CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE BACILA c. ROUMANIE, 30 mars 2010, 19234/04

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Commentaires4

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revdh.revues.org · 27 novembre 2011

1L'autorisation de tirer des feux d'artifice deux fois par an n'emporte pas violation du droit au respect de la vie privée et familiale (Art. 8) des personnes dont le domicile se trouve à proximité de tels tirs. Bien que relatif – de prime abord – à un sujet apparemment trivial, la présente affaire est pourtant loin d'être anodine. En refusant de condamner Malte, la Cour européenne des droits de l'homme est en effet amenée à encadrer les implications de son importante construction prétorienne édifiée sur le terrain de l'article 8 : la protection contre les nuisances sonores et autres …

 

CEDH · 18 octobre 2010

Communiqué de presse sur les affaires 57813/00, 13279/05, 847/05, 25083/05, 20201/04, 40984/07, 44418/07, 6518/04, 34830/07, 45130/06, …

 

CEDH · 30 mars 2010

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 30 mars 2010, n° 19234/04
Numéro(s) : 19234/04
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusion : Violation de l'art. 8
Identifiant HUDOC : 001-98001
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:0330JUD001923404
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BĂCILĂ c. ROUMANIE

(Requête no 19234/04)

ARRÊT

STRASBOURG

30 mars 2010

DÉFINITIF

04/10/2010

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Băcilă c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Luis López Guerra, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 mars 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 19234/04) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Maria Băcilă (« la requérante »), a saisi la Cour le 27 janvier 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par l'organisation non-gouvernementale roumaine de défense des droits de l'homme OADO. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait que la pollution engendrée par la société Sometra affectait gravement sa santé et son habitat. Elle se plaignait en outre de la passivité des autorités pour remédier à cette situation.

4.  Le 24 mai 2007, le président de la troisième section a décidé de communiquer le grief tiré de l'article 8 de la Convention au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  La requérante est née en 1946 à Copşa Mică et y a résidé jusqu'en 1973 quand elle a quitté la ville en raison de la pollution qui affectait la santé de ses enfants.

6.  En 1996, après la fermeture d'une partie des usines de la ville, elle y est retournée avec l'espoir que la pollution aurait diminué. Elle habite une maison située à proximité de l'usine Sometra, spécialisée dans la production de métaux non ferreux.

A.  La situation écologique à Copşa Mică

7.  Copşa Mică est une ville d'environ 6 000 habitants située au centre du pays. Une activité industrielle métallurgique y fut implantée avant la deuxième guerre mondiale et progressivement, le complexe industriel de la ville devint l'un des plus grands producteurs de métaux non ferreux d'Europe. Parallèlement, une intense pollution affecta l'environnement.

8.  Les principales sources de pollution étaient les usines Sometra et Carbosim. Cette dernière produisait des substances chimiques dérivées du charbon, qui, au fil du temps, avaient noirci l'ensemble de la ville et de ses environs. En 1993, l'usine Carbosim fut fermée, ce qui diminua la pollution et améliora l'aspect extérieur de la ville.

B.  La pollution engendrée par l'activité de la société Sometra

9.  Créée en 1939, l'usine Sometra (ci-après « la société ») devint l'un des principaux producteurs européens de plomb et de zinc. Nationalisée en 1948, elle a appartenu à l'Etat jusqu'en septembre 1998, date à laquelle elle fut vendue à un important groupe industriel grec, Mytilineos Holdings S.A.

10.  Après la fermeture de l'usine Carbosim, la société Sometra demeura le plus grand employeur de la ville, ainsi que le principal site industriel rejetant dans l'atmosphère des éléments fortement contaminés. Ses émissions consistaient principalement dans le rejet d'importantes quantités de dioxyde de soufre (gaz incolore et toxique, dont l'inhalation est très irritante) et des poussières contenant des métaux lourds, dont principalement du plomb et du cadmium.

11.  Il ressort des analyses effectuées en septembre 1998 par l'Agence régionale pour la protection de l'environnement (ci-après, « l'Agence régionale ») que dans les cours d'eau de la ville, les métaux lourds dépassaient les limites admises et que ces métaux se retrouvaient également dans l'air, les sols et dans la végétation dans des quantités dépassant jusqu'à sept fois les limites maximales.

12.  La requérante forma plusieurs plaintes devant les autorités locales afin de signaler l'impact de la pollution sur sa santé et de demander des mesures destinées à diminuer la pollution.

