CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE OLIVIERI c. FRANCE, 11 juillet 2019, 62313/12

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Chronologie de l’affaire

Commentaires7

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P. Eschbach, M2 Prévention Du Risque Pénal Financier, Université De Lorraine · Dalloz Etudiants · 11 octobre 2021

www.bilici-avocat.com · 28 novembre 2019

Dans deux décisions du 11 juillet 2019, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rappelé que les recours de personnes ayant subi une garde à vue avant la réforme de 2011 pour se plaindre d'une atteinte aux exigences conventionnelles, en raison de l'absence d'assistance d'un avocat pendant les interrogatoires en garde à vue et de notification du droit de garder le silence, ne sont considérés comme effectifs qu'à partir des arrêts de l'assemblée plénière de la Cour de cassation du 15 avril 2011. Pour les gardes à vue effectuées avant cette date, la Cour doit donc vérifier si la …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 11 juill. 2019, n° 62313/12
Numéro(s) : 62313/12
Type de document : Arrêt
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 6+6-3-c - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable ; Article 6-3-c - Se défendre avec l'assistance d'un défenseur)
Identifiant HUDOC : 001-194297
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2019:0711JUD006231312
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE OLIVIERI c. FRANCE

(Requête no 62313/12)

ARRÊT

STRASBOURG

11 juillet 2019

DÉFINITIF

11/10/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Olivieri c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Yonko Grozev,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 62313/12) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Noël Olivieri (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 septembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, faute d’avoir bénéficié durant sa garde à vue de l’assistance effective d’un avocat et de la notification de son droit de garder le silence.

4.  Le 14 janvier 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1950 et réside à Ajaccio.

6.  Les 2 août 2004 et 30 mai 2005, le tribunal de commerce d’Ajaccio prononça successivement le redressement et la liquidation judiciaire de la société « Les Bâtisseurs Corses », dont le requérant exerçait la gérance. Par ailleurs, le procureur de la République ouvrit une enquête du chef de banqueroute impliquant cette société.

7.  Dans le cadre de cette enquête, le requérant fut placé en garde à vue le 27 novembre 2007 à 10 heures. Ses droits lui furent notifiés, notamment celui de de pouvoir s’entretenir avec un avocat de son choix, en dehors des interrogatoires et pour une durée limitée à trente minutes, conformément aux dispositions de l’article 63-4 du code de procédure pénale (CPP). Le requérant indiqua aussitôt le nom de son avocat. À 11 heures 15, après une première audition par les fonctionnaires de police, il put s’entretenir avec son avocat. Lors des interrogatoires menés durant sa garde à vue, il fut longuement interrogé sur la situation et l’activité de la société « Les Bâtisseurs Corses », ainsi que sur des comptes bancaires, des factures et des paiements en lien avec l’enquête. Au cours de ces interrogatoires, le requérant indiqua notamment, en réponse aux questions des policiers, qu’un contrat de bail avait été passé entre la société et son épouse, propriétaire d’une résidence, pour la location de locaux commerciaux, ce qui justifiait le paiement des loyers par la société. À l’issue de près de dix heures d’interrogatoire, à la question : « Reconnaissez-vous votre responsabilité pénale ? », il répondit par l’affirmative. Les auditions et la garde à vue prirent fin le jour même, à 21 heures.

8.  Le requérant fut cité devant le tribunal correctionnel d’Ajaccio du chef de banqueroute. Il souleva, avant toute défense au fond et par conclusions écrites, la nullité de la citation et de la garde à vue, ainsi que de la procédure subséquente.

9.  Par un jugement du 28 mai 2010, le tribunal correctionnel déclara l’exception de nullité relative à la citation bien fondée et annula cette dernière. Il ajouta ne pas juger nécessaire de se prononcer sur les autres chefs de nullité soulevés par le requérant.

