CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE CODARCEA c. ROUMANIE, 2 juin 2009, 31675/04

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 2 juin 2009

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CEDH · 2 juin 2009

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CEDH · 28 mai 2009

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 2 juin 2009, n° 31675/04
Numéro(s) : 31675/04
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A no 32
Association Ekin c. France (déc.), no 39288/98, 18 janvier 2000
Benderskiy c. Ukraine, no 22750/02, §§ 61-62, 15 novembre 2007
Botta c. Italie, du 24 février 1998, § 32
Brumarescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII
Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 115, 27 juin 2006
Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36
Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, CEDH 2002-I
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII
Gnahoré c. France, no 40031/98, § 26, CEDH 2000-I
Guerra et autres c. Italie, du 19 février 1998, Recueil 1998-I
Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 73, CEDH 2003-VIII
Herczegfalvy c. Autriche, du 24 septembre 1992, série A no 244, § 86 et §§ 82-83
Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 142, 24 juin 2008
Issaïeva c. Russie, no 57950/00, § 161, 24 février 2005
Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 21, 11 décembre 2003
Kiliç c. Turquie, no 22492/93, § 62, CEDH 2000-III
Mahmut Kaya c. Turquie, no 22535/93, § 85, CEDH 2000-III
Malama c. Grèce (déc.), no 43622/98, 25 novembre 1999
Forum Maritime S.A. c. Roumanie, nos 63610/00 et 38692/05, 4 octobre 2007
M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, du 4 décembre 2003
Pantea c. Roumani, no 33343/96, § 153, CEDH 2003-VI (extraits)
Perez c. France [GC], no 47287/99, CEDH 2004-I
Pfleger c. République tchèque, no 58116/00, § 46, 27 juillet 2004
Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, du 29 avril 2002, CEDH 2002-III
Raninen c. Finlande, du 16 décembre 1997, § 63
Roche c. Royaume-Uni [GC], du 19 octobre 2005, no 32555/96, CEDH 2005-X
Seregina c. Russie, no 12793/02, § 92, 30 novembre 2006
Trocellier c. France (déc.), no 75725/01, CEDH 2006-...
Y.F. c. Turquie, no 24209/94, 22 juillet 2003
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Exception préliminaire jointe au fond et rejetée (victime) ; Violation de l'art. 6 ; Violation de l'art. 8 ; Dommage matériel et préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-92835
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2009:0602JUD003167504
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CODARCEA c. ROUMANIE

(Requête no 31675/04)

ARRÊT

STRASBOURG

2 juin 2009

DÉFINITIF

02/09/2009

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Codarcea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura-Sandström,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Ann Power, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 mai 2009,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31675/04) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Elvira Codarcea (« la requérante »), a saisi la Cour le 9 août 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait en particulier, sous l’angle des articles 6 et 8 de la Convention, la durée excessive et l’inefficacité de la procédure tendant à engager la responsabilité du médecin qui lui avait fait subir une intervention de chirurgie plastique aux paupières sans demander valablement son consentement et sans l’informer sur les possibles conséquences.

4.  Le 28 février 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La requérante est née en 1933 et réside à Târgu Mureş. Elle est avocate au barreau de Mureş.

A.  Interventions chirurgicales subies par la requérante à l’hôpital de Târgu-Mureş

6.  En 1996, la requérante subit plusieurs interventions chirurgicales au visage, pratiquées par le docteur B., chirurgien plasticien de l’hôpital clinique municipal de Târgu Mureş.

7.  Dans un premier temps, elle fut hospitalisée du 4 au 7 juin 1996 avec un diagnostic de papillome sous-mandibulaire et un problème de cicatrisation postopératoire à la cuisse droite. Le médecin B. lui recommanda une intervention de chirurgie plastique. A cette occasion, ledit médecin pratiqua également sur la requérante une opération de blépharoplastie (correction des paupières par la chirurgie esthétique).

8.  La requérante fut, à nouveau, hospitalisée dans la même clinique du 8 au 9 août 1996 avec le diagnostic de lagophtalmie cicatricielle après blépharoplastie (insuffisance de fermeture des paupières, à cause des cicatrices postopératoires). Le même médecin B. pratiqua une nouvelle intervention chirurgicale de blépharoplastie aux deux yeux, sur la requérante, consistant dans l’excision de la cicatrice formée sur la paupière droite à la suite de la blépharoplastie antérieure, suivie par une greffe de peau provenant du niveau de la fosse iliaque droite. Le médecin pratiqua également une « plastie en Z » aux deux yeux, au coin palpébral-nasal inférieur.

9.  Du 20 au 21 août 1996, la requérante fut hospitalisée, pour la troisième fois, à l’hôpital clinique municipal de Târgu Mureş et le médecin B. l’opéra à nouveau. Elle subit une troisième blépharoplastie, une mastopexie (remodelage des seins) et la reprise de la cicatrice de la cuisse droite.

10.  Après les trois interventions chirurgicales subies à l’hôpital de Târgu Mureş, la requérante présenta une parésie faciale du côté droit et plusieurs autres séquelles nécessitant traitement médical.

B.  Soins médicaux dispensés après les interventions chirurgicales subies par la requérante à l’hôpital de Târgu-Mureş

11.  Du 8 au 10 octobre 1996, la requérante fut hospitalisée à l’hôpital clinique d’ophtalmologie de Bucarest avec le diagnostic d’inégalité des fentes palpébrales aux deux yeux et ectropion à l’œil gauche (éversion de la paupière, exposant le globe oculaire). Le médecin qui l’examina nota également que la patiente présentait une paralysie faciale droite.

12.  La requérante subit une intervention chirurgicale le 9 octobre 1996, consistant dans la résection de la chéloïde sur les cicatrices de la paupière droite supérieure et un geste chirurgical sur l’ectropion de l’œil gauche.

13.  Le 8 janvier 1997, elle fut diagnostiquée par un médecin ophtalmologue d’une kérathopatie lagophtalmique à l’œil droit (affection de la cornée causée par la fermeture insuffisante des paupières), paralysie faciale post-plastie et lagophtalmie cicatricielle aux deux yeux.

14.  Le 15 janvier 1997, la requérante fut examinée à la section de chirurgie plastique de l’hôpital d’urgence de Bucarest et une cicatrice hypertrophique à l’œil gauche fut diagnostiquée.

15.  Le 29 juin 1997, la clinique privée Atlas diagnostiqua un syndrome neurasthénique-dépressif chez la requérante.

16.  Le 2 octobre 1997, la clinique de physiothérapie de Târgu Mureş lui recommanda un traitement pour sa parésie faciale.

17.  Le 3 août 1998, l’hôpital clinique de chirurgie plastique et réparatrice de Bucarest diagnostiqua chez la requérante une blépharoparésie supérieure modérée, des cicatrices postopératoires après lifting facial, une parésie faciale droite en cours d’amélioration et lui recommanda une blépharoplastie supérieure, l’excision des cicatrices post lifting et une suture directe ainsi que continuer le traitement avec médicaments et physiothérapie pour la parésie.

18.  Le 3 septembre 2004, la requérante fut hospitalisée dans la clinique privée Marmed de Târgu Mureş avec le diagnostic d’ectropion.