13.  En décembre 1999, la Direction départementale de la santé l'informa que malgré une diminution de l'ensemble de la pollution depuis 1990, les quantités des poussières, des métaux lourds et du dioxyde de soufre dépassaient, lors des pics de pollution, d'environ vingt fois les limites maximales admises.

14.  Dans une lettre envoyée à la requérante le 13 avril 2000, l'Agence régionale confirma qu'il y avait eu une augmentation de la pollution depuis la privatisation de la société, mais qu'elle s'était engagée à faire jusqu'en 2003 des travaux de mise en conformité de ses installations. En outre, l'Agence régionale précisa que l'arrêt de l'activité de la société provoquerait des problèmes sociaux et que les autorités locales n'envisageaient pas de prendre des mesures à court terme car, par le passé, elles s'étaient révélées inefficaces.

15.  Selon des bulletins d'analyses mis à la disposition de la requérante par l'Agence régionale en juillet, août, septembre et octobre 2000, la pollution de l'air avait été constante, avec des valeurs atteignant parfois environ trente fois les limites maximales autorisées.

16.  Le 30 mars 2001, le ministère de l'environnement informa la requérante qu'un contrôle avait identifié d'importants dépassements des seuils de pollution, mais que la société s'était engagée à réduire la pollution jusqu'à la fin de 2002.

17.  Le 8 novembre 2001, le préfet informa la requérante qu'une commission avait été créée pour surveiller le respect du programme de mise en conformité. Le préfet indiqua également que la société travaillait sur un nouveau plan de développement et de modernisation, incluant les objectifs non atteints du précédent programme.

18.  Le 13 août 2003, l'Agence régionale informa la requérante que, pour éviter le rejet dans l'atmosphère de substances toxiques, la société devait procéder à des investissements mais qu'elle ne disposait pas des moyens nécessaires. Toutefois, elle indiqua qu'un système de mensuration horaire de la pollution avait été mis en place et que, dès qu'il y avait dépassement des seuils, la société devait réduire ou arrêter son activité.

19.  Le laboratoire d'évaluation des facteurs de risque pour l'environnement fonctionnant près de l'Université Babeş-Bolyai de Cluj‑Napoca conclut, sur la base de prélèvements effectués en 2003, que l'ensemble des sols, de la végétation et des cours d'eaux de la ville et des alentours sur environ 35 kilomètres, contenaient des métaux lourds (plomb, cuivre, cadmium, zinc) dans des quantités dépassant largement les limites maximales admises. A cette pollution s'ajoutaient des pluies acides provoquées par le rejet dans l'atmosphère d'importantes quantités de dioxyde de soufre, ce qui empêchait le développement de la végétation.

20.  Au début de l'année 2007, la société installa un système de mesure horaire des quantités des poussières et de dioxyde de soufre rejetées dans l'atmosphère.

21.  A la suite de plusieurs contrôles effectués entre mars et septembre 2007, l'Agence régionale infligea à la société des amendes d'un montant total de 600 000 lei roumains (RON), à savoir l'équivalent d'environ 180 000 euros (EUR), pour le dépassement des seuils d'émissions de dioxyde de soufre pendant cette période.

22.  Le 26 janvier 2009, invoquant la crise sur les marchés internationaux des matières premières, les actionnaires du groupe Mytilineos Holdings S.A. décidèrent la fermeture temporaire de l'usine et le licenciement de 735 employés sur les 1 000 environ que comptait l'usine au moment de la fermeture.

C.  Le processus décisionnel concernant l'octroi à la société des autorisations environnementales

23.  Le 7 mai 1998, l'Agence régionale octroya à la société une première autorisation environnementale valable jusqu'au 6 mai 2003 qui était assortie d'un programme en quatorze points de mise en conformité des installations afin de réduire la pollution.

24.  Lors de l'achat de la société en septembre 1998, le groupe Mytilineos Holdings S.A. reprit à son compte les engagements environnementaux souscrits par la société.

25.  Le 29 octobre 2001, une demande de la société visant le report des mesures de mise en conformité jusqu'en 2004 fut rejetée.

26.  En 2003, la société démarra la procédure d'obtention d'une nouvelle autorisation conformément aux dispositions de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 34 de 2002.

