CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE MAUPAS ET AUTRES c. FRANCE, 19 septembre 2006, 13844/02

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CEDH · 16 mai 2007

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 19 sept. 2006, n° 13844/02
Numéro(s) : 13844/02
Type de document : Arrêt
Date d’introduction : 22 mars 2002
Jurisprudence de Strasbourg : AGOSI c. Royaume-Uni, du 24 octobre 1986, série A no 108, § 55
Jokela c. Finlande, arrêt du 21 mai 2002, no 28856/95, CEDH 2002-IV, § 45
Hentrich c. France, arrêt du 22 septembre 1994, série A no 296-A, § 49
James et autres c. Royaume-Uni, du 26 juin 1985, série A no 98-A, § 46
Motais de Narbonne c. France, no 48161/99, du 2 juillet 2002, §§ 18, 19
Saints monastères c. Grèce, du 9 décembre 1994, Série A no 301-A, §§ 70-71
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Non-violation de P1-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-76918
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0919JUD001384402
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Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MAUPAS ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 13844/02)

ARRÊT

STRASBOURG

19 septembre 2006

DÉFINITIF

12/02/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

.


En l'affaire Maupas et autres c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
I. Cabral Barreto,
R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
MmesA. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 août 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 13844/02) dirigée contre la République française et dont deux ressortissants de cet Etat, Ginette et Fernand Maupas (« les requérants ») et l'association de défense et de recours des riverains de l'axe RCEA (« l'association requérante »), personne morale de droit français, ont saisi la Cour le 22 mars 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants et l'association requérante sont représentés par la SCP Dumont Gras-Comtet, avocats à Macon. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 30 mai 2005, le président de la chambre a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.

EN FAIT

I.LES CIRCONSTANCES DE L'ESPECE

4.  Les requérants sont nés respectivement en 1950 et 1946 et résident à Molinet. L'association requérante, qui a son siège social dans cette même commune, a pour objet statutaire « la défense, les recours, le soutien aux riverains touchés par l'emprise ou la proximité de l'ouvrage RCEA [route centre Europe Atlantique], sous l'égide de la plus stricte légalité » ; les requérants en sont respectivement la présidente et le vice-président.

5.  Les requérants sont propriétaires d'une maison et de terrains situés sur le territoire de la commune de Molinet.

6.  Un décret interpréfectoral du 9 novembre 1993 ouvrit l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique d'un projet routier (la route centre Europe Atlantique, dite « RCEA ») devant notamment passer sur le territoire de la commune de Molinet.

Par un décret du 17 mars 1995, le premier ministre déclara les travaux d'utilité publique et urgents.

Au vu du tracé soumis à enquête publique et du plan annexé au décret, la propriété des requérants se trouvait à proximité de l'un des échangeurs projetés mais ne devait pas être amputée. Ainsi, n'apparaissant pas concernés par les expropriations que la réalisation du projet devait impliquer, les requérants ne saisirent pas le juge administratif en annulation du décret du 17 mars 1995.

7.  C'est à l'occasion de l'enquête parcellaire – ordonnée par un arrêté préfectoral du 16 septembre 1997 dans le cadre de la procédure d'expropriation, elle eut lieu à la mairie de Molinet du 20 octobre au 14 novembre 1997 – et de la réception du dossier individuel que les requérants constatèrent que l'échangeur susmentionné devait être réalisé plus au nord-ouest que ce qui apparaissait sur le plan annexé au décret du 17 mars 1995 (le décalage étant de l'ordre de 500 mètres) ; l'emprise de cet ouvrage devait désormais déborder sur une partie de leur terrain, dont il devaient en conséquence être expropriés.

8.  Le 15 mars 2000, le premier ministre prit un second décret prorogeant les effets de la déclaration d'utilité publique prise en vertu du décret du 15 mars 1995.

9.  L'ordonnance d'expropriation fut rendue le 28 décembre 1998. Saisies par les requérants, les juridictions de l'expropriation fixèrent leur indemnité à 371 024 FRF (jugement du juge de l'expropriation de l'Allier du 8 décembre 1999 ; arrêt de la cour d'appel de Riom du 10 décembre 1999) ; le pourvoi des requérants fut rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 9 janvier 2002.

10.  Parallèlement, le 19 novembre 1998, les requérants et l'association requérante avaient saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande d'annulation de l'arrêté préfectoral de cessibilité (du 2 septembre 1998) ainsi que, invoquant la théorie des opérations complexes, du décret du 17 mars 1995.

