janvier 2001, le Procureur général près la Cour de cassation adressa au requérant un courrier dans lequel il lui indiquait que son pourvoi serait examiné le 7 février 2001 lors d'une audience publique de la chambre criminelle de la Haute juridiction. Il l'informait que les conclusions de l'avocat général ne seraient présentées qu'oralement à cette audience et précisait que ce magistrat envisageait de conclure au rejet de son pourvoi.

16.  Par un arrêt du 7 février 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Sur la demande d'audition personnelle du requérant, la Haute juridiction considéra que cette audition n'apparaissait pas nécessaire, au motif que le requérant avait précisé ses critiques dans son mémoire personnel. Sur le moyen de cassation pris du rejet de l'exception de nullité de la procédure pour violation des droits de la défense, elle estima que le requérant ne saurait s'en plaindre, dès lors qu'il pouvait remédier à la disparition prétendue d'une pièce versée au dossier en la produisant de nouveau, et que la cour d'appel, par ailleurs, l'avait relaxé du chef d'escroquerie par fausse qualité d'agent de la Fiduciaire de France. Sur les autres moyens de cassation, la Cour considéra, d'une part, que la cour d'appel avait caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit d'escroquerie et d'autre part, qu'elle avait fait l'exacte application de la loi du 28 décembre 1966.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Généralités

17.  Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans les arrêts Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998 (Recueil des arrêts et décisions, 1998‑II), Voisine c. France du 8 février 2000 (no 27362/95) et Meftah et autres c. France du 26 juillet 2002 ([GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII, §§ 47-52), Slimane-Kaïd c. France (no 2), no 48943/99, 27 novembre 2003.

B.  Code de procédure pénale

18.  Les dispositions pertinentes dudit code se lisent comme suit :

Article 567-2

«  Le demandeur en cassation ou son avocat doit, à peine de déchéance, déposer son mémoire exposant les moyens de cassation dans le délai d'un mois à compter de la réception du dossier, sauf décision du président de la chambre criminelle prorogeant, à titre exceptionnel, le délai pour une durée de huit jours. Après l'expiration de ce délai, aucun moyen nouveau ne peut être soulevé par lui et il ne peut plus être déposé de mémoire. »

Article 584

« Le demandeur en cassation, soit en faisant sa déclaration, soit dans les dix jours suivants, peut déposer, au greffe de la juridiction qui a rendu la décision attaquée, un mémoire, signé par lui, contenant ses moyens de cassation. Le greffier lui en délivre reçu. »

Article 585

« Après l'expiration de ce délai, le demandeur condamné pénalement peut transmettre son mémoire directement au greffe de la Cour de cassation ; les autres parties ne peuvent user du bénéfice de la présente disposition sans le ministère d'un avocat à la Cour de cassation. Dans tous les cas, le mémoire doit être accompagné d'autant de copies qu'il y a de parties en cause. »

Article 585-1

« Sauf dérogation accordée par le président de la chambre criminelle, le mémoire du demandeur condamné pénalement doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi. Il en est de même pour la déclaration de l'avocat qui se constitue au nom d'un demandeur au pourvoi. »

Article 590

« Les mémoires contiennent les moyens de cassation et visent les textes de loi dont la violation est invoquée. Ils sont rédigés sur timbre, sauf si le demandeur est un condamné à une peine criminelle. Ils doivent être déposés dans le délai imparti. Aucun mémoire additionnel n'y peut être joint, postérieurement au dépôt de son rapport par le conseiller commis. Le dépôt tardif d'un mémoire proposant des moyens additionnels peut entraîner son irrecevabilité. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19.  Le requérant dénonce l'iniquité de l'instance devant la Cour de cassation ayant donné lieu à l'arrêt du 7 février 2001. Il se plaint, d'une part, de n'avoir pas été convoqué à l'audience publique des débats – et de n'y avoir, en conséquence, pas été entendu – et d'autre part, de l'absence de communication avant l'audience du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions de l'avocat général – alors que ces derniers s'échangèrent ces documents - auxquels il n'a pu donc répondre. Il dénonce également la présence de l'avocat général lors du délibéré.