19.  Le 20 septembre 2006, la même clinique privée diagnostiqua une lagophtalmie.

C.  Examens médico-légaux

20.  Le 30 septembre 1998, un premier rapport médico-légal délivré par l’institut de médecine légale de Bucarest et concernant les affections postopératoires de la requérante constata qu’elle présentait des cicatrices depuis le 5 juin 1996 et fit un compte rendu des interventions qu’elle avait subies du 7 juin 1996 au 3 août 1998 et conclut que, jusqu’à la finalisation de toutes les interventions médicales chirurgicales et ophtalmologiques, il ne pourrait pas encore être établi si la requérante avait gardé une infirmité ou si elle avait subi une mutilation.

21.  Une deuxième expertise médico-légale fut effectuée le 14 avril 1999. Sa conclusion était que l’intervention de chirurgie esthétique avait été pratiquée à la demande de la requérante et qu’il n’y avait pas d’erreurs de technique chirurgicale, les complications postopératoires étant imprévisibles.

22.  Le 28 mars 2000, un troisième rapport médico-légal issu du même institut de médecine légale conclut qu’à la suite de l’intervention chirurgicale de juin 1996, la requérante avait dû subir d’autres interventions chirurgicales pour la correction des ectropions résultant des résections tégumentaires plus amples que ce qui était nécessaire. Il était constaté que la première intervention chirurgicale sur la requérante avait été caractérisée par des erreurs de technique chirurgicale, à savoir l’incision tégumentaire élargie bilatérale, ce qui avait imposé la blépharoplastie et avait conduit à l’apparition de l’hémiparésie faciale par l’atteinte du nerf facial. Le rapport concluait aussi que la parésie faciale avait été imprévisible et qu’elle avait, en bonne partie, disparu grâce à la physiothérapie. Un déficit moteur à savoir la parésie de la commissure buccale droite persistait. Le rapport indiquait qu’il était impossible d’apprécier le temps nécessaire pour une récupération totale et qu’une nouvelle expertise médico-légale s’imposait après un an, pour apprécier s’il y avait une infirmité définitive et combien de jours de soins médicaux avait-elle nécessité, au total. Enfin, le rapport indiquait que, dans le cas des opérations de chirurgie plastique, le patient devrait être informé au préalable des complications qui pourraient intervenir.

23.  Le 20 novembre 2000, la commission supérieure médico-légale de l’institut de médecine légale Mina Minovici de Bucarest conclut que :

« (...) on constate des erreurs de technique chirurgicale de la part du chirurgien qui a réalisé la première intervention, à savoir l’incision tégumentaire élargie bilatérale, ce qui a imposé la blépharoplastie et a conduit à l’apparition de l’hémiparésie faciale par l’atteinte du nerf facial.

Il faut noter que toute intervention de chirurgie plastique faciale à but esthétique se fait uniquement à la demande de la patiente qui doit donner son accord par écrit, en précisant également qu’elle a pris connaissance des risques possibles de ce type d’intervention. »

24.  Le 18 juin 2001, l’institut de médecine légale de Bucarest, après avoir examiné la requérante, constata qu’elle présentait une parésie faciale du côté droit d’autres séquelles postopératoires à évolution compliquée mais susceptibles d’amélioration, qui étaient l’équivalent d’un préjudice esthétique mais ne représentaient pas une mutilation ou une infirmité. La conclusion était que la requérante avait nécessité vingt-cinq ou vingt-sept jours de soins médicaux et que les quelques trois cents autres jours de soins médicaux dus à des complications ne pouvaient pas être considérés comme pertinents du point de vue médico-légal (« complicaţiile implicite ale actului operator care au necesitat circa 300 zile de recuperare medicală nu se încadrează în noţiunea de îngrijiri medicale, din punct de vedere medico-legal »).

D.  Plainte pénale de la requérante

25.  Le 5 juin 1998, la requérante porta plainte avec constitution de partie civile contre le médecin qui l’avait opérée. Elle alléguait avoir souffert d’une atteinte à l’intégrité corporelle dont elle gardait une infirmité permanente.

26.  Le 22 janvier 1999, le parquet auprès du tribunal départemental de Mureş ordonna une expertise médico-légale afin de déterminer :

- si l’intervention chirurgicale avait été nécessaire ou si elle avait été effectuée sur demande expresse de la requérante ;

- s’il ressortait de la feuille d’observation clinique existant au dossier que l’intervention avait été effectuée dans le respect des normes médicales régissant ce type d’intervention ;

- si une faute professionnelle de la part du médecin était décelable et en quoi celle-ci avait consisté ;

- s’il y avait eu atteinte à l’intégrité corporelle de la requérante, y compris par un préjudice esthétique, et en quoi celui-ci consistait ;

- quel étaient les possibilités techniques médicales de porter remède au préjudice esthétique ;

- si la requérante avait subi ou non une mutilation ou une infirmité et quel en était son degré ;

- si l’état de santé de la requérante avait été affecté de manière générale par l’intervention chirurgicale litigieuse.

27.  Le rapport d’expertise fut communiqué au parquet le 14 avril 1999. Sa conclusion était qu’il s’agissait en l’espèce de complications postopératoires imprévisibles et qu’il n’y avait pas d’indices d’erreurs de technique chirurgicale (voir le paragraphe 21, ci-dessus).

28.  La requérante contesta ce rapport au motif qu’aucun médecin spécialiste en chirurgie plastique n’avait participé à l’expertise.

29.  Par une décision du 14 décembre 2000, le parquet auprès du tribunal départemental de Mureş prononça un non-lieu au profit du médecin B. au motif que la plainte pénale était tardive, compte tenu de ce que les faits dénoncés devraient être qualifiés d’atteinte involontaire à l’intégrité corporelle, infraction incriminée par l’article 184 du code pénal.

30.  Par lettre du 24 mars 2003 du parquet auprès de la Cour suprême de justice, la requérante fut informée que par décision du 14 mars 2003, son recours contre le non-lieu avait été accueilli et que l’affaire avait été renvoyée devant le parquet auprès de la cour d’appel de Târgu Mureş. Par la même lettre, la requérante était informée que le parquet compétent devrait effectuer avec promptitude les actes de poursuite pénale nécessaires pour trancher l’affaire de manière équitable.

31.  Le 16 juillet 2003, le parquet auprès du tribunal départemental de Târgu Mureş ordonna une nouvelle expertise médico-légale.

32.  Le 15 janvier 2004, un non-lieu fut rendu par le parquet auprès du tribunal départemental, au motif que la prescription de la responsabilité pénale du médecin était intervenue.

33.  Par lettre du 11 février 2004, le procureur en chef près le tribunal départemental de Mureş informa la requérante que sa plainte contre le non-lieu rendu par ledit parquet avait été rejetée.

34.  Cette dernière saisit le tribunal de première instance de Târgu Mureş d’une contestation contre le non-lieu rendu par le parquet. Lors des débats devant le tribunal, consignés dans le procès-verbal de l’audience du 22 mars 2004, la requérante exposa, entre autres, que le parquet saisi de sa plainte pénale avait laissé « traîner » l’enquête pendant six ans et que l’accusé n’avait été entendu par le parquet que deux ans après la date à laquelle elle avait porté plainte.

