CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE IAMBOR c. ROUMANIE (N° 1), 24 juin 2008, 64536/01

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CEDH · 24 juin 2008

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CEDH · 20 juin 2008

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Marion Blondel · Revue Jade

L'arrêt de chambre du 17 janvier 2017 en l'affaire Gengoux contre Belgique concerne la compatibilité avec les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme du maintien en détention d'un homme atteint d'un cancer, qui décédera des suites de cette maladie. En octobre 2010, le père du requérant, Y. Gengoux, est diagnostiqué atteint d'un cancer, et entame un traitement par chimiothérapie. Le 10 décembre 2010, il est soupçonné d'avoir tué à l'arme à feu et sous emprise de l'alcool un homme dans un bar. Il est mis en examen pour assassinat et port illicite d'arme, et placé en …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 24 juin 2008, n° 64536/01
Numéro(s) : 64536/01
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Akkoç c. Turquie, nos 22947/93 et 22948/93, § 118, CEDH 2000 X

Assenov and Others v. Bulgaria, no 24760/94, 28 octobre 1998

Barbu Anghelescu c. Roumanie, no 46430/99, § 67, 5 octobre 2004


Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001


Boicenco c. Moldova, no 41088/05, § 157, 11 juillet 2006

Bursuc c. Roumanie, no 42066/98, § 107, 12 octobre 2004


Caloc c. France, no 33951/96, CEDH 2000 IX

Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 64-65, § 161

Petra c. Roumanie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998 VII, p. 2855, § 43

Ribitsch c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 336, p. 24, § 32

Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 181, 26 juillet 2007

Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 67, 26 juillet 2007
Cotleţ c. Roumanie, no 38565/97, § 71, 3 juin 2003

Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 67, 26 juillet 2007
Cotleţ c. Roumanie, no 38565/97, § 71, 3 juin 2003

H.Y. et HÜ.Y c. Turquie, no 40262/98, § 105, 6 octobre 2005


Ignaccolo-Zenide c. Roumanie [GC], no 31679/96, § 108, CEDH 2000-I

İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII

Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 111, CEDH 2001 III

Kornakovs c. Lettonie, no 61005/00, § 172-173, 15 juin 2006


Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV

Macovei et autres c. Roumanie, no 5048/02, § 56, 21 juin 2007


Melinte c. Roumanie, no 43247/02, § 27, 9 novembre 2006


Öğur c. Turquie [GC] no 21954/93, CEDH 1999-III, §§ 91-92

Ramsahai c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 274, CEDH 2007

Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000 VII

Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999-V

Timurtaş c. Turquie, no 23531/94, § 105, CEDH 2000 VI
Organisation mentionnée :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement inhumain) (Volet matériel) ; Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement inhumain ; Enquête efficace ; Obligations positives) (Volet procédural) ; Violation de l'article 34 - Requêtes individuelles (Article 34 - Entraver l'exercice du droit de recours) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-87104
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2008:0624JUD006453601
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE IAMBOR c. ROUMANIE (No 1)

(Requête no 64536/01)

ARRÊT

STRASBOURG

24 juin 2008

DÉFINITIF

24/09/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Iambor c. Roumanie (no 1),

La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura-Sandström,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele, juges

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 juin 2008,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64536/01) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Simion Iambor (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 juillet 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par Mme Beatrice Ramaşcanu, agente du gouvernement roumain auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme, puis par M. Răzvan Horaţiu Radu, qui l’a remplacée dans ses fonctions.

3.  Le requérant alléguait en particulier qu’il avait subi des mauvais traitements lors de sa garde à vue, puis des entraves à son droit de requête au sens de l’article 34 de la Convention.

4.  Le 13 juin 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le lui permettait l’article 29 § 3 de son règlement, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1958 et réside à Beba-Veche.

A.  Les mauvais traitements allégués par le requérant

1.  Les faits

a)  Version du requérant

6.  Le 4 avril 1999, vers 11 heures du matin, alors qu’il était sorti de chez lui, dans la commune de Beba Veche, pour acheter des cigarettes, le requérant fut interpellé par une connaissance, Viorel C., qui lui déclara qu’il avait entendu dire que le requérant l’avait cherché à son domicile. Le requérant confirma la chose, expliquant qu’il cherchait un certain Mircea H., employé par Viorel C, qui aurait agressé son fils et lui aurait cassé des dents. Viorel C. invita le requérant à venir poursuivre la discussion chez lui ; les deux hommes firent le trajet en voiture. Une fois dans le jardin de la maison, Viorel C. se mit à tabasser le requérant. Il lui dit ensuite qu’il pouvait s’expliquer à la police et l’amena au poste, qui se trouvait en face de sa maison. L’adjudant Costel L. y installa le requérant sur une chaise et lui dit de patienter. Il sortit avec Viorel C. dans la cour, où les deux hommes conversèrent pendant quelques minutes. Une fois de retour dans le bureau, l’adjudant Costel L. menotta le requérant et se mit à le frapper, imité par Viorel C. Au cours de l’après-midi, le frère de Viorel C., Ioan C., maire de Beba Veche, arriva au poste de police accompagné de l’adjoint au maire Tiberiu F. Le requérant fut menotté au pied de la table et reçut des coups de poing et des coups de pied de la part du policier et des trois civils présents, si bien qu’il se retrouva par terre, le visage en sang.

7.  Vers 19 h 30, le chef de poste, Iulian S., arriva sur place. Lorsqu’il vit l’état critique dans lequel se trouvait le requérant, il fit venir l’infirmière de la commune, le médecin n’étant pas disponible. L’infirmière demanda aux policiers de transporter le requérant d’urgence à l’hôpital.

8.  Dans la soirée du 4 avril 1999, vers 21 h 15, le requérant fut admis à l’hôpital de Sânnicolaul Mare.

9.  Il sortit de l’hôpital le 8 avril 1999.

b)  Thèse du Gouvernement

10.  Le 4 avril 1999, vers 14 h 30, le requérant fut aperçu par Roxa B., la grand-mère de Viorel C., rôdant dans le jardin et dans la maison de ce dernier, apparemment en quête d’argent ou d’autres valeurs. Mis au courant, Viorel C. partit à la recherche du requérant, le retrouva et l’amena chez lui, où ils se disputèrent. Le requérant tenta de s’enfuir mais fut attrapé par Viorel C. Les deux hommes tombèrent par terre, puis Viorel C. frappa le requérant. Par la suite, il l’amena au poste de police de la commune et porta plainte contre lui pour violation de domicile, demandant au policier présent, le sous-officier Costel L., de prendre les mesures légales.

11.  Le frère de Viorel, Ioan C., se rendit lui aussi au poste de police, accompagné de Tiberiu F.

12.  Afin d’effectuer quelques investigations préliminaires, le policier Costel L. quitta le poste de police, enfermant le requérant à clé dans la cour intérieure du bâtiment abritant les locaux de la police et invitant les autres personnes présentes à l’accompagner.

13.  Le policier se rendit à la maison de Viorel C. et procéda aux constatations sur les lieux (cercetare la faţa locului), après quoi il dressa deux procès-verbaux. Ensuite, il demanda à Viorel C. et à Tiberiu F. d’aller en voiture chercher son chef, Iulian S., et de le ramener au poste de police.

14.  Resté seul avec le requérant, le policier Costel L. eut peur que l’intéressé tente de s’échapper et le menotta jusqu’à l’arrivée de son chef.

15.  Après l’arrivée de Iulian S., les deux policiers amenèrent le requérant à un commissariat de police de la ville de Sânnicolau Mare pour des investigations plus approfondies.

16.  L’intéressé se plaignant d’avoir mal aux côtes, il fut amené à l’hôpital public de la ville.

2.  Les examens médicolégaux

a)  Examens effectués immédiatement après les incidents du 4 avril 1999

17.  Le 4 avril 1999, le chirurgien M.P. de l’hôpital de Sânnicolau Mare établit une feuille d’observation clinique qui comportait les passages suivants :

« Antécédents hérédo-collatéraux sans pertinence clinique ; antécédents personnels physiologiques ou pathologiques sans pertinence clinique ; (...)

Historique de l’affection : au courant de l’après-midi, (...) [M. Iambor] a été victime d’une agression physique. Il a reçu des coups de pied au niveau de la région céphalique [et de la région thoracique] qui ont provoqué des douleurs (...) et des difficultés respiratoires, accentuées par les mouvements [du corps].

Il a été amené à l’hôpital par l’agent de police Costel L. pour des examens spécialisés et des soins éventuels.

Examen local :

–  pyramide nasale légèrement tuméfiée, sensible au toucher, sans signes cliniques de fracture ;

–  hématome suborbital gauche de 2 x 2 cm ;

  lèvre supérieure contusionnée, œdémateuse ;

–  sur la face dorsale du thorax inférieur et dans la région lombaire, plusieurs excoriations ;

–  hémothorax gauche douloureux, hypertonicité à l’examen par palpation, avec signes cliniques (...) de fractures des arcs costaux nos VII à X ; emphysème sous-cutané au niveau du tiers inférieur de la face postéro-latérale ;

–  suffusions sanguinolentes sur la face antérieure latérale de l’hémithorax gauche ;

(...) »

18.  Au cours de son hospitalisation, le requérant fut examiné par plusieurs spécialistes, dont un ORL et un chirurgien. Des soins lui furent dispensés et il passa des radiographies. En raison de l’absence d’un radiologue, les clichés ne furent pas interprétés.

19.  Son état de santé s’étant amélioré, le requérant quitta l’hôpital le 8 avril 1999. A cette occasion, le médecin M.P. nota sur sa feuille d’observation :

« [M. Iambor] a été hospitalisé d’urgence à la suite d’une agression physique par coups de poing et par coups de pied au niveau des régions céphalique et thoracique. A l’examen clinique, nous avons constaté une tuméfaction de la pyramide nasale, un hématome (...) suborbital à l’œil gauche, une tuméfaction de la lèvre inférieure ; un emphysème sous-cutané au niveau du tiers inférieur de la région postéro-latérale de l’hémithorax gauche, avec des signes cliniques de fracture des arcs costaux CVII-CX du côté gauche, et une dilatation pulmonaire bilatérale.

[M. Iambor] s’est vu administrer un traitement (...) anti-inflammatoire, antibiotique, sédatif, avec repos au lit, immobilisation de l’hémithorax gauche (...). Évolution apparemment favorable.

L’examen ORL révèle une déviation post-traumatique du septum nasal qui justifie une intervention chirurgicale (...).

L’examen de chirurgie thoracique (radiographies non interprétées par un médecin radiologue) révèle une forte contusion de l’hémithorax gauche. Un traitement conservateur est recommandé. »

20.  Le 9 avril 1999, le requérant fut examiné par M.C., médecin légiste au laboratoire médicolégal de Timişoara. Le rapport médicolégal dressé à la suite de cet examen comportait les constats suivants :

« 1.  Une ecchymose vert violacé au niveau de la zone suborbitale gauche, avec extension jusqu’à la région mandibulaire ;

2.  Partie gauche du menton – ecchymose vert violacé de ½ cm ;

3.  Immobilisation thérapeutique de l’hémithorax gauche ;

4.  Dans la région lombaire et pré-vertébrale du côté droit : multiples excoriations linéaires, de un à huit centimètres, couvertes d’une croûte hématique et d’une plaie semi-circulaire avec concavité orientée à droite et extrémités érythémateuses et légèrement descensionnelles affectant une surface de dix centimètres sur dix-huit ;

Il ressort du registre no 2604/9.04.99 de la polyclinique no 1 de Timişoara que [M. Iambor] ne présentait pas de lésions traumatiques des os nasaux ; qu’il présentait au niveau de l’hémithorax gauche un trajet de fracture transversale de la côte no 9, sur la ligne axillaire postérieure, avec niveau minimum de liquide de base (hémothorax).

Ces lésions peuvent dater du 4 avril 1999 et elles peuvent avoir été produites par des coups directs et répétés portés au moyen d’un objet contondant. [M. Iambor] nécessite dix-huit jours de soins médicaux, à condition que d’autres complications ne surviennent pas. »

21.  Considérant que le certificat médicolégal retenait à tort et contrairement à la feuille d’observation clinique dressée lors de son hospitalisation, qu’il n’y avait pas de lésions traumatiques au niveau du nez, le requérant demanda au parquet militaire de Timişoara un nouvel examen par un médecin légiste.

22.  Par une lettre du 13 avril 1999, le parquet militaire demanda au laboratoire médicolégal de Timişoara « de réexaminer » M. Iambor, en prenant en compte la feuille d’observation clinique établie à l’occasion de son hospitalisation du 4 avril 1999.

23.  Le 14 avril 1999, le médecin légiste M.C. adressa à la clinique ORL de Timişoara une lettre demandant l’examen du requérant en vue d’établir s’il présentait des lésions traumatiques au niveau de la pyramide nasale, spécialement une déviation du septum nasal.

