CEDH, Cour (première section), AFFAIRE LAVRENTIADIS c. GRÈCE, 22 septembre 2015, 29896/13

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 22 septembre 2015

Communiqué de presse sur les affaires 54608/09, 29896/13, 55081/09, 62116/12, 36059/12, 16184/06, 41437/10, 12436/11, 22685/09 et 39472/09…

 

CEDH · 17 septembre 2015

Communiqué de presse sur les affaires 54608/09, 54590/09, 29896/13, 55081/09, 62116/12, 36059/12, 16184/06, 41437/10, 12436/11, 22685/09, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 22 sept. 2015, n° 29896/13
Numéro(s) : 29896/13
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Aleksanyan c. Russie, no 46468/06, § 140, 22 décembre 2008
Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 49, 29 novembre 2011
Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, § 21, série A no 164
Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010
Butusov c. Russie, no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009
Carabuela c. Roumanie, no 45661/99, § 179, 13 juillet 2010
Christodoulou et autres c. Grèce, no 80452/12, 5 juin 2014
Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998 I
Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002
E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181 A
Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004
Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006
Galambos c. Hongrie, no 13312/12, §§ 34-35, 21 juillet 2015
Garcia Alva c. Allemagne, no 23541/94, § 42, 13 février 2001
Hummatov c. Azerbaijan, no 9852/03 et 13413/04, § 116, 29 novembre 2007
Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV
Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI
Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, série A no 318-B
Keenan c. Royaume-Uni, nº 27229/95, § 116, CEDH 2001-III
Khatayev c. Russie, no 56994/09, § 85, 11 octobre 2011
Khodorkovskiy c. Russie, no 5829/04, § 226, 31 mai 2011
Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008
Koutalidis c. Grèce, no 18785/13, § 68, 27 novembre 2014
Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75
Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 33, Recueil 1996 IV
Melnik c. Ukraine, nº 72286/01, §§ 104-106, 28 mars 2006
Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX
Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, CEDH 1999-II
Papastavrou c. Grèce, no 63054/13, § 88, 16 avril 2015
Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 84, CEDH 2000 XII
Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005 XII
Sakhvadze c. Russie, no 15492/09, § 83, 10 janvier 2012
Sakkopoulos c. Grèce, nº 61828/00, § 41, 15 janvier 2004
Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, § 19, 4 juin 2009
Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 33985/96 et 33986/96, § 28, CEDH 2000-IX
Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006 III
Tsitsiriggos c. Grèce, no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012
Tsivis c. Grèce, no 11553/05, § 18, 6 décembre 2007
Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000 XI
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (Article 35-1 - Epuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention ; Contrôle à bref délai) ; Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Garanties procédurales du contrôle ; Contrôle de la légalité de la détention) ; Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel) ; Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-157375
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:0922JUD002989613
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE LAVRENTIADIS c. GRÈCE

(Requête no 29896/13)

ARRÊT

STRASBOURG

22 septembre 2015

DÉFINITIF

22/12/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Lavrentiadis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29896/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Lavrentios Lavrentiadis (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 mai 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Mes G. Kouvela-Piquet et A. Alexandri, avocates à Paris et à Athènes respectivement. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur au Conseil juridique de l’Etat.

3.  Le requérant allègue en particulier une violation des articles 3, pris isolément et combiné avec l’article 13, et 5 § 4 de la Convention.

4.  Le 8 avril 2014, les griefs concernant les articles 3, 13 et 5 § 4 ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1972 et réside à Athènes.

A.  La mise en détention du requérant

6.  Par une décision du 21 mars 2012, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes engagea des poursuites contre le requérant soupçonné d’avoir commis les infractions suivantes : constitution et direction d’une association de malfaiteurs, fraude, détournement de fonds et blanchiment d’argent provenant d’une activité criminelle. Ces infractions auraient été commises à l’occasion de prêts accordés par la Proton Bank dont le requérant détenait 31,3 % du capital. Le procureur interdit aussi au requérant la sortie du territoire.

7.  Par une série de mémoires à la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes, le requérant nia les accusations et demanda, pour des motifs médicaux, la levée de l’interdiction de sortie du territoire.

8.  Par une décision no 1327/2012 du 3 avril 2012, la chambre d’accusation confirma la décision précitée du procureur.

9.  Le 11 avril 2012, le requérant introduisit un recours contre la décision no 1327/2012 devant la chambre d’accusation de la cour d’appel. Il demanda aussi à comparaître personnellement devant elle. Il soulignait que souffrant de graves maladies, il était indispensable pour poursuivre son traitement qu’il puisse se rendre dans des cliniques à l’étranger et qu’une interruption éventuelle de son traitement risquait de provoquer des dommages irréparables à sa santé.

10.  Le 24 mai 2012, le requérant comparut personnellement devant la chambre d’accusation de la cour d’appel. Il y déposa, en plus des différents certificats médicaux déjà présents dans le dossier, un certificat récent du 21 mai 2012 (voir paragraphe 18 ci-dessous).

11.  Par une décision no 1618/2012 du 20 juin 2012, la chambre d’accusation rejeta le recours du requérant et maintint l’interdiction de sortie du territoire. Elle releva qu’il n’y avait aucun besoin immédiat et prévisible pour le requérant de se rendre pour un traitement précis à l’hôpital universitaire de Mainz, en Allemagne. Le requérant ne disposait d’aucun recours contre cette décision.

12.  Le 14 décembre 2012, le juge d’instruction ordonna la mise en détention provisoire du requérant. Lors de son audition, qui avait eu lieu à l’hôpital Evangelismos où il était hospitalisé pour ses problèmes cardiaques, le requérant contesta cette décision. Il exposa la gravité de son état de santé et souligna qu’il avait pu le stabiliser en se rendant régulièrement pour des traitements dans des centres médicaux spécialisés, notamment en Allemagne. Or, le fait qu’il avait dû interrompre ces traitements lorsque le procureur lui imposa l’interdiction de sortie du territoire avait contribué à aggraver son état.