10.  Le procureur de la République interjeta appel de ce jugement.

11.  Par un arrêt du 30 mai 2011, la cour d’appel de Bastia confirma la nullité de la citation uniquement pour le délit de banqueroute par détournement concernant une partie des faits. Elle rejeta ensuite la demande en nullité de la garde à vue. Elle jugea sur ce point que la nullité, invoquée par référence à l’article 6 de la Convention, ne pouvait être valablement prononcée avant l’entrée en vigueur de la loi devant modifier le régime juridique de la garde à vue (conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010) ou, en l’absence d’une telle loi, avant le 1er juillet. Sur le fond, elle considéra que le requérant n’avait pas démontré que les sommes portées sur son compte courant auraient dû être supportées par la société et notamment qu’il était vain pour lui de prétendre à l’existence de baux conclus entre son épouse et la société « Les Bâtisseurs Corses » pour justifier le paiement de loyers par cette dernière, faute de preuves contractuelles. Elle condamna le requérant à une peine d’emprisonnement d’un mois avec sursis, ainsi qu’à une amende de mille euros (EUR). Le requérant forma un pourvoi en cassation.

12.  Par un arrêt du 21 mars 2012, la Cour de cassation rejeta son pourvoi, aux motifs que si la cour d’appel avait eu tort de ne pas annuler les procès-verbaux d’audition établis en garde à vue, son arrêt n’encourait pas la censure dès lors que pour retenir la culpabilité du requérant les juges ne s’étaient fondés ni exclusivement ni essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de la garde à vue.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Les dispositions légales applicables à l’époque des faits

13.  Les articles pertinents du CPP se lisaient comme suit :

Article 63-1

« Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l’article 63.

Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne gardée à vue ; en cas de refus d’émargement, il en est fait mention.

Les informations mentionnées au premier alinéa doivent être communiquées à la personne gardée à vue dans une langue qu’elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits.

Si cette personne est atteinte de surdité et qu’elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité.

Si la personne est remise en liberté à l’issue de la garde à vue sans qu’aucune décision n’ait été prise par le procureur de la République sur l’action publique, les dispositions de l’article 77-2 sont portées à sa connaissance.

Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences résultant pour les enquêteurs de la communication des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3 doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a été placée en garde à vue. »

Article 63-2

« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, faire prévenir dans le délai prévu au dernier alinéa de l’article 63-1, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur de la mesure dont elle est l’objet.

Si l’officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités de l’enquête, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit. »

Article 63-3

« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois.

A tout moment, le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut d’office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue.

En l’absence de demande de la personne gardée à vue, du procureur de la République ou de l’officier de police judiciaire, un examen médical est de droit si un membre de sa famille le demande ; le médecin est désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire.

Le médecin examine sans délai la personne gardée à vue. Le certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l’aptitude au maintien en garde à vue est versé au dossier.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsqu’il est procédé à un examen médical en application de règles particulières. »

Article 63-4

« Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un avocat. Si elle n’est pas en mesure d’en désigner un ou si l’avocat choisi ne peut être contacté, elle peut demander qu’il lui en soit commis un d’office par le bâtonnier.

Le bâtonnier est informé de cette demande par tous moyens et sans délai.

L’avocat désigné peut communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien. Il est informé par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête.

A l’issue de l’entretien dont la durée ne peut excéder trente minutes, l’avocat présente, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure.

L’avocat ne peut faire état de cet entretien auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue.

Lorsque la garde à vue fait l’objet d’une prolongation, la personne peut également demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la prolongation, dans les conditions et selon les modalités prévues aux alinéas précédents.

Si la personne est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 4o, 6o, 7o, 8o et 15o de l’article 706-73, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de quarante-huit heures. Si elle est gardée à vue pour une infraction mentionnée aux 3o et 11o du même article, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai de soixante-douze heures. Le procureur de la République est avisé de la qualification des faits retenue par les enquêteurs dès qu’il est informé par ces derniers du placement en garde à vue. »

14.  Les dispositions suivantes, relatives à la criminalité et à la délinquance organisées, s’appliquaient également :

Article 706-88

« Pour l’application des articles 63, 77 et 154, si les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relatives à l’une des infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 l’exigent, la garde à vue d’une personne peut, à titre exceptionnel, faire l’objet de deux prolongations supplémentaires de vingt-quatre heures chacune.

Ces prolongations sont autorisées, par décision écrite et motivée, soit, à la requête du procureur de la République, par le juge des libertés et de la détention, soit par le juge d’instruction.