27.  En mars 2004, la société sollicita auprès des autorités roumaines l'octroi, dans le cadre des négociations d'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, d'une période de transition en vue de la mise en conformité de ses installations. Une dérogation aux normes européennes d'autorisation des activités industrielles fut consentie à la société jusqu'au 31 décembre 2014.

28.  Le 28 février 2005, la société déposa le dossier auprès de l'Agence régionale en vue de l'obtention de l'autorisation. Le dossier contenait notamment plusieurs études de l'impact de son activité sur l'environnement réalisées par un institut spécialisé.

29.  Une commission composée des représentants de la société et de l'ensemble des autorités publiques locales s'est réunie six fois entre les 29 mars 2005 et 20 avril 2006 pour examiner le dossier.

30.  L'annonce du dépôt de la demande d'autorisation parût dans plusieurs journaux et le public fut invité à transmettre ses opinions à l'Agence régionale. Les points de vue exprimés, y compris celui de la requérante, furent ensuite publiés sur le site internet de l'Agence régionale.

31.  Le public intéressé fut également invité à quatre réunions publiques qui eurent lieu, en présence de plusieurs centaines de personnes, les 18, 22, 23 avril et 3 mai 2005 à Copşa Mică et dans les localités limitrophes.

32.  Le 5 décembre 2005, l'Agence régionale rendit public un avis favorable quant à l'octroi de l'autorisation et indiqua que les personnes intéressées pouvaient introduire des contestations jusqu'au 10 janvier 2006. La requérante reçut personnellement une copie de l'avis de l'Agence régionale, par lettre recommandée.

33.  Le 24 janvier 2006, une commission du ministère de l'environnement chargée d'examiner les contestations décida de reporter l'octroi de l'autorisation et demanda à la société de revoir le plan des actions environnementales négocié avec les autorités locales. La commission enjoignit également à la société de reprendre dans le nouveau plan les mesures auxquelles elle s'était engagée en 1998 et qui n'avaient pas été réalisées.

34.  La société s'étant engagée à finaliser le programme de mise en conformité deux ans avant la fin de la période de transition négociée avec l'Union européenne, l'Agence régionale rendit à nouveau un avis public favorable à l'octroi de l'autorisation.

35.  En l'absence de contestations, le 12 juin 2006, l'Agence régionale octroya à la société une autorisation valable jusqu'en 2012. L'autorisation précisait des seuils des quantités de substances polluantes pouvant être rejetées dans l'atmosphère et était assortie d'une liste de 51 mesures de mise en conformité des installations, complétée par les mesures qui figuraient déjà dans le plan de 1998.

D.  L'impact de la pollution générée par l'activité de la société sur la santé de la requérante

36.  En décembre 1999, la Direction départementale de la santé informa la requérante que l'incidence des maladies, notamment de nature respiratoire, était à Copşa Mică sept fois plus élevée que dans le reste du pays.

37.  Selon un bulletin d'analyses du 20 janvier 2005, la concentration de plomb et de ses dérivés dans le sang de la requérante dépassait les valeurs maximales admises.

38.  Le même jour, la requérante fut hospitalisée présentant plusieurs symptômes parmi lesquelles des toux fréquentes et irritantes, modification de la voix, une asthénie et des troubles de la digestion. Un médecin attesta qu'elle vivait dans un milieu toxique et qu'elle souffrait d'une atteinte du larynx dont la cause pouvait être l'exposition prolongée à des vapeurs toxiques.

II.  LE DROIT INTERNE ET COMMUNAUTAIRE PERTINENT

39.  La loi no 137 du 29 décembre 1995 pour la protection de l'environnement, comporte les dispositions suivantes :

Article 5

« L'Etat reconnaît à toute personne le droit à un environnement sain, tout en garantissant :

a)  l'accès aux informations concernant la qualité de l'environnement (...)

c) le droit de participer à la prise des décisions qui portent sur le développement de la politique et de la législation sur l'environnement, l'octroi des autorisations, y compris pour les plans d'aménagement du territoire et d'urbanisme ;

d)  le droit de s'adresser, directement ou par l'intermédiaire des associations, aux autorités administratives ou judiciaires dans un but de prévention, ou dans le cas d'un préjudice direct ou indirect ;

e) le droit à un dédommagement pour le préjudice subi. »

Article 6

« La protection de l'environnement est une obligation des autorités de l'administration centrale, ainsi que de toute personne physique et juridique (...) »

Article 7

« La responsabilité pour la coordination et le contrôle de la protection de l'environnement revient à l'autorité centrale pour la protection de l'environnement et à ses agences territoriales ».