Par une ordonnance du 4 décembre 1998, le président du tribunal administratif avait transmis la requête au Conseil d'Etat. Par un arrêt du 3 mai 2000, la haute juridiction administrative avait rejeté la demande d'annulation du décret du 17 mars 1995 pour tardiveté ; se déclarant incompétent pour connaître en premier et dernier ressort des conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de cessibilité, il avait renvoyé cet aspect de la requête pour jugement au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, lequel l'avait rejetée au fond par un jugement du 26 septembre 2000.

Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 30 juillet 2003. A l'appui de leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de cessibilité du 2 septembre 1998, les requérants excipaient de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique par le décret du 17 mars 1995 et de sa prorogation pat le décret du 15 mars 2000 ; la cour répondit ainsi :

« Considérant que le déplacement de l'échangeur de Molinet et l'axe de la voie par rapport au projet soumis à l'enquête publique ne constitue pas une modification substantielle qui affecterait l'économie générale du projet, que, par suite, le moyen tiré de ce que la procédure de déclaration d'utilité publique aurait été viciée doit être écartée ;

Considérant que la légalité de l'arrêté de cessibilité s'appréciant à la date à laquelle il a été pris, les requérants ne peuvent utilement invoquer l'irrégularité pour absence d'urgence de la prorogation de la déclaration d'utilité publique par le décret du 15 mars 2000 ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants (...) ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande en tant qu'elle tendait à l'annulation de l'arrêté du (...) 2 septembre 1998 ».

11.  Les requérants et l'association requérante avaient également, le 12 mai 2000, saisi le Conseil d'Etat d'une demande d'annulation du décret du 15 mars 2000 prorogeant les effets de la déclaration d'utilité publique ; ils soutenaient en particulier que, vues les modifications apportées au projet initial, le décret de prorogation devait être précédé d'une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique. Leur demande d'annulation était assortie d'une requête aux fins de sursis à exécution, fondée sur une atteinte irréparable à leurs biens.

La haute juridiction avait rejeté la requête par un arrêt du 26 septembre 2001 ainsi libellé :

« (...)

Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 11-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : « lorsque le délai accordé pour réaliser l'expropriation n'est pas supérieur à cinq ans, un acte pris dans la même forme peut, sans nouvelle enquête, proroger une fois les effets de la déclaration d'utilité publique pour une durée au plus égale » ; qu'une telle prorogation ne peut toutefois être décidée que si le projet n'a pas subi de modifications substantielles ou que son coût n'excède pas sensiblement le montant initial actualisé de l'opération envisagée ;

Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions précitées du II de l'article L. 11-5 du code de l'expropriation ne font pas obligation à l'administration, lorsqu'elle entend faire usage de la faculté qu'elle tient de ces mêmes dispositions de proroger les effets d'un acte déclarant l'utilité publique d'un projet, de procéder aux formalités prévues pour l'édiction de cet acte ; qu'elles impliquent seulement que l'acte prononçant la prorogation émane de l'autorité qui était compétente, en vertu de l'article L. 11-2 du même code, pour déclarer l'utilité publique ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué n'a pas été précédé des consultations qui avaient été organisées préalablement à l'édiction du décret du 17 mars 1995 susmentionné et aurait été en conséquence pris en violation de l'article L. 11-5 du code de l'expropriation doit être écarté ;

Considérant que si le tracé du projet diffère de celui soumis à enquête en ce qui concerne l'échangeur dont la construction est prévue sur le site de la commune de Molinet, ce changement, qui résulte du déplacement dudit échangeur, ne constitue pas une modification substantielle qui affecterait l'économie générale du projet ; qu'il n'était dès lors pas nécessaire d'engager une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique ; (...) ».

II.LE DROIT INTERNE PERTINENT

12.  Aux termes de l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, à laquelle renvoie le Préambule de la Constitution de 4 octobre 1958 :

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

L'article 11-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique précise en particulier que l'expropriation d'immeubles, en tout ou partie, ou de droits réels immobiliers, ne peut être prononcée qu'autant qu'elle aura été précédée d'une déclaration d'utilité publique intervenue à la suite d'une enquête et qu'il aura été procédé contradictoirement à la détermination des parcelles à exproprier, ainsi qu'à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés.