24.  Dans une lettre datée du même jour et adressée à l’institut médicolégal, le médecin M. de l’hôpital Sânnicolau Mare confirma en ces termes le traumatisme subi par le requérant :

« En réponse à votre lettre no 478/1999, nous vous confirmons que le patient Iambor Simion, âgé de 41 ans, résidant à Beba Veche, (...) a séjourné à l’hôpital de Sânnicolau Mare, dans le service de chirurgie (FO – [feuille d’observation] no 1547) du 4 au 8 avril 1999. Le diagnostic suivant fut établi : agression physique, traumatisme thoracique avec fractures des arcs latéraux CVIII-CX du côté gauche (sans confirmation radiologique), traumatisme crânien facial aigu fermé, avec déviation post-traumatique du septum nasal.

Le patient a suivi un traitement conservateur avec évolution favorable.

Pour des raisons d’ordre administratif, il ne lui a pas été délivré de feuille de soins à la sortie de l’hôpital. »

25.  Par une lettre du 16 avril 1999, le médecin légiste M.C. du laboratoire médicolégal local, qui avait réalisé la première expertise, répondit au parquet militaire que les lésions aux os nasaux du requérant étaient antérieures à l’agression du 4 avril 1999. Sa lettre était ainsi rédigée :

« Après avoir confronté l’examen clinique objectif effectué à l’occasion de l’hospitalisation avec l’examen clinique ORL, qui établit le diagnostique de déviation du septum nasal et d’obstruction (înfundare) de l’aile nasale droite, et avec l’examen radiologique du 9 avril 1999, qui infirme l’existence de lésions traumatiques des os nasaux proprement dits, nous considérons que les constats de l’examen clinique sont conformes à la réalité mais se rapportent à des lésions ayant une ancienneté dont la date, même si elle ne peut pas être précisée, est bien antérieure au traumatisme subi le 4 avril 1999. »

26.  Le 10 mai 1999, le médecin légiste M.C. demanda de nouvelles explications à l’hôpital de Sânnicolau Mare au sujet de l’existence ou de l’absence, au moment de l’hospitalisation du 4 avril 1999, de lésions au niveau du nez du requérant.

27.  Le 19 mai 1999, le médecin M.P. de l’hôpital de Sânnicolau Mare répondit que le diagnostic établi le 4 avril 1999 par le service de chirurgie de l’hôpital était : « 1.  traumatisme thoracique avec signes cliniques de fracture des arcs latéraux costaux C VII-C X ; 2.  traumatisme crânien-facial aigu, fermé – déviation post-traumatique du septum nasal ». Il ajoutait qu’au moment de l’hospitalisation il n’y avait pas de médecin radiologue à l’hôpital.

Il observait qu’il ressortait de la feuille d’observation que le requérant présentait une « pyramide nasale légèrement tuméfiée, sensible au toucher, sans signes cliniques de fracture ». Il précisait qu’à son avis la déviation de septum était antérieure à l’agression.

b)  Examens médicaux ultérieurs

28.  Quatre ans après l’agression subie le 4 avril 1999, le requérant, qui était en train de purger une peine d’emprisonnement sans rapport avec les faits à l’origine de la présente affaire, fut hospitalisé à plusieurs reprises : du 7 janvier au 17 février et du 2 au 13 juin 2003 à l’hôpital pénitentiaire de Dej, puis du 18 au 30 juillet 2003, à l’hôpital pénitentiaire de Bucarest Rahova.

29.  Le 13 mars 2003, une commission formée de trois experts, un médecin légiste, un spécialiste ORL de l’hôpital militaire de Timişoara et un médecin de la prison de Timişoara donna son avis quant à la possibilité de soigner le requérant en milieu carcéral :

« M. Iambor Simion présente une déviation du septum nasal avec des troubles de fonctionnement modérés. Il nécessite un traitement médicamenteux qui peut être administré dans le réseau sanitaire de la Direction générale des prisons. En cas d’aggravation de sa pathologie, il pourra être hospitalisé dans une clinique spécialisée. »

30.  Sur la base de ce rapport, le tribunal de première instance de Timişoara rejeta le 7 avril 2003 une demande de suspension de l’exécution de sa peine formulée par le requérant.

31.  Le 13 juin 2003, le médecin spécialiste de chirurgie générale de l’hôpital pénitentiaire de Dej rédigea le rapport médical suivant au sujet du requérant :

« Le patient a été hospitalisé du 7 janvier au 17 février 2003 car il se plaignait de douleurs dans la région occipitale, d’épistaxis répétées, de difficultés à respirer par le nez, d’une déformation de la pyramide nasale, de douleurs lombaires et d’une éruption érythémateuse prurigineuse généralisée.

A la suite de l’examen clinique général et de l’examen ORL a été établi un diagnostic de dystrophie septo-nasale post-traumatique, de spondylite lombaire (...) et de gale.

Le patient a suivi un traitement anti-inflammatoire (...) ; une intervention chirurgicale pour la dysmorphie septo-nasale étant par ailleurs recommandée.

Le 2 juin 2003, il est revenu dans notre service pour une intervention chirurgicale ORL, qui n’a pas pu être effectuée faute de la présence sur place d’un médecin ORL. Le patient reviendra au cours du mois d’août 2003. »

32.  Le 29 juillet 2003, un médecin ORL de l’hôpital pénitentiaire de Bucarest Rahova dressa au sujet du requérant le rapport suivant :

« L’examen clinique ORL a mis en évidence une déviation post-traumatique du septum nasal déjà ancienne, sans déterminations pathologiques de voisinage, avec un déficit fonctionnel moyen (obstruction nasale partielle du côté gauche).

L’examen paraclinique effectué (hématologie et biochimie sanguine, radiographie SAF) corrobore le diagnostic clinique susmentionné.

Compte tenu du fait que le déficit esthétique est une composante importante du problème du patient, nous recommandons une intervention de rhino-septo-plastie, à effectuer en une seule fois lorsque l’intéressé aura été remis en liberté, le milieu pénitentiaire n’étant pas propice à une évolution postopératoire favorable dans les cas d’intervention à caractère esthétique. »

B.  L’enquête pénale concernant les mauvais traitements subis par le requérant

1.  L’instruction de la plainte du requérant dénonçant l’agression subie le 4 avril 1999. Le dossier no 203/P/1999 ouvert par le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare

33.  Un dossier (no 203/P/1999) fut ouvert par le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare à la suite de la plainte formée par Viorel C. contre le requérant le 4 avril 1999 pour tentative de vol et violation de domicile.

34.  Au dossier d’enquête furent versés le procès-verbal de constatations sur les lieux (cercetare la faţa locului) et le procès-verbal d’identification du requérant, dressés par le policier Costel L. le 4 avril 1999, et deux dépositions de Viorel C. et Tiberiu F. datées du 4 avril 1999. Le procès-verbal d’identification du requérant était ainsi rédigé :

« Aujourd’hui [4 avril 1999], à 15 heures, mon intervention a été sollicitée pour les faits suivants : Iambor Simion serait entré sans autorisation dans la demeure de [C.] Viorel de Beba Veche (...), [C.] Viorel l’y aurait surpris puis retenu.

En même temps, j’ai pris acte que Iambor Simion a été agressé par [C.] Viorel et qu’il présentait des traces de sang au visage et se plaignait de douleurs à la poitrine.

En présence du témoin assistant [F.] Tiberiu (...) j’ai procédé à l’identification de la personne amenée ; j’ai établi qu’il s’agit de Iambor Simion, fils de (...), qui dit avoir perdu sa carte d’identité. »

35.  Le 14 avril 1999, le requérant saisit le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare d’une plainte pénale contre le policier Costel L. et trois autres personnes qu’il accusait de l’avoir soumis à des mauvais traitements le 4 avril 1999, à savoir Viorel C., Ioan C. et Tiberiu F.

36.  Sa plainte fut jointe au dossier no 203/P/1999, ouvert à la suite de la plainte portée par Viorel C. à son encontre.

37.  Plusieurs dépositions furent recueillies par la police de Sânnicolau Mare dans le cadre de l’enquête concernant les deux plaintes pénales jointes.

38.  Entendu le 1er juin 1999, le policier Costel L. déclara que le requérant avait été amené au poste de police par C. Viorel et qu’il avait été battu par ce dernier, qui l’avait surpris dans son jardin, en pleine tentative de vol. Il ajouta : « Moi, au poste de police, j’ai enregistré la plainte de C. Viorel pour tentative de vol et violation de domicile et j’ai effectué un constat sur place (...) rédigeant un procès-verbal de constatations sur les lieux et un procès-verbal d’identification de l’accusé (de identificare a făptuitorului) ». Le policier ne donna dans sa déposition aucun détail au sujet des signes d’agression visibles sur le requérant à son arrivée au poste de police.

39.  Le 5 juin 1999, Viorel C. fut entendu par la police de Sânnicolau Mare. Il déclara qu’il avait attrapé le requérant par derrière, qu’il lui était « tombé dessus », puis qu’il l’avait amené au poste de police, où il l’avait laissé pour aller chercher le chef du poste. Il précisa qu’il n’avait agressé le requérant ni chez lui ni au poste de police et qu’il ne l’avait pas vu menotté.

40.  Entendu le 5 juin 1999 par la police de Sânnicolau Mare, Tiberiu F., adjoint au maire de la commune de Beba Veche, déclara que le 4 avril 1999, alors qu’il se trouvait chez lui, il avait assisté à une bagarre entre Viorel C. et le requérant dans le jardin du premier et que le second avait été amené « amoché » à la police.

41.  Il ressort d’un certificat en date du 7 avril 1999 versé au dossier de l’enquête pénale que Tiberiu F. souffrait d’une forte myopie aux deux yeux, d’une cataracte à l’œil droit et d’un décollement de la rétine à l’œil gauche, qu’il voyait à une distance de 20 centimètres avec l’œil gauche et que sa vue était également diminuée du côté de l’œil droit.

42.  Entendue le 5 juin 1999 par la police de Sânnicolau Mare, Roxa B., la grand-mère de Viorel C., allégua avoir surpris le requérant en train de fouiller la maison de son petit-fils et que, prise de peur, elle n’avait rien vu d’autre et ne savait pas si son petit-fils avait battu Simion Iambor, que ce fût dans son jardin ou au poste de police.

43.  Le 8 juin 1999, les dépositions de quatre témoins, F.M.I., T.N.C., I.V. et C.C., furent recueillies par la police de Sânnicolau Mare. Tous ces témoins déclarèrent que le 4 avril 1999 ils avaient vu le requérant sortant d’un bar de la commune pour aller chercher Viorel C. ou en train de se rendre chez ce dernier. Aucun des quatre témoins ne mentionna quoi que ce soit au sujet de l’agression dont le requérant avait été victime.

44.  Le 16 juin 1999, le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare déclina sa compétence en faveur du parquet militaire territorial de Timişoara, en raison de la qualité de policier d’une des personnes accusées d’avoir agressé le requérant.

2.  L’instruction de la plainte du requérant contre le médecin légiste. Le dossier no 5148/P/99 ouvert par le parquet du tribunal de première instance de Timişoara

45.  Le 17 novembre 1999, le requérant porta plainte contre le médecin légiste M.C., du laboratoire de médecine légale de Timişoara. Il l’accusait d’avoir intentionnellement omis de noter certaines constatations dans le certificat médical du 9 avril 1999, notamment au sujet de ses lésions au nez. Cette omission aurait servi à atténuer la gravité des effets produits par les mauvais traitements dénoncés, en profitant aux accusés. La plainte du requérant donna lieu à l’ouverture d’un dossier (no 5148/P/99) par le parquet du tribunal de première instance de Timişoara.

46.  Par une lettre du 12 janvier 2000, ce parquet invita le parquet militaire de Timişoara à joindre ledit dossier no 5148/P/99 au dossier ouvert à la suite du dépôt par le requérant d’une plainte contre le policier Costel L. et les trois autres personnes qu’il accusait de mauvais traitements.

3.  La suite de l’instruction des plaintes du requérant. Le dossier no 573/P/1999 ouvert par le parquet militaire territorial de Timişoara

47.  Un dossier d’enquête pénale (no 573/P/1999) fut ouvert par le parquet militaire territorial de Timişoara concernant le policier Costel L., les trois autres personnes accusées d’avoir soumis le requérant à des mauvais traitements et le médecin légiste M.C. Le parquet militaire instruisit dans le cadre du même dossier la plainte déposée par Viorel C. contre le requérant pour violation de domicile et tentative de vol.