La personne gardée à vue doit être présentée au magistrat qui statue sur la prolongation préalablement à cette décision. La seconde prolongation peut toutefois, à titre exceptionnel, être autorisée sans présentation préalable de la personne en raison des nécessités des investigations en cours ou à effectuer.

Lorsque la première prolongation est décidée, la personne gardée à vue est examinée par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire. Le médecin délivre un certificat médical par lequel il doit notamment se prononcer sur l’aptitude au maintien en garde à vue, qui est versé au dossier. La personne est avisée par l’officier de police judiciaire du droit de demander un nouvel examen médical. Ces examens médicaux sont de droit. Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d’émargement, il en est fait mention.

Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, si la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l’issue des premières quarante-huit heures de garde à vue le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction peuvent décider, selon les modalités prévues au deuxième alinéa, que la garde à vue fera l’objet d’une seule prolongation supplémentaire de quarante-huit heures.

La personne dont la garde à vue est prolongée en application des dispositions du présent article peut demander à s’entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l’article 63-4, à l’issue de la quarante-huitième heure puis de la soixante-douzième heure de la mesure ; elle est avisée de ce droit lorsque la ou les prolongations lui sont notifiées et mention en est portée au procès-verbal et émargée par la personne intéressée ; en cas de refus d’émargement, il en est fait mention. Toutefois, lorsque l’enquête porte sur une infraction entrant dans le champ d’application des 3o et 11o de l’article 706-73, l’entretien avec un avocat ne peut intervenir qu’à l’issue de la soixante-douzième heure.

S’il ressort des premiers éléments de l’enquête ou de la garde à vue elle-même qu’il existe un risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement, le juge des libertés peut, à titre exceptionnel et selon les modalités prévues au deuxième alinéa, décider que la garde à vue en cours d’une personne, se fondant sur l’une des infractions visées au 11o de l’article 706-73, fera l’objet d’une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures, renouvelable une fois.

A l’expiration de la quatre-vingt-seizième heure et de la cent-vingtième heure, la personne dont la prolongation de la garde à vue est ainsi décidée peut demander à s’entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l’article 63-4. La personne gardée à vue est avisée de ce droit dès la notification de la prolongation prévue au présent article.

Outre la possibilité d’examen médical effectué à l’initiative du gardé à vue, dès le début de chacune des deux prolongations supplémentaires, il est obligatoirement examiné par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire. Le médecin requis devra se prononcer sur la compatibilité de la prolongation de la mesure avec l’état de santé de l’intéressé.

S’il n’a pas été fait droit à la demande de la personne gardée à vue de faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe, l’un de ses frères et sœurs ou son employeur, de la mesure dont elle est l’objet, dans les conditions prévues aux articles 63-1 et 63-2, elle peut réitérer cette demande à compter de la quatre-vingt-seizième heure. »

B.  La réforme législative du 14 avril 2011

15.  La loi no 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, entrée en vigueur le 1er juin 2011, a modifié certains articles du CPP (articles 63-1 à 63-4) et créé de nouvelles dispositions (articles 62-2, 62-3, 63 3 1, 63-4-1, 63-4-2, 63-4-3, et 63-4-4). Des modifications ont ensuite été réalisées par les lois no 2014-535 du 27 mai 2014 et no 2016-731 du 3 juin 2016. Dorénavant, la personne placée en garde à vue est immédiatement informée du fait qu’elle bénéficie du droit, d’une part, d’être assistée par un avocat et, d’autre part, lors des auditions et après avoir décliné son identité, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire (article 63-1, 3o, du CPP). Dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à être assistée par un avocat (article 63-3-1, alinéa 1, du CPP). L’avocat désigné peut non seulement communiquer avec la personne gardée à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien pendant trente minutes maximum au début de la mesure et lors de son éventuelle prolongation (article 63-4 du CPP), mais il peut également, lorsque la personne gardée à vue le demande, assister à ses auditions et confrontations (article 63-4-2, alinéa 1, du CPP). Dans certaines hypothèses, il est possible de procéder à une audition immédiate de la personne gardée à vue ou de reporter la présence de l’avocat lors des auditions et confrontations (article 63-4-1, alinéas 3 à 5, du CPP).