Article 8 § 5

« Pour que les entreprises ayant des activités en cours qui ne respectent pas la législation sur l'environnement puissent obtenir l'autorisation environnementale (autorizaţie de mediu), l'autorité compétente pour la protection de l'environnement les soumet à une étude d'impact sur l'environnement (bilanţ de mediu) (...) »

Article 9 § 2

« L'autorisation ne peut être octroyée que s'il existe un projet prévoyant la mise en conformité de ces activités avec la législation et l'élimination des conséquences négatives sur l'environnement (...)

Les autorités compétentes veillent au respect des conditions imposées par l'autorisation (...)

La validité de l'autorisation est de 5 ans maximum. »

Article 12

« La possibilité pour le public de s'informer et de participer au processus décisionnel est assuré par l'autorité chargée de la protection de l'environnement qui coopère avec les autres structures de l'administration publique centrale et locale (...)

Celui qui demande une autorisation a l'obligation, sous la supervision des autorités compétentes pour la protection de l'environnement, de porter à la connaissance du public les projets et les activités pour lesquels l'autorisation est demandée. La consultation du public est obligatoire pour l'octroi de l'autorisation. »

40.  Les ordonnances d'urgence du Gouvernement nos 152/2005 et 195/2005 relatives à la protection de l'environnement ont remplacé la loi no 137/1995 et ont transposé en droit interne la directive 96/61/CE du Conseil de l'Union européenne relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution.

41.  Elles ont repris pour l'essentiel la même procédure concernant l'octroi des autorisations. Les nouvelles dispositions permettent aux autorités de délivrer une autorisation pour une durée de plus de cinq ans pour les activités qui ne sont pas conformes à la législation sur l'environnement, à condition que l'exploitant s'engage à respecter un plan d'actions pour la protection de l'environnement. Elles garantissent le droit d'obtenir un dédommagement pour le préjudice subi par toute personne lésée résultant d'une atteinte au droit à un environnement sain.

42.  La directive 96/61/CE prévoit l'obligation pour les Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour que les autorités compétentes s'assurent que les installations industrielles soient exploitées de manière à ce qu'aucune pollution importante ne soit causée. Elle prévoit notamment que les autorités compétentes veillent, par la délivrance des autorisations, à ce que les installations industrielles existantes soient exploitées conformément aux exigences communautaires.

43.  Dans l'annexe VII D du traité d'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, signé le 25 avril 2005 et entré en vigueur le 1er janvier 2007, la société Sometra était mentionnée parmi les entreprises roumaines qui bénéficiaient, jusqu'au 31 décembre 2014, d'une dérogation aux conditions communautaires d'autorisation des installations industrielles, prévues par la directive 96/61/CE. Cependant, la société était tenue de respecter les seuils d'émission de substances polluantes fixés par les normes communautaires.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

44.  Invoquant les articles 6 et 8 de la Convention, la requérante se plaint de ce que la pollution de l'environnement par la société Sometra affecte gravement sa santé et son habitat. Elle se plaint également de la passivité des autorités locales pour prendre des mesures afin de trouver une solution au grave problème que représente la pollution de l'environnement occasionnée par la société susmentionnée.

45.  La Cour estime que les griefs soulevés par la requérante doivent être examinés sous l'angle de l'article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

A.  Sur la recevabilité

46.  Le Gouvernement excipe d'emblée du non-épuisement des voies de recours internes. Il expose qu'en vertu de la loi no 137/1995, la requérante aurait pu porter plainte pénale contre les personnes responsables de la pollution ou aurait pu demander à la société la réparation des préjudices subis. En outre, il soutient que, bien que la requérante ait eu accès à toutes les informations pertinentes, elle a omis de contester et de demander l'annulation de l'autorisation octroyée à Sometra.

47.  La requérante conteste la thèse du Gouvernement.

48.  La Cour rappelle que l'obligation d'épuiser les voies de recours internes se limite à celle de faire un usage normal des recours efficaces, suffisants et accessibles.