En dernier lieu, le requérant se plaint qu'à tous les stades de la procédure il fit l'objet d'une différence de traitement injustifiée par rapport à un demandeur représenté par un avocat aux Conseils : il disposa d'un délai moins long pour déposer son mémoire (un mois, sauf prorogation accordée discrétionnairement par le président de la chambre criminelle, au lieu de quatre pour le prévenu représenté) ; il fut dans l'impossibilité de répondre, oralement ou par note en délibéré, aux conclusions de l'avocat général devant la Cour de cassation et d'avoir eu ainsi un libre accès au dossier ; il ne fut pas informé de la date de l'examen du dossier et ne put donc pas assister à l'audience, faute d'y avoir été convoqué. Il invoque l'article 6 § 1 combiné avec l'article 14 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnues dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A.  Sur la recevabilité

20.  La Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celle-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

21.  Le Gouvernement reconnaît tout d'abord que, dans l'affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (arrêt du 31 mars 1998, Recueil 1998‑II), la Cour a jugé que la non communication du rapport du conseiller rapporteur ne s'accorde pas avec les exigences du procès équitable. Il souligne ensuite que la Cour de cassation française a modifié les modalités d'instruction et de jugement des affaires qui lui sont soumises, afin notamment de prendre en compte les conclusions de la Cour dans son arrêt. Il précise cependant que ces mesures n'étaient pas en vigueur à l'époque où le requérant s'est pourvu en cassation et déclare en conséquence « s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour sur ce grief ».

En ce qui concerne l'absence alléguée de communication au requérant, avant l'audience, des conclusions de l'avocat général, le Gouvernement relève que par un courrier du 30 janvier 2001, le Procureur général près la Cour de cassation a communiqué au requérant le sens des conclusions de l'avocat général. Il estime que cette pratique, visant à informer les demandeurs au pourvoi du sens des conclusions dudit magistrat est parfaitement conforme à la jurisprudence de la Cour (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France précitée ; Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII). Dans la présente affaire, le Gouvernement constate que le requérant, qui a eu connaissance avant l'audience des conclusions sus énoncées, était en conséquence en mesure de présenter des observations complémentaires ; or, ce dernier n'a pas saisi cette occasion et n'a déposé aucun mémoire complémentaire. Enfin, le Gouvernement considère que la circonstance que le grief porte sur l'absence de communication des conclusions de l'avocat général et non sur l'absence de communication du sens de ces conclusions est sans incidence sur l'issue du litige. Sur ce point, il soutient que la Cour, dans plusieurs affaires, a examiné le grief tiré de l'absence de communication des conclusions de l'avocat général eu égard à l'existence ou non d'une communication du sens de ces conclusions (Fontaine et Bertin c. France, nos 38410/97 et 40373/98, § 60, 8 juillet 2003 ; Duriez-Costes c. France, no 50638/99, § 33, 7 octobre 2003). En définitive, le Gouvernement estime que le grief du requérant est dénué de fondement.

En ce qui concerne la présence de l'avocat général lors du délibéré, le Gouvernement rappelle que dans l'affaire Fontaine et Bertin c. France précitée, la Cour a conclu à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention en raison de la participation de l'avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il rappelle également que de nouvelles pratiques ont été mise en place à la Cour de cassation ; depuis le 1er octobre 2001, en effet, les avocats généraux n'assistent plus aux délibérés. Il précise cependant que ces mesures n'étaient pas en vigueur à l'époque où le requérant s'est pourvu en cassation et déclare en conséquence « s'en remet[tre] à la sagesse de la Cour sur ce grief ».