13.  Le 14 décembre 2012, le requérant fut transféré à la prison de Korydallos et, le 22 janvier 2013, en raison de son état de santé, il fut admis à l’hôpital psychiatrique de cette prison où il séjourna jusqu’au 24 juin 2014, date de sa mise en liberté.

B.  L’état de santé du requérant

14.  Le requérant souffre depuis 1988 d’une maladie auto-immune chronique, la polyarthrite rhumatoïde juvénile, avec thrombopénie et amylose de forme lourde. La maladie provoqua des handicaps au niveau de la mobilité du requérant, affectant définitivement la quasi-totalité de ses articulations, sa colonne vertébrale, ses articulations sacro-iliaques, les phalanges de tous ses membres, ses genoux et ses chevilles, soit au total trente-quatre de ses articulations. Ces lésions le rendent incapable de s’occuper de lui-même pour ses besoins vitaux et de manier lui-même son fauteuil roulant. Le requérant souffre aussi d’un syndrome respiratoire qui lui provoque des attaques paroxystiques d’essoufflement et des reflux gastro-œsophagien ainsi que d’une dépression avec tendances suicidaires. Enfin, il est atteint d’uvéite récurrente avec des crises périodiques au niveau des yeux tandis que son appareil urinaire est gravement affecté à cause des différents traitements.

15.  En 1994, la maladie du requérant eut une phase d’aggravation atteignant particulièrement les membres supérieurs et inférieurs. En 1995, elle avait endommagé toutes les articulations de manière irréversible, ce qui rendit nécessaire le traitement permanent avec des médicaments cytostatiques et un suivi médical continu en raison des effets secondaires.

16.  En 2003, en raison d’une rechute, le requérant se rendit dans un centre médical spécialisé à Genève. De même, en 2011, il fut admis à l’hôpital Asklipieio où l’on constata qu’il avait subi des dommages irréversibles à la colonne vertébrale et aux articulations provoquant l’impossibilité de se tenir débout et de marcher. Pour faire face aussi à des lésions cardio-vasculaires issues de la maladie, il se rendit à l’hôpital universitaire de Mainz pour un traitement biologique spécifique.

17.  En 2012, il subit également un accident vasculaire cérébral.

18.  Dans le certificat du 21 mai 2012 (voir paragraphe 10 ci-dessus), le médecin légiste S.T. constatait que le requérant avait un taux d’infirmité permanent de 67 %, qu’il ne pouvait se déplacer qu’avec l’aide d’un tiers ayant des connaissances particulières pour ce type d’infirmité et que son état général se dégradait progressivement pouvant aboutir au décès si les valvules cardiaques étaient atteintes. Le médecin légiste précisait que le requérant avait besoin d’être suivi par une équipe de spécialistes, rhumatologues, orthopédistes, ophtalmologistes, cardiologues et psychiatres. Parmi les recommandations, il soulignait que tout stress, fatigue physique et modification défavorable de l’environnement de vie pourraient déclencher une nouvelle aggravation de la maladie avec des résultats imprévisibles.

C.  Les conditions de détention du requérant

1.  La version du requérant

19.  Le requérant souligne qu’en raison de son infirmité il passait ses journées sur une chaise roulante qu’il ne pouvait pas manier lui-même en raison de son manque total d’autonomie, de la déformation de ses mains et de l’ankylose de ses coudes. Pour se déplacer, il devait être aidé par un codétenu.

20.  Il séjourna dans une cellule de 9 m² au troisième étage de la prison, qui comprenait une toilette à la turque, sans cuvette, qu’il ne pouvait pas utiliser car il ne pouvait pas se tenir debout. L’espace de détention n’était ni nettoyé ni désinfecté. Plusieurs de ses codétenus souffraient de maladies infectieuses comme le sida ou l’hépatite B et C. Le stock de seringues à sa disposition était accessible aux détenus dont plusieurs étaient toxicomanes.

21.  Le requérant affirme que pendant sa période de détention, son état de santé s’aggrava en raison de l’arrêt de ses traitements ainsi que des mauvaises conditions de détention. En particulier, l’ankylose des membres supérieurs et inférieurs se serait accrue et le taux d’infirmité aurait atteint 80 %. En outre, il aurait subi plusieurs infections des voies respiratoires, une pneumonie et une thrombo-embolie ainsi qu’une baisse considérable des plaquettes, ce qui peut être fatal pour toute personne souffrant des mêmes pathologies. Toutes ces complications furent constatées au sein de l’hôpital psychiatrique, mais ne pouvaient pas être traitées par le personnel de l’hôpital. Pour cette raison, le requérant fit appel à des médecins de son choix qui venaient de l’extérieur. Toutefois, ces derniers ne pouvaient pas introduire dans la prison les appareils nécessaires au traitement du requérant, tels des appareils de kinésithérapie, d’hyperthermie et de balnéothérapie.

2.  La version du Gouvernement

22.  L’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos emploie trois infirmiers et six gardiens qui assument aussi les fonctions d’infirmiers pour les trois cents détenus de cet hôpital. Afin de satisfaire les besoins biologiques du requérant et ayant tenu compte des recommandations de ses médecins traitants, le ministère de la Justice avait désigné un codétenu du requérant pour l’assister 24h/24. Ce codétenu assumait les fonctions d’aide infirmier et était considéré comme exerçant un travail en prison. Le Gouvernement soutient, en outre, qu’en aucune occasion le personnel soignant de l’hôpital avait refusé une aide supplémentaire au requérant.

23.  Le requérant fut placé au troisième étage pour empêcher qu’il n’entre en contact avec d’autres détenus séjournant aux autres étages et ayant des problèmes de santé graves risquant ainsi de provoquer l’aggravation de son état. Sa cellule avait une superficie de 10,70 m². L’unique alternative aurait été de le placer dans une chambrée de 33,70 m² qu’il aurait dû partager avec cinq autres détenus, lui attribuant ainsi un espace personnel de 5,60 m².