49.  La Cour rappelle qu'en vertu de la règle de l'épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d'obtenir réparation des violations qu'il allègue, étant entendu qu'il incombe au Gouvernement excipant du non‑épuisement de convaincre la Cour que le recours invoqué était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible et susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs, et qu'il présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, parmi d'autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV, p. 1210, § 66, et Giacobbe et autres c. Italie, no 16041/02, § 63, 15 décembre 2005). Elle relève qu'à l'occasion de deux affaires portant, comme en l'espèce, sur des allégations relatives aux conséquences de la pollution de l'environnement sur la santé des requérants (Tatar c. Roumanie (déc.), no 67021/01, 5 juillet 2007, et Branduse c. Roumanie, no 6586/03, § 56, 7 avril 2009), elle a déjà rejeté des exceptions similaires à celles que le Gouvernement réitère dans la présente affaire, relatives aux voies pénale, administrative et civile qu'aurait pu emprunter l'intéressée. Or, le Gouvernement n'a fourni ni d'exemples de jurisprudence ni d'autres éléments justifiant de s'écarter, en la présente espèce, des conclusions auxquelles la Cour était parvenue dans les affaires ci-dessus citées.

A supposer que l'exception du Gouvernement concerne également, en l'espèce, les dispositions prévues par l'ordonnance d'urgence no 195/2005 (§§ 40 et 41 ci-dessus), ces dispositions sont postérieures et aux faits dénoncés par la requérante et à la date d'introduction de sa requête (§ 1 ci‑dessus). De surcroît, le Gouvernement est resté en défaut de produire des exemples de jurisprudence démontrant, avec un degré suffisant de certitude, qu'une telle voie présentait des perspectives raisonnables de succès. En tout état de cause, la Cour estime que l'éventuelle condamnation pénale ou civile des auteurs directs de la pollution ne saurait exonérer les autorités internes des obligations qui leur incombent en vertu de l'article 8 de la Convention.

50.  S'agissant de l'omission de demander l'annulation de l'autorisation octroyée à la société, la Cour relève que le grief de la requérante ne concerne pas l'annulation de cette autorisation, mais la passivité des autorités internes afin que la poursuite de l'activité de la société soit conforme aux engagements pris dans cette même autorisation et compatible avec le bien‑être des habitants de Copşa Mică.

51.  Il s'ensuit que l'exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

52.  Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

53.  Le Gouvernement soutient que les autorités internes ont adopté des mesures raisonnables et adéquates pour protéger l'environnement et la santé de la requérante.

54.  A cet égard, il expose que l'octroi de la première autorisation, en 1998, a été assortie d'un plan de mesures visant à réduire la pollution. Ensuite, il soutient que l'octroi de la seconde autorisation, en 2006, s'est fondé sur plusieurs études de l'impact de l'activité de la société sur l'environnement. Il ajoute que l'octroi de l'autorisation a été précédé d'une large campagne d'information et de consultation du public intéressé et que les autorités locales se sont impliquées activement dans les négociations avec la société, ce qui a permis l'établissement d'un programme précis de réduction de la pollution.

55.  Le Gouvernement souligne qu'à partir de 2007, la société a fait l'objet d'une surveillance renforcée de la part des autorités internes. La société a été sanctionnée plusieurs fois et les contrôles effectués l'ont contrainte à mettre en place un système de mensuration quotidienne des substances nocives rejetées, les résultats étant publiés sur le site internet de la société.

56.  Selon le Gouvernement, les habitants de Copşa Mică peuvent désormais porter à la connaissance des autorités locales les nuisances provoquées par Sometra. Ils disposeraient également d'un numéro de téléphone spécial pour signaler ces nuisances directement à la société.

57.  Enfin, le Gouvernement soutient que depuis juillet 2006, la société a démarré un processus approfondi de révision et a engagé des investissements importants qui ont eu pour conséquence le respect des seuils de rejet dans l'atmosphère des poussières et des métaux lourds.

58.  La requérante réitère ses allégations et affirme que la pollution n'a nullement diminué.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour

59.  La Cour rappelle que des atteintes graves à l'environnement peuvent affecter le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale (López Ostra c. Espagne, 9 décembre 1994, § 51, série A no 303‑C et Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 60, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

60.  Par ailleurs, elle souligne que l'article 8 ne se borne pas à astreindre l'Etat à s'abstenir d'ingérences arbitraires de la part des pouvoirs publics : à cet engagement plutôt négatif peuvent s'ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. En tout état de cause, que l'on aborde la question sous l'angle de l'obligation positive de l'Etat d'adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l'individu en vertu du premier paragraphe de l'article 8, ou sous celui d'une ingérence d'une autorité publique, à justifier selon le second paragraphe, les principes applicables sont assez voisins (López Ostra, précité, § 51, et Guerra, précité, § 58).