EN DROIT

I.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 1 DU PROTOCOLE no 1 ET 6 § 1 DE LA CONVENTION

13.  Les requérants et l'association requérante se plaignent de ce qu'ils n'ont pas eu la possibilité concrète de contester l'utilité publique du projet routier fondant l'expropriation dont les premiers ont fait l'objet, ledit projet ayant été modifié quant à son tracé après avoir été décrété d'utilité publique ; ils exposent en particulier que leur demande d'annulation du décret d'utilité publique a été rejetée pour tardiveté et que, dans son arrêt du 26 septembre 2001, le Conseil d'Etat a jugé que ce décret pouvait être prorogé sans une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique dès lors que le projet n'avait pas subi de modification substantielle en affectant l'économie générale ; sur ce dernier point, ils ajoutent que c'est au regard du droit de propriété des requérants, non de manière générale, que le caractère mineur ou substantiel de la modification aurait dû être apprécié. Ils dénoncent une violation des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 de la Convention, lesquels sont respectivement libellés comme il suit :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

14.  La Cour rappelle que l'article 34 de la Convention dispose qu'elle « (...) peut être saisie par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus par la Convention ou ses protocoles. (...) ». Il en résulte que pour satisfaire aux conditions posées par cette disposition, tout requérant doit être en mesure de démontrer qu'il est concerné directement par la ou les violations de la Convention qu'il allègue. Or en l'espèce, le droit au respect des biens de l'association requérante n'était pas en cause. Il s'ensuit que, pour autant qu'elle a été introduite par l'association requérante et concerne l'article 1 du Protocole no 1, cette partie de la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée conformément à l'article 35 § 3 de la Convention.

Pour le reste, la Cour constate que cette partie de la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et, relevant par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la déclare recevable dans cette limite.

B.  Sur le fond

1.Thèses des parties

15.  Le Gouvernement estime que le droit interne offrait aux requérants l'accès à une juridiction, et que, pris sous l'angle de l'article 6 § 1, le grief est manifestement mal fondé. Il souligne que les requérants ont eu la possibilité de saisir les juridictions administratives d'une requête en annulation des décrets des 17 mars 1995 et 15 mars 2000 et, par ce biais, de contester l'utilité publique du projet à l'origine de l'expropriation dont ils ont fait objet. Il ajoute que les éléments de l'enquête publique leur avaient permis de disposer d'une information suffisamment claire et précise sur les travaux en cause : il leur appartenait de contester la déclaration d'utilité publique de 1995 dans les délais requis. Le Gouvernement prend acte de ce que les requérants n'ont eu connaissance de l'inclusion de leur terrain dans le périmètre de l'opération (à la suite de la modification du tracé soumis à l'enquête publique) qu'à l'occasion de l'enquête parcellaire, de sorte que leur demande d'annulation de la déclaration d'utilité publique a été jugée tardive ; il souligne qu'ils avaient cependant la possibilité de développer devant les juridictions administratives tous éléments de fait et de droit entachant d'illégalité cette déclaration : ils pouvaient, à l'occasion d'un recours contre l'arrêté de cessibilité, soulever « par voie d'exception » l'illégalité de l'acte déclaratif d'utilité publique. Il relève que les requérants ont usé de cette possibilité, sans toutefois parvenir à convaincre le juge de la pertinence de leurs moyens ; ainsi, dans son jugement du 26 septembre 2000, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, après examen des moyens des requérants, les a débouté au motif que la modification du tracé ne retirait pas au projet son caractère d'utilité publique et ne constituait pas non plus, s'agissant de la prorogation de la déclaration d'utilité publique par le décret du 15 mars 2000, une modification substantielle de nature à affecter l'économie générale du projet. Le Gouvernement ajoute que l'amputation de la propriété des requérant ne saurait, compte tenu de l'intérêt général de l'opération et de l'indemnisation qui leur a été accordée, constituer une atteinte suffisante à leurs intérêts pour représenter une modification substantielle du projet.

Le Gouvernement considère que le grief est également manifestement mal fondé sur le terrain de l'article 1 du Protocole no 1, indiquant à cet égard que l'expropriation litigieuse était conforme au droit interne et justifiée par la réalisation d'un projet d'intérêt général, et que les requérants ont été adéquatement indemnisés.

16.  Les requérants relèvent que le Gouvernement reconnaît que le projet initial, tel que décrit dans le plan annexé au décret du 17 mars 1995, a été modifié après l'enquête publique, et que le Conseil d'Etat, qui en était pourtant saisi par voie d'exception dans le cadre du recours contre l'arrêté de cessibilité, les a, le 3 mai 2000, déclarés forclos à contester cet acte ; ils voient là une démonstration du fait qu'ils ont été privés d'un « examen initial véritable après enquête parcellaire ».