24.  La cellule ne disposait pas de WC pour personnes ayant des problèmes de motricité. Toutefois, il y avait au rez-de-chaussée un WC pour les fonctionnaires handicapés de l’hôpital et dont l’usage par le requérant avait été autorisé. Au troisième étage, il y avait aussi des salles de bains appropriées à l’état du requérant.

25.  Les espaces communs de l’hôpital étaient nettoyés deux fois par jour (midi et soir) par les détenus qui travaillaient comme agents de propreté. Les cellules et les chambrées étaient aussi nettoyées une fois par jour, assurant ainsi des conditions d’hygiène satisfaisantes.

26.  Les détenus dans l’hôpital psychiatrique présentaient surtout des problèmes psychiatriques, par définition non contagieux. Il est vrai que certains détenus étaient atteints d’autres maladies mais non infectieuses.

3.  Les certificats médicaux et l’attestation de la directrice de l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos

27.  Le requérant produit un grand nombre des certificats médicaux inclus dans son dossier médical à l’hôpital psychiatrique et établis par plusieurs médecins : Dr C.S., médecin légiste et professeur à l’université de médecine d’Athènes, Dr G.S., orthopédiste, Dr A.M., rhumatologue, Dr D.R., neurochirurgien, Dr L.P., pneumologue, Dr P.B., professeur de pneumologie, Dr S.T., médecin légiste et médecin de la Santé publique, Dr P.K., médecin légiste. Tous attestaient de l’aggravation de sa maladie et de son état de santé en raison de nombreuses crises inflammatoires poly-articulaires et de l’impossibilité de les traiter dans cet hôpital et dans des conditions de détention.

28.  Le 22 mai 2014, le psychiatre de l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos établit, à la demande du Gouvernement, un certificat médical : concernant les problèmes psychiatriques du requérant, il décrivait les symptômes et le traitement prescrit et concluait que l’état général du requérant présentait une certaine amélioration. Toutefois, il relevait que les pathologies dues à la polyarthrite rhumatoïde constituaient un problème plus complexe et soulignait que les diagnostics des médecins spécialistes étaient particulièrement inquiétants. Il concluait que la durée de la détention avait une influence négative et rendait incertaine toute prévision concernant l’évolution de la maladie.

29.  Dans une attestation établie, à la demande du requérant, par la directrice de l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos, celle-ci soulignait ce qui suit :

« (...)

Le détenu dont il s’agit souffre de maladies décrites en détail dans son dossier médical. En raison de la combinaison de ces maladies et, en particulier, de la déformation des os, de l’incapacité de se mouvoir, mais aussi du non-fonctionnement des doigts (torsion des extrémités), il est cloué dans un fauteuil roulant, sans pouvoir se déplacer et sans pouvoir être autonome pour satisfaire ses besoins quotidiens (s’habiller, se déplacer, se nourrir, se rendre aux toilettes et faire sa toilette etc.). Les services administratifs et médicaux, les assistants sociaux et les espaces destinés aux visites se trouvent au rez-de-chaussée, alors que les lieux de détention sont situés aux étages du bâtiment.

En conséquence, et en l’absence de personnel soignant, les déplacements de l’intéressé par la cage d’escalier du bâtiment se font sur les épaules de ses codétenus, qui l’assistent dans la mesure du possible pour chacun d’entre eux ... L’hôpital ne dispose pas de personnel pour faire face à une telle situation. »

D.  Les recours devant les autorités compétentes

30.  Le 18 décembre 2012, le requérant saisit la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes d’un recours contre la décision le plaçant en détention. Il demandait la levée de sa détention, son remplacement par des mesures compatibles avec son état de santé et même qu’il soit assigné à résidence quitte pour lui de financer un système de bracelet pour être sous le contrôle des autorités. Le 4 janvier 2013, il demanda à comparaître personnellement devant la chambre d’accusation afin que celle-ci constate la détérioration de son état de santé et son degré d’infirmité.

31.  Le 8 janvier 2013, le procureur envoya à la chambre d’accusation son avis, négatif, sur le bien-fondé de la demande et la demande de comparution personnelle. Cette dernière délibéra le 7 mars 2013 hors la présence des parties.

32.  Le 15 mars 2013, la chambre d’accusation rejeta les deux demandes précitées (décision no 1327/2013). Plus particulièrement, en ce qui concernait la mise en liberté sous condition, la chambre d’accusation entérina la proposition de rejet faite par le procureur en ces termes :

« Le problème de santé concret auquel doit faire face l’accusé ne peut pas conduire à la décision de lever la détention provisoire car, comme lui-même l’admet, il reçoit déjà le traitement médicamenteux requis, traitement qu’il peut continuer à prendre en prison. L’accusé a, en outre, la possibilité de se faire hospitaliser tant à l’hôpital de la prison de Korydallos où il est détenu provisoirement, que dans un autre hôpital, s’il fallait traiter un sérieux problème de santé qui pourrait se présenter à l’avenir. »

33.  Quant à la demande de comparution personnelle, la chambre d’accusation souligna que l’article 309 § 2 du code de procédure pénale prévoyait que celle-ci délibérait hors la présence du procureur et des parties et que ce n’était que dans des circonstances exceptionnelles que ceux-ci pouvaient être appelés à comparaître. Or, l’exception au principe s’appliquait seulement lorsque la chambre d’accusation était appelée à se prononcer sur le fond de l’affaire après la fin de l’instruction et chaque fois que celle-ci le considérait comme nécessaire. Toutefois, la demande du requérant visant à faire constater son état de santé et à étayer sa proposition d’être mis en liberté sous condition ne tombait pas dans le champ d’application de l’exception précitée.

34.  Le 23 avril 2013, le requérant saisit le juge d’instruction d’une demande tendant à sa mise en liberté sous condition. Il invoquait l’aggravation de son état de santé et les dommages irréparables qu’il avait subi en raison de sa détention. Il joignait trois avis médicaux établis par trois médecins légistes différents.