22.  Le requérant ne produit pas d'observations en réplique à celles du Gouvernement. Il souhaite néanmoins le maintien de sa requête au rôle de la Cour et invite cette dernière à conclure à une violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

23.  En tout premier lieu, la Cour constate que le requérant s'estime avoir été placé dans une position défavorable par rapport à un justiciable ayant recours au ministère d'un avocat aux Conseils. Elle souligne à cet égard qu'elle a déjà eu l'occasion d'examiner ce type de griefs relatifs à l'iniquité de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation (voir les arrêts précités Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, Meftah et autres c. France ; voir également l'arrêt Richen et Gaucher c. France, nos 31520/96 et 34359/97, 23 janvier 2003). La Cour estime que la présente affaire ne se distingue pas des autres affaires que la Cour a eu à connaître en la matière, et doit en conséquence être examinée sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention – seul pertinent en l'espèce – aucune question distincte ne se posant sur le terrain de l'article 14 de la Convention.

1.  Sur le délai pour le dépôt des mémoires ampliatifs

24.  La Cour constate que le requérant a déposé son mémoire ampliatif au soutien de son pourvoi dans le délai légal d'un mois, sans formuler de demande de prorogation de délai.

25.  Dans ces conditions, il ne démontre pas que le laps de temps dont il a disposé, bien que plus bref que celui accordé aux demandeurs représentés par un avocat aux Conseils, aurait été insuffisant pour lui permettre d'exposer efficacement ses moyens de cassation (voir en ce sens l'arrêt Fontaine et Bertin c. France précité, §§ 47-50).

26.  Dès lors, la Cour estime que le délai dont il a bénéficié pour déposer son mémoire ampliatif n'a pas porté atteinte à ses droits garantis par l'article 6 § 1 de la Convention.

27.  Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 à cet égard.

2.  Sur l'absence de convocation et de participation du requérant à l'audience de la Cour de cassation

28.  La Cour rappelle que l'absence de débats publics en deuxième ou troisième instance peut être justifiée par les caractéristiques de la procédure dont il s'agit, pourvu qu'il y ait eu audience publique en première instance. Pour savoir si le requérant a subi une atteinte à son droit à un procès équitable, il faut donc prendre en compte les particularités de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation (voir, notamment, Meftah et autres c. France précité, §§ 41-42).

29.  En l'espèce, la Cour note que la Cour de cassation a été saisie du pourvoi du requérant après que sa cause eut été examinée par le tribunal correctionnel de Lyon et la cour d'appel de Lyon, juridictions jouissant de la plénitude de juridiction et qui ont tenu des audiences dans le respect des règles prévues à l'article 6 § 1 précité.

30.  Le requérant fait valoir que, n'ayant pas été convoqué à l'audience, il n'a pas pu prendre la parole. A cet égard, la Cour rappelle que le débat susceptible d'intervenir lors d'une audience devant la chambre criminelle de la Cour de cassation est particulièrement technique et porte uniquement sur des moyens de droit, le débat au fond étant définitivement clos, sous réserve d'un renvoi après cassation. C'est pourquoi la Cour a déjà jugé qu'une participation orale des requérants à l'audience de la Cour de cassation s'inscrirait dans une approche par trop formaliste de la procédure.

31.  Pour autant que le requérant conteste le monopole des plaidoiries dont bénéficient les avocats aux Conseils devant la Cour de cassation, la Cour rappelle qu'elle a jugé que la spécificité de la procédure devant la Haute juridiction, considérée dans sa globalité, pouvait justifier de réserver aux seuls avocats spécialisés le monopole de la prise de parole et qu'une telle réserve n'était pas de nature à remettre en cause la possibilité raisonnable qu'ont les requérants de présenter leur cause dans des conditions qui ne les placent pas dans une situation désavantageuse.

32.  En conclusion, compte tenu du rôle de la Cour de cassation et eu égard aux procédures considérées dans leur ensemble, la Cour estime que le fait pour le requérant de ne pas avoir eu l'occasion de plaider sa cause oralement devant la Cour de cassation, personnellement ou par l'intermédiaire d'un avocat inscrit à un barreau, n'a pas porté atteinte à son droit à un procès équitable, tel que garanti par l'article 6 § 1 de la Convention (arrêt Meftah et autres précité, § 47 ; voir aussi l'arrêt Richen et Gaucher c. France précité, § 35).

33.  Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 sur ce point.