61.  Il y a, avant tout, pour les Etats, notamment dans le cas d'une activité dangereuse, une obligation positive de mettre en place une réglementation adaptée aux spécificités de ladite activité, notamment au niveau du risque qui pourrait en résulter. Cette obligation doit régir l'autorisation, la mise en fonctionnement, l'exploitation, la sécurité et le contrôle de l'activité en question, ainsi qu'imposer à toute personne concernée par celle-ci l'adoption de mesures d'ordre pratique propres à assurer la protection effective des citoyens dont la vie risque d'être exposée aux dangers inhérents au domaine en cause (voir, mutatis mutandis, Oneryildiz c. Turquie, [GC], no 48939/99, § 90, CEDH 2004-XII).

62.  A cet égard, le processus décisionnel susmentionné doit tout d'abord comporter la réalisation des enquêtes et études appropriées, de manière à prévenir et évaluer à l'avance les effets des activités qui peuvent porter atteinte à l'environnement et aux droits des individus, et à permettre ainsi l'établissement d'un juste équilibre entre les divers intérêts concurrents en jeu (Giacomelli c. Italie, no 59909/00, § 83, CEDH 2006‑XII).

b)  Application de ces principes généraux en l'espèce

63.  La Cour note que la requérante habite à proximité de l'usine Sometra. Elle note également que les effets nocifs pour la santé humaine des substances chimiques dangereuses rejetées dans l'atmosphère par cette usine ont été clairement établis par de nombreux rapports émanant des autorités publiques et privées, ce que le Gouvernement ne conteste d'ailleurs pas. En outre, la requérante a fourni des documents médicaux attestant de l'impact et du lien de causalité entre la pollution et la dégradation de sa santé, en particulier l'intoxication par le plomb et le dioxyde de soufre.

64.  L'incidence directe des émissions nocives sur le droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale permet donc de conclure à l'applicabilité de l'article 8.

65.  Certes, les autorités roumaines et notamment la municipalité de Copşa Mică ne sont pas directement responsables des émissions nocives dont il s'agit. Eu égard aux études d'impact réalisées au moment de l'octroi de l'autorisation environnementale en 2006 et du débat public qui l'a précédée, la Cour ne saurait non plus mettre en doute le sérieux du processus décisionnel et la volonté des autorités locales d'associer les habitants de Copşa Mică à ce processus et d'améliorer leur cadre de vie (voir, a contrario, Tătar c. Roumanie, no 67021/01, § 116, CEDH 2009‑... (extraits)).

66.  Cependant, la Cour rappelle que la requérante se plaint non pas d'un acte, mais d'une inaction de l'Etat. Elle ne dénonce ni la poursuite de l'activité de l'usine en tant que telle ni une absence d'informations sur le niveau de la pollution à Copşa Mică, mais l'incapacité des autorités locales de contraindre la société à réduire la pollution à des niveaux compatibles avec le bien-être des habitants de Copşa Mică.

67.  A cet égard, la Cour observe que chacune des deux autorisations délivrées en 1998 et 2006 était assortie d'une série de mesures précises destinées à réduire la pollution. Or, le Gouvernement n'a apporté aucun élément démontrant que les mesures arrêtées dans ces autorisations ont effectivement été mises en œuvre selon le calendrier prévu.

68.  De surcroît, la Cour note qu'entre les 6 mai 2003 et 12 juin 2006, l'usine Sometra a fonctionné sans l'autorisation environnementale exigée par la législation interne, alors que les autorités locales étaient au courant des graves problèmes de pollution engendrés par la poursuite de son activité.

69.  Il n'incombe pas à la Cour de se prononcer sur l'opportunité d'un éventuel arrêt de l'activité de l'usine afin que celle-ci se conformât aux normes de protection de l'environnement (voir, mutatis mutandis, López Ostra, précité, § 51). Cependant, force est de constater qu'en dépit d'une augmentation de la pollution après la privatisation de l'usine, reconnue par les autorités locales, il ne ressort pas du dossier qu'elles aient pris, avant 2007, des mesures à l'encontre de la société. La réticence à sanctionner la société a été motivée par le fait que des mesures à court terme seraient inefficaces et menaceraient une grande partie des emplois de la région (voir §§ 14 et suivants ci-dessus).