35.  Le 30 mai 2013, le juge d’instruction rejeta la demande (décision no 346/2013). En ce qui concernait son état de santé, il releva que la santé du requérant avait été sérieusement endommagée, que son handicap ne lui permettait pas d’accomplir tout seul ses besoins basiques au sein de la prison et que son maintien en détention risquait de lui provoquer une infection qui pourrait avoir des conséquences néfastes pour sa vie. Il releva aussi l’avis de ses médecins traitants selon lequel sa mise en liberté et son transfert à son domicile, dans une pièce aménagée et stérilisée, constituait la seule solution possible pour éviter une aggravation supplémentaire de son état. Toutefois, il considéra que ces médecins n’expliquaient pas suffisamment pour quels motifs le transfert du requérant dans un hôpital public ou même privé ne serait de nature à lui assurer des soins adéquats et des conditions de vie adaptées à son état. Il conclut qu’il ne ressortait pas du dossier que cet état était tel que le requérant ne pouvait être traité qu’en étant en liberté. Il releva, par ailleurs, qu’il était toujours loisible au requérant de demander aux autorités de le transférer dans un hôpital public ou privé.

36.  Le 6 juin 2013, le requérant introduisit un recours contre cette décision devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes. Par une décision no 3193/2013 du 5 juillet 2013, la chambre d’accusation rejeta le recours, par des motifs similaires à ceux du juge d’instruction, et prolongea la détention provisoire du requérant pour une période de six mois.

37.  La détention provisoire du requérant fut encore prolongée pour une nouvelle période de six mois par la décision no 2445/2013 de la chambre d’accusation de la cour d’appel.

38.  Le 24 juin 2014, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel ordonna la mise en liberté du requérant sous condition (décision no 2052/2014).

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

39.  Les articles pertinents du code de procédure pénale disposent :

Article 285 – Recours de la personne en détention provisoire

« 1.  Contre le mandat de mise en détention provisoire (...), l’accusé peut recourir devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel. Le recours s’effectue dans un délai de cinq jours à compter de la mise en détention (...). Le recours est transmis au procureur près le tribunal correctionnel et celui-ci l’introduit sans tarder avec sa proposition à la chambre d’accusation qui décide de manière définitive.

(...)

4.  La chambre d’accusation peut lever la détention provisoire ou la remplacer par des mesures restrictives (...) »

Article 309 – Compétence de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel après la fin de l’instruction

« 1.  La chambre d’accusation peut, dans un délai de deux mois ou, si le paragraphe suivant s’applique, dans un délai de trois mois à compter de l’avis du procureur : a)  décider de ne pas maintenir l’accusation ; b)  mettre fin de manière définitive aux poursuites pénales ; c)  suspendre les poursuites pénales mais seulement pour les crimes d’homicide volontaire, de vol avec violences, d’exaction, de vol (...) et d’incendie volontaire ; d)  ordonner un complément d’instruction et e)  renvoyer l’accusé en jugement devant le tribunal compétent.

2.  La chambre d’accusation délibère en dehors de la présence du procureur et des parties. Dans des cas exceptionnels, si elle l’estime nécessaire, elle peut ordonner la comparution de toutes les parties et, dans ce cas, aussi celle du procureur. Si, après la fin de l’instruction et le dépôt des documents auprès du procureur, une des parties dépose auprès de la chambre des documents ou d’autres éléments de preuve, la chambre, si elle considère que ceux-ci peuvent influencer de manière décisive l’élucidation de l’affaire, doit convoquer les autres parties ou leurs représentants, pour que ceux-ci en soient informés et soumettent leurs observations dans un délai fixé par elle. »

Article 572 – Qui exerce la tutelle et comment

« 1.  Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée, exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes.

2.  En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition ».

40.  Les dispositions pertinentes du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi :

Article 6

« 1.  Les détenus ont le droit de s’adresser par écrit et dans des intervalles raisonnables au Conseil de la prison, en cas d’acte ou d’ordre illégaux à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal compétent de l’exécution des peines. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de pallier l’acte ou l’ordre illégal (...). »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

41.  Le requérant se plaint, d’une part, que la chambre d’accusation du tribunal correctionnel a rejeté sa demande de comparaître personnellement devant elle afin que celle-ci constate son état de santé, et, d’autre part, qu’il lui a fallu quatre-vingt-sept jours pour se prononcer sur la légalité de la détention. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention aux termes duquel :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A.  Sur la recevabilité

42.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B.  Sur le fond

1.  Quant au « bref délai »

43.  Le Gouvernement souligne que la période qu’il a fallu à la chambre d’accusation pour se prononcer sur le recours du requérant introduit le 18 décembre 2012 ne saurait être considérée comme excessive, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et notamment du volume considérable du dossier comportant des milliers des pages, du grand nombre de coaccusés et de l’importance et de la complexité de l’affaire.

44.  Le requérant soutient que la période précitée n’a été compatible ni avec l’article 285 § 1 du code de procédure pénale ni avec l’article 5 § 4 de la Convention.

45.  La Cour rappelle d’abord que les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4 de la Convention, requièrent une diligence particulière et que les exceptions à l’exigence de contrôle « à bref délai » de la légalité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). La question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181‑A, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33-37, série A no 75), en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne ainsi que du comportement du requérant au cours de celle-ci (Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

46.  La Cour rappelle en outre que la nature même de la détention provisoire appelle de la part du juge compétent qu’il statue à bref délai, la mesure en cause étant fondée pour l’essentiel sur les besoins d’une instruction à mener avec célérité (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, § 21, série A no 164).

47.  En l’espèce, la Cour note que, le 18 décembre 2012, le requérant a demandé sa mise en liberté sous condition, arguant que vu son état de santé il devait bénéficier de cette mesure. Le procureur a formulé son avis le 8 janvier 2013. La chambre d’accusation a délibéré le 7 mars 2013 et a rendu sa décision le 15 mars 2013.