3. Sur le défaut de communication des conclusions de l'avocat général

34.  Dès lors que la procédure devant la Cour de cassation est essentiellement écrite, la Cour rappelle que le respect du contradictoire est assuré par les principes énoncés dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité (voir aussi l'arrêt Meftah et autres précité, § 49). En effet, le grief tiré de l'absence de communication des conclusions de l'avocat général au demandeur en cassation devant la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà été examiné par elle dans cet arrêt. La Cour a indiqué ce qui suit (p. 666, §§ 106-107) :

« L'absence de communication des conclusions de l'avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution.

De nos jours, certes, l'avocat général informe avant le jour de l'audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l'affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (paragraphe 79 ci‑dessus). Eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il n'est toutefois pas avéré qu'elle existât à l'époque des faits de la cause.

Partant, eu égard aux circonstances susdécrites, il y a eu violation de l'article 6 § 1. »

35.  La Cour a également été amenée à se prononcer sur le cas de requérants ayant choisi de se défendre sans la représentation d'un avocat aux Conseils (arrêts Voisine c. France, no 27362/95, 8 février 2000 et Meftah et autres précité). Dans une telle situation, les requérants ne bénéficient pas de la pratique – réservée aux seuls avocats à la Cour de cassation – que la Cour a jugée « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes » (arrêt Reinhardt et Slimane‑Kaïd précité, ibidem).

36.  Cependant, en l'espèce, la Cour, avec le Gouvernement, note que le requérant s'est vu communiqué le sens des conclusions de l'avocat général avant l'audience de la Cour de cassation par le Procureur général près la Haute juridiction. Partant, il aurait pu y répondre par une note en délibéré (voir a contrario l'arrêt Meftah et autres précité, § 51).

37.  Il en résulte que, le requérant ayant eu communication du sens des conclusions de l'avocat général et ayant pu, dès lors, y répondre par écrit, il a bénéficié d'un examen équitable de sa cause devant la Cour de cassation dans le respect du principe du contradictoire. Il n'y a pas eu, en conséquence, violation de l'article 6 § 1.

4. Sur l'inégalité dans la communication du rapport du conseiller rapporteur à l'égard des avocats généraux et du requérant, respectivement

38.  La Cour rappelle que, dans l'affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd précitée (§ 105), ainsi que dans les affaire Mac Gee c. France (no 46802/99, § 15, 7 janvier 2003), et Berger c. France (no 42221/99, §§ 42 et s., CEDH 2002-X), elle a déjà jugé que compte tenu de l'importance du rapport du conseiller rapporteur, du rôle de l'avocat général et des conséquences de l'issue de la procédure pour les intéressés, le déséquilibre créé, faute d'une communication identique du rapport au conseil du prévenu, ne s'accordait pas avec les exigences du procès équitable.

39.  En l'espèce, le Gouvernement ne conteste pas que le requérant n'a pas eu communication du rapport du conseiller rapporteur, au sens de l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd précité (§ 105), alors que l'avocat général s'est vu communiquer l'intégralité du dossier, et il s'en remet à la sagesse de la Cour. Dès lors, la Cour ne voit aucune raison de s'écarter de la jurisprudence précitée et conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention sur ce point.

5.  Sur la présence de l'avocat général lors du délibéré

40.  La Cour constate que l'avocat général, qui n'est pas membre de la formation de jugement, assiste habituellement au délibéré, sans toutefois prendre part aux débats.

41.  En l'espèce, le Gouvernement ne prétend pas que l'avocat général n'assista pas au délibéré. La Cour tient donc pour acquis que ce magistrat était présent au délibéré.

42.  Ceci dit, elle rappelle que, sur le fondement notamment de la théorie dite « des apparences », elle a jugé contraire à l'article 6 § 1 la participation de l'avocat général au délibéré de la Cour de cassation de Belgique, avec voix consultative (arrêt Borgers c. Belgique du 30 octobre 1991, série A no 214-B §§ 28-29, et arrêt Vermeulen c. Belgique du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 34), et la présence du procureur général adjoint au délibéré de la Cour Suprême portugaise, quand bien même il n'y disposait d'aucune voix consultative ou autre (Lobo Machado c. Portugal, arrêt du 20 février 1996, Recueil 1996-I, § 32).