70.  Certes, la Cour ne méconnaît pas l'intérêt que peuvent avoir les autorités internes à maintenir l'activité économique du plus grand employeur d'une ville déjà fragilisée par la fermeture d'autres industries.

71.  Cependant, la Court estime que cet intérêt ne saurait l'emporter sur le droit des personnes concernées à jouir d'un environnement équilibré et respectueux de la santé. L'existence de conséquences graves et avérées pour la santé de la requérante et des autres habitants de Copşa Mică, faisait peser sur l'Etat l'obligation positive d'adopter et de mettre en œuvre des mesures raisonnables et adéquates capables de protéger leur bien-être.

72.  Compte tenu de ce qui précède - et malgré la marge d'appréciation reconnue à l'Etat défendeur - la Cour estime que celui-ci n'a pas su ménager un juste équilibre entre l'intérêt du bien-être économique de la ville de Copşa Mică - celui de préserver l'activité du principal employeur de la ville - et la jouissance effective par la requérante du droit au respect de son domicile et de sa vie privée et familiale (voir, mutatis mutandis, López Ostra, précité, § 58).

73.  Partant, il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

75.  La requérante, qui est représentée par une organisation non‑gouvernementale roumaine de défense des droits de l'homme, n'a pas formulé de demande de satisfaction équitable dans le délai qui lui a été imparti.

76.  Par conséquent, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

1.  Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement ;

2.  Déclare la requête recevable ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mars 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion séparée du juge Zupančič.

J.C.M.
S.Q.


OPINION CONCORDANTE DU JUGE ZUPANČIČ

1.  Je souhaiterais ajouter les remarques suivantes à l'arrêt unanime en l'espèce, auquel je souscris pleinement, compte tenu également de mon opinion dissidente jointe à l'arrêt dans l'affaire Tatar c. Roumanie.

2.  Dans les deux affaires, ce qui se trouve en jeu, c'est le lien de causalité entre la pollution de l'environnement, d'une part, et le dommage réel causé à la santé de la requérante, d'autre part. En bref, la question qui se pose est le lien de causalité entre les deux séries d'événements. Toutefois, dans l'affaire Tatar c. Roumanie, à la différence de la présente affaire, ce lien n'avait apparemment pas été correctement établi. Dans ces deux affaires, ces conclusions sont manifestement subordonnées à une certaine notion de causalité telle qu'elle se trouve définie de manière générale en droit et de manière spécifique dans les deux causes dont il s'agit.

3.  Qui plus est, ces théories ancestrales de la causalité sont en voie d'évolution. Le principe de précaution est un principe constitutionnel dans certains pays (la France, par exemple). Il s'ensuit logiquement qu'il engendre des droits constitutionnels, par exemple le droit à être protégé par la législation aussi bien que par les décisions judiciaires issues du principe constitutionnel de précaution. Il ne fait donc aucun doute que le principe de précaution engendre des droits constitutionnels. Par une projection logique, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et peut-être d'autres dispositions de cet instrument peuvent à leur tour donner naissance à des droits de l'homme qui coïncident avec les droits constitutionnels garantis par un droit interne donné et leur sont consubstantiels.

4.  Se pose la question de savoir comment nous pouvons traduire et transposer le principe de précaution dans une affaire déterminée. La substance de ce principe doit s'envisager sur le plan constitutionnel, voire politique, le plus abstrait. Nous en venons alors aisément à comprendre que le principe de précaution n'a d'autre finalité qu'un simple renversement de la charge de la preuve. Si la théorie du principe de précaution peut sembler compliquée à beaucoup, elle n'est intrinsèquement rien d'autre du point de vue juridique qu'une présomption réfragable (presumptio juris). Au niveau politique le plus abstrait, cette présomption renverse l'hypothèse de bon sens voulant que toute activité industrielle soit inoffensive pour l'environnement et l'individu. Cette hypothèse a été frappée au coin du bon sens de nombreuses décennies après la révolution industrielle. La multiplication des activités chimiques et autres préjudiciables à l'environnement a toutefois fait prendre conscience au niveau politique que l'innocuité de pareilles activités ne peut plus se présumer.