48.  La Cour estime que le laps de temps écoulé – soit un délai de quatre-vingt-sept jours – n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention. Á titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, § 84, CEDH 2000‑XII), Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), Tsitsiriggos c. Grèce (no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012) et Christodoulou et autres c. Grèce (no 80452/12, § 70, 5 juin 2014), elle a conclu à la violation de cet article pour des durées de vingt-trois, vingt, vingt-deux et quarante-sept jours respectivement.

49.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à cet égard.

2.  Quant à l’égalité des armes et au principe du contradictoire

50.  Le Gouvernement souligne que, conformément à l’article 309 du code de procédure pénale, les chambres d’accusation délibèrent en dehors de la présence du procureur et des parties et que la présence du procureur est requise seulement lorsque celles-ci estiment nécessaire la comparution de l’accusé. En l’occurrence, le procureur n’a pas été présent à la délibération pendant laquelle la chambre d’accusation a examiné la demande de mise en liberté du requérant. En outre, cette dernière a répondu expressément à la demande du requérant de comparaître devant elle (paragraphe 33 ci-dessus).

51.  Le requérant souligne que les dispositions pertinentes du code de procédure pénale ne prévoient pas expressément la communication des arguments et de la proposition faite par le procureur à la chambre d’accusation, relatifs au maintien ou à la levée de la détention, au détenu ou à son avocat. Il affirme que la jurisprudence interprète de plus en plus restrictivement l’article 309 précité de manière à limiter le droit de comparution personnelle du détenu devant la chambre d’accusation dans le cadre de l’examen d’une demande de mise en liberté.

52.  La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III, et Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI). La Cour rappelle également que, s’il est vrai qu’un recours contre une décision portant sur la détention provisoire doit en principe accorder au détenu les mêmes garanties en appel qu’en première instance, il ne faut pas perdre de vue le caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4, notamment l’exigence de célérité, ainsi que le risque d’une certaine paralysie de la procédure pénale si l’inculpé devait être entendu à chaque fois qu’il introduit une demande d’élargissement (Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 49, 29 novembre 2011).

53.  La Cour relève que le droit interne grec pertinent à ce sujet a évolué depuis l’arrêt Kampanis c. Grèce (13 juillet 1995, série A no 318-B). En particulier l’article 309 § 2 du code de procédure pénale a été modifié et prévoit désormais que la chambre d’accusation délibère hors la présence des parties et du procureur. Toutefois, cet article prévoit aussi que la chambre d’accusation peut, dans des circonstances exceptionnelles, décider de les convoquer à comparaître ensemble.

54.  La Cour constate que le 4 janvier 2013, le requérant demanda à comparaître personnellement devant la chambre d’accusation afin que celle-ci constate la détérioration de son état de santé et son degré d’infirmité. Le 8 janvier 2013 le procureur envoya à la chambre d’accusation son avis sur le bien-fondé de la demande et la demande de comparution personnelle. Cette dernière délibéra le 7 mars 2013 hors la présence des parties. Elle rejeta la demande de comparution au motif que le procureur et les parties pourraient, le cas échéant, être présents seulement lorsque la chambre d’accusation était appelée à se prononcer sur le fond de l’affaire après la fin de l’instruction et chaque fois que celle-ci le considérait comme nécessaire. Elle a aussi considéré qu’une demande visant à faire constater l’état de santé d’un détenu malade et à étayer sa proposition d’être mis en liberté sous condition ne tombait pas dans le champ d’application de l’exception prévue à l’article 309 du code de procédure pénale (paragraphe 33 ci-dessus).

55.  La Cour estime cependant que, dans la présente affaire, l’état de santé et le taux d’invalidité du requérant – le motif justifiant selon lui sa comparution personnelle (paragraphe 30 ci-dessus) – constituaient de telles circonstances exceptionnelles, comme le précise l’article 309 précité, qui pouvaient justifier la comparution des parties (voir aussi Christodoulou et autres, précité, § 77). La comparution personnelle du requérant était d’autant plus importante que la proposition du procureur quant à la demande de mise en liberté du requérant n’a pas été communiquée au requérant, avant la délibération de la chambre d’accusation, afin que celui-ci puisse prendre connaissance des arguments du procureur qui préconisait le rejet de la demande, et les réfuter (Garcia Alva c. Allemagne, no 23541/94, § 42, 13 février 2001 ; Khodorkovskiy c. Russie, no 5829/04, § 226, 31 mai 2011 ; Galambos c. Hongrie, no 13312/12, §§ 34-35, 21 juillet 2015).

56.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention sur ce point.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

57.  Le requérant se plaint que sa mise en détention était incompatible avec son état de santé et a causé l’aggravation de celui-ci. Il se plaint, en outre, d’avoir subi quotidiennement un traitement dégradant car, en raison de son infirmité, il n’avait aucune autonomie et il lui était impossible de faire ses besoins sans l’aide d’une tierce personne. De surcroît, il se plaint de l’absence de recours effectif au travers duquel il aurait pu dénoncer les insuffisances quant à son traitement médical dans l’hôpital psychiatrique de la prison. Il allègue une violation des articles 3 et 13 de la Convention, dispositions ainsi libellées :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A.  Sur la recevabilité

58.  Le Gouvernement soutient que l’ordre juridique grec offrait au requérant des recours effectifs pour qu’il dénonce ses conditions de détention et notamment la qualité des soins dispensés, mais dont celui-ci n’a pas fait usage. Ainsi, le requérant aurait pu saisir le conseil de la prison en application de l’article 6 du code pénitentiaire et, en cas de rejet de ses demandes, introduire une action devant le tribunal correctionnel compétent (Tsivis c. Grèce, no 11553/05, § 18, 6 décembre 2007 ; Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, § 19, 4 juin 2009). En outre, l’article 572 du code de procédure pénale reconnaissait au requérant le droit de s’adresser au procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité qui, de plus, est censé visiter la prison au moins une fois par semaine. Enfin, il aurait pu s’adresser au procureur près la cour d’appel qui siège à l’intérieur même de la prison de Korydallos et surveille la bonne application des dispositions du code pénitentiaire et, en particulier, celles qui assurent le respect de la dignité humaine et l’exercice des droits garantis par ce code, y compris les soins médicaux.