48.  Entendu le 19 mai 2000 par le procureur militaire, le policier Costel L. déclara que, le 4 avril 1999 vers 14 heures, Viorel C. s’était présenté au poste de police accompagné du requérant « qui se plaignait de douleurs à la poitrine et tamponnait sa bouche à l’aide d’une serviette ». Peu après leur arrivée au poste de police, Tiberiu F. serait également arrivé. Le policier aurait alors identifié le requérant, en présence de Tiberiu F.

49.  Il aurait ensuite quitté le poste de police pour se rendre à la maison de Viorel C. afin de vérifier les faits exposés par ce dernier. Il se serait rendu sur place pour y dresser un constat « en laissant Simion Iambor avec Ioan C. dans la cour du poste de police, parce que l’intéressé se plaignait de douleurs à la poitrine et [qu’il avait] voulu éviter une nouvelle altercation entre la partie lésée [Viorel C.] et [Simion Iambor]. »

50.  Après avoir dressé un constat au domicile de Viorel C., il aurait demandé à ce dernier et à Tiberiu F. d’aller chercher son chef et serait retourné au poste de police « afin d’interroger Iambor Simion ». Etant seul au poste de police et connaissant Iambor Simion comme un « voyageur délinquant » capable de s’enfuir, il aurait, « pour des raisons de sécurité », passé les menottes à l’intéressé, attachant sa main gauche au pied de la table à laquelle il était assis pour être interrogé.

51.  Après l’arrivée de son chef, l’officier Iulian S., il aurait ôté les menottes au requérant et aurait fait venir l’infirmière L.U., qui aurait dit que le requérant ne présentait pas de blessures externes graves. Ils auraient ensuite décidé le placement en garde à vue (reţinere) du requérant, craignant que celui-ci ne prenne la fuite. Les deux policiers auraient par la suite accompagné l’intéressé à la police de Sânnicolau Mare « afin de le déposer à la maison d’arrêt ».

52.  Enfin, le capitaine Z. de la police de Sânnicolau Mare aurait demandé que le requérant soit amené à l’hôpital « pour vérifier s’il pouvait supporter le régime de détention » et le médecin de garde aurait constaté que l’intéressé semblait avoir des côtes fracturées et il aurait décidé de l’hospitaliser.

53.  Entendu le 19 mai 2000 par le procureur militaire, le chef du poste de police de Beba Veche, Iulian S., déclara qu’à son arrivée au poste de police, le 4 avril 1999, il avait vu le requérant menotté, la main gauche attachée au pied de la table, et souffrant de douleurs à la poitrine. Il aurait alors demandé à l’adjudant Costel L. d’enlever les menottes à l’intéressé et appelé l’infirmière résidant dans la commune de Beba Veche. Celle-ci n’aurait constaté aucun signe particulier de souffrance chez le requérant. Iulian S. aurait ensuite accompagné le prisonnier au commissariat de police de Sânnicolau Mare afin de le déposer à la maison d’arrêt (arestul poliţiei), puis à l’hôpital de la ville, sur demande du capitaine Z. Il n’aurait vu le requérant être agressé ni à l’intérieur ni à l’extérieur des locaux de la police de Beba Veche. Une déposition similaire du policier Iulian S. fut recueillie par le procureur militaire le 8 juin 2000.

54.  Vasile P., un homme qui n’avait ni participé ni assisté aux incidents du 4 avril 1999, fut entendu par le procureur militaire comme témoin le 29 mai 2000. Il déclara ne rien savoir concernant l’incident du 4 avril 1999. Il précisa qu’au cours de l’année 1998 il avait été interpellé et injurié par le requérant, qu’il aurait alors « bousculé ». Cette altercation aurait donné lieu à une plainte pénale contre lui, dans laquelle Iambor aurait soutenu qu’il lui avait brisé le nez, chose ne correspondant pas à la réalité.

55.  Le 8 juin 2000, le policier Costel L. fut à nouveau entendu par le procureur militaire, et une confrontation entre lui et le requérant eu lieu le même jour. Il déclara qu’à son arrivée au poste de police le requérant « présentait des lésions au niveau du nez et dans la région costale ».

56.  Le même jour, le procureur présenta au requérant la déclaration du policier pour la confronter à sa propre version. Le requérant contesta le récit du policier, affirmant qu’en réalité il avait été attaché sur une chaise et battu par les frères [C.], par Tiberiu [F.] et par le sous-officier, qui l’aurait frappé au nez avec les menottes. Le but recherché aurait été de le forcer à reconnaître avoir commis les infractions qui lui étaient reprochées.

57.  Entendue le 8 juin 2000 par le procureur militaire, l’infirmière L.U. déclara avoir été appelée par le chef du poste de police pour examiner le requérant, qui se plaignait de douleurs dans la région des côtes. Elle déclara qu’elle n’avait pas vu de lésions au niveau du visage et qu’elle n’avait pas parlé du tout au requérant, mais qu’elle avait suggéré aux policiers de le conduire à l’hôpital, étant donné qu’ils avaient l’intention de l’amener à Sânnicolau Mare.

58.  Le capitaine Z. de la police de Sânnicolau Mare fut entendu le 8 juin 2000 par le procureur militaire. Il déclara qu’aux alentours de 22 heures le policier Costel L. et les frères [Viorel et Ioan] C. lui avaient amené le requérant afin qu’il le place en détention provisoire. Il aurait rejeté cette demande, en raison de l’absence de l’avis du bureau des enquêtes pénales. Il aurait entendu le requérant se plaindre de douleurs aux côtes mais « sans dire qui lui avait provoqué ses lésions ». Il n’aurait pas observé de blessures au visage de l’intéressé, mais aurait noté que celui-ci pressait ses mains contre ses côtes (« se ţinea de zona coastelor »). Ensuite, il aurait ordonné au sous-officier Costel L. d’amener le requérant à l’hôpital.

59.  Le fils du requérant, alors âgé de 20 ans, fut lui aussi entendu, le 8 juin 2000, par le parquet militaire. Il déclara qu’alors qu’il se trouvait à une distance d’environ 200 mètres de la maison de Viorel C. il avait vu sortir Viorel C. et l’adjudant Costel L. encadrant son père et l’emmenant de force au poste de police. Il aurait ensuite vu Tiberiu F. se rendre à la police. Après environ cinq ou six heures, Viorel C. et l’adjudant Costel L. auraient fait sortir son père et l’auraient fait monter dans une voiture.

60.  I.P., un homme qui n’avait ni participé ni assisté aux incidents du 4 avril 1999, fut lui aussi entendu, le 8 juin 2000, comme témoin par le procureur militaire. Il ne fit aucune déclaration au sujet des incidents, mais démentit avoir cherché à convaincre le requérant de retirer sa plainte contre les frères C. et contre le policier en lui offrant une bouteille de cognac.

61.  Le 19 juillet 2000, Viorel C. fut entendu par le procureur militaire. Il déclara qu’il avait eu « une altercation avec [le requérant] » pour l’empêcher de s’enfuir, qu’il l’avait poussé par terre et qu’il lui était tombé dessus. Il l’aurait ensuite conduit au poste de police « sans aucune violence ». Là-bas, l’adjudant [L.] n’aurait pas agressé Iambor Simion, mais lui aurait seulement demandé une déclaration manuscrite.

62.  Ioan C., frère de Viorel C. et maire de la commune de Beba Veche, ne fut pas entendu par le parquet au sujet de la plainte pénale déposée par le requérant relativement aux mauvais traitements qu’il affirmait avoir subis le 4 avril 1999. Aucun autre témoin ne fut entendu par le parquet militaire de Timişoara.

63.  Le 26 juillet 2000, le parquet reçut du médecin légiste M.C. une lettre indiquant que le requérant s’était présenté au laboratoire de médecine légale sans documents d’identité ni documents médicaux, muni seulement de « deux ou trois radiographies non interprétées » dont il sollicitait l’interprétation. Le médecin légiste M.C. lui aurait alors délivré un certificat médicolégal. Le requérant serait revenu le 16 avril 1999, se plaignant que le certificat ne mentionnait pas sa lésion au nez. D’après le médecin légiste, il « revendiquait l’existence d’une fracture de la pyramide nasale, non confirmée radiologiquement ». Et le médecin légiste d’ajouter que « même à admettre la réalité de celle-ci, selon les critères de la médecine légale ce type de lésion nécessitait de douze à quatorze jours de soins médicaux. »

64.  Le médecin légiste expliquait ensuite qu’en raison des innombrables réapparitions du requérant au service de médecine légale, il avait demandé à l’hôpital de Sânnicolau Mare des informations médicales au sujet des lésions constatées lors de son hospitalisation. Par une lettre du 19 mai 1999, le médecin M. lui aurait alors fait savoir que le requérant présentait, au moment de son hospitalisation, une « pyramide nasale légèrement tuméfiée, sensible au toucher, sans signes cliniques de fracture ».

65.  A la fin de sa lettre, le médecin légiste M.C. indiquait qu’à son avis la déviation du septum nasal était bien antérieure à l’agression dénoncée par le requérant, comme tendait à le prouver, d’après lui, la photo figurant sur le permis de conduire de l’intéressé, lequel avait été délivré en 1977.

66.  Par une décision du 4 septembre 2000, le parquet militaire de Timişoara rendit un non-lieu à l’égard du policier Costel L., du médecin légiste M.C., de Ioan C. et de Tiberiu F., considérant que les preuves administrées ne confirmaient pas les accusations pénales contenues dans la plainte. En ce qui concerne Viorel C., le parquet déclina sa compétence en faveur du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare. Il déclina par ailleurs sa compétence en faveur du parquet civil du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare pour l’examen de la plainte pour violation de domicile et tentative de vol portée contre le requérant.

67.  Le point 4 du dispositif de la décision du 4 septembre 2000, contrairement à son point premier, indiquait que tant Viorel C. que Ioan C. étaient renvoyés devant le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, du chef des accusations de coups et blessures portées par le requérant.

4.  La contestation par le requérant de la décision du 4 septembre 2000

68.  Le requérant forma des recours hiérarchiques contre la décision de non-lieu rendue par le parquet militaire de Timişoara. Les 11 décembre 2000 et 31 juillet 2001, la section des parquets militaires de la Cour suprême de justice confirma la décision rendue le 4 septembre 2000. Il ressort de la copie du dossier no 101/2000, auquel avait été joint le dossier no 305/2001, soumise par le Gouvernement, qu’aucun acte d’enquête supplémentaire ne fut accompli par la section des parquets militaires de la Cour suprême de justice au sujet de la plaine du requérant.

69.  Dans son rapport (referat) du 29 novembre 2000, versé au dossier et non communiqué au plaignant, le procureur O. retenait sommairement que le 4 avril 1999 le requérant était entré dans la demeure de Viorel C. « avec l’intention évidente de voler » et que peu après Viorel C. l’avait retrouvé et « lui avait porté plusieurs coups en le conduisant à la police pour une enquête ».

70.  Le requérant saisit le tribunal militaire de Bucarest d’un recours contre les décisions du parquet. Après trois renvois d’audience pour non-respect de la procédure de citation, le tribunal entendit le requérant le 30 janvier 2002. Assisté d’un avocat, l’intéressé demanda au tribunal la requalification des faits dénoncés : à la qualification de coups et blessures, au sens de l’article 180 du code pénal, retenue par le parquet, il souhaitait voir substituer celle d’atteinte à l’intégrité corporelle (vătămare corporală), au sens de l’article 181 du code pénal.

71.  Le tribunal militaire de Bucarest rendit son jugement le 30 janvier 2002. Statuant exclusivement sur la base du dossier d’enquête du parquet militaire, il rejeta le recours du requérant, constatant par ailleurs qu’un des coaccusés, Tiberiu F., était décédé.

72.  Il s’exprima notamment comme suit :

« Le 4 avril 1999, vers 14 h 30, Iambor Simion fut aperçu par Roxa B. à l’intérieur de la maison de Viorel C., en train de fouiller les armoires et les tiroirs pour trouver de l’argent. Iambor Simion justifia sa présence au domicile de Viorel C. en disant qu’il cherchait un tiers, puis il quitta la maison.

Ayant appris ces faits, Viorel C. partit à la recherche de Iambor Simion, le retrouva et l’invita à l’accompagner chez lui. Une fois sur place Viorel C. lui demanda pour quel motif il avait violé son domicile. Iambor Simion ayant alors tenté de s’enfuir, Viorel C. le rattrapa, le fit tomber par terre et l’agressa physiquement.

Iambor Simion fut ensuite conduit au poste de police par Viorel C., qui demanda au policier Costel L. de prendre les mesures légales. Juste après, Ioan C. et Tiberiu F. arrivèrent eux aussi au poste de police. Le policier décida alors d’effectuer certains actes d’enquête. Il invita les trois hommes à quitter les lieux, installa Iambor Simion dans la cour du bâtiment abritant le siège de la police, puis referma la porte à clé. Il se rendit ensuite au domicile de Viorel C. pour un constat sur place et dressa un procès-verbal. Le policier et les trois civils se retrouvèrent ensuite au poste de police.