C.  L’évolution jurisprudentielle

1.  Le Conseil constitutionnel

16.  Avant la réforme législative de 2011, le Conseil constitutionnel, saisi de questions prioritaires de constitutionnalité transmises par la Cour de cassation, a notamment déclaré les articles 62, 63 et 63-1 du CPP contraires à la Constitution (décision du 30 juillet 2010, no 2010-14/22 QPC). Il a en particulier estimé que l’article 63-4 du CPP, qui ne prévoyait ni la notification du droit de se taire ni le bénéfice de l’assistance effective d’un avocat, imposait de façon générale une restriction aux droits de la défense, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier. Les effets abrogatifs de sa décision furent reportés au 1er juillet 2011, afin d’accorder un délai au législateur pour la mise en conformité de la loi.

2.  La Cour de cassation

17.  Par trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que les dispositions du CPP relatives à la garde à vue ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6 de la Convention  (nos 10‑82.306, 10-85.051 et 10-82.902). Cependant, elle a estimé que, malgré cette inconventionnalité, les juges ne pouvaient en tenir compte dans les dossiers dont ils étaient saisis, estimant que ces règles ne pourraient produire des effets qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi devant intervenir à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010. Dans le cadre des pourvois nos 10-82.306 et 10-85.051, formés par les procureurs généraux des cours d’appel d’Agen et de Poitiers à l’encontre d’arrêts de chambres de l’instruction qui avaient annulé les procès-verbaux de garde à vue et des auditions intervenus pendant celle-ci en raison du défaut d’assistance d’un avocat, la Cour de cassation s’exprima comme suit :

« (...) Attendu qu’en prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Attendu que, toutefois, l’arrêt encourt l’annulation dès lors que les règles qu’il énonce ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ;

Que ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011 ;

Par ces motifs :

Annule l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction (...) en ses seules dispositions ayant prononcé l’annulation et ordonné le retrait du dossier et le classement au greffe de procès-verbaux relatifs et consécutifs à la garde à vue de M. X. (...) »

18.  Dans le cadre du pourvoi no 10-82.902, formé cette fois par une personne mise en examen qui se plaignait du rejet de sa demande d’annulation d’actes par la chambre de l’instruction, malgré le défaut d’assistance par un avocat et l’absence de notification du droit de se taire, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en jugeant ce qui suit :

« Attendu qu’en prononçant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu le texte conventionnel susvisé, d’où il résulte que, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat ;

Attendu que, toutefois, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors que ces règles de procédure ne peuvent s’appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en œuvre, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice ;

Que ces règles prendront effet lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011 ;

D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli (...) »

19.  Toutefois, par quatre arrêts du 15 avril 2011 (Bull. crim., Ass. plén., no 1, 2, 3 et 4), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé, d’une part, que l’article 6 § 1 de la Convention avait été violé, dès lors qu’il exige qu’une personne en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de sa mesure et pendant ses interrogatoires et, d’autre part, que ce constat de violation devait recevoir un effet immédiat pour l’intéressé, sans attendre que la législation soit modifiée. Ainsi, dans le cadre du pourvoi no 10-17.049, elle s’exprima comme suit :

« Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale ;

Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;

(...)

Attendu que pour prolonger la rétention, l’ordonnance retient que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne lient que les États directement concernés par les recours sur lesquels elle statue, que ceux invoqués par l’appelante ne concernent pas l’État français, que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat et que la garde à vue, menée conformément aux dispositions actuelles du code de procédure pénale, ne saurait être déclarée irrégulière ;

Qu’en statuant ainsi alors que Mme X.... n’avait eu accès à un avocat qu’après son interrogatoire, le premier président a violé les textes susvisés ;

(...) »