5.  Logiquement, l'extension au niveau politique de cette prise de conscience de bon sens va de pair avec le renversement de la présomption. Dès lors, conformément au principe de précaution, c'est à l'entreprise qui se livre à une activité périlleuse pour l'environnement qu'il incombe de prouver, de préférence à l'avance, que l'activité en question ne sera pas toxique pour l'environnement et, par prolongement, qu'elle ne le sera pas non plus pour l'être humain.

6.  Pareille orientation politique louable peut évidemment à long terme limiter les énormes dommages qui ont d'ores et déjà été causés à l'environnement, par exemple par les pesticides, les phtalates, le PCB, etc. Il reste à se demander si ces dommages peuvent être circonscrits, sans parler de la décontamination rétroactive de l'environnement ainsi que des individus concernés. L'on sait par exemple que des quantités même infimes de plomb dans le corps d'un enfant diminueront radicalement son intelligence et engendreront toutes sortes de conditions neurologiques incompatibles avec la dignité humaine la plus fondamentale dans la mesure où celle-ci est constitutionnellement subordonnée à l'intégrité du corps. A ce sujet, il est de toute évidence absurde d'insister sur la preuve de la causalité pour ce qui est des dommages démontrables subis par l'individu alors que nous savons fort bien que le dommage n'est pas seulement structurel lorsqu'on en vient à la santé telle que la définit l'Organisation mondiale de la santé (c'est-à-dire le bien-être). De plus, l'émission de substances toxiques dans l'environnement va produire toute une série de « chaînes causales », par exemple dans la chaîne alimentaire et dans les écosystèmes de manière générale, avec pour conséquence une dégradation généralisée de la santé humaine, de telle sorte que nul ne pourra jamais en établir la preuve, directement ou indirectement, dans le cas d'un requérant individuel. Ainsi, nous vivons dans un environnement saturé de xénoestrogènes, ce qui a manifestement un impact sur la régression des courbes démographiques constatée partout. Des milliards d'individus sont touchés de diverses manières, et pourtant aucune personne ne peut prétendre que sa stérilité ou son cancer du sein est la « conséquence directe » de l'émission de phtalates dans l'environnement.

7.  On ne saurait donc trop souligner que les droits de l'homme au sens le plus élémentaire du terme sont affectés par la dégradation chimique de l'environnement et que pourtant aucun requérant individuel n'a la capacité de soulever cette question. Paradoxalement, la théorie archaïque du lien de causalité empêche de bénéficier d'une protection juridique même de la part de notre propre Cour face aux atteintes les plus graves portées à la dignité humaine et aux droits de l'homme les plus élémentaires. Si demain quelqu'un venait à revendiquer son droit de l'homme à un environnement sain, alors que celui-ci se dégrade de toutes sortes de façons, il n'aurait aucune qualité pour se présenter devant notre Cour.

8.  Le raisonnement juridique traditionnel, dépassé par l'événement, ne fournit pas de réponse à ce problème patent. Alors que notre Cour traite de toutes sortes de violations techniques des droits de l'homme consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme, cette manière de procéder par autoréférence fait abstraction de la question urgente que pose la réalité palpable, simplement parce que le cadre conceptuel interdit d'intégrer les questions réelles dans le cadre de référence La théorie de la causalité constitue l'une de ces barrières conceptuelles.

9.  Le principe de précaution n'en est pas moins capable de renverser la situation même dans des circonstances spécifiques comme celle des affaires Tatar et Bacila. En présence d'un commencement de preuve de la toxicité de l'environnement pollué, la question qui se pose par rapport au principe de précaution devient celle de savoir si l'Etat partie à la Convention peut ou non défendre de manière convaincante la thèse contraire. Il dispose de tous les moyens pour démontrer l'innocuité de l'environnement ; il peut engager toutes sortes d'experts et ordonner toutes sortes d'expertises scientifiques. L'individu requérant doit donc conserver son droit procédural fondamental à un renversement de la charge de la preuve. Il est tout simplement équitable de renverser la présomption afin de protéger l'individu dans son intégrité physique et dans sa dignité humaine face à un environnement qui ne serait pas dangereusement dégradé si les barrières juridiques et factuelles dont dispose l'Etat étaient mises en place et fonctionnaient selon le principe de précaution.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE BACILA c. ROUMANIE, 30 mars 2010, 19234/04