A son retour au poste, Costel L. jugea nécessaire d’appeler son chef, Iulian S., qui se trouvait à son domicile, [dans une autre commune]. Viorel C. et Tiberiu F. se rendirent en voiture au domicile de Iulian S. et l’amenèrent au poste de police de Beba Veche.

Dans l’intervalle, le requérant se retrouva seul avec le policier Costel L., qui, ayant appris qu’il avait tenté de s’enfuir, lui passa les menottes afin d’empêcher une nouvelle tentative d’évasion. A l’arrivée de son chef, Costel L. enleva les menottes au requérant.

Après avoir effectué d’autres actes de poursuite pénale, les deux policiers susmentionnés conduisirent le requérant à un commissariat de police de la ville de Sânnicolau Mare, où l’intéressé commença à se plaindre de douleurs dans la région costale, motif pour lequel il fut conduit de suite à l’hôpital de la ville, où il fut hospitalisé. »

73.  Le tribunal militaire conclut que les lésions corporelles subies par Iambor Simion avaient été causées antérieurement à son arrivée à la police, lors de l’agression perpétrée par Viorel C.

74.  Concernant ce dernier, le tribunal constata que des poursuites pénales avaient été engagées contre lui le 8 juin 2000 et que le dossier de l’affaire avait été envoyé au tribunal de première instance de Sânnicolau Mare.

75.  Quant aux accusations portées contre le médecin légiste M.C., le tribunal confirma ce que le parquet avait établi, à l’issue de son enquête. Il s’exprima comme suit :

« Iambor Simion se présenta au médecin légiste sans être en possession ni d’une carte d’identité, ni de la feuille de soins délivrée à sa sortie de l’hôpital, mais uniquement avec quelques radiographies non interprétées. Dans ces conditions, le médecin légiste M.C. demanda à la clinique no 1 de Timişoara d’interpréter les radiographies du requérant. La clinique répondit que « la pyramide nasale du requérant n’a[vait] pas subi de lésions traumatiques osseuses ». Concernant les autres lésions de Simion Iambor, le médecin légiste estima à dix-huit jours la durée des soins médicaux nécessaires au rétablissement de l’intéressé.

A la suite des démarches de Iambor Simion, la feuille d’observation clinique établie lors de son hospitalisation fut demandée, ainsi qu’une lettre médicale. Le chirurgien M.P. avait ainsi estimé que l’intéressé avait subi une tuméfaction de la pyramide nasale, sans signes cliniques de fracture. En outre, à la suite de l’examen ORL une déviation du septum nasal avait été constatée, mais sans précisions quant à son ancienneté.

Après avoir beaucoup insisté, le médecin légiste obtint de Iambor Simion une pièce d’identité avec photo, à savoir son permis de conduire, délivré le 18 janvier 1977. Sur cette pièce était visible la déviation vers la gauche de la pyramide nasale de l’intéressé. Dès lors, si la déviation du septum nasal avait une ancienneté qui ne pouvait être précisée, elle était bien antérieure au traumatisme subi lors de l’agression litigieuse. »

76.  Le tribunal conclut que c’était à juste titre que le parquet avait prononcé le non-lieu.

77.  Saisie d’un recours par le requérant, la cour militaire d’appel confirma le jugement du tribunal militaire territorial par un arrêt du 25 avril 2002. Elle considéra que le tribunal avait correctement apprécié les preuves administrées par les organes d’enquête pénale, sur la base desquelles le parquet avait prononcé un non-lieu à l’égard de Costel L., M.C., Ioan C. et Tiberiu F.

5.  La suite de la procédure pénale à l’encontre de Viorel C. et Ioan C.

78.  A la suite de la décision rendue par le parquet militaire de Timişoara le 4 septembre 2000, qui renvoyait la plainte du requérant devant le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, un dossier fut ouvert par ce tribunal concernant tant Viorel C. que Ioan C., tous deux accusés de coups et blessures (lovirea sau alte violenţe), au sens de l’article 180 § 2 du code pénal.

79.  Par une lettre du 25 septembre 2000, le parquet militaire territorial informa le tribunal de première instance que le dispositif de la décision du 4 septembre 2000 indiquait de façon erronée que Ioan C. était renvoyé en jugement aux cotés de Viorel C. Il précisait qu’ainsi qu’il ressortait de la décision du parquet un non-lieu avait été rendu à l’égard d’Ioan C.

80.  Le tribunal de première instance fixa l’audience au 28 septembre 2000 et ordonna la convocation du requérant et des inculpés Viorel et Ioan C.

81.  Le jour venu, le requérant se vit infliger une amende contraventionnelle pour avoir perturbé le bon déroulement des débats en utilisant des expressions offensantes et en formulant des commentaires à l’endroit du juge, qui avait été contraint de suspendre l’audience jusqu’au rétablissement de l’ordre dans la salle. La décision ne précisait pas quelles expressions avaient été employées par le requérant lors de son intervention devant le tribunal. Dans le cadre de cette procédure, le requérant ne fut pas assisté par un avocat.

82.  Après la reprise des débats, le tribunal prit acte de la demande du requérant tendant au renvoi de l’affaire devant un autre tribunal (cerere de strămutare) et décida de la soumettre à la Cour suprême de justice. A cette fin, il ajourna l’audience au 26 octobre 2000.

83.  Le requérant ne se présenta pas à l’audience du 26 octobre 2000.

84.  Le tribunal décida de reporter l’affaire au 30 novembre 2000, la demande de renvoi n’ayant pas encore été tranchée par la Cour suprême de justice. Il ordonna par ailleurs que le requérant soit convoqué à l’audience.

85.  Il ressort du dossier soumis par le Gouvernement que le requérant ne fut pas cité à comparaître le 30 novembre 2000.

86.  A cette date, le tribunal reporta l’audience au 11 janvier 2001 et ordonna que le requérant soit dûment cité à comparaître.

87.  Le 11 janvier 2001, le requérant informa le tribunal que sa demande de renvoi avait été rejetée par la Cour suprême de justice. Le tribunal décida de reporter l’audience au 8 février 2001 afin de demander une nouvelle expertise médicolégale du requérant.

88.  Le 8 février 2001, le requérant déclara devant le tribunal qu’il s’opposait à un nouvel examen à l’institut local de médecine légale, dont il contestait l’impartialité. Le tribunal décida de reporter l’audience au 22 février 2001, afin de permettre l’administration de nouvelles preuves.

89.  Le 22 février 2001, le tribunal reporta l’audience au 15 mars 2001 afin de permettre l’administration d’autres preuves. Le procès-verbal de l’audience du 22 février 2001 indiquait que le requérant était absent (lipsă partea vătămată). Comme pour les parties présentes, il précisait que le requérant connaissait la date à laquelle l’audience avait été reportée. En conséquence, le tribunal n’estima pas nécessaire de convoquer l’intéressé à l’audience du 15 mars 2002.

90.  Le requérant affirme pour sa part qu’il s’était présenté devant le tribunal le 22 février 2001, mais qu’il avait été expulsé de la salle d’audience sur ordre du juge, sans que lui soit communiquée la date à laquelle l’audience avait été reportée. Il aurait ensuit tenté en vain de s’enquérir de cette date, le greffe ayant refusé de la lui communiquer oralement, au motif qu’il allait recevoir une convocation écrite.

91.  Le 15 mars 2001, en absence du requérant, le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare décida de clôturer le procès pénal concernant les allégations de mauvais traitements dirigées contre Viorel C. et Ioan C., au motif que l’intéressé avait été absent à deux audiences consécutives, les 22 février et 15 mars 2001, et que sa plainte pénale devait en conséquence être considérée comme retirée en vertu de l’article 2841 du code de procédure pénale combiné avec les articles 11 § 2 b) et 10 h) du même code.

92.  Le requérant contesta cette décision, alléguant que, ayant été expulsé du prétoire, il n’avait pas pu participer à l’audience du 22 février 2001 et que le tribunal ne l’avait pas régulièrement cité à comparaître à l’audience du 15 mars 2001.

93.  Par une décision du 25 juin 2001, le tribunal départemental du Timiş rejeta le recours du requérant au motif que « la véracité des allégations de la partie lésée ne ressort[ait] pas du procès-verbal de l’audience du 22 février 2001 ».

C.  La sanction disciplinaire infligée au policier Costel L. et l’enquête pénale ouverte contre lui dans le dossier no 227/P/1999

94.  A une date non précisée au cours du mois de mai 1999, D.R., rédactrice de la chaîne locale de la télévision publique (TVR) réalisa à Beba Veche un reportage au sujet du requérant. Elle recueillit tant les propos du requérant que ceux du policier Costel L. Lors de son entretien avec la journaliste, le policier lui remit un extrait du casier judiciaire du requérant. Par la suite, la journaliste appela le requérant pour lui remettre le document, sans en faire usage pour son reportage.

95.  Le 7 juin 1999, le requérant porta plainte contre le policier Costel L., lui reprochant d’avoir remis à la journaliste D.R. un extrait de son casier judiciaire, qui comprenait des données à caractère personnel dont il contestait la réalité.

96.  Une enquête disciplinaire fut ouverte contre le policier.

97.  Le 5 juillet 1999, une commission disciplinaire (consiliul de judecată) constituée par cinq officiers de police décida que l’adjudant Costel L. avait enfreint la discipline en remettant un extrait du casier judiciaire du requérant à la journaliste D.R. et en accomplissant de manière défectueuse les actes d’enquête concernant le vol prétendument commis par l’intéressé le 4 avril 1999. La commission sanctionna le policier d’une peine disciplinaire de cinq jours de consigne. Sa décision comportait notamment les passages suivants :

« (...) A la suite des délibérations, il ressort que le 2 juin 1999 Iambor Simion, résidant à Beba Veche, s’est rendu au studio de TVT (Télévision Timişoara), où il s’est vu remettre sa propre fiche de casier judiciaire CF 6, de la main de la journaliste [R.D.].

Cette fiche avait été remise [à la journaliste] par le policier L. Costel, avec prière de restitution après le reportage. Après se l’être vu restituer le délinquant l’a remise à la police de la ville de Sânnicolau Mare.

Elle avait été remise au studio territorial en méconnaissance des dispositions de la loi no 23/1971, afin d’incriminer [Simion Iambor]. Par ailleurs, à l’occasion de l’enquête sur un vol commis par ce même Iambor Simion, le policier L. Costel a dressé un procès-verbal de constatations sur les lieux (cercetare la faţa locului) sans accomplir d’actes de procédure et sans identifier deux témoins assistants, rendant ainsi l’enquête plus difficile par le non-respect d’éléments essentiels de forme et de fond.

[La commission] (...) constate la violation des dispositions de la loi no 23/1971 et de l’arrêté 0150/[...] et le manque d’intérêt [de L. Costel] pour l’accomplissement de ses obligations professionnelles et pour l’amélioration de sa spécialité.

(...) »

98.  Par une lettre du 5 janvier 2000, l’inspecteur en chef S., de la direction départementale de la police du Timiş, répondit à une pétition du requérant adressée au ministre de l’Intérieur. Il l’informait que « les aspects signalés au sujet du comportement abusif du policier [L. Costel] [avaient] été vérifiés et que des mesures disciplinaires [avaient] été prises à son encontre par la direction départementale de la police ».

99.  Un dossier d’enquête pénale fut également ouvert, sous le no 227/P/1999, à la suite de la plainte déposée par le requérant le 7 juin 1999.

100.  Dans sa déposition du 10 août 1999, le policier Costel L. s’exprima comme suit :

« Iambor Simion ayant dénigré par tous les moyens l’activité des organes de la police et les journalistes de la télévision de Timişoara ayant décidé de mener une enquête pour vérifier la réalité des faits allégués par Iambor Simion, ils m’ont demandé des informations de nature à confirmer que ce dernier était un élément réfractaire contrôlé par la police. J’ai alors apporté des arguments et j’ai défendu la légalité des actes accomplis, notamment en livrant une copie du verso du casier judiciaire. »

101.  Par une décision du 23 septembre 1999, le parquet militaire de Timişoara rendit un non-lieu à l’égard du policier Costel L., considérant que les faits dénoncés n’étaient pas constitutifs d’une infraction. Il retint qu’afin de donner un exemple révélateur du caractère et du comportement de Iambor Simion le sous-officier avait présenté à la journaliste la fiche de casier judiciaire litigieuse, qu’il gardait dans le dossier de surveillance (mapa de supraveghere) et dans laquelle figuraient plusieurs infractions qui avaient été commises entre 1976 et 1994 mais avaient été amnistiées. Après avoir relevé que ce type de casier n’était pas utilisé dans les dossiers pénaux et n’était pas public, le parquet considéra qu’il ressortait des preuves administrées que le sous-officier n’avait eu l’intention ni de porter atteinte aux intérêts légitimes du requérant ni de le calomnier. Il constata enfin que le policier [L. Costel] s’était vu infliger une sanction disciplinaire pour la méconnaissance de la déontologie professionnelle.