59.  Le requérant admet qu’il n’a pas fait usage de ces recours parce qu’ils sont d’interprétation étroite et ne se rapportaient pas à sa demande principale de faire lever sa détention provisoire. Toutefois, dans sa décision no 1327/2013 rejetant le recours du requérant relatif à sa mise en liberté, la chambre d’accusation n’a pas examiné, comme elle avait l’obligation, de par les dispositions du code de procédure pénale, la possibilité d’ordonner des mesures alternatives à la détention. La chambre d’accusation a donc ignoré complètement son état de santé dramatique et son handicap.

60.  La Cour estime que l’exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé sur le terrain de l’article 13 de la Convention et décide de la joindre au fond.

61.  Elle constate par ailleurs que les griefs tirés des articles 3 et 13 ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Le Gouvernement

62.  Le Gouvernement affirme que les problèmes relatifs aux soins du requérant concernaient plutôt son état pathologique et non son état psychiatrique. Ce dernier avait été traité de manière efficace par des médicaments et des consultations. L’hôpital psychiatrique ne disposait pas du personnel médical spécialisé pour faire face à des handicaps comme ceux dont souffrait le requérant. Celui-ci était suivi par le médecin généraliste de l’hôpital, et suite à sa demande, il recevait la visite de l’extérieur de médecins de spécialités diverses. Ces médecins ont constaté les crises inflammatoires successives de la maladie et l’aggravation de l’état de santé du requérant mais ont aussi confirmé que ni l’hôpital psychiatrique de la prison de Korydallos, ni aucune autre prison n’était en mesure d’offrir les soins (hydrothérapie, thermothérapie, kinésithérapie, cure thermale etc.) dont avait réellement besoin le requérant.

63.  Sans contester la gravité de la pathologie du requérant, le Gouvernement soutient que cette pathologie pouvait être traitée dans un hôpital public où le requérant aurait pu être transféré au besoin, comme le prévoit le code pénitentiaire. Dans un hôpital public, tant les soins médicaux que les conditions de vie auraient été meilleurs. Sa perte musculaire aurait pu être mieux mesurée et son handicap aurait pu être atténué. Du reste, son hospitalisation dans une chambre d’hôpital n’aurait comporté aucun risque d’infection nosocomiale car son traitement consistait seulement en la prise des médicaments. Toutefois, le requérant a refusé de mettre en œuvre la procédure pour être transféré dans un hôpital public ou de se laisser transférer par les autorités.

64.  Le Gouvernement souligne que la direction de l’hôpital psychiatrique de la prison a tenu compte des avis des médecins qui suivaient le requérant et a pris une série des mesures : le requérant a été placé dans une cellule et non dans une chambrée pour éviter l’exposition à des microbes ; il a été autorisé à utiliser la toilette pour handicapés ; un codétenu a été désigné pour l’assister 24h/24 ; toutes les demandes pour se faire examiner par des médecins de son choix ont été approuvées par le conseil de la prison.

b)  Le requérant

65.  Le requérant dénonce ses conditions de détention dans l’hôpital psychiatrique et notamment le fait que pour tous ses déplacements au sein de celui-ci et même pour faire ses besoins les plus élémentaires, il dépend du bon vouloir de ses codétenus qui doivent le transporter sur leurs épaules. Il souligne que son état de santé n’était pas susceptible de guérison et que son seul espoir était de le voir stabilisé, ce qui était impossible dans l’hôpital psychiatrique de la prison. En raison des complications de sa maladie et de son traitement lourd, il a besoin d’une surveillance médicale régulière et étroite par des médecins spécialisés et d’un matériel médical adapté dont l’hôpital était pourtant dépourvu. Le requérant énumère longuement en termes médicaux les manifestations de l’aggravation de son état de santé depuis sa mise en détention. Il précise que le traitement qui lui était administré devait l’être dans un environnement protégé, loin des personnes souffrant de tuberculose et d’autres maladies infectieuses. Enfin, il souligne que l’intervention des médecins de son choix qui se rendaient à l’hôpital psychiatrique se limitait à soigner les différentes complications de son état, telles la pneumonie, les bronchites, les blessures suite aux chutes et les escarres.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Sur le grief tiré de l’article 3 de la Convention

i.  Principes généraux

66.  S’agissant de personnes privées de liberté, la Cour rappelle que l’article 3 impose à l’État l’obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis. Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, ou, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peuvent en principe constituer un traitement contraire à l’article 3. Qui plus est, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré d’une manière adéquate (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX, Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004 et Koutalidis c. Grèce, no 18785/13, § 68, 27 novembre 2014)).

67.  La Cour a aussi jugé que les autorités nationales doivent faire en sorte que les diagnostics et les soins médicaux dans les lieux de détention, y compris les hôpitaux de prison, répondent à l’urgence et soit effectués de manière fiable. En outre, lorsque l’état de santé l’exige, le suivi médical doit se faire à des intervalles régulières et comporter un traitement adapté, destiné à le guérir ou du moins empêcher la dégradation de cet état (Khatayev c. Russie, no 56994/09, § 85, 11 octobre 2011 ; Sakhvadze c. Russie, no 15492/09, § 83, 10 janvier 2012). De manière générale, la Cour se reconnaît une grande souplesse pour définir le niveau requis des soins médicaux, en procédant à une appréciation au cas par cas. Ce niveau devrait être « compatible avec la dignité humaine » de chaque détenu (Papastavrou c. Grèce, no 63054/13, § 88, 16 avril 2015), mais devrait aussi prendre en considération « les exigences pratiques de l’incarcération » (Aleksanyan c. Russie, no 46468/06, § 140, 22 décembre 2008).