43.  La Cour en déduit que la seule présence de l'avocat général au délibéré de la chambre criminelle de la Cour de cassation est incompatible avec l'article 6 § 1 de la Convention (voir l'arrêt Fontaine et Bertin c. France précité ; voir également l'arrêt Slimane-Kaïd c. France (no 2) no 48943/99, § 17, 27 novembre 2003).

II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

Sur la recevabilité

44.  Sur le même fondement de la Convention, le requérant se plaint de ce que la Cour de cassation n'a pas examiné son mémoire additionnel déposé le 20 décembre 2000, et aurait, de la sorte, violé son droit à un procès équitable.

45.  La Cour rappelle tout d'abord que l'article 6 de la Convention ne s'oppose pas à une réglementation de l'accès des justiciables à une juridiction de recours, pourvu que cette réglementation ait pour but d'assurer une bonne administration de la justice (voir, par exemple, les arrêts Levages prestations Services c. France du 23 octobre 1996, Recueil 1996, §§ 40 et s. et Meftah et autres c. France précité).

La Cour constate ensuite qu'il résulte des articles 567-2, 585-1 et 590 du code de procédure pénale que le mémoire du demandeur condamné pénalement doit parvenir au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi ; le dépôt tardif d'un mémoire proposant des moyens additionnels peut entraîner son irrecevabilité. Or, une réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise assurément une bonne administration de la justice (requête no10857/84, décision du 15 juillet 1986, Décisions et Rapports (DR) 48, p. 106 ; requête no11122/84, décision du 2 décembre 1985, D.R. 45, p. 246). La Cour estime de plus que les règles relatives au délai de pourvoi sont suffisamment claires et prévisibles et présentent une clarté et une cohérence suffisantes (a contrario, arrêt Vacher c. France du 17 décembre 1996, Recueil 1996‑VI, fasc. 25)

En l'espèce, le requérant se pourvut en cassation le 13 juin 2000 et déposa un mémoire ampliatif le 11 juillet 2000. Il adressa également à la Cour de cassation un mémoire additionnel le 20 décembre 2000 ; ce mémoire et le moyen qui y était développé étaient donc manifestement tardifs et irrecevables. La Cour note par ailleurs que le mémoire ampliatif du 11 juillet 2000 avait été présenté dans les délais requis, et que les moyens qu'il contenait furent tous examinés par la Cour de cassation.

Partant, il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

46.  Le requérant se plaint enfin du rejet de son pourvoi par la Cour de cassation, laquelle avaliserait ainsi les erreurs de droit commises par les juridictions du fond. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 2 combinés avec l'article 13 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

Article 6 § 2

« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »

La Cour estime que le requérant, tel qu'il expose son grief, vise en réalité à contester l'appréciation des preuves et, plus particulièrement, à contester le résultat de la procédure menée devant les juridictions internes de jugement et devant la Cour de cassation.

Partant, la Cour rappelle qu'aux termes de l'article 19 de la Convention elle a pour tâche d'assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Parties contractantes. Spécialement, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Par ailleurs, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l'admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (voir l'arrêt García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I).

Le requérant se bornant à remettre en cause l'appréciation des faits de l'espèce et l'application du droit interne par les juridictions nationales, la Cour considère que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

48.  Le requérant n'a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 6 § 1 relatif à l'iniquité de la procédure devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le délai fixé au requérant pour le dépôt de son mémoires ampliatif, l'absence de convocation et de participation du requérant à l'audience devant la chambre criminelle de la Cour de cassation et la non communication alléguée au requérant du sens des conclusions de l'avocat général et de l'impossibilité pour lui d'y répondre ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention, en raison de l'absence de communication au requérant, avant l'audience, du rapport du conseiller rapporteur ainsi que de la présence de l'avocat général lors du délibéré ;

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 décembre 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléI. cabral barreto
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE NESME c. FRANCE, 14 décembre 2004, 72783/01