CEDH, Arrêt de chambre Du Roy et Malaurie c. France 03.10.00, 3 octobre 2000

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 3 oct. 2000
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-68585-69053
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Sur les parties

Texte intégral

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

667

3.10.2000

Communiqué du Greffier

ARRÊT DANS L’AFFAIRE DU ROY ET MALAURIE c. FRANCE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a notifié ce jour par écrit son arrêt[1] dans l’affaire Du Roy et Malaurie c. France. Elle a dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 10 (droit à la liberté d'expression) de la Convention européenne des Droits de l’Homme. En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour alloue aux requérants 50.000 Frs pour frais et dépens.

1.  Principaux faits

Les requérants, Albert Du Roy et Guillaume Malaurie, ressortissants français, sont nés respectivement en 1938 et 1952 et résident à Paris.

A l’époque des faits, le premier requérant était directeur de la publication de L’Événement du Jeudi et le second requérant était journaliste au sein du même hebdomadaire.

Dans son numéro daté du 11 au 17 février 1993, L’Événement du Jeudi publia un article signé par le second requérant et intitulé : « Sonacotra : quand la gauche fait le ménage à gauche ». Cet article mettait notamment en cause Michel Gagneux, l’ancien dirigeant de la Sonacotra (société nationale de construction de logements pour les travailleurs) et les relations entretenues par ce dernier avec la nouvelle direction de la Sonacotra, laquelle avait déposé le 10 février 1993 une plainte pénale avec constitution de partie civile contre Michel Gagneux, pour abus de biens sociaux.

Le 11 mars 1993, Michel Gagneux cita les requérants à comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris afin de les voir condamner pour délit de publication d’informations relatives à des constitutions de partie civile, délit prévu et réprimé par l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931.

Par jugement du 9 juillet 1993, le tribunal correctionnel de Paris reconnut la culpabilité des requérants et les condamna chacun à une peine de 3 000 FRF d’amende. Cette condamnation était assortie du versement de dommages et intérêts sur l'action civile de M. Gagneux et de la publication judiciaire du jugement. Le tribunal releva que l’interdiction prévue à l’article 2 de la loi du 2 juillet 1931 est générale et absolue ; il suffit que l’information se rapporte à une plainte avec constitution de partie civile.

Le tribunal indiqua en outre que l’interdiction visait à garantir la présomption d’innocence et à prévenir toute influence extérieure sur le cours de la justice. Il en conclut qu’elle était nécessaire, dans une société démocratique, à la « protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles, ou pour garantir l’autorité ou l’impartialité du pouvoir judiciaire » au sens de l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Le 16 juillet 1993, les requérants interjetèrent appel dudit jugement. Par arrêt du 2 février 1994, la cour d’appel de Paris confirma le principe de la culpabilité des requérants et le montant de la peine d’amende, et réduisit à la somme de un franc les dommages et intérêts dus à Michel Gagneux, partie civile.

Le requérants se pourvurent alors en cassation. Au soutien de leur pourvoi, ils invoquaient, comme devant les juges du fond, la violation de l’article 10 de la Convention. Ils se référaient au caractère général et absolu de l’interdiction de publication qu’ils estimaient disproportionnée à l’objectif poursuivi. Par arrêt du 19 mars 1996, la Cour de cassation déclara l’action publique éteinte du fait de l’intervention d’une loi d’amnistie ; elle rejeta le pourvoi sur l’action civile dont elle s’estima encore saisie.

2.  Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 13 septembre 1996. La requête a été déclarée recevable le 15 juin 1999. L’arrêt a été rendu par une chambre composée de sept juges, à savoir :

Willi Fuhrmann (Autrichien), président,
Jean-Paul Costa (Français),
Loukis Loucaides (Cypriote),
Pranas Kūris (Lituanien),
Françoise Tulkens (Belge),
Karel Jungwiert (Thèque),
Nicolas Bratza (Britannique), juges,

ainsi que Sally Dollé, greffière de section.

3.  Résumé de l’arrêt[2]

Grief

Les requérants se plaignent d'une atteinte à leur droit à la liberté d'expression prévu à l’article 10 de la Convention.


Décision de la Cour

Article 10 de la Convention

La Cour note que les journalistes qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours doivent ne pas franchir les bornes fixées aux fins d’une bonne administration de la justice, et respecter le droit de la personne mise en cause d’être présumée innocente. Cependant, elle observe que l’ingérence litigieuse consiste en une interdiction de publication absolue et générale visant tout type d’information.

La Cour considère que si, comme dans le cas d’espèce, les juridictions internes l’ont estimée justifiée pour protéger la réputation d’autrui et garantir l’autorité du pouvoir judiciaire, cette justification ne paraît pas suffisante lorsque l’on sait qu’elle ne concerne que les procédures pénales ouvertes sur plainte avec constitution de partie civile à l’exclusion de celles ouvertes sur réquisition du parquet ou sur plainte simple. Or, une telle différence de traitement du droit à l’information ne semble fondée sur aucune raison objective, alors qu’elle entrave de manière totale le droit de la presse à informer le public sur des sujets qui, bien que concernant une procédure pénale avec constitution de partie civile, peuvent être d’intérêt public.

En l’espèce, tel était le cas, car cette affaire visait des personnalités du monde politique français et mettait en cause leurs agissements, prétendument frauduleux, à la direction d’une société publique de gestion de foyers d’hébergement pour émigrés. De toute façon, la Cour note que d’autres mécanismes protecteurs des droits des personnes mises en cause rendent non nécessaire l’interdiction absolue prévue par la loi de 1931, tels que les articles 9‑1 du Code civil, 11 et 91 du Code de procédure pénale.

En conclusion, la condamnation des journalistes ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention.

Article 41 de la Convention

La Cour estime que le constat de manquement figurant dans son arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante. Elle accorde aux intéressés 50 000 FRF au titre des frais et dépens.

Les juges Loucaides, Bratza et Costa ont exprimé une opinion séparée dont le texte se trouve joint à l’arrêt.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts :Roderick Liddell (téléphone : (0)3 88 41 24 92)
Emma Hellyer (téléphone : (0)3 90 21 42 15)
Télécopieur : (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée en 1959 à Strasbourg pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Le 1er novembre 1998 elle est devenue permanente, mettant fin au système initial où deux organes fonctionnant à temps partiel, la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme, examinaient successivement les affaires.


[1] L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Pour le reste, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

[2] Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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CEDH, Arrêt de chambre Du Roy et Malaurie c. France 03.10.00, 3 octobre 2000