68.  Le seul fait qu’un détenu a été examiné par un médecin et s’est vu prescrire un certain type de traitement ne peut pas conduire automatiquement au constat que la prise en charge médicale a été adéquate (Hummatov c. Azerbaijan, no 9852/03 et 13413/04, § 116, 29 novembre 2007). Lorsqu’un suivi médical est rendu nécessaire par l’état de santé de l’intéressé, les autorités doivent veiller à ce que ce suivi soit régulier et systématique et soit accompagné d’une stratégie thérapeutique adéquate tendant à guérir le détenu de sa maladie ou à en prévenir l’aggravation, plutôt qu’à n’en traiter que les symptômes (ibid. §§ 109 et 114).

69.  Il ne peut y avoir violation de l’article 3 du seul fait de l’aggravation de l’état de santé de l’intéressé, mais qu’une telle violation peut en revanche découler de lacunes dans les soins médicaux (voir, dans ce sens, Melnik c. Ukraine, nº 72286/01, §§ 104-106, 28 mars 2006, Sakkopoulos c. Grèce, nº 61828/00, § 41, 15 janvier 2004, et Keenan c. Royaume-Uni, nº 27229/95, § 116, CEDH 2001-III). Ainsi, la Cour se doit de rechercher si les autorités nationales ont fait ce que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles vu la gravité de la maladie du requérant (Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 53, 12 juin 2008).

70.  La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir. En recherchant si une forme particulière de traitement est « dégradante » au sens de l’article 3, la Cour examinera si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci d’une manière incompatible avec l’article 3. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article 3. La souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002-VI).

ii.  Application des principes dans le cas d’espèce

71.  La Cour relève d’emblée que le requérant souffre depuis 1988 d’arthrite rhumatismale dégénérative, une maladie inflammatoire et évolutive rare, qui attaque les articulations, les os et les organes vitaux situés entre le thorax et le bassin. Elle se manifeste notamment par la déformation des os, ce qui provoque des dommages aux organes intérieurs, tels que les poumons, les reins, le pancréas et la rate. Afin de stabiliser la progression de la maladie et de limiter l’invalidité imminente, le requérant s’est soumis à plusieurs traitements entraînant divers effets secondaires.

72.  En 1994, la maladie du requérant a eu une phase d’aggravation atteignant particulièrement les membres supérieurs et inférieurs. En 1995, elle avait endommagé toutes les articulations de manière irréversible, ce qui a rendu nécessaire le traitement permanent avec des médicaments cytostatiques et un suivi médical continu en raison des effets secondaires. En 2011, il a été admis à l’hôpital public Asklipieio où il a été constaté qu’il avait subi des dommages irréversibles à la colonne vertébrale et aux articulations provoquant l’impossibilité de se tenir débout et de marcher. En décembre 2012, lorsqu’il a été mis en détention provisoire dans la prison de Korydallos, le requérant présentait un taux d’infirmité permanent de 67 %.

73.  La Cour reconnaît que dans le but d’assurer au requérant un environnement plus approprié à son état de santé que les cellules ordinaires de la prison, les autorités ont décidé de le placer dans l’hôpital psychiatrique de la prison, où les conditions de détention seraient, affirme le Gouvernement, meilleurs non seulement par rapport à celles de toutes les prisons du pays mais même par rapport à celles de l’hôpital de la prison de Korydallos.

74.  La Cour souligne que non seulement la santé d’un détenu malade mais aussi son bien-être doivent être assurés de manière adéquate par les autorités. Toutefois, plusieurs éléments du dossier amènent la Cour à considérer que les conditions dans lesquelles le requérant a séjourné pendant dix-huit mois étaient en réalité incompatibles avec son handicap physique.

75.  S’agissant de la santé et des soins médicaux, la Cour note que le Gouvernement lui-même admet que l’hôpital psychiatrique ne disposait pas d’un personnel soignant spécialisé pour faire face à des cas comme celui du requérant. Le psychiatre de l’hôpital psychiatrique de la prison, dans son rapport établi à la demande du Gouvernement, relevait que les pathologies dues à la polyarthrite rhumatoïde constituaient un problème complexe et soulignait que les diagnostics des médecins spécialistes étaient particulièrement inquiétants (paragraphe 28 ci-dessus). Si le conseil de la prison approuvait les visites des médecins extérieurs, ces derniers ne pouvaient pas faire entrer dans la prison les appareils nécessaires au traitement du requérant, tels des appareils de kinésithérapie, d’hyperthermie et de balnéothérapie. Tous les certificats médicaux établis par ces médecins attestaient de l’aggravation de sa maladie et de son état de santé en raison de nombreuses crises inflammatoires poly-articulaires et de l’impossibilité de les traiter dans l’environnement de cet hôpital et dans des conditions de détention (paragraphe 27 ci-dessus).

76.  En deuxième lieu, la Cour note que le requérant ne disposait pas de son propre lieu de stockage pour les injections servant à son traitement, mais devait partager ce stock avec les détenus séropositifs de la prison de Korydallos qui étaient placés dans l’hôpital psychiatrique et dont certains tentaient d’utiliser des seringues pour s’injecter des produits toxiques. La Cour note, en outre, que les médicaments prescrits au requérant étaient des modificateurs du système immunitaire destinés à bloquer le développement des inflammations et, à ce titre, leur administration devait se faire dans un environnement protégé non partagé par des personnes ayant des maladies virales ou infectieuses.

77.  S’agissant du bien-être, la Cour constate que, placé dans une cellule au troisième étage, le requérant était obligé pour faire ses besoins et se tenir propre d’être transféré aux toilettes pour handicapés qui se trouvaient au rez-de-chaussée de l’hôpital et à la salle de bain adaptée qui était située au premier étage. Or, ce transfert devait être effectué chaque fois par la cage d’escalier, sur les épaules de ses codétenus, l’ascenseur de l’hôpital lui étant inaccessible. Comme l’affirme du reste la directrice même de l’hôpital psychiatrique, « en l’absence de personnel soignant, les déplacements de l’intéressé par la cage d’escalier du bâtiment se [faisaient] sur les épaules de ses codétenus, qui l’assist[ai]ent dans la mesure du possible pour chacun d’entre eux. L’hôpital ne dispos[ait] pas de personnel pour faire face à une telle situation » (paragraphe 29 ci-dessus).