20.  Par la suite, la Cour de cassation a censuré un arrêt dont les motifs fondaient la déclaration de culpabilité sur des déclarations enregistrées au cours d’une garde à vue, ensuite rétractées, et par lesquelles le prévenu avait contribué à sa propre incrimination sans avoir pu être assisté par un avocat (Cass. crim., 11 mai 2011, Bull. crim., no 97). En outre, après avoir préalablement jugé qu’une personne mise en examen a toujours la faculté de discuter la valeur probante des pièces de la procédure, et donc notamment en lien avec la garde à vue, devant la juridiction de jugement (Cass. crim., 4 janvier 2011, Bull. crim., no 163), elle a jugé de manière constante que lorsqu’une personne a fait l’objet d’une garde à vue sans l’assistance effective d’un avocat ou en l’absence de notification de son droit de se taire, une décision de condamnation ne peut être fondée ni exclusivement ni même essentiellement sur les déclarations recueillies au cours d’une telle garde à vue (cf., notamment, Cass. crim., 6 décembre 2011, Bull. crim., no 247, Cass. crim., 14 février 2012, Bull. crim., no 42, Cass. crim., 30 avril 2014, Bull. crim., no 118, Cass. crim., 16 décembre 2015, Bull. crim., no 608, et Cass. crim., 15 juin 2016, Bull. crim., no 184). Dans un arrêt du 11 décembre 2018 (pourvoi no 18-82.854, à paraître au Bull. crim.), elle a confirmé sa jurisprudence comme suit :

« Attendu que, par arrêts du 15 avril 2011, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a énoncé que les états adhérents à la Convention européenne des droits de l’homme sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation (Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi no 10-17.049, Bull. crim. 2011, Ass. plén., no 1 pourvoi no 10-30.242, Bull. crim. 2011, Ass. plén., no 2, pourvoi no 10-30.313, Bull. crim. 2011, Ass. plén., no 3, Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi no 10-30.316, Bull. crim. 2011, Ass. plén., no 4) ; qu’aux termes de ses arrêts Salduz c/ Turquie et Dayanan c/ Turquie, rendus les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009, auxquels il est fait référence dans les décisions précitées de l’Assemblée plénière, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, pour que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;

Attendu que, si c’est à tort que, pour écarter la demande d’annulation des auditions de Mme Z... et de M. X..., la chambre de l’instruction énonce qu’elles n’étaient pas le support de leur mise en examen, l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure dès lors qu’en l’absence, à la date des mesures critiquées, de jurisprudence établie ayant déduit de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme le droit pour la personne gardée à vue d’être assistée par un avocat lors de ses auditions et l’obligation de lui notifier le droit de garder le silence, l’exigence de prévisibilité de la loi et l’objectif de bonne administration de la justice font obstacle à ce que les auditions réalisées à cette date, sans que la personne gardée à vue ait été assistée d’un avocat pendant leur déroulement ou sans qu’elle se soit vue notifier le droit de se taire, soient annulées pour ces motifs ; qu’il résulte, toutefois, des stipulations de l’article précité de ladite Convention que les déclarations incriminantes faites lors de ces auditions ne peuvent, sans que soit portée une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, fonder une décision de renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité (...) ».

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 3 c) DE LA CONVENTION

21.  Le requérant allègue une violation de la Convention, en ce que sa condamnation pénale fut fondée sur des aveux faits au cours de sa garde à vue, à l’occasion de laquelle il n’a bénéficié ni de la notification de son droit de garder le silence ni de l’assistance effective d’un avocat. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

22.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

23.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Le requérant

24.  Le requérant souligne qu’il a fait l’objet d’une garde à vue d’environ dix heures sans s’être vu notifier son droit de se taire et sans avoir pu bénéficier de l’assistance d’un avocat. Il ajoute qu’à l’issue de la garde à vue, il a répondu « oui » à la question de savoir s’il reconnaissait sa responsabilité. Selon lui, c’est naturellement sur la base de ces déclarations que se sont déroulés les débats devant la juridiction de jugement, compte tenu notamment de la motivation retenue par la cour d’appel. Il estime en outre que la Cour de cassation ne pouvait rejeter son pourvoi en jugeant que les juges ne s’étaient fondés « ni exclusivement ni essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de sa garde à vue » sans méconnaître les énonciations de l’article 6 de la Convention.

b)  Le Gouvernement

25.  Le Gouvernement ne conteste pas, d’une part, que le requérant a été placé en garde à vue sans que lui ait été notifié son droit au silence et, d’autre part, qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance effective d’un avocat pendant ses interrogatoires de garde à vue. Il relève que le requérant a cependant pu s’entretenir avec un avocat pendant trente minutes. Il estime que le droit français présentait néanmoins d’autres garanties procédurales : le requérant a pu faire prévenir son épouse et il aurait pu se faire examiner par un médecin s’il l’avait souhaité. Il considère en outre que le requérant a pu contester la valeur probante des pièces de la procédure devant les juridictions du fond, qui n’auraient pas tenu compte de ses déclarations pour le condamner.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

26.  La Cour renvoie aux principes généraux maintes fois réaffirmés par elle (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 56 et 61-62, CEDH 2008, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, 13 septembre 2016, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, 12 mai 2017 (extraits)), et rappelés récemment dans l’affaire Beuze c. Belgique ([GC], no 71409/10, §§ 119 et s., 9 novembre 2018).