102.  Le 9 décembre 1999, sur recours du requérant, la section des parquets militaires de la Cour suprême de justice confirma le non-lieu.

D.  Le résultat de la procédure pénale ouverte à l’encontre du requérant

103.  A la suite de la décision du 4 septembre 2000, par laquelle le parquet militaire territorial de Timişoara avait décliné sa compétence pour les faits que le requérant était accusé d’avoir commis le 4 avril 1999, le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, par décision du 15 mars 2001, le relaxa de toute charge pénale et lui infligea une amende administrative.

E.  Les entraves alléguées à l’exercice par le requérant de son droit de recours individuel devant la Cour

104.  Le 4 septembre 2001, le requérant fut condamné par la cour d’appel de Bucarest à une peine de trois ans d’emprisonnement pour un vol sans rapport avec les faits à l’origine de la présente requête commis le 17 décembre 1998. Cette procédure fait l’objet d’une autre requête, enregistrée sous le no 31062/03, devant la Cour.

105.  A la suite de cette condamnation, le requérant fut incarcéré à la maison d’arrêt de Sânnicolau Mare, où il commença à purger sa peine le 27 septembre 2001.

106.  Au cours de sa détention, il poursuivit sa plainte pénale concernant le policier Costel L., le médecin légiste M.C., Viorel C. et Ioan C., ainsi que sa requête devant la Cour.

107.  A plusieurs reprises, il se plaignit auprès du ministre de la Justice de l’inertie des autorités judiciaires menant la procédure interne, à savoir les procureurs et les tribunaux militaires.

108.  Face au manque de réaction des autorités, il entama à plusieurs reprises une grève de la faim. Ainsi, le 8 novembre 2001, il communiqua aux autorités de la maison d’arrêt de Sânnicolau Mare son intention d’entamer une grève de la faim.

109.  Le 13 novembre 2001, il fut transféré à la prison de Timişoara, où il poursuivit sa grève. Il affirme que le médecin Z., psychiatre de la prison, le menaça de « s’occuper de lui » s’il ne retirait pas ses plaintes devant le parquet et devant la Cour de Strasbourg. Faute de l’assistance médicale requise, il tomba dans le coma. Il fut soigné à l’aide de perfusions, puis transféré à l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi le 20 novembre 2001.

110.  Le 13 décembre 2001, le requérant quitta l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi pour être transféré à la prison de Bucarest-Jilava.

111.  Le 22 mai 2002, il fut transféré à la prison de Timişoara.

112.  Les 28 novembre 2001, 7 janvier, 7 mars et 28 mai 2002, il demanda par écrit aux directeurs des prisons de Bucarest-Jilava et de Timişoara de lui délivrer copie des documents à caractère juridique (mandat d’exécution de la peine, réquisitoires, décisions de justice) et médical des dossiers le concernant. Chaque fois, il se heurta à un refus.

113.  Il réitéra verbalement ses demandes tant auprès du directeur qu’auprès du médecin de la prison, précisant qu’il avait besoin de ces documents pour étayer ses requêtes devant la Cour. A plusieurs reprises, il se vit refuser les copies demandées.

114.  Pendant trois périodes, du 7 au 19 juin 2002, du 5 juillet au 21 août 2002 et du 20 septembre au 23 octobre 2002, il séjourna à l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi, après avoir entamé des grèves de la faim. Il fut chaque fois ramené à la prison de Timişoara.

115.  Le 8 août 2002, alors qu’il se trouvait hospitalisé à Colibaşi, il demanda par écrit copie de la décision rendue par la cour militaire d’appel de Bucarest le 25 avril 2002 et de deux procès-verbaux de citation à comparaître devant la cour militaire d’appel.

116.  Il ressort d’un document fourni par le Gouvernement qu’un responsable de l’hôpital pénitentiaire apposa sur cette requête un ordre manuscrit ainsi libellé : « à délivrer par la prison d’où il vient » (să i le dea penitenciarul de unde a venit).

117.  Le 14 avril 2003, le docteur R., médecin militaire à la prison de Timişoara, refusa de délivrer au requérant certains documents médicaux demandés par lui, malgré la réponse favorable du directeur de la prison. Le docteur R. lui communiqua son refus avec la remarque suivante : « Ce n’est pas parce que la Cour européenne demande tel ou tel document que nous allons nous plier » (Doar nu trebuie să cadă toată lumea pe spate când Curtea Europeană cere ceva acte [...]). Il précisa que tant qu’il serait le médecin de la prison le requérant ne recevrait pas ces documents.

118.  Le 2 juin 2003, le requérant fut transféré à l’hôpital pénitentiaire de Dej. Le 13 juin 2003, l’administration de cet établissement fit droit à ses demandes et lui délivra copie de certains rapports médicaux et documents juridiques.

119.  Il ressort d’une lettre de l’Administration nationale des prisons (« ANP ») en date du 5 août 2005 que le 5 juin 2003 l’ANP rendit une décision (no 3386) prévoyant l’obligation pour les responsables des établissements pénitentiaires de délivrer aux requérants détenus copie des documents figurant dans leurs dossiers pénitentiaires et de tenir un registre des demandes formées à cet égard. Dans la même lettre, l’ANP précisait qu’avant cette décision il n’existait de registre ni des demandes ni des décisions prises.

120.  Le 1er octobre 2003, le requérant fut libéré sous conditions. Il rentra à son domicile, à Beba Veche.

121.  Après cette date, il continua à envoyer des lettres à la Cour au sujet tant de la présente requête que de la requête, enregistrée sous le no 31062/03, relative à la procédure pénale ouverte à son encontre du chef du vol commis le 17 décembre 1998 et aux conditions de sa détention subséquente.

F.  Les atteintes à la correspondance du requérant avec l’organisation Amnesty International et avec la poste roumaine

122.  Le 19 mai 2004, le requérant envoya une lettre à Amnesty International, à Londres. L’organisation non gouvernementale lui répondit par une lettre du 28 mai 2004, que le requérant reçut le 18 juin 2004, alors qu’il se trouvait à son domicile à Beba Veche, dans une enveloppe ouverte ne présentant de cachet ni de la poste britannique ni de la roumaine.

123.  Le requérant adressa à la poste roumaine une lettre dans laquelle il se plaignait que sa correspondance avec Amnesty International avait été violée. Le 5 juillet 2004, le département du trafic postal international de Bucarest lui répondit que les règlements internes en vigueur n’exigeaient plus l’apposition du cachet de la poste sur les enveloppes à l’arrivée des lettres simples de l’étranger. Envoyée par pli recommandé, cette réponse parvint au requérant dans une enveloppe ouverte le 7 juillet 2004.

124.  Il porta plainte à cet égard et, le 2 août 2004, la direction départementale de la poste de Timişoara lui adressa la réponse suivante :

« A la suite de votre plainte relative à la réception de la lettre recommandée no 6662 dans une enveloppe détériorée, nous avons effectué une enquête et sommes en mesure de vous communiquer ce qui suit :

La lettre recommandée expédiée par le département du trafic postal international de Bucarest est arrivée à Beba Veche le 7 juillet 2004, date à laquelle elle vous a été délivrée.

A la réception de l’envoi, la fonctionnaire de la poste a constaté que les marges de l’enveloppe étaient décollées. Elle a mentionné ce fait sur l’enveloppe lors de sa distribution.

Les employés coupables de ne pas avoir respecté les instructions internes en vigueur concernant le traitement du courrier se sont vu infliger une sanction disciplinaire.

Nous regrettons l’incident et vous remercions pour votre compréhension. »

125.  Le 21 juin 2004, le requérant porta plainte pour violation de sa correspondance avec Amnesty International. Le 21 juillet 2004, il fut convoqué au poste de police de Beba Veche, où il fut questionné, selon ses dires, au sujet de sa correspondance tant avec cette organisation qu’avec la Cour.

126.  D’après le Gouvernement, la plainte déposée par le requérant pour violation de sa correspondance fit l’objet d’une enquête pénale conduite par le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, sous le dossier no 550/P/2004, dont le Gouvernement n’a pas soumis copie à la Cour.

127.  Selon le Gouvernement, le requérant fut entendu dans le cadre de ce dossier les 20 juillet et 30 août 2004. E.B. et C.B., employés de la poste, furent également entendus, le 21 juillet 2004.

128.  Par une décision du 8 septembre 2004, le procureur rendit un non-lieu, en l’absence de preuves de nature à faire conclure que les employés de la poste auraient commis une violation de la correspondance du requérant. En ce qui concerne l’omission de l’employé de la poste concerné de dresser un procès-verbal attestant le fait que la lettre recommandée adressée au requérant par la poste avait été délivrée dans une enveloppe endommagée, le procureur précisa que cette omission constituait une faute disciplinaire, insusceptible d’engager la responsabilité pénale de l’intéressé pour violation de correspondance.

129.  Le requérant ne contesta pas la décision de non-lieu et ne forma pas d’action civile contre la poste.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  Dispositions législatives relatives aux mauvais traitements

130.  Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi :

Article 180 – Des coups et autres actes de violence

« Les coups ou autres actes de violence causant des souffrances physiques sont passibles d’une peine de prison comprise entre un et trois mois ou d’une amende. (...) Les coups ou autres actes de violence ayant causé des lésions nécessitant des soins médicaux pendant 20 jours au maximum sont passibles d’une peine de prison comprise entre trois mois et deux ans ou d’une amende (...) L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée (...) »

Article 267 – Des mauvais traitements

« Le fait de soumettre à des mauvais traitements une personne se trouvant en garde à vue ou en détention (...) est passible d’une peine de un à cinq ans de prison. »

B.  Dispositions législatives pertinentes en matière d’expertises médicolégales

1.  Le code de procédure pénale

131.  L’article 119 du CPP prévoit que les instances de poursuite pénale ou les tribunaux doivent s’adresser aux services médicolégaux et aux laboratoires d’expertise criminalistique pour obtenir des expertises spécifiques. Tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, l’article 120 du CPP prévoyait en son paragraphe 5 la possibilité pour chaque partie de demander la désignation d’un expert de son choix pour participer à l’accomplissement d’une expertise, à l’exception des expertises médicolégales ou criminalistiques.

132.  Par sa décision no 143/1999 publiée le 30 novembre 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel le paragraphe 5 de l’article 120 du CPP au motif qu’en refusant aux parties le droit de proposer un expert en matière d’expertise médicolégale il méconnaissait les droits de la défense.

133.  Le paragraphe en question a été abrogé par la loi no 281/2003 réformant le CPP, publiée dans le Journal officiel no 468 du 1er juillet 2003.

2.  Le décret no 446 du 25 mai 1966 relatif à l’organisation des instituts et services médicolégaux

134.  Les dispositions pertinentes étaient ainsi rédigées :

Article 2

« Les instituts médicolégaux sont l’Institut de recherches scientifiques médicolégales « Prof. Dr. Mina Minovici », placé sous la tutelle du ministère de la Santé, et les filiales de cet institut. Une commission supérieure médicolégale ainsi que des commissions consultatives et des commissions de contrôle des actes médicolégaux agissent dans le cadre de l’Institut et de ses filiales. »

Article 3

« Sur le plan régional, les services médicolégaux sont subordonnés aux comités exécutifs des conseils populaires (...) »

Article 6

« L’Institut de recherches scientifiques « Prof. Dr. Mina Minovici » et ses filiales effectuent (...) des expertises médicolégales, sur demande des organes judiciaires habilités, en cas d’homicide, de coups et blessures (...), de déficiences dans la dispensation de soins médicaux, ainsi que tous autres examens médicolégaux prévus par le règlement d’application du présent décret. »

3.  Le règlement d’application du décret no 446 du 25 mai 1966, approuvé par la décision no 1085/66 du Conseil des ministres de l’époque

135.  Les dispositions pertinentes étaient ainsi rédigées :

Article 27

« Les comités exécutifs des conseils populaires assurent les moyens de transport et le paiement des dépenses effectuées lors des déplacements des médecins (...) »

Article 62

« Les instructions relatives aux [attributions des médecins qui effectuent des expertises médicolégales] et à l’activité des instituts et services médicolégaux sont émises par le ministère de la Justice, le ministère de l’Intérieur et le parquet général. »

136.  Le décret no 446 du 25 mai 1966 et son règlement d’application ont été abrogés par le règlement gouvernemental no 1 du 20 janvier 2000 sur l’organisation et le fonctionnement des établissements de médecine légale, publié au Journal officiel no 22 du 21 janvier 2000. Ce règlement a été approuvé, après modifications, par la loi no 459/2001, puis modifié par le règlement no 57/2001, approuvé, après modifications, par la loi no 271/2004. La version consolidée du règlement no 1/2000 a été publiée dans le Journal officiel no 996 du 10 novembre 2005.