Ils contestent l'affirmation du Gouvernement selon laquelle le tribunal administratif de Clermont-Ferrand pouvait ensuite prendre par voie d'exception une décision d'annulation dans le cadre de l'examen de l'arrêté de cessibilité, alors que « l'examen de la référence initiale à l'utilité publique était clos par décisions irréversible de la haute juridiction » ; ils soulignent à cet égard que, au demeurant, dans son jugement du 26 septembre 2000, ledit tribunal ne se réfère pas à la déclaration d'utilité publique du 17 mars 1995 mais à l'économie générale du projet (ajoutant qu'il en va de même de l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 septembre 2000 et de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 30 juillet 2003). A supposer même que cela eut été possible, ils indiquent que les recours étaient devenus vains à ce stade du fait de la lenteur de la procédure : le 3 mai 2000, lorsque – alors qu'il avait été saisi fin 1998 – le Conseil d'Etat rendit son arrêt, les travaux des ouvrages d'art avaient été achevés, notamment sur la partie concernée de leur propriété ; en conséquence, même si le juge administratif avait alors conclu à l'illégalité de la déclaration d'utilité publique, il eut été trop tard pour les restituer in concreto dans leurs droits. Les requérants en déduisent qu'ils n'ont pas eu accès à une juridiction pour contester efficacement l'utilité publique de l'opération à l'origine de l'expropriation dont ils ont été l'objet, en violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1er du Protocole no 1.

Ensuite, ils soulignent que, s'il est vrai que l'article 1 du Protocole no 1 ne prohibe pas les privations de propriété pour cause d'utilité publique, la « déclaration d'utilité publique n'a pas été respectée » dans leur cas. En outre, selon eux, la cause d'utilité publique doit être définie avec le plus de précision possible, soumise à l'avis du public le plus large et « arrêtée dans cette précision » ; tel n'aurait pas été le cas en l'espèce du fait de la modification substantielle du projet après clôture de l'enquête publique, affectant son économie générale. Ils auraient donc été expropriés « hors la cause d'utilité publique, à l'extérieur du périmètre déclaré ». Ils ajoutent que le tracé du projet a été modifié pour préserver les terres agricoles de certains particuliers ; en d'autres termes, c'est la préservation des intérêts de quelques privilégiés qui constituerait le fondement de l'expropriation abusive et illégale dont ils auraient fait l'objet.

2.Appréciation de la Cour

17.  L'expropriation d'une partie du bien des requérants constitue manifestement une privation de propriété, au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1 du Protocole no 1.

18.  La Cour doit en premier lieu déterminer si cette privation de propriété reposait sur une « cause d'utilité publique » au sens de cette disposition. Elle rappelle à cet égard qu'elle reconnaît aux Etats contractants et aux autorités qui en constituent l'émanation, une grande marge d'appréciation pour juger si, dans telles ou telles circonstances, une question de cette nature se pose et justifie des privations de propriété (voir, pour exemples, les arrêts James et autres c. Royaume-Uni, du 26 juin 1985, série A no 98-A, § 46, et Motais de Narbonne c. France, no 48161/99, du 2 juillet 2002, § 18) ; elle respecte la manière dont ils conçoivent les impératifs d'« utilité publique » au sens de l'article 1 du Protocole no 1 sauf si leur jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (arrêt James et autres précité, mêmes références). Elle ne saurait donc se substituer aux autorités internes pour évaluer l' « utilité publique » de l'aménagement dont la réalisation fonde l'expropriation des requérants, et il lui suffit en l'espèce de relever que la « cause d'utilité publique » se trouvait en l'occurrence dans la réalisation d'un ouvrage destiné à l'usage de la collectivité.

19.  Toute ingérence dans le droit au respect des biens doit aussi ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.

En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété ; l'équilibre à ménager entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs des droits fondamentaux est rompu si la personne concernée a eu à subir « une charge disproportionnée » (voir, parmi beaucoup d'autres, les arrêts Saints monastères c. Grèce, du 9 décembre 1994, Série A no 301-A, §§ 70-71, et Motais de Narbonne, précité, § 19). La Cour a en conséquence jugé que l'individu exproprié doit en principe obtenir une indemnisation « raisonnablement en rapport avec la valeur du bien » dont il a été privé, même si « des objectifs légitimes « d'utilité publique » (...) peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande » (ibidem) ; il en résulte que, sous cet angle, l'équilibre susmentionné est en règle générale atteint lorsque l'indemnité versée à l'exproprié est raisonnablement en rapport avec la valeur « vénale » du bien, telle que déterminée au moment où la privation de propriété est réalisée (arrêt Motais de Narbonne précité, mêmes références).

Par ailleurs, notamment, nonobstant le silence de l'article 1 du Protocole no 1 en matière d'exigences procédurales, les procédures applicables en l'espèce doivent offrir à la personne concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition ; pour s'assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d'un point de vue général (voir, par exemple, les arrêts AGOSI c. Royaume-Uni, du 24 octobre 1986, série A no 108, § 55, Hentrich c. France, du 22 septembre 1994, série A no 296-A, § 49, et Jokela c. Finlande, du 21 mai 2002, no 28856/95, CEDH 2002-IV, § 45).