27.  Elle souligne en particulier que, quelle que soit la restriction à l’accès à l’assistance d’un avocat concernée, même si celle-ci découle directement de la loi applicable, elle procède à un examen en deux étapes : d’une part, en vérifiant tout d’abord l’existence ou non de raisons impérieuses de restreindre ce droit, puis, d’autre part, en examinant l’équité du procès dans son ensemble. Par ailleurs, si l’absence de raisons impérieuses ne suffit pas à entraîner une violation de l’article 6, elle commande un contrôle très strict de la Cour, dès lors qu’une telle absence pèse lourdement dans la balance lorsqu’il s’agit d’apprécier globalement l’équité du procès, ce qui peut faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation (Beuze, précité, § 145). Tel est d’autant plus le cas lorsqu’il y a cumul du défaut d’accès à un avocat et du défaut de notification des droits, en particulier du droit de garder le silence : le gouvernement, à qui il incombe d’expliquer de façon convaincante pourquoi, à titre exceptionnel et au vu des circonstances particulières du cas d’espèce, la restriction à l’accès à un avocat n’a pas porté une atteinte irrémédiable à l’équité globale du procès, pourra alors plus difficilement prouver que le procès a été équitable.

28.  Elle rappelle également qu’un certain nombre de facteurs, non limitatifs, doivent être pris en compte s’il y a lieu (Beuze, précité, § 150).

29.  Par ailleurs, dans l’arrêt Beuze (précité), la Cour a précisé que la désignation d’un conseil doit impérativement s’accompagner des deux exigences minimales suivantes : d’une part, le suspect doit pouvoir entrer en contact avec son avocat dès sa privation de liberté, ce qui implique qu’il puisse consulter son avocat préalablement à un interrogatoire, voire en l’absence d’un interrogatoire et que l’avocat puisse s’entretenir avec lui en privé et en recevoir des instructions confidentielles (Simeonovi, précité, § 111, et Beuze, précité, § 133) ; d’autre part, le suspect doit également bénéficier de la présence physique de son avocat durant les auditions initiales menées par la police et durant les interrogatoires ultérieurs menés au cours de la procédure antérieure à la phase de jugement, cette présence devant permettre à l’avocat de fournir une assistance effective et concrète, notamment pour éviter les atteintes aux droits de la défense, et non seulement abstraite (ibidem, § 134).

30.  Enfin, s’agissant des déclarations du suspect, elle rappelle que le droit de ne pas s’incriminer soi‑même ne se limite pas aux aveux au sens strict ou aux remarques le mettant directement en cause : il suffit, pour qu’il y ait auto‑incrimination, que ses déclarations soient susceptibles d’affecter substantiellement la position de celui-ci ; il en est notamment ainsi de déclarations circonstanciées qui orientent la conduite des auditions et interrogatoires (Beuze, précité, §§ 178 et 179).

b)  Application au cas d’espèce

31.  La Cour note tout d’abord que si le requérant a pu s’entretenir avec un avocat durant sa garde à vue, la loi l’y autorisant pour une durée de trente minutes, il n’a bénéficié ni de l’assistance d’un avocat pendant les interrogatoires ni de la notification du droit de garder le silence. Le Gouvernement le reconnaît.

32.  Elle relève ensuite qu’il n’est pas contesté que les restrictions litigieuses résultaient de la loi française applicable au moment des faits. Or, la Cour rappelle que les restrictions à l’accès à un avocat pour des raisons impérieuses ne sont permises durant la phase préalable au procès que dans des cas exceptionnels, et qu’elles doivent être de nature temporaire et reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (Beuze, précité, § 161). Une appréciation individuelle de cette nature était clairement absente en l’espèce, la restriction ayant été de portée générale et obligatoire (ibidem). Quant aux arrêts de la Cour de cassation du 15 avril 2011 et à la loi no 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, le requérant n’a pas pu en bénéficier durant sa garde à vue, qui s’est déroulée en 2007. En outre, le Gouvernement n’a pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient pu justifier les restrictions dont a fait l’objet le droit du requérant et il n’appartient pas à la Cour d’en chercher de son propre chef (Simeonovi, précité, § 130, et Beuze, précité, § 163). Aucune raison impérieuse ne justifiait donc en l’espèce les restrictions susmentionnées.