137.  L’article 5 § 1 a) du règlement no 1/2000 prévoit que l’Institut national de médecine légale est une personne morale subordonnée au ministère de la Santé. En vertu de l’article 6 § 3, le ministère de la Santé assure le contrôle et l’évaluation de l’activité de médecine légale. Le directeur général de l’Institut national de médecine légale et les directeurs des instituts médicolégaux des centres médicaux universitaires sont nommés par ordre du ministre de la Santé, conformément à l’article 12 § 3 du règlement no 1/2000. L’activité de médecine légale est contrôlée par le ministère de la Santé et le Conseil supérieur de médecine légale, composé des directeurs des instituts médicolégaux et de représentants des ministères de la Santé, de la Justice et de l’Intérieur, et du ministère public. L’article 32 de la version consolidée (anciennement article 26) prévoit que le financement de l’Institut national de médecine légale est « assuré par des subventions prélevées sur le budget de l’Etat, par l’intermédiaire du budget du ministère de la Santé ».

C.  Dispositions législatives pertinentes en matière de plainte préalable et de recours contre les décisions du parquet

138.  Les dispositions législatives pertinentes en matière de plainte préalable et de recours contre les décisions du parquet sont décrites dans l’arrêt Macovei et autres c. Roumanie, no 5048/02, § 34-35, 21 juin 2007.

D.  Dispositions législatives pertinentes concernant la clôture du procès pénal

139.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisent ainsi :

Article 2481 – Absence injustifiée de la partie lésée

« Pour ce qui est des infractions prévues par l’article 279 § 2 a), l’absence injustifiée de la partie lésée à deux audiences consécutives devant la juridiction de première instance vaut désistement et la plainte est présumée avoir été retirée. »

140.  L’article 2481 du code de procédure pénale a été abrogé par la loi no 356/2006 du 21 juillet 2006, publiée dans le Journal officiel no 677 du 7 août 2006.

E.  Dispositions du code pénal concernant la violation de la correspondance

141.  L’article 195 du code pénal, relatif à la violation du secret de la correspondance, se lit comme suit :

« 1.  L’ouverture sans autorisation de la correspondance adressée à autrui (...) est punie d’une peine de six mois à trois ans de prison.

2.  Est puni de la même peine le fait de soustraire, détruire ou retenir de la correspondance, ainsi que le fait de divulguer son contenu, même si elle a été envoyée ouverte ou ouverte par erreur (...) ;

3.  L’action pénale est mise en mouvement sur plainte de la victime. (...). »

F.  Dispositions du code civil concernant la responsabilité civile délictuelle

142.  Les dispositions pertinentes du code civil sont ainsi libellées :

Article 998

« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Article 999

« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

III.  RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Le rapport adressé au gouvernement de la Roumanie par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) après la visite effectuée par lui en Roumanie du 24 janvier au 5 février 1999

143.  En ce qui concerne les blessures constatées sur des personnes placées en garde à vue par la police, les recommandations du CPT relativement aux constats médicaux sont ainsi libellées :

« Le CPT recommande en outre que tout constat médical effectué sur une personne présentant des signes de blessure contienne :

i.  un compte rendu des déclarations faites par l’intéressé qui sont pertinentes pour l’examen médical (y compris la description de son état de santé et de toute allégation de mauvais traitements) ;

ii.  un relevé des constatations médicales objectives fondées sur un examen médical approfondi ;

iii.  les conclusions du médecin à la lumière de i) et ii). Dans ses conclusions, le médecin devrait indiquer le degré de compatibilité entre les allégations faites et les constatations médicales objectives ; ceci permettra aux autorités compétentes et, en particulier aux procureurs, de faire une évaluation idoine des informations contenues dans le constat. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

144.  Le requérant allègue la violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

145.  Il affirme que pendant sa garde à vue il a été soumis à des mauvais traitements par le sous-officier Costel L., du poste de police de Beba Veche, par deux autres fonctionnaires, dont un était le maire de la commune de Beba Veche et l’autre son adjoint, et par un particulier. Le requérant allègue, en outre, d’avoir été retenu à la police pendant plusieurs heures, avant d’être amené à l’hôpital malgré la détérioration de son état. Il soutient que l’enquête pénale menée au sujet de sa plainte pour mauvais traitements n’a pas été complète, le médecin légiste qu’il avait accusé d’avoir favorisé le policier agresseur en dressant un certificat médicolégal inexact n’ayant jamais été entendu par les autorités responsables de l’enquête et ne s’étant jamais présenté devant le parquet ou les tribunaux.

A.  Sur la recevabilité

146.  Considérant que les griefs ne sont pas manifestement mal fondés, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B.  Sur le fond

147.  La Cour relève que ces griefs portent, d’une part, sur les traitements subis par le requérant le 4 avril 1999 et, d’autre part, sur la qualité de l’enquête menée par les autorités au sujet desdits traitements.

1.  Sur l’applicabilité de l’article 3 de la Convention

148.  La Cour rappelle tout d’abord que pour tomber sous le coup de l’article 3 les mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. Lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté, l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l’article 3 (arrêt Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000-IV).

149.  Le Gouvernement ne conteste pas que les blessures du requérant mentionnées sur le certificat médicolégal produit, atteignent un niveau de gravité suffisant pour déclencher l’applicabilité de l’article 3.

150.  La Cour estime pour sa part que l’importance des blessures constatées par les médecins qui ont examiné le requérant à l’hôpital de Sânnicolau Mare lors de son hospitalisation du 4 au 8 avril 1999 l’autorise à considérer que les blessures de l’intéressé étaient suffisamment graves, eu égard aux circonstances de l’affaire, pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 (voir, par exemple, Assenov et autres, précité, p. 3288, § 95).

2.  Sur l’étendue des blessures du requérant

151.  Se référant à l’arrêt Caloc c. France, no 33951/96, CEDH 2000‑IX, le Gouvernement plaide que certaines allégations du requérant ne sont étayées par aucun élément de preuve. En particulier, celles relatives à une fracture de ses os nasaux lors de l’agression du 4 avril 1999 seraient contredites par le certificat médicolégal figurant au dossier. Dès lors, le Gouvernement conteste que le requérant ait subi une fracture des os nasaux le 4 avril 1999. Il affirme que la déviation post-traumatique du septum nasal de ce dernier est antérieure à cette date.

a)  Sur la blessure au nez

152.  La Cour note qu’il ressort de l’ensemble des documents exposant les résultats des examens médicaux auxquels le requérant a été soumis par les médecins de l’hôpital de Sânnicolau Mare lors de son hospitalisation consécutive à l’agression du 4 avril 1999 que l’intéressé a subi un traumatisme crânien facial et un traumatisme thoracique. Il ressort également du dossier médical que les médecins constatèrent une tuméfaction de la pyramide nasale « sensible au toucher » et une déviation post-traumatique du septum nasal, mais qu’ils précisèrent que l’intéressé ne présentait pas de signes cliniques de fracture des os nasaux (paragraphes 19 et 21 ci-dessus).

153.  En revanche, le certificat médicolégal délivré par le médecin légiste M.C. le 9 avril 1999 ne fait pas état d’une tuméfaction du nez du requérant (paragraphe 22 ci-dessus), alors que plusieurs rapports médicaux dressés lors de l’hospitalisation de l’intéressé et plusieurs lettres émanant des médecins qui l’ont examiné et soigné à l’époque mentionnent clairement la présence d’une lésion au nez.

154.  La Cour observe en outre que pendant la période de son hospitalisation du 4 au 8 avril 1999 le requérant n’a pas été examiné par un médecin radiologue, en raison de l’absence d’un tel spécialiste au service de l’hôpital de Sânnicoalu Mare.

155.  S’agissant des documents médicaux dressés ultérieurement, la Cour observe qu’il ressort de la lettre du médecin légiste M.C. en date du 16 avril 1999 que l’existence d’une fracture des os nasaux chez le requérant a été démentie, après sa sortie de l’hôpital, par l’examen radiologique du 9 avril 1999. Cet examen radiologique a confirmé l’existence d’une déviation du septum nasal et l’obturation de l’aile nasale droite du requérant (paragraphe 27 ci-dessus). L’avis du médecin légiste M.C. à cet égard était que la déviation du septum nasal était bien antérieure à l’agression du 4 avril 1999 et devrait remonter à une période antérieure à 1977.

156.  La Cour observe qu’à l’exception de l’avis du médecin légiste M.C., contesté par le requérant, aucun des autres examens médicaux réalisés directement n’ont abouti à une conclusion nette quant à la date de survenance de sa déviation de septum.

157.  En conséquence, la Cour considère que, s’il n’est pas possible d’établir à partir des documents médicaux présentés par les parties si le requérant a subi une fracture du nez lors de son agression du 4 avril 1999, ni à quel moment remonte la déviation post-traumatique de son septum nasal, il est manifeste qu’immédiatement après son agression l’intéressé présentait une lésion nasale, dont il ne peut être fait abstraction dans l’établissement de l’étendue de ses blessures. En tout état de cause, au-delà de la question de l’imputabilité de cette blessure, la Cour considère qu’il convient de la prendre en compte au moins sous l’angle de l’obligation positive d’assurer une assistance médicale adéquate et prompte au requérant, que l’article 3 de la Convention faisait peser sur l’Etat défendeur.

b)  Sur les autres blessures présentées par le requérant

158.  La Cour rappelle que le Gouvernement ne conteste pas les autres blessures du requérant mentionnées sur le certificat médicolégal et les autres documents médicaux produits par le requérant, qui tous font état d’un traumatisme crânien facial aigu fermé et d’un traumatisme thoracique, accompagnés de multiples tuméfactions, ecchymoses et excoriations au niveau du visage et du corps (voir le paragraphe 149 ci-dessus).

159.  L’étendue et la gravité des blessures du requérant consécutives à son agression du 4 avril 1999 ayant été établies, il reste à déterminer si les obligations découlant de l’article 3 de la Convention ont été respectées en l’espèce.

3.  Obligations substantielles

160.  La Cour rappelle que s’agissant d’un individu placé en garde à vue, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible quant à l’origine des blessures, alors que l’on constate qu’il est blessé au moment de sa libération, faute de quoi l’article 3 de la Convention trouve manifestement à s’appliquer (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999-V). La Cour tient à souligner sur ce point que les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités, qui en sont responsables, ont le devoir de les protéger (Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 167, 1er mars 2001).

Par ailleurs, les autorités sont dans l’obligation de protéger la santé de toute personne privée de liberté (arrêt Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 111, CEDH 2001‑III). Le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII).

161.  La Cour note que, le 4 avril 1999, le requérant a été retenu pendant plusieurs heures en garde à vue au poste de police de Bebe Veche, qu’il a ensuite été conduit sous escorte à la police de Sânnicolau Mare, puis que, sur ordre du capitaine Z. de la police de Sânnicolau Mare, il a été transporté par les policiers à l’hôpital de la ville, présentant les traces d’une agression. Les rapports médicaux dressés lors de son hospitalisation et non contestés indiquent qu’il souffrait d’un traumatisme crânien facial aigu fermé et d’un traumatisme thoracique, accompagnés de multiples tuméfactions, ecchymoses et excoriations au niveau du visage et du corps.

162.  Le requérant affirme qu’après avoir été appréhendé violemment par Viorel C., il fut agressé, alors qu’il était en garde à vue dans les locaux du poste de police de Beba Veche, par le policier Costel L. et par trois autres hommes, à savoir Viorel C., Ioan C., frère du premier et maire de la commune de Beba Veche, et Tiberiu F., son adjoint. Le policier l’aurait menotté et attaché au pied de la table, puis, imité par les trois autres hommes, il l’aurait frappé à coups de poing et à coups de pied, si bien qu’il se serait retrouvé par terre, le visage ensanglanté.

163.  Le Gouvernement ne conteste pas que le requérant ait subi une agression le 4 avril 1999, mais affirme que les mauvais traitements n’ont pas été infligés par les agents de l’Etat. « Seuls organes compétents pour établir les faits », les instances nationales ont conclu que ni le policier Costel L. ni Ioan C. et Tiberiu F. n’avaient fait subir au requérant le moindre acte d’agression. D’après le Gouvernement, le requérant fut agressé par Viorel C. peu avant que celui-ci ne l’amène au poste de police, aux alentours de 14 heures.

164.  Il n’est donc pas contesté que le requérant a été victime de violences le 4 avril 1999, jour de son placement en garde à vue. Il reste qu’il a pu être agressé soit peu avant son arrivée à la police, soit pendant sa garde à vue, soit tant avant son arrivée au poste de police que pendant sa garde à vue.