35.  Par décision du 5 avril 2004, le tribunal de première instance de Târgu Mureş rejeta la contestation formée par la requérante contre le non-lieu. Par la même décision, le tribunal rejeta la demande de requalification juridique des accusations portées contre le médecin B. comme une infraction plus grave d’atteinte à l’intégrité corporelle, prévue par l’article 182 du Code pénal. Le tribunal retint que la requérante avait subi en 1996, à la suite des interventions chirurgicales effectuées par le docteur B., des lésions dues à des erreurs de technique chirurgicale, qui avaient nécessité vingt-cinq ou vingt-sept jours de soins médicaux et un préjudice esthétique qui ne pouvait pas être reconnu comme infirmité ou mutilation. Il considéra que les trois cents jours de cure médicale dus à des complications ne pouvaient pas être considérés comme pertinents du point de vue médicolégal. En outre, le tribunal considéra que l’intervention chirurgicale avait été réalisée à la demande de la requérante et qu’elle impliquait des risques qui avaient été assumés soit implicitement, soit explicitement par la patiente. Le tribunal confirma la qualification de ces faits en atteinte involontaire à l’intégrité corporelle et considéra que le délai spécial de prescription était de sept ans et demi, donc que celui-ci était échu à la fin de l’année 2003, compte tenu de ce que les faits dénoncés dataient de 1996.

36.  La demande de constitution de partie civile de la requérante, jointe à sa plainte pénale, fut rejetée comme irrecevable, au motif qu’une fois un non-lieu rendu, l’action civile ne pouvait être poursuivie que séparément, en dehors du cadre du procès pénal. Le tribunal conseilla à la requérante de poursuivre ses prétentions par la voie d’une action en responsabilité civile délictuelle.

37.  Par décision du 25 juin 2004, le tribunal départemental de Mureş débouta la requérante de son recours contre la décision du 5 avril 2004. Le tribunal considéra que la demande de requalification juridique des accusations pénales portées contre le docteur B. était irrecevable, au motif que les tribunaux ne pouvaient pas censurer la qualification retenue par le procureur.

E.  L’action en responsabilité civile délictuelle contre le médecin B.

38.  Le 18 octobre 2004, la requérante assigna le médecin B. devant le tribunal départemental de Mureş par la voie d’une action en responsabilité civile délictuelle, demandant la réparation du préjudice dont elle continuait à souffrir après les interventions chirurgicales de 1996.

39.  Le 5 mai 2005, la requérante compléta son action d’une demande d’assignation en justice de l’hôpital clinique de Târgu Mureş, comme partie civilement responsable.

40.  Par décision du 1er juillet 2005, le tribunal départemental de Mureş accueillit l’action de la requérante contre le médecin B. et ordonna à ce dernier de lui payer 52 613 nouveau lei RON, dont 30 000 RON représentaient la réparation du préjudice moral. Le tribunal retint qu’à la suite des interventions chirurgicales défectueuses pratiquées par le médecin B., la requérante avait souffert d’un préjudice matériel et moral ayant nécessité des soins médicaux variés dispensés pendant une longue période de temps, de 1996 jusqu’au jour de la décision. En outre, le tribunal retint que le médecin n’avait pas informé la requérante des conséquences éventuelles des actes médicaux envisagés, ni demandé son consentement, si ce n’est que lorsqu’elle était sous l’effet des substances anesthésiques.

41.  Par la même décision, le tribunal débouta la requérante de ses prétentions contre l’hôpital, considérant qu’il ne pouvait pas être tenu pour responsable des agissements du médecin B. A cet égard, le tribunal retint qu’en dépit du contrat de travail qui liait le médecin B. à l’hôpital, le premier n’exerçait pas sa profession en vertu des instructions données par la direction de l’hôpital, mais en vertu de ses compétences professionnelles. De ce fait, le médecin ne pouvait pas être considéré comme le préposé de l’hôpital où il travaillait. Donc, le médecin était le seul à pouvoir être tenu responsable.

42.  Par décision du 4 avril 2006, la cour d’appel de Târgu Mureş confirma le jugement rendu par le tribunal départemental et prit acte de ce que la requérante avait renoncé le 21 mars 2006 à demander des dédommagements pour le préjudice matériel.

43.  Tant la requérante que le médecin B. formèrent des pourvois en recours contre la décision du 4 avril 2006.

44.  Par arrêt du 15 novembre 2006, la Haute Cour de cassation et de justice cassa la décision attaquée et renvoya l’affaire devant le tribunal départemental de Mureş, au motif qu’en vertu des nouvelles normes de procédure civile régies par la loi no 219/2005, la cour d’appel n’était plus compétente pour connaître des appels des parties.

45.  Le 21 février 2007, le tribunal départemental de Mureş débouta la requérante de sa demande de fixer la prochaine audience à une date plus proche, (preschimbarea termenului) en raison du grand nombre d’affaires sur l’ordre du jour du 9 mars 2007, la seule date à laquelle la formation de juges compétente se réunissait avant le 13 avril 2007, date fixée.

46.  Par décision du 17 mai 2007, le tribunal départemental de Mureş rejeta l’appel du médecin B. contre le jugement du 1er juillet 2005 et accueillit partiellement celui de la requérante, en prenant acte du fait qu’elle avait renoncé à sa demande pour dommage matériel. Le tribunal retint que la requérante gardait des séquelles des opérations chirurgicales défectueuses réalisées par le docteur B., à savoir une souffrance physique permanente et une apparence inesthétique de nature à entraver ses relations personnelles et professionnelles habituelles, compte tenu aussi du fait qu’elle était avocate. Le tribunal réaffirma que le médecin avait commis des erreurs médicales et retint qu’il aurait dû obtenir le consentement par écrit de la requérante pour les opérations de chirurgie plastique qui étaient une pratique nouvelle à l’époque où elles avaient été réalisées et aussi l’informer au sujet des risques encourus.

47.  La requérante forma un pourvoi en recours contre la décision du 17 mai 2007, alléguant que sa déclaration du 21 mars 2006, de renonciation à la réparation du préjudice matériel, avait été recueillie par un tribunal incompétent, donc non valable. L’adversaire de la requérante forma lui aussi un pourvoi en recours.

48.  Le 18 avril 2008, la cour d’appel de Târgu Mureş rejeta les pourvois en recours des deux parties. Elle considéra que la déclaration de renonciation de la requérante était valable.

F.  Les enquêtes disciplinaires contre le médecin B.

49.  Tel qu’il ressort du rapport d’appréciation des activités du docteur B. daté du 18 janvier 1994, réalisé par une commission médicale constituée au sein de l’hôpital clinique de Târgu Mureş et composée de quatre médecins dont un chef de clinique, les défaillances suivantes ont constatées :

- il ne respectait pas les normes les plus élémentaires d’hygiène ;

- il rentrait vêtu d’une tenue correspondant à la salle de pansements dans le bloc opératoire aseptique, dans les salles de transfusion et d’opération ;

- il avait introduit son épouse habillée en robe de laine, dans le bloc opératoire, d’où elle avait été évacuée par le docteur C. ;

- il plaçait les malades brûlés dans les mêmes salles que des malades ayant des suppurations (...) ;

- il faisait ses visites en portant des chaussures de ville, couvertes de boue, vêtu d’un vêtement d’hôpital sale, taché de sang ;

- la propreté des salles des malades brûlés était insuffisante ;

- il ne connaissait pas les doses d’administration de drogues élémentaires (...) ;

- il ne connaissait pas les manœuvres de réanimation élémentaires (...) et avait interdit à l’infirmière d’anesthésier et d’intuber le malade ;

- il effectuait des pansements sur des malades externes revêtus de leur vêtements de ville, dans les salles où se trouvaient les malades hospitalisés ;

- il avait transformé l’ambulance normalement utilisée pour les malades brûlés en entrepôt, les malades étant transportés par l’ambulance de chirurgie ;

- conséquence du non-respect des règles d’hygiène par le docteur B. les malades hospitalisés ont présenté des complications suppuratives qui se sont soldées par quelques décès, dus à la présence d’entérobactérie résistante ;

- ses gestes chirurgicaux présentaient des graves défaillances en ce qui concernait les découvertes de veines, les sutures chirurgicales, les nœuds chirurgicaux ; il avait une acuité visuelle déficiente, qui devrait être testée.