78.  Dans ces conditions, la Cour considère qu’en l’espèce, les conditions de détention que le requérant a eu à endurer doivent lui avoir causé des souffrances aussi bien mentales que physiques et avoir amoindri sa dignité humaine. Ces conditions s’analysent donc en un « traitement dégradant ». Rien n’indique qu’il y ait eu de la part des autorités compétentes une intention positive d’humilier ou de rabaisser le requérant. Toutefois, ainsi qu’elle l’a déjà relevé (paragraphe 70 ci-dessus), l’absence de pareille intention ne saurait exclure tout constat de violation de l’article 3.

79.  Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention à raison du fait que le requérant a été détenu pendant dix-huit mois dans des conditions incompatibles avec la gravité de son état de santé et de ses handicaps et n’a pas bénéficié d’une assistance adéquate et spécialisée pour pouvoir effectuer ses besoins les plus élémentaires.

b)  Sur le grief tiré de l’article 13 de la Convention

80.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours pour les griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention. Un tel recours doit habiliter l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition.

81.  L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, entre autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I). Enfin, celui qui a exercé un recours de nature à remédier directement – et non de façon détournée – à la situation litigieuse n’est pas tenu d’en épuiser d’autres éventuellement ouverts mais à l’efficacité improbable (Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 33, Recueil 1996‑IV).

82.  En l’occurrence, la Cour note que le Gouvernement ne produit aucune décision administrative ou judiciaire susceptible d’établir que le requérant pouvait, à travers les recours prévus par les articles 572 du code de procédure pénale et 6 du Code pénitentiaire, dénoncer effectivement les insuffisances alléguées quant à son traitement médical en prison. Au demeurant, la Cour relève que le requérant a suffisamment invoqué devant les autorités compétentes ses problèmes de santé dont la Cour est actuellement saisie, en particulier, en saisissant à plusieurs reprises le juge d’instruction et la chambre d’accusation (paragraphes 30, 34 et 36 ci-dessus). Ses demandes ont été rejetées par les autorités judiciaires précitées (paragraphes 32 et 35-36 ci-dessus).

83.  Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes, fondées sur les articles 572 du code de procédure pénale et 6 du code pénitentiaire. Elle constate par ailleurs que, dans son examen des demandes de mise en liberté du requérant des 18 décembre 2012 et 21 avril 2013, la chambre d’accusation s’est limitée à évaluer la compatibilité de la détention du requérant avec son état de santé, sans examiner si les conditions matérielles de sa détention répondaient aux besoins spécifiques découlant de sa maladie. Rappelant en outre ses constats au regard de l’article 5 de la Convention, la Cour conclut que l’Etat a manqué, en l’espèce, à ses obligations découlant de l’article 13 de la Convention.

84.  Partant, il y a eu aussi violation de cette disposition.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

85.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

86.  Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi, en raison des sentiments d’impuissance, de détresse, d’humiliation et d’angoisse pendant dix-huit mois. Il demande aussi que cette somme soit versée sur le compte bancaire de son avocate parisienne.

87.  Le Gouvernement rétorque que la somme demandée est exorbitante et injustifiée, compte tenu, d’une part, des circonstances particulières de l’affaire (conditions de détention satisfaisantes et refus du requérant d’être transféré dans un hôpital public) et, d’autre part, de la situation actuelle financière de la Grèce. Il estime que le constat d’une violation ou, tout au plus, une indemnité de 6 000 EUR constituerait une satisfaction suffisante. Il invite aussi la Cour à rejeter la demande du requérant relative au versement de la somme au titre du dommage moral sur le compte de son avocate.

88.  Eu égard aux violations constatées par elle, a Cour considère que le requérant a subi un dommage moral. Tenant compte des circonstances particulières de la présente affaire, elle lui accorde la somme de 6 000 EUR.

B.  Frais et dépens

89.  Le requérant demande également 50 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 14 984 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Il demande aussi que ces sommes soient versées sur le compte bancaire de son avocate parisienne.

90.  Le Gouvernement rétorque que les frais et dépens engagés devant les juridictions internes n’ont pas de rapport de causalité avec les violations alléguées de la Convention. Quant à la somme réclamée pour la procédure devant la Cour, elle est excessive : une somme à ce titre ne devrait pas excéder 1 500 EUR.

91.  La Cour rappelle que, au titre de l’article 41 de la Convention, elle rembourse les frais dont il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont d’un montant raisonnable (voir, notamment, Nikolova, § 79, précité, et Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 33985/96 et 33986/96, § 28, CEDH 2000-IX). Elle rappelle également que, selon l’article 60 § 2 du règlement, toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (Carabuela c. Roumanie, no 45661/99, § 179, 13 juillet 2010).

92.  En ce qui concerne les frais engagés devant les juridictions internes, la Cour constate que le requérant ne s’est pas conformé aux exigences de l’article 60 § 2 précité. Quant aux frais et honoraires engagés devant elle, compte tenu de la complexité de l’affaire et du nombre des griefs ayant abouti à un constat de violation, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 8 000 EUR, à verser directement sur le compte de sa représentante.

C.  Intérêts moratoires

93.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes relative à l’article 3 et la rejette ;

2.  Déclare la requête recevable ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention quant à l’exigence du « bref délai » ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention quant à l’exigence de l’égalité des armes et du principe du contradictoire ;

5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

6.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

7.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i)  6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii)  8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de sa représentante ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              André WampachAndrás Sajó
Greffier adjointPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
  2. Code pénitentiaire
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CEDH, Cour (première section), AFFAIRE LAVRENTIADIS c. GRÈCE, 22 septembre 2015, 29896/13