165.  La Cour note qu’il y a controverse entre les parties quant à l’origine des blessures constatées sur le requérant le 4 avril 1999. Ce dernier affirme qu’il a été agressé tout d’abord par Viorel C., puis, après son arrivée au poste de police, par le policier Costel L. et par les trois autres hommes qui s’y trouvaient présents pendant sa garde à vue. Le Gouvernement se prévaut de ce que l’enquête interne a conclu que ni le policier Costel L., ni Ioan C. ni Tiberiu F. n’avaient fait subir au requérant le moindre acte d’agression le 4 avril 1999.

166.  La Cour rappelle qu’en matière d’appréciation des preuves, son rôle est de nature subsidiaire : elle ne peut sans de bonnes raisons assumer le rôle de juge du fait de première instance lorsque cela n’est pas rendu inévitable par les circonstances de l’affaire dont elle se trouve saisie (voir, par exemple, Ramsahai c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 274, CEDH 2007‑...). Cela étant, elle n’est pas liée par les constatations des juridictions internes et demeure libre de se livrer à sa propre évaluation à la lumière de l’ensemble des éléments dont elle dispose (Ribitsch c. Autriche, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 336, p. 24, § 32). Elle doit être particulièrement attentive et sa vigilance doit s’accroître lorsque les allégations de violation concernent des droits tels que ceux garantis par l’article 3 de la Convention, (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Ribitsch, précité, § 32).

167.  Pour apprécier les preuves, la Cour adopte le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » (voir, par exemple, Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 64-65, § 161). Toutefois, une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure ou mort survenue pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000‑VII).

168.  En outre, les autorités sont tenues de consigner par écrit au moment de l’arrestation toutes les informations propres à permettre d’éclairer ultérieurement, en cas de besoin, les circonstances de celles-ci, telles que les blessures visibles sur la personne appréhendée, et de fournir une explication plausible de ce qui s’est passé après l’arrestation. La non-consignation de ces informations s’analyse en une défaillance grave, de nature à permettre aux auteurs de l’acte de privation de liberté d’échapper à leur responsabilité en ce qui concerne le sort du détenu (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Timurtaş c. Turquie, no 23531/94, § 105, CEDH 2000‑VI).

169.  Dans le cas d’espèce, il n’est pas contesté que le requérant était déjà blessé lorsqu’il fut amené au poste de police.

170.  La Cour constate que dans les procès-verbaux dressés par la police juste après l’interpellation du requérant on ne trouve aucune description précise des blessures de l’intéressé. Les seules mentions datant du 4 avril 1999 qui aient trait à l’état dans lequel l’intéressé est arrivé au poste de police sont celles qui figurent dans le procès-verbal de son identification, et elles se limitent à constater qu’il portait « des traces de sang au visage » et qu’il « se plaignait de douleurs à la poitrine ». Or le médecin qui a examiné le requérant sept heures plus tard a pu constater que, mises à part les lésions internes, il présentait aussi des blessures évidentes qui auraient pu être facilement remarquées par les agents de police, à savoir « un hématome suborbital gauche de 2 x 2 cm », « la lèvre supérieure contusionnée, œdémateuse », « une légère tuméfaction de la pyramide nasale, sensible au toucher » et des « difficultés respiratoires, accentuées par les mouvements ».

171.  Compte tenu du fait qu’aucune information relative à la gravité et à l’ampleur des blessures dont le requérant souffrait à son arrivée au poste de police ne fut consignée et que l’intéressé ne fut présenté que sept heurs plus tard au médecin, qui décida de l’hospitaliser en urgence, la Cour considère qu’il appartenait au Gouvernement de fournir une explication plausible de l’origine de l’ensemble des blessures du requérant. Or le Gouvernement se borne à renvoyer aux constatations des juridictions nationales qui ont décidé de ne pas poursuivre les agents de l’Etat accusés par le requérant, notamment le policier Costel L. Toutefois, le non-lieu rendu au pénal par les juridictions internes ne dégage pas l’Etat roumain de sa responsabilité au regard de la Convention (Ribitsch c. Autriche, précité, p. 26, § 34 ; Berktay, précité, § 168 ; H.Y. et HÜ.Y c. Turquie, no 40262/98, § 105, 6 octobre 2005).

172.  Ainsi, la non-consignation par les autorités des informations essentielles relatives à l’état dans lequel le requérant avait été placé en garde à vue empêche la Cour d’accueillir à la thèse du Gouvernement selon laquelle les blessures de l’intéressé étaient entièrement dues à l’agression qu’il avait subie de la part de Viorel C. (Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 181, 26 juillet 2007).

173.  La Cour rappelle que lorsqu’on leur amène une personne devant être placée en garde à vue, les policiers doivent consigner immédiatement ou dans les plus brefs délais et de manière aussi précise que possible tout signe visible d’un traumatisme récemment subi par cette personne (Timurtaş, précité, § 105). Il s’agit en effet de parer au risque de dissimulation des mauvais traitements susceptibles d’être infligés par les agents de l’Etat après le placement en garde à vue.

174.  En l’espèce, le Gouvernement n’a invoqué aucun obstacle à la consignation de telles informations au moment du placement en garde à vue du requérant. Au contraire, ce dernier a passé au poste de police de Beba Veche sept heures au cours desquelles des actes d’enquête ont été accomplis au sujet des infractions mineures et non violentes qui lui étaient reprochées. Si à son arrivée au poste de police le requérant souffrait des mêmes blessures particulièrement évidentes que celles qu’il présentait à son admission au service d’urgence de l’hôpital de Sânnicolau Mare, rien n’explique alors pourquoi les policiers n’ont pas trouvé le temps, pendant les sept heures qu’a duré la garde à vue, de consigner ces blessures, alors même qu’ils avaient fait venir une infirmière, juste avant de partir pour le commissariat de Sânnicolau Mare. Pareille mesure aurait été de nature, premièrement, à permettre une enquête efficace, et, deuxièmement, à décharger les policiers de toute responsabilité directe quant à l’origine des blessures en question.

175.  Compte tenu de l’état de vulnérabilité dans lequel se trouve toute personne en garde à vue et de l’importance que revêtent les garanties contre l’arbitraire relativement aux actes des agents investis du pouvoir répressif de l’Etat, la Cour considère que l’Etat roumain est resté en défaut de fournir une explication satisfaisante quant à l’origine de l’ensemble des blessures du requérant. Il n’a ainsi pas démontré que le requérant ait subi la totalité de ses sévices avant de se retrouver entre les mains de la police.

176.  Nonobstant ses blessures, le requérant a été retenu pendant plus de sept heures au poste de police, avant d’être hospitalisé au service de garde de l’hôpital de Sânnicolau Mare à 21h15. Ainsi, pendant sept heures les agents de police de Beba Veche n’ont pris aucune mesure adéquate pour soigner la souffrance du requérant, méconnaissant ainsi leur obligation de protéger la santé des personnes privées de liberté. Au contraire, le requérant a été retenu, menotté et attaché par les menottes au pied d’une table pour être interrogé au sujet de la tentative de vol et violation de domicile, des faits moins graves et non violents que lui reprochait un de ses agresseurs présumés, soit donc pour des investigations sans rapport avec l’agression qu’il avait dénoncée dès son arrivée au poste de police (paragraphes 50 et 55 ci-dessus).

177.  Certes, il ressort du dossier d’enquête que l’infirmière L.U. avait été appelée par le chef du poste de police juste avant que le requérant soit transporté au commissariat de Sânnicolau Mare, dans la soirée du 4 avril 1999, et qu’elle avait recommandé aux policiers de l’emmener à l’hôpital. Cependant, eu égard à la déclaration faite par l’infirmière le 8 juin 2000, la Cour ne peut se satisfaire du fait que celle-ci ait examiné le requérant en présence des policiers et sans lui parler (paragraphe 58 ci-dessus). La Cour rappelle par ailleurs que des examens médicaux convenables sont des garanties essentielles propres à prémunir les personnes placées en garde à vue contre les mauvais traitements. Ces examens doivent être effectués par des médecins dûment qualifiés et en dehors de la présence de la police, et le rapport de l’examen doit faire état non seulement de toutes les lésions corporelles relevées mais aussi des explications fournies par le patient quant à la façon dont elles sont survenues et de l’avis du médecin sur la compatibilité des lésions avec ces explications (Akkoç c. Turquie, nos 22947/93 et 22948/93, § 118, CEDH 2000‑X). Or, l’examen médical pratiqué par l’infirmière en l’espèce ne répond nullement à ces exigences.

178.  De surcroit, la Cour observe qu’il ressort de la déclaration faite par le policier Costel L. le 19 mai 2000 que, pendant sa garde à vue du 4 avril 1999, le requérant a été enfermé dans la cour du bâtiment abritant le poste de police de Beba Veche en compagnie de Ioan C., frère de l’agresseur désigné par le Gouvernement (paragraphe 51 ci-dessus).

179.  La Cour observe ainsi que les autorités de police n’ont pas, en l’espèce, fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour assurer au requérant le niveau de protection requis et pour parer aux risques réels qui menaçaient sa santé une fois franchi le seuil du poste de police. En particulier, compte tenu du sérieux des blessures constatées chez l’intéressé, et à supposer même qu’il soit arrivé déjà blessé au poste de police, une fois que les policiers avaient remarqué son état, ils auraient normalement dû agir avec promptitude et diligence pour le présenter à un médecin ou l’amener à l’hôpital (Cobzaru c. Roumanie, no 48254/99, § 67, 26 juillet 2007).

180.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en cause, la Cour conclut qu’il y a eu violation substantielle de l’article 3 de la Convention.

4.  Obligations procédurales

181.  La Cour observe tout d’abord que la procédure pénale entamée par le requérant devant les juridictions internes du chef des mauvais traitements qu’il avait subis le 4 avril 1999 comportait deux branches. La première s’est déroulée principalement devant le parquet militaire de Timişoara et s’est achevée par un non-lieu à l’égard du policier accusé et par la clôture du procès pénal à l’égard de Tiberiu F., qui était décédé au cours de l’enquête (voir paragraphe 71, ci-dessus). Le parquet militaire s’est dessaisi en faveur du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare relativement aux accusations portées par le requérant contre ses deux autres agresseurs présumés, Viorel et Ioan C. Cette décision du parquet militaire a été maintenue à l’issue des recours hiérarchiques et juridictionnels intentés par le requérant devant les instances militaires. A la suite du dessaisissement concernant Viorel et Ioan C., une deuxième branche de la procédure s’est déroulée devant le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare et devant le tribunal départemental du Timiş.

182.  Dès lors, la Cour examinera d’abord la conformité avec l’article 3 de la Convention de l’enquête concernant le policier accusé. Elle recherchera ensuite si les exigences de l’article 3 ont été remplies relativement à la deuxième branche de la procédure, qui concernait les autres personnes accusées de mauvais traitements.

183.  Concernant l’enquête menée, le Gouvernement considère qu’elle a été effective, comprenant de nombreux actes d’investigation. Pour ce qui est de la clôture du procès pénal contre Viorel C., elle aurait été conforme à la loi et due exclusivement à l’absence du requérant à deux audiences consécutives devant le tribunal.

a)  L’enquête concernant le policier

184.  La Cour considère que lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’Etat, de graves sévices illicites et contraires à l’article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’Etat par l’article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la ] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l’instar de celle résultant de l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables. S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l’Etat de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle (voir, entre autres, Assenov, précité, § 102).

185.  La Cour note qu’une enquête a bien eu lieu dans la présente affaire. Il reste à apprécier la diligence avec laquelle elle a été menée et son caractère « effectif ».

186.  La Cour rappelle que pour qu’une enquête menée au sujet de mauvais traitements commis par des agents de l’Etat puisse passer pour effective, on peut considérer, d’une manière générale, qu’il est nécessaire que les personnes responsables de l’enquête et celles effectuant les investigations soient indépendantes de celles impliquées dans les événements (voir, par exemple, Öğur c. Turquie [GC] no 21954/93, CEDH 1999-III, §§ 91-92). Cela suppose non seulement l’absence de tout lien hiérarchique ou institutionnel, mais également une indépendance pratique.

187.  A ce sujet, la Cour note que l’enquête a d’abord été menée par le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare et par la police de Sânnicolau Mare et qu’elle portait tant sur les faits que le requérant reprochait aux agents de l’Etat, notamment au policier Costel L., que sur les soupçons qui pesaient sur le requérant, en rapport principalement avec une tentative de vol.

188.  La Cour relève ensuite que le 16 juin 1999, après avoir entendu le requérant, quatre témoins et le policier, l’adjoint au maire et le particulier que le requérant accusait de mauvais traitements, le parquet du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare déclina sa compétence en faveur du parquet militaire de Timişoara, en raison de la qualité de militaire du policier accusé.