50.  Les conclusions du rapport visaient à octroyer au docteur B. la qualificatif « insatisfaisant » (slab) et recommandait à l’Inspection sanitaire départementale (Direcţia sanitară) de Târgu Mureş de le licencier.

51.  Le 21 septembre 2004, le collège départemental des médecins de Mureş qui remplissait des fonctions de juridiction professionnelle des médecins, répondit à la requérante qu’il n’y avait pas d’éléments de nature à engager la responsabilité disciplinaire du médecin B. du chef des interventions chirurgicales pratiquées sur la requérante en 1996.

G.  Les tentatives de la requérante d’exécution forcée de sa créance constatée par décision de justice définitive

52.  Alors que la décision du 1er juillet 2005, du tribunal départemental de Mureş accueillant l’action de la requérante contre le médecin B. n’était pas encore définitive, ni exécutoire, par jugement du 12 septembre 2005, le médecin fut astreint à payer une pension alimentaire mensuelle de 379 RON à ses enfants.

53.  Par un acte de partage volontaire conclu le 14 avril 2006, soit dix jours après la décision du 4 avril 2006, de la cour d’appel de Târgu Mureş confirmant le jugement rendu par le tribunal départemental en faveur de la requérante, le médecin B. garda uniquement l’usufruit viager sur l’appartement dont il avait été copropriétaire et céda tous ses biens meubles de l’appartement.

54.  Sur demande de la requérante, le 17 juillet 2006, le tribunal de première instance de Târgu Mureş ordonna l’ouverture de la procédure de l’exécution forcée contre le médecin B.

55.  Le 21 juillet 2006, un huissier de justice ordonna à l’hôpital départemental d’urgence de Târgu Mureş la saisie d’un tiers du salaire du médecin B.

56.  Le seul bien que le médecin B. possédait encore le 21 août 2006 était une automobile Wartburg. Le 21 août 2006, le tribunal de première instance de Târgu Mureş rejeta la demande de la requérante de séquestre provisoire des biens du docteur B. au motif qu’elle bénéficiait déjà d’une décision définitive, donc qu’aucune mesure provisoire ne pouvait être appliquée.

57.  Par jugement du 29 septembre 2006, le tribunal de première instance de Târgu Mureş annula la saisie ordonnée le 21 juillet 2006, au motif que le salaire du docteur B. était déjà saisi à la hauteur maximale de la moitié de son montant. Cette décision fut confirmée par arrêt du 28 février 2007, du tribunal départemental de Mureş.

58.  Par jugement du 11 juillet 2007, le tribunal de première instance de Târgu Mureş accueillit l’action de l’ancienne épouse du médecin et majora à 1 000 RON la pension alimentaire due pour les deux enfants de ce dernier.

59.  Le 27 juillet 2007, la requérante demanda à nouveau la saisie du salaire du médecin. Le tribunal départemental de Mureş rejeta cette demande par jugement du 9 octobre 2007, au motif que la moitié du salaire du débiteur était déjà saisie pour la pension alimentaire.

60.  La requérante saisit ensuite le tribunal de première instance d’une demande en annulation de la saisie pour pension alimentaire qui affectait le salaire du docteur B. Par décision du 26 mars 2008, le tribunal de première instance de Târgu-Mureş accueillit en partie la demande de la requérante et ordonna la réduction du montant de la somme saisie pour la pension alimentaire à un quart du salaire du médecin. Le tribunal ordonna également la saisie d’un autre quart de son salaire pour le compte de la créance reconnue en faveur de la requérante.

Le médecin B. forma pourvoi en recours contre ce jugement.

61.  La Cour n’a pas été informée de la suite de ce pourvoi, ni du fait de savoir si la requérante a effectivement commencé à percevoir le montant mensuel résultant de la saisie du salaire du médecin.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le droit interne pertinent

1.  Le droit de la responsabilité civile délictuelle

62.  L’essentiel de la règlementation générale en matière de responsabilité civile délictuelle, à savoir les articles 998-1000 du Code civil, en vigueur à l’époque des faits, est décrit dans l’arrêt Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 142, 24 juin 2008 et Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 153, CEDH 2003‑VI (extraits).

63.  Le principe selon lequel « le pénal tient le civil en l’état », à savoir les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, est décrit dans l’arrêt Forum Maritime S.A. c. Roumanie, nos 63610/00 et 38692/05, § 64, 4 octobre 2007).

2.  La réglementation générale sur l’assistance médicale des personnes

64.  La règlementation générale sur l’assistance médicale des personnes était contenue, à l’époque des faits, à savoir en 1996, dans la loi no 3/1978, publiée au Bulletin officiel no 54 du 10 juillet 1978. Les articles 77-78 de ladite loi régissaient la responsabilité disciplinaire pour faute professionnelle du personnel du domaine de la santé y compris des médecins. L’article 124 prévoyait que les soins médicaux devraient être dispensés avec le consentement du malade. Cet article fut abrogé par la loi no 46/2003 régissant les droits du patient et publiée au Journal officiel no 51 du 29 janvier 2003.

65.  L’exercice de la profession de médecin était régi à l’époque des faits, par la loi no 74/1995 publiée au Journal officiel no 211 du 15 septembre 1995. Cette loi abrogeait les articles 79, premier paragraphe, 80 et 81 de la loi no 3/1978 sur la responsabilité disciplinaire des médecins, en organisant pour la première fois l’ordre des médecins (Colegiul medicilor), compétent pour engager la responsabilité disciplinaire des médecins. La loi no 74/1995 fut abrogée en 2004, puis remplacée par la loi no 95/2006 sur la réforme dans le domaine de la santé.

3.  Le droit en matière d’assurance de responsabilité civile pour faute professionnelle des médecins

66.  En 1996, à l’époque des faits, il n’y avait pas d’obligation pour les professionnels de la santé de souscrire à une assurance pour responsabilité civile.

67.  La loi no 145/1997 sur les assurances de santé (legea asigurărilor sociale de sănătate) publiée au Journal officiel no 178 du 31 juillet 1997, réformant le système de financement de la santé, créa la caisse nationale des assurances de santé. La loi prévoyait dans son article 41 que la caisse nationale des assurances de santé « organisait un système d’assurance pour responsabilité civile des médecins ». Cette loi fut abrogée et remplacée par l’ordonnance d’urgence du Gouvernement (ordonanţa de urgenţă) no 150/2002, publiée au Journal officiel no 838 du 20 novembre 2002. L’article 39 de ladite ordonnance prévoyait que les fournisseurs des services médicaux étaient obligés de présenter lors de la conclusion du contrat avec la caisse des assurances de santé une assurance de responsabilité civile professionnelle conclue auprès d’un assureur autorisé.