33.  La Cour doit dès lors évaluer l’équité de la procédure en opérant un contrôle très strict et ce, à plus forte raison, dans le cas de restrictions d’origine législative ayant une portée générale et obligatoire. La charge de la preuve pèse ainsi sur le Gouvernement, qui doit démontrer de manière convaincante que le requérant a néanmoins bénéficié globalement d’un procès pénal équitable (Beuze, précité, § 165). Ainsi qu’il a été rappelé (paragraphe 27 ci-dessus), l’incapacité du Gouvernement à établir des raisons impérieuses pèse lourdement dans la balance et peut faire pencher la Cour dans le sens d’une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c).

34.  Examinant, dans la mesure où ils sont pertinents en l’espèce, les différents facteurs découlant de sa jurisprudence tels qu’ils ressortent des arrêts Ibrahim et autres, Simeonovi et Beuze (précités, respectivement §§ 274, 120 et 150), la Cour note en premier lieu l’absence tant de vulnérabilité particulière du requérant que de coercition exercée sur lui durant la garde à vue. Elle estime ensuite que des considérations d’intérêt public justifiaient la poursuite du requérant, celle-ci ayant pour objet des faits de banqueroute.

35.  En outre, la Cour constate que le requérant, assisté cette fois d’un avocat, a pu faire valoir ses arguments, d’abord devant les juridictions du fond, notamment pour discuter des différents éléments de preuve, en première instance comme en appel, dans le cadre du recours qui lui était ouvert et qu’il a pu exercer, puis devant la Cour de cassation, qui était saisie de son pourvoi.

36.  Elle relève cependant que l’exception de nullité soulevée par le requérant, sur le fondement de l’article 6 de la Convention, en raison du défaut d’assistance d’un avocat durant sa garde à vue, d’abord retenue par le tribunal correctionnel d’Ajaccio, fut ensuite rejetée par la cour d’appel de Bastia le 30 mai 2011 (paragraphe 9 ci-dessus). Celle-ci a a en effet jugé que la nullité ne pouvait être prononcée avant l’entrée en vigueur de la loi du 14 avril 2011 et, partant, en l’absence d’une loi (paragraphe 11 ci-dessus). Elle a ainsi suivi la position retenue par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans ses arrêts du 19 octobre 2010, et ce malgré les quatre arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation prononcés quelques semaines plus tôt, le 15 avril 2011 (paragraphe 20 ci-dessus). La Cour est consciente des difficultés que le passage du temps et l’évolution de sa jurisprudence peuvent entraîner pour les juridictions nationales. Toutefois, s’agissant de l’article 6 §§ 1 et 3 c), elle souligne que cette évolution a été linéaire depuis l’arrêt Salduz (précité ; cf. Beuze, précité, §§ 142 et 161). Or, des dispositions légales susceptibles d’être invoquées par le Gouvernement et prévoyant in abstracto certaines garanties qui auraient pu assurer, à elles seules, l’équité globale de la procédure, ne suffisent pas : la Cour doit examiner si l’application de ces dispositions légales au cas d’espèce a eu concrètement un effet compensatoire rendant la procédure équitable dans son ensemble (Beuze, précité, § 161), en particulier si les juridictions internes ont procédé à l’analyse nécessaire de l’incidence de l’absence d’un avocat à un moment crucial de la procédure (ibidem, §§ 174 et 176). Tel n’a pas été le cas en l’espèce.