20.  Sur ce second point, la Cour relève en l'espèce que, comme tout riverain, les requérants pouvaient, en droit, saisir le juge administratif d'une recours en excès de pouvoir contre le décret portant déclaration d'utilité publique du 17 mars 1995 (lequel avait fait l'objet de mesures de publicité) et obtenir ainsi un contrôle juridictionnel effectif de la « cause d'utilité publique » fondant l'expropriation dont ils ont fait l'objet.

Il est vrai que le tracé initial de l'infrastructure litigieuse, tel que présenté lors de l'enquête publique et retranscrit sur le plan annexé au décret du 17 mars 1995 déclarant l'utilité publique du projet, épargnait la propriété des requérants. Le tracé a été modifié par la suite, après la clôture de l'enquête publique ; il passe désormais sur la propriété des requérants. Ils n'ont eu connaissance de cette modification qu'à la fin de l'année 1997, après expiration du délai de recours contre le décret d'utilité publique, à l'occasion de l'enquête parcellaire organisée dans le contexte de la procédure d'expropriation.

21.  Il apparaît ainsi que les requérants n'avaient initialement pas de motif lié à la privation de leur propriété d'user de cette procédure puisque le tracé soumis à enquête publique et annexé à ce décret épargnait leur propriété, et qu'ils n'ont su que celle-ci était finalement concernée par l'opération qu'après la clôture du délai de recours contre ledit décret. Ainsi, in concreto, ils se sont trouvés privés de l'opportunité de bénéficier de cette voie procédurale pour obtenir un contrôle juridictionnel du fondement de l'expropriation dont ils ont fait l'objet.

Néanmoins, comme le souligne le Gouvernement, les requérants avaient également la possibilité, dans le cadre de leur recours contre l'arrêté de cessibilité, de soulever par voie d'exception l'illégalité du décret du 17 mars 1995 portant déclaration d'utilité publique et d'obtenir ainsi un contrôle juridictionnel de l'acte fondant l'expropriation litigieuse ; par cette voie, ils auraient pu parvenir à l'annulation de cet arrêté sur le fondement de l'illégalité dudit décret, ce qui aurait fait obstacle au transfert de propriété. En sus, ils eurent, dans les circonstances de leur cause, l'opportunité de contester la légalité de ce décret dans le cadre d'un recours en annulation du décret du 15 mars 2000 prorogeant les effets du premier.

Or il apparaît que, contrairement aux allégations des intéressés, le juge administratif ainsi saisi ne les a pas déboutés pour tardiveté mais au fond, retenant notamment que le déplacement de l'échangeur et de l'axe de la voie litigieux par rapport au projet soumis à l'enquête publique ne constituait pas une modification substantielle affectant l'économie générale du projet et rendant nécessaire une nouvelle procédure de déclaration d'utilité publique (paragraphes 10 et 11 ci-dessus).

22.  La Cour constate ensuite que le montant final de l'indemnité d'expropriation allouée au requérant a été fixé par les juridictions judiciaires (paragraphe 9 ci-dessus), et que rien ne permet de considérer qu'il n'est pas raisonnablement en rapport avec la valeur du bien dont ils ont été privés.

23.  La Cour conclut en conséquence que l'expropriation dont il est question n'a pas rompu le juste équilibre devant être maintenu entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des requérants, et qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du Protocole no 1.

24.  Enfin, la Cour estime qu'aucune question distincte ne se pose en l'espèce sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention et qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner l'affaire sous l'angle de cette disposition.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

25.  Dans des observations complémentaires datées du 9 mai 2005, les requérants et l'association requérante invoquent pour la première fois l'article 8 de la Convention et dénoncent une violation du droit au respect du domicile des premiers résultant des circonstances décrites ci-dessus.

26.  La Cour observe que ce grief est évoqué et développé pour la première fois par les requérants dans un mémoire du 9 mai 2005, postérieur de plus de 6 mois à toutes les décisions internes rendues en l'espèce. Il s'ensuit qu'il est en tout état de cause tardif au regard des exigences de l'article 35 § 1 de la Convention et doit être rejeté comme tel en application de l'article 35 § 4.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1, pour autant qu'il est invoqué par les consorts Maupas, et de l'article 6 § 1 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 à l'égard des consorts Maupas ;

3.  Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner la requête sur le terrain de l'article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 septembre 2006 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE MAUPAS ET AUTRES c. FRANCE, 19 septembre 2006, 13844/02