68.  Le titre XV de la loi no 95/2006 sur la réforme dans le domaine de la santé, publiée au Journal officiel no 372 du 28 avril 2006, régit la responsabilité civile du personnel médical, du fournisseur de services médicaux, sanitaires et pharmaceutiques. Le chapitre V de ce titre prévoit l’assurance obligatoire pour responsabilité civile professionnelle. Les médecins sont obligés de s’assurer en vertu de l’article 656 de la loi précitée.

B.  La pratique interne pertinente

69.  S’agissant de la responsabilité des hôpitaux publics pour les préjudices causés par les fautes des médecins qu’ils employaient, jusque dans les années 1980, d’après la pratique, les hôpitaux n’étaient pas tenus responsables solidairement avec les médecins car « ils n’assuraient pas l’assistance médicale en vertu des recommandations reçues de la part de la direction de l’hôpital, mais de façon indépendante, en vertu de leurs qualifications professionnelles ». Dès lors, le médecin répondait seul, personnellement et directement pour le préjudice causé par ses fautes médicales. Les seuls cas où les hôpitaux publics pouvaient être tenus responsables pour les négligences des médecins employés étaient lorsque les médecins agissaient « en qualité de préposé s’agissant de l’accomplissement ou du non-accomplissement des charges de travail qui seraient indépendantes de l’acte médical, mais ne pourraient pas être dissociées de l’assistance médicale, tels que les visites et contrevisites, le respect des horaires de garde et autres » (voir, par exemple, Liviu Pop, Drept civil român. Teoria generală a obligaţiilor, éditions Lumina Lex, Bucarest, 2000, pp. 268-270).

70.  Par une décision no 114/1989, du 24 janvier 1989, le Tribunal Suprême cassa une décision de justice considérant comme erroné l’argument selon lequel l’indépendance professionnelle d’un médecin ayant commis une faute lorsqu’il dispensait l’assistance médicale en urgence annulait la responsabilité de l’hôpital lui ayant confié les fonctions et auquel il été subordonné. La décision précitée établit que l’hôpital était responsable pour la faute du médecin.

71.  Cette nouvelle approche qui s’affirma en pratique, sans pourtant être accueillie par toutes les juridictions, supposait que « l’hôpital avait incontestablement un droit de surveiller et de contrôler l’activité du médecin » (voir, Liviu Pop, Drept civil..., précité, p. 269).

72.  Ainsi, par une décision définitive no 697/2003 du 22 octobre 2003, la cour d’appel de Cluj, statuant sur pourvoi en recours (le dernier degré de juridiction, en droit roumain) confirma la décision du tribunal départemental de Maramureş du 19 juin 2003 et considéra que l’hôpital public départemental de Maramureş avait la qualité de partie civilement responsable pour la faute de deux médecins gynécologues ayant conduit au décès d’une patiente, au motif que malgré le caractère atypique du rapport de préposition, l’hôpital dirigeait l’activité des médecins et qu’ils avaient commis une faute dans l’exercice habituel des fonctions octroyées par l’hôpital. La cour d’appel de Cluj retint que :

« Cette qualité [de partie civilement responsable] découle du droit de l’hôpital d’établir le lieu et le programme de travail et de régir les tâches [des médecins]. Même si le contrôle exercé sur ces derniers a une forme atypique, lorsqu’il y est question du cadre stricte de l’assistance médicale, il représente une forme de manifestation du rapport de préposition (o formă de manifestare a raportului de prepuşenie). (...)

Les deux inculpés ont commis le fait illicite causant un préjudice dans l’exercice des fonctions qui leurs ont été octroyées, à savoir l’omission d’apporter à la victime [C.C.] l’assistance médicale correspondant à l’affection pour laquelle elle avait été hospitalisée, ce qui entraîne la responsabilité civile délictuelle de l’hôpital départemental de Maramureş. »

73.  Par la décision no 212/A/2003 du 19 juin 2003, précitée, le tribunal départemental de Maramureş retint que :

« (...) même si on a soutenu dans la littérature juridique qu’il n’y a pas de rapport juridique de préposition, dans le sens de l’article 1000, par. 3 du Code civil, entre l’hôpital et le médecin, lorsqu’il s’agit de la manière dont ce dernier exerce l’acte médical proprement-dit, la jurisprudence (practica judiciară) (voir T.S. dec.civ. no 114/14.01.1989, Dreptul, no 8/1992, p. 56) a établi que même dans cette situation l’hôpital répond en qualité de commettant.

Le fondement de la responsabilité du commettant dans ce cas, pour le fait générateur de préjudice commis par le préposé, est constitué par l’obligation que le premier a de garantir le dédommagement de ceux qui ont souffert un dommage résultant des actions du préposé, réalisées dans l’exercice normal des fonctions qui lui ont été confiées. Pour engager cette responsabilité, il suffit qu’il existe un lien direct entre les fonctions confiées et l’action ayant provoqué un préjudice, qui soit en rapport de causalité directe, de sorte que les fonctions confiées au préposé créent, de manière décisive, le cadre pour la commission des faits (exercitarea funcţiei încredinţate prepusului să fi ocazionat, în mod hotărâtor, comiterea faptei).

Même si dans le cas des médecins embauchés par les hôpitaux, lorsqu’il s’agit de leur activité, la direction de l’hôpital ne peut pas donner d’ordres s’agissant de l’assistance médicale concrète, à savoir l’établissement du diagnostic et, en général, la conduite thérapeutique – excluant ainsi le droit de gérer, conduire et contrôler l’activité du médecin – il y a pourtant également dans cette situation une certaine subordination qui revêt une forme spécifique, atypique.

Ainsi, dans le cadre des réunions d’analyse du travail, dans le cadre des contrôles périodiques de routine ou de ceux à la suite des réclamations, l’hôpital est compétent pour rappeler les médecins à l’ordre et les responsabiliser à la suite de l’acte médical.

Or, ce droit de l’hôpital qui établit également le lieu et l’horaire de travail et donne des directives concernant la réalisation des tâches professionnelles, même si le contrôle de leur accomplissement se fait sous une forme atypique s’agissant du cadre strict de l’assistance médicale, représente un mode de manifestation du rapport de préposition.

Interpréter de manière extensive les limites du rapport de préposition dans le cas des médecins travaillant dans les hôpitaux est dans l’intérêt général de la protection des victimes, qui est tellement important qu’il impose, en vertu du principe de l’équité, l’application dans ce cas des dispositions de l’article 1000, par. 3 du Code civil.