37.  S’agissant du droit du requérant de ne pas s’incriminer lui‑même et de l’utilisation des différents éléments de preuve du dossier, la Cour relève l’existence de déclarations et de réponses faites aux enquêteurs qui ont manifestement affecté sa position de manière substantielle dans la procédure. Tout d’abord, le requérant a été interrogé par la police durant environ dix heures au cours de la garde à vue, à la fin de laquelle il a répondu par l’affirmative à la question de savoir s’il reconnaissait sa responsabilité (paragraphe 7 ci-dessus). Ensuite, rien dans la motivation des décisions internes ne permet de considérer que d’autres éléments pourraient être regardés comme des parties intégrantes et importantes sur lesquelles reposaient la condamnation.

38.  En conséquence, rappelant qu’en l’absence de raisons impérieuses justifiant les restrictions constatées, elle est appelée à opérer un contrôle très strict, la Cour considère que ces éléments doivent peser lourdement dans son appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble (Beuze, précité, §§ 178-179). Il en va d’autant plus ainsi en l’espèce que le requérant a été privé à la fois du droit de bénéficier de la présence physique de son avocat durant les interrogatoires menés par la police et de la notification de son droit à garder le silence, ce qui rend encore plus difficile, pour le Gouvernement, de démontrer que le procès a été équitable (Ibrahim etautres, précité, § 273, et Beuze, précité, § 146).

39.  Enfin, s’agissant de l’existence éventuelle d’autres garanties procédurales, la Cour estime que les mesures évoquées à ce titre par le Gouvernement, à savoir le fait que le requérant ait pu faire prévenir son épouse et qu’il aurait pu se faire examiner par un médecin s’il l’avait souhaité (paragraphe 25 ci-dessus), ne sont pas, malgré leur importance, de nature à compenser l’absence d’assistance d’un avocat et le défaut de notification du droit de garder le silence durant la garde à vue.

40.  Compte tenu de ce qui précède et du contrôle auquel elle doit procéder en l’absence de raisons impérieuses, la Cour estime que la procédure pénale menée à l’égard du requérant, considérée dans son ensemble, n’a pas permis de remédier aux lacunes procédurales survenues durant la garde à vue. La Cour estime important de souligner, comme elle l’a fait dans d’autres affaires relatives à l’article 6 § 1 de la Convention dans lesquelles un examen de l’équité globale de la procédure était en cause, qu’elle ne doit pas s’ériger en juge de quatrième instance (Beuze, précité, § 193). Lors de cet examen, elle est toutefois appelée à examiner soigneusement le déroulement de la procédure au niveau interne, un contrôle très strict s’imposant lorsque la restriction au droit d’accès à un avocat ne repose sur aucune raison impérieuse. En l’espèce, c’est la conjonction des différents facteurs précités et non chacun d’eux pris isolément qui a rendu la procédure inéquitable dans son ensemble.

41.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

42.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

43.  Le requérant réclame 5 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

44.  Le Gouvernement considère qu’un constat de violation constituerait, en soi, une satisfaction équitable suffisante au titre du préjudice moral subi par le requérant.

45.  Ainsi que la Cour l’a fait valoir à maintes reprises, le constat d’une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à l’égard du requérant ne permet pas de conclure que celui-ci a été condamné à tort, et il est impossible de spéculer sur ce qui aurait pu se produire si cette violation n’avait pas existé (Beuze, précité, § 199). Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime qu’une constatation de violation suffit et elle rejette dès lors la demande du requérant.

B.  Frais et dépens

46.  Le requérant demande également 2 750,80 EUR pour les frais et dépens engagés devant la cour d’appel de Bastia et 5 980 EUR pour ceux engagés devant la Cour, soit un total de 8 730,80 EUR.

47.  Le Gouvernement estime que la note d’honoraires de 2 750,80 EUR n’étant pas libellée au nom du requérant, ce dernier ne saurait en demander le remboursement. En revanche, il indique qu’il pourrait être fait droit à la demande du requérant à hauteur des 5 980 EUR demandés.

48.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour constate que la note d’honoraires de 2 750,80 EUR, établie à hauteur d’appel, fait expressément référence à la procédure diligentée par le ministère public à l’encontre du requérant, lequel est nommément cité. Partant, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, elle estime raisonnable la somme de 8 730 EUR demandée par le requérant au titre des frais et dépens et la lui accorde.

C.  Intérêts moratoires

49.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ;

3.  Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 730 EUR (huit mille sept cent trente euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juillet 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE OLIVIERI c. FRANCE, 11 juillet 2019, 62313/12