Par ces dispositions, le législateur a voulu rendre au commettant la qualité de garant pour le cas d’insolvabilité présente ou future du préposé, tout en gardant à l’esprit que la fonction confiée à ce dernier lui a donné, peut-on-dire, la possibilité de porter préjudice aux autres. Or, de ce point de vue, l’étendue du pouvoir juridique de l’hôpital et l’autonomie ou l’indépendance qu’impliquent la profession de médecin paraissent dépourvues de pertinence. »

74.  Un autre exemple plus récent de décision définitive par laquelle un tribunal interne a engagé la responsabilité civile de l’hôpital public, en qualité de commettant, pour la faute médicale d’un chirurgien qu’il employait, est l’arrêt no 153/R du 16 février 2007, rendu par le tribunal départemental de Cluj, confirmant le jugement rendu par le tribunal de première instance de Cluj-Napoca, le 21 avril 2006.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

75.  La requérante allègue la durée excessive de la procédure ayant débuté le 5 juin 1998 par la plainte pénale avec constitution de partie civile, tendant à engager la responsabilité du médecin qui lui causé un dommage corporel. Elle invoque à ce titre l’article 6 de la Convention qui se lit ainsi dans ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.  Sur la recevabilité

76.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

B.  Sur le fond

1.  La période à prendre en considération

77.  Le Gouvernement estime que la période à prendre en considération a débuté le 18 octobre 2004, avec la saisine du tribunal départemental de Mureş, par la requérante.

78.  S’agissant de la durée d’une procédure pénale avec constitution de partie civile, la Cour a déjà jugé que cette dernière entre dans le champ d’application de l’article 6, y compris durant la phase de l’instruction, voire, le cas échéant, en cas de procédure pendante ou potentielle devant les juridictions civiles (voir Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70 et 71, CEDH 2004-I et Forum Maritime S.A. c. Roumanie, nos 3610/00 et 38692/05, § 106, 4 octobre 2007) et que la période à considérer débute à la date à laquelle le requérant s’est prévalu de son droit de caractère civil (Pfleger c. République tchèque, no 58116/00, § 46, 27 juillet 2004) à savoir dès l’acte de constitution de partie civile.

79.  La Cour note qu’en l’espèce la requérante s’est constituée partie civile le 5 juin 1998, le jour où elle déposa sa plainte pénale contre le médecin B., ce que le Gouvernement ne conteste pas. Dès lors, la période à considérer a débuté à cette date.

80.  Reste à établir la date à laquelle la période à prendre en considération s’est terminée.

81.  Le Gouvernement considère que cette date est le 18 avril 2008, date de la décision de la cour d’appel de Târgu Mureş confirmant le droit de la requérante de se voir dédommager par le médecin lui ayant causé un préjudice.

82.  La Cour a déjà jugé que la constitution de partie civile  n’est en réalité qu’une modalité de l’action civile (Perez, précité, § 63). Elle observe qu’en l’espèce, le droit interne prévoit que la personne qui s’estime victime d’une infraction dispose d’une option procédurale entre, d’une part, la voie civile et, d’autre part, la voie pénale. Si la voie civile est préférée, alors compte tenu de ce que le fait générateur du préjudice est une infraction, la procédure civile ne s’applique que sous réserve du principe selon lequel « le pénal tient le civil en l’état » (voir le paragraphe 63, ci-dessus).

Il en résulte qu’à partir de la constitution de partie civile jusqu’à la conclusion de cette procédure pénale, le volet civil est resté étroitement lié au déroulement de la procédure pénale (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 62, CEDH 2002-I), autrement dit, cette dernière conditionnait le volet civil.

83.  La Cour constate que la procédure pénale s’est terminée le 25 juin 2004, soit six ans après l’introduction de la plainte, par la décision du tribunal départemental de Mureş rejetant définitivement la contestation par la requérante du non-lieu rendu par le parquet le 15 janvier 2004, au motif que la prescription de la responsabilité pénale du médecin était intervenue. Le tribunal indiqua à la requérante de poursuivre ses prétentions par la voie d’une action en responsabilité civile délictuelle (voir le paragraphe 36, ci‑dessus).

84.  La Cour note que, par la suite, à savoir le 18 octobre 2004, la requérante assigna le médecin B. devant le tribunal départemental de Mureş par une action en responsabilité civile délictuelle. Cette action prit fin le 18 avril 2008, date de la décision de la cour d’appel de Târgu Mureş confirmant le droit de la requérante à se voir dédommagée.

85.  Ainsi, l’action civile de la requérante a été dans un premier temps jointe à sa plainte pénale ; à la fin de la procédure pénale, soit le 25 juin 2004, cette action est restée sans suite et la requérante a dû la poursuivre devant les juridictions civiles, ce qu’elle a fait le 18 octobre 2004. La Cour en conclut que la période à prendre en considération s’est terminée le 18 avril 2008, à la date la décision définitive de la cour d’appel de Târgu Mureş.

86.  Eu égard au principe selon lequel seulement les périodes pendant lesquelles l’affaire a été effectivement pendante devant les tribunaux seront prises en compte (voir mutatis mutandis, Seregina c. Russie, no 12793/02, § 92, 30 novembre 2006), la Cour considère que la période du 25 juin au 18 octobre 2004 doit être déduite de la durée globale de la procédure litigieuse.

87.  Partant, celle-ci a duré neuf années, six mois et vingt-trois jours.

2.  Appréciation de la durée de la procédure

88.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII ; Hartman c. République tchèque, no 53341/99, § 73, CEDH 2003-VIII).

89.  La Cour observe d’emblée que s’agissant d’une action en responsabilité civile délictuelle pour dommage causé à l’intégrité physique de la requérante âgée de 65 ans à l’époque de sa constitution de partie civile, l’enjeu de l’affaire demandait une diligence particulière de la part des autorités.

90.  La Cour peut admettre que les questions médicales posées dans l’affaire étaient d’une certaine complexité (voir, mutatis mutandis Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 115, 27 juin 2006). Elle estime cependant que bien que l’affaire présentât certaines difficultés particulières, une durée de plus de neuf ans de procédure ne saurait être justifiée. Elle note, par ailleurs, que l’action pénale s’est d’ailleurs éteinte par l’intervention de la prescription de la responsabilité pénale, après plus de six ans qui se sont écoulés après l’introduction de la plainte pénale avec constitution de partie civile.

91.  En outre, la Cour ne relève pas de retards significatifs qui seraient imputables à la requérante.

92.  Pour ce qui est du comportement des autorités, la Cour rappelle que l’action civile avait été dans un premier temps jointe à la plainte pénale, en vertu de la règle selon laquelle, en droit roumain, le pénal tient le civil en état. Ensuite, la Cour observe, entre autres, que par lettre du 24 mars 2003, du parquet auprès de la Cour suprême de justice, la requérante fut informée que le parquet compétent devrait effectuer avec promptitude les actes de poursuite pénale nécessaires à trancher l’affaire. Or, cet engagement de la part de la plus haute autorité judiciaire en matière d’enquêtes pénales ne semble pas avoir été suivi de mesures concrètes aptes à accélérer la procédure.

De surcroît, après la saisine des tribunaux, au civil, l’affaire a connu une cassation avec renvoi décidée le 15 novembre 2006, par la Haute Cour de cassation et de justice, pour défaut de compétence de la cour d’appel qui avait rendu la décision cassée.

93.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans un délai raisonnable.

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

94.  La requérante se plaint de l’inefficacité de la procédure tendant à engager la responsabilité du médecin qui lui avait fait subir une intervention de chirurgie plastique aux paupières sans demander valablement son consentement et sans l’informer sur les possibles conséquences. Suite à cette opération, elle a gardé des séquelles, à savoir une paralysie faciale, des cicatrices, l’impossibilité de fermer les yeux complètement et l’éversion des paupières.

L’article 8 de la Convention se lit ainsi :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

95.  Le Gouvernement plaide à titre principal que la requérante ne peut plus se prétendre victime d’une violation de la Convention au sens de son article 34. Il considère, à titre subsidiaire, qu’en l’espèce, l’article 8 n’a pas été méconnu, car la requérante a eu accès à une procédure permettant de faire juger la responsabilité du médecin qui l’a opérée et a d’ailleurs obtenu une réparation équitable pour son préjudice corporel, à la suite de ladite procédure, lors de laquelle les tribunaux ont retenu la négligence du médecin, entre autres, pour ne pas avoir obtenu le consentement de la requérante, en dépit des dispositions législatives lui imposant cette obligation.

96.  La requérante ne conteste pas que certaines mesures et décisions qui lui étaient favorables ont été adoptées. Elle souligne toutefois que le médecin condamné seulement après dix ans de procédure à lui payer un dédommagement d’un montant assez dérisoire par rapport à d’autres exemples de pratique judiciaire en matière de faute médicale, ne lui a pas versé la somme en question, car il a provoqué de manière artificielle un état d’insolvabilité tout en profitant du manquement des autorités à leurs obligations positives dans ce domaine.

A.  Sur la recevabilité

97.  Aux termes de l’article 34 de la Convention, « la Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique (...) qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles (...) ».

98.  La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. A cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime de la violation alléguée se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention (voir Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 21, 11 décembre 2003, et Malama c. Grèce (déc.), no 43622/98, 25 novembre 1999).

99.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux, l’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se concevant même en l’absence de préjudice ; celui-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 41. Partant, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, entre autres, Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, p. 846, § 36, Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII, et Association Ekin c. France (déc.), no 39288/98, 18 janvier 2000).

100.  La Cour considère que l’argument tiré de la perte de qualité de victime de la requérante avancé par le Gouvernement soulève des questions étroitement liées au fond du grief de la requérante. Aussi la Cour estime‑t‑elle qu’il convient de les examiner au regard de la disposition normative de la Convention invoquée par la requérante (voir notamment les arrêts Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A no 32, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 26, CEDH 2000-IX, et Issaïeva c. Russie, no 57950/00, § 161, 24 février 2005).

B.  Sur le fond

101.  La Cour rappelle qu’entrent dans le champ de l’article 8 de la Convention les questions liées à l’intégrité morale et physique des individus (voir, par exemple, mutatis mutandis, les arrêts Raninen c. Finlande, du 16 décembre 1997, § 63, Botta c. Italie, du 24 février 1998, § 32, Y.F. c. Turquie, no 24209/94, 22 juillet 2003, § 33 et M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, du 4 décembre 2003), à leur participation au choix des actes médicaux qui leur sont prodigués ainsi qu’à leur consentement à cet égard (voir notamment, mutatis mutandis, les arrêts Herczegfalvy c. Autriche, du 24 septembre 1992, série A no 244, § 86 et §§ 82-83, Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, du 29 avril 2002, CEDH 2002-III, § 63, et Y.F., précité, mêmes références), et à l’accès à des informations leur permettant d’évaluer les risques sanitaires auxquels ils sont exposés (voir en particulier, mutatis mutandis, les arrêts Guerra et autres c. Italie, du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 60, et Roche c. Royaume-Uni [GC], du 19 octobre 2005, no 32555/96, CEDH 2005-X, § 155). La Cour en déduit que cette disposition s’applique aux circonstances dénoncées par la requérante (voir Trocellier c. France (déc.), no 75725/01, CEDH 2006‑...).

102.  La Cour a rappelé dans son arrêt Calvelli et Ciglio c. Italie que même si la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à l’ouverture de poursuites pénales contre des tiers, le système judiciaire efficace exigé par l’article 2 peut comporter, et dans certaines circonstances doit même comporter, un mécanisme de répression pénale (voir par exemple Kılıç c. Turquie, no 22492/93, § 62, CEDH 2000-III, et Mahmut Kaya c. Turquie, no 22535/93, § 85, CEDH 2000-III). Toutefois, si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, l’obligation positive découlant de l’article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002‑I). Les États parties ont en sus l’obligation de mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs patients.

103.  Ces principes valent sans aucun doute également s’agissant, dans le même contexte, d’atteintes graves à l’intégrité physique entrant dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention (voir la décision Trocellier, précitée et Benderskiy c. Ukraine, no 22750/02, §§ 61-62, 15 novembre 2007).

104.  La Cour rappelle aussi que l’obligation d’adopter des mesures réglementaires propres à assurer le respect de l’intégrité physique des patients qui s’impose aux États parties repose sur la nécessité de préserver ces derniers, autant que faire se peut, des conséquences graves que peuvent avoir à cet égard les interventions médicales. La Cour a déjà mis en exergue non seulement l’importance du consentement des patients, soulignant notamment dans l’arrêt Pretty (précité, § 63) que « l’imposition d’un traitement médical sans le consentement du patient s’il est adulte et sain d’esprit s’analyserait en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé pouvant mettre en cause les droits protégés par l’article 8 § 1 », mais aussi celle, pour les personnes exposées à un risque pour leur santé, d’avoir accès aux informations leur permettant d’évaluer celui-ci (voir notamment l’arrêt Guerra et autres précité, § 60).

105.  La Cour a estimé que les États parties sont, au titre de cette obligation, tenus de prendre les mesures réglementaires nécessaires pour que les médecins s’interrogent sur les conséquences prévisibles que l’intervention médicale projetée peut avoir sur l’intégrité physique de leurs patients et qu’ils en informent préalablement ceux-ci de manière à ce qu’ils soient en mesure de donner un accord éclairé. En corollaire, en particulier, si un risque prévisible de cette nature se réalise sans que le patient en ait été dûment préalablement informé par ses médecins et que, comme en l’espèce, lesdits médecins exercent au sein d’un hôpital public, l’État partie concerné peut être directement responsable sur le terrain de l’article 8 du fait de ce défaut d’information (voir la décision Trocellier, précitée).

106.  A la lumière des principes dégagés de la jurisprudence, la Cour note que la requérante a eu formellement accès à une procédure permettant de faire reconnaître la responsabilité du médecin qui l’a opérée et, le cas échéant, d’obtenir réparation de son préjudice corporel. La Cour observe néanmoins que les juridictions roumaines n’ont définitivement tranché sa demande de réparation que plus de neuf ans après l’introduction d’une plainte pénale avec constitution de partie civile et alors que la responsabilité pénale du médecin était déjà prescrite.

107.  En outre, la Cour constate avec regret qu’à ce jour, la requérante n’a pas perçu le montant qui lui a été octroyé au titre de dommage moral. A cet égard, elle observe que, quelques jours après avoir été condamné à indemniser la requérante, le médecin s’est séparé de ses biens devenant ainsi insolvable, ce qui lui a permis de ne pas s’acquitter de ses obligations envers la requérante. Par ailleurs, le fait que la procédure avait duré presque dix ans, du fait de la passivité des autorités judiciaires, ne pouvait que décourager la requérante d’entreprendre de nouvelles démarches pour contrer cette situation.

Qui plus est, la Cour note que les conséquences, pour la requérante, de l’insolvabilité du médecin ont été aggravées du fait de l’absence, en droit roumain et à l’époque des faits, d’un mécanisme d’assurance de responsabilité pour les fautes médicales. Sur ce point, la Cour note que le droit interne pertinent a évolué depuis lors, imposant aux médecins l’obligation de souscrire une assurance pour responsabilité civile professionnelle (voir les paragraphes 66-68, ci-dessus). Toutefois, ces modifications n’étaient pas applicables rétroactivement à la situation de la requérante.

108.  La Cour observe, de surcroît, que les juridictions nationales ont refusé d’engager la responsabilité de l’hôpital en tant que partie civilement responsable, au motif qu’elle ne serait pas couverte par l’article 1000, paragraphe 3 du Code civil régissant la responsabilité du commettant pour les actes de son préposé. Elles ont ainsi privé la requérante d’une protection juridique efficace de son intégrité physique. Or, la Cour note à cet égard qu’une grande partie de la jurisprudence des plus hautes juridictions du pays et de la doctrine se montraient favorables à l’application de la responsabilité pour le fait d’autrui dans le cas des hôpitaux, pour les faits commis par les médecins qu’ils embauchaient (voir les paragraphes 69-74, ci-dessus).

Dans ces conditions, la Cour ne peut que constater que la requérante, à qui un droit à être indemnisée avait été reconnu par les juridictions roumaines, n’avait à sa disposition aucun moyen légal permettant de rendre effective la réparation.

109.  La Cour rejette donc l’exception préliminaire du Gouvernement et estime qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 8 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

110.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

111.  La requérante réclame, au titre du préjudice matériel, 49 452,37 nouveaux lei roumains (RON), montant réactualisé de la somme octroyée par le jugement du 1er juillet 2005, du tribunal de première instance de Târgu Mureş. Elle demande, en outre, 7 000 RON correspondant aux frais qu’elle a encourus en raison des déplacements à Bucarest en vue de se faire soigner, à la suite de la faute médicale dont elle a subi les conséquences.

112.  En outre, la requérante réclame 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle a subi et affirme, en substance, avoir souffert de l’impossibilité de jouir d’une protection efficace de son intégrité physique.

113.  Le Gouvernement fait valoir que la requérante avait renoncé d’elle-même à réclamer un dédommagement pour préjudice matériel devant les juridictions nationales et qu’elle s’est déjà vue octroyer par les mêmes juridictions un montant de 30 000 RON au titre du préjudice moral. En outre, le Gouvernement estime qu’un éventuel arrêt de condamnation pourrait constituer, par lui-même, une réparation suffisante du préjudice moral subi par la requérante.

114.  La Cour note tout d’abord que le Gouvernement n’a pas apporté la preuve que la requérante aurait effectivement touché la somme attribuée par les juridictions interne au titre de dédommagement pour la faute médicale. En tout état de cause, la Cour estime que la requérante a subi une souffrance certaine du fait des situations qu’elle dénonce. Compte tenu des violations constatées par elle, la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 20 000 EUR, tous chefs de préjudice confondus.

B.  Frais et dépens

115.  La requérante n’a soumis aucune demande pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et devant la Cour.

C.  Intérêts moratoires

116.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Joint au fond, à l’unanimité, l’exception du Gouvernement tirée de la perte de qualité de victime de la requérante et la rejette ;

2.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

4.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

5.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 20 000 EUR (vingt mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour le dommage subi par la requérante, tous chefs de préjudice confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 juin 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Myjer.

J.C.M.
S.Q.


OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE MYJER

(Traduction)

Je n’ai pas voté en faveur du constat de violation de l’article 8.

J’admets sans difficulté que les actes pratiqués par le chirurgien plasticien sur la requérante sont dénués de professionnalisme et, pour cette raison déjà, extrêmement regrettables, je dirai même condamnables.

Et il est tout à fait justifié que – à la demande de l’intéressée – les juridictions nationales aient reconnu la responsabilité pour faute du chirurgien et aient condamné celui-ci à indemniser la requérante.

Est également déplorable, et même moralement répréhensible, le fait que le chirurgien ait – semble-t-il – usé d’un subterfuge pour éviter d’avoir à verser l’indemnité à l’intéressée.

Mais peut-on en vertu de l’article 8 tenir l’État pour responsable du fait que la requérante n’a pas pu obtenir l’exécution du jugement ?

Dans le système de la Convention, les questions touchant à l’exécution des jugements sont en principe traitées sous l’angle de l’article 6, et non de l’article 8.

Certes, en sus des obligations essentiellement négatives contenues dans l’article 8, comme dans d’autres dispositions de la Convention, il peut y avoir des obligations positives inhérentes au respect effectif des droits garantis. En matière de protection de l’intégrité physique des patients se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, la Cour a constaté, par exemple dans la décision sur la recevabilité dans l’affaire Trocellier c. France (no 75725/01, 5 octobre 2006) :

«  (...) les Etats parties ont l’obligation d’instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées ; [la Cour] a précisé que, dans le contexte spécifique des négligences médicales, l’accès à une procédure en responsabilité « civile » suffit en principe (arrêt Calvelli et Ciglio c. Italie [GC] du 17 janvier 2002, no 32967/96, §§ 48-51). Les États parties ont en sus l’obligation de mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades (ibidem). Ces principes valent sans aucun doute également s’agissant, dans le même contexte, d’atteintes graves à l’intégrité physique entrant dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. »

Il convient de relever qu’en l’espèce la requérante a eu la possibilité d’engager une action en responsabilité civile.

Il a fallu aux juridictions nationales un laps de temps excessivement long pour déclarer le chirurgien responsable des actes litigieux, et je souscris sans réserve à l’avis de mes collègues qu’il y a eu à ce titre violation de l’article 6.

Ensuite, il est apparu que le chirurgien pouvait échapper au versement de l’indemnité.

La majorité est venue au secours de la requérante en créant de nouvelles obligations positives en vertu de l’article 8 et en constatant qu’il y avait aussi eu manquement à celles-ci :

– l’État n’avait pas imposé aux médecins l’obligation de souscrire une assurance pour responsabilité civile (paragraphe 107) ;

– l’État aurait dû adopter une législation claire permettant d’engager la responsabilité de l’hôpital à raison des agissements des médecins employés par lui (paragraphe 108).

Une législation de cet ordre est utile, incontestablement, et je constate avec satisfaction que les choses évoluent dans ce sens (paragraphes 107 et 108) ; je pense toutefois que c’est aller trop loin que d’inscrire de telles mesures sur la liste des obligations positives découlant de l’article 8. La Convention énonce des droits fondamentaux, et non des droits souhaitables.

Il ne fait aucune différence à mes yeux que l’hôpital soit en l’occurrence un hôpital municipal. Le différend en question opposait la requérante au chirurgien, et non à l’hôpital.

Y avait-il un autre moyen d’engager la responsabilité de l’État en vertu de la Convention du fait que le jugement n’avait pu être exécuté ?

A mon avis, pareille possibilité pourrait exister si la partie défenderesse pouvait être incriminée au regard de l’article 6 en raison d’une législation inadéquate en matière d’exécution. Or les faits de la cause ne me permettent pas de penser que c’est ici le cas. De plus, je trouve révélateur que la requérante – qui se trouve être elle-même avocate – n’ait pas épuisé les voies de recours internes à cet égard et n’ait pas fondé sa requête sur un grief ainsi présenté.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE CODARCEA c. ROUMANIE, 2 juin 2009, 31675/04