189.  La Cour constate aussi que le 4 septembre 2000 le parquet militaire de Timişoara ordonna un non-lieu à l’égard du policier et des autres fonctionnaires publics accusés de mauvais traitements. La décision était motivée par la considération qu’il n’avait pas été prouvé que les fonctionnaires en question eussent commis une infraction. Cette décision fut confirmée par le tribunal militaire de Bucarest le 30 janvier 2002, puis par la cour militaire d’appel le 25 avril 2002.

190.  La Cour note tout d’abord que l’indépendance des procureurs militaires ayant mené l’enquête peut être mise en doute, compte tenu de la réglementation nationale qui était en vigueur à l’époque des faits. Elle rappelle que dans l’affaire Barbu Anghelescu c. Roumanie, elle a jugé qu’il y avait eu violation du volet procédural de l’article 3 à raison du manque d’indépendance des procureurs militaires qui avaient été appelés à mener l’enquête ouverte à la suite d’une plainte pénale pour mauvais traitements déposée contre des policiers (Barbu Anghelescu c. Roumanie, no 46430/99, § 67, 5octobre 2004). Elle a constaté que, tout comme les procureurs militaires, les policiers en question étaient, à l’époque, des cadres militaires actifs, qui à ce titre bénéficiaient de grades militaires et de tous les privilèges y afférents, étaient astreints au respect des règles de la discipline militaire et faisaient partie de la structure militaire, fondée sur le principe de la subordination hiérarchique (Barbu Anghelescu, précité, §§ 40-43). La Cour ne décèle aucune raison de s’écarter en l’espèce des constats et conclusions formulés par elle dans l’affaire Barbu Anghelescu (voir aussi Bursuc c. Roumanie, no 42066/98, § 107, 12 octobre 2004, et Melinte c. Roumanie, no 43247/02, § 27, 9 novembre 2006).

191.  La Cour observe ensuite que, fruit de l’existence d’un lien de nature institutionnelle, le manque d’indépendance du procureur et des juridictions militaires s’est traduit concrètement, en l’espèce, par le manque d’impartialité avec lequel a été menée l’enquête à l’égard du policier accusé.

192.  En effet, la Cour trouve particulièrement surprenant le fait qu’une des quatre personnes accusées par le requérant de lui avoir infligé des sévices le 4 avril 1999, à savoir Ioan C., maire de la commune de Beba Veche, n’a jamais été interrogé par les autorités responsables de l’enquête, malgré la déclaration du policier Costel L. mentionnant sa présence auprès du requérant au poste de police et malgré la déclaration du capitaine Z. de la police de Sânnicolau Mare attestant que le requérant avait été amené devant lui par les frères Viorel et Ioan C. (paragraphes 51, 59 et 74 ci-dessus).

193.  En outre, la Cour observe que les instances militaires chargées de l’enquête ne se sont nullement penchées sur les contradictions entre, d’une part, les déclarations de trois des accusés selon lesquelles le requérant avait été « légèrement bousculé » par Viorel C., qui aurait voulu l’empêcher de s’enfuir et, d’autre part, la gravité des lésions constatées chez le requérant lors de son hospitalisation en urgence le 4 avril 1999.

194.  En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle le médecin légiste ne mentionna pas l’intégralité de ses blessures, laissant notamment de côté sa lésion au nez, la Cour note que ledit médecin n’a jamais été interrogé directement, ni par le procureur ni par les tribunaux militaires. De fait, les autorités responsables de l’enquête se sont contentées d’une lettre, reçue par le parquet militaire le 26 juillet 2000, contenant ses explications (paragraphes 65-68 ci-dessus).

195.  De surcroît, l’enquête relative aux mauvais traitements infligés au requérant s’est fondée intégralement sur l’avis d’un seul et même médecin légiste. Le supplément d’expertise demandé par le parquet militaire le 13 avril 1999 a été effectué par le médecin légiste même qui avait formulé le premier avis. A cet égard, la Cour déplore le fait qu’à aucun moment de l’enquête les autorités responsables n’ont demandé l’avis d’un autre médecin légiste ou de la commission spécialisée de l’Institut national de médecine légale.

196.  La Cour observe qu’en vertu du droit en vigueur à l’époque des faits les experts médicaux travaillant auprès des instituts médicolégaux publics étaient, avant la réforme opérée par la loi no 281 du 1er juillet 2003 (voir les paragraphes 131-133 ci-dessus) seuls compétents pour produire des expertises médicolégales, les parties n’ayant pas le droit de proposer un expert de leur choix.

197.  La Cour souligne que le seul rapport d’expertise médicolégale établi au sujet de l’état de santé du requérant est très sommaire et ne répond pas aux recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en matière de constats médicaux (paragraphe 143 ci-dessus), selon lesquelles le rapport de l’examen doit faire état non seulement de toutes les lésions corporelles relevées, mais aussi des explications fournies par le patient quant à la façon dont elles sont survenues et de l’avis du médecin sur la compatibilité des lésions avec ces explications (voir aussi Akkoç, précité, § 118).

198.  Il ressort enfin des pièces du dossier qu’à l’occasion du réexamen de l’affaire effectué par les instances militaires à la suite des recours formés par le requérant contre la décision de non-lieu rendue par le parquet militaire, aucun acte de procédure nouveau ne fut accompli, malgré les lacunes de l’enquête menée par le parquet militaire de Timişoara. La Cour est surtout frappée par l’attitude clairement partielle du procureur qui fut chargé du dossier à la suite du recours hiérarchique formé par le requérant auprès de la section des parquets militaires de la Cour suprême de justice. Elle note que le rapport dudit procureur en date du 29 novembre 2000 contient un bref exposé des faits orienté vers la culpabilité du requérant, qu’il présente comme étant entré dans la propriété de Viorel C. « avec l’intention évidente de voler », alors même que l’enquête concernant l’infraction reprochée au requérant était encore pendante devant le parquet compétent, plutôt que vers la responsabilité des agresseurs présumés du requérant, qui formait le véritable objet de l’enquête militaire (paragraphes 71 et 109 ci-dessus).

199.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les autorités roumaines n’ont pas mené une enquête approfondie et effective au sujet de l’allégation défendable du requérant selon laquelle il avait été soumis à des mauvais traitements pendant sa garde à vue.

Partant, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention à cet égard.

b)  L’enquête concernant Viorel et Ioan C.

200.  Le requérant se plaint également de la clôture du procès pénal contre Viorel et Ioan C. Il allègue que dès lors qu’il n’a pas été convoqué régulièrement aux audiences devant le tribunal de première instance de Sânnicolau Mare dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre Viorel et Ioan C., c’est de manière illégitime qu’a été prononcée la clôture du procès pénal.

201.  La Cour a déjà précisé qu’il appartient à chaque Etat contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Ignaccolo-Zenide c. Roumanie [GC], no 31679/96, § 108, CEDH 2000-I). A cet égard, elle a pour tâche d’examiner si les mesures adoptées par les autorités roumaines se sont, en l’espèce, révélées adéquates et suffisantes pour conduire à l’identification et à la punition des personnes responsables des mauvais traitements infligés au requérant.

202.  Par ailleurs, s’agissant de l’absence dans le droit roumain de recours contre les décisions du procureur, y compris quant à la qualification juridique des faits, la Cour a déjà jugé dans une autre affaire que le système pénal en vigueur à l’époque des faits, c’est-à-dire avant la réforme opérée par la loi no 281 du 1er juillet 2003, s’était montré inapte à conduire à la punition des responsables, fait de nature à amoindrir la confiance du public dans le système judiciaire et son adhésion à l’état de droit (Macovei et autres c. Roumanie, no 5048/02, § 56, 21 juin 2007).

203.  En ce qui concerne la présente espèce, la Cour observe tout d’abord que le requérant a essayé en vain de contester, devant les tribunaux militaires, la décision du parquet militaire du 4 septembre 2000, y compris quant à qualification de coups et blessures des faits dénoncés par le requérant (paragraphe 70 ci-dessus).

204.  La Cour note ensuite que la deuxième branche de la procédure, celle concernant Ioan et Viorel C., qui débuta après le dessaisissement du parquet militaire en faveur du tribunal de première instance de Sânnicolau Mare, prit fin le 15 mars 2001, avec la décision dudit tribunal de clore le procès pénal concernant les accusations de coups et blessures imputées à Viorel C. et Ioan C., au motif que le requérant avait été absent à deux audiences consécutives, à savoir les 22 février et 15 mars 2001, et que, en application de l’article 2841 du code de procédure pénale combiné avec les articles 11 § 2 b) et 10 h) du même code, sa plainte pénale devait, dès lors, être considérée comme ayant été retirée.

205.  Le requérant affirme qu’il s’était présenté devant le tribunal le 22 février 2001 mais qu’il avait été expulsé de la salle d’audience sur ordre du président avant le commencement des débats et sans qu’on lui eût communiqué la date à laquelle l’audience allait être reportée.

206.  A cet égard, la Cour note que le procès-verbal de l’audience du 22 février 2001 indique, d’une part, que le requérant était absent, et, d’autre part, comme pour les parties présentes, qu’il connaissait la date à laquelle l’audience avait été reportée. Elle constate par ailleurs que le tribunal n’ordonna pas la convocation de l’intéressé à l’audience suivante.

207.  Enfin, la Cour note avec intérêt qu’à la suite de la réforme du code roumain de procédure pénale opérée par la loi no 356 du 21 juillet 2006, qui a notamment abrogé l’article 2841, la sanction irrémédiable et à l’évidence disproportionnée – la clôture du procès pénal – qu’encourait la partie lésée en cas d’absence à deux audiences consécutives a été abrogée, procédant ainsi à un rééquilibrage au bénéfice des victimes. Toutefois, soumis au régime antérieur, le requérant en l’espèce n’a pas pu bénéficier de ces nouvelles dispositions légales (voir, mutatis mutandis, Macovei et autres c. Roumanie, no 5048/02, § 55, 21 juin 2007).

208.  Partant, la Cour conclut, également à cet égard, à la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION

209.  Le requérant se plaint du refus des autorités pénitentiaires de lui fournir copie des documents propres à étayer sa requête demandés par la Cour, ainsi que de pressions exercées sur lui par deux médecins des prisons de Timişoara. Il y voit une entrave à son droit de recours individuel garanti par l’article 34 de la Convention, ainsi libellé :

« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »

210.  Le Gouvernement conteste cette thèse et affirme que le requérant a obtenu des copies des pièces de son dossier pénal et de son dossier médical le 8 août 2002 et les 3 mars et 14 avril 2003. Il estime par ailleurs que le requérant n’a pas fourni des preuves adéquates et irréfutables des pressions qu’aurait exercées sur lui le médecin psychiatre de la prison de Timişoara.

A.  Sur la recevabilité

211.  Considérant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B.  Sur le fond

212.  La Cour rappelle que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré à l’article 34 soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Cour, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs. Par « presse[r] », il faut entendre non seulement la coercition directe et les actes flagrants d’intimidation des requérants, déclarés ou potentiels, de leur famille ou de leur représentant en justice, mais aussi les actes ou contacts indirects et de mauvais aloi tendant à dissuader ceux-ci ou à les décourager de se prévaloir du recours qu’offre la Convention. Pour déterminer si des contacts entre les autorités et un requérant, déclaré ou potentiel, constituent des pratiques inacceptables du point de vue de l’article 34, il faut tenir compte des circonstances particulières de la cause. A ce propos, il convient de prendre en considération la vulnérabilité du plaignant et le risque que les autorités ne l’influencent (Petra c. Roumanie, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, p. 2855, § 43).

213.  La Cour note tout d’abord que, par une lettre du 31 janvier 2002, le greffe avait demandé au requérant une copie des décisions de justice rendues dans la procédure pénale à laquelle il avait participé comme partie lésée et des documents relatifs à une autre procédure pénale intentée contre lui, laquelle fait l’objet de la requête no 31062/03.

214.  Elle observe qu’à la date de ladite lettre le requérant, qui avait été incarcéré le 27 septembre 2001, était en train de purger une peine de prison sans rapport avec les faits à l’origine de la présente requête. Elle relève par ailleurs qu’il ressort des documents fournis par les deux parties que le requérant s’est adressé par écrit à de nombreuses reprises aux autorités pénitentiaires pour obtenir copie des documents en question et que, en l’absence de réponse favorable, il a entamé plusieurs fois des grèves de la faim (paragraphes 114 et suivants ci-dessus).

215.  Si le Gouvernement affirme que le requérant a reçu les documents en cause le 8 août 2002 et les 3 mars et 14 août 2003, la Cour constate tout d’abord quant à elle qu’il ne ressort pas du document présenté par le Gouvernement que la demande adressée par le requérant à l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi le 8 août 2002 ait effectivement été satisfaite. Au contraire, la mention manuscrite apposée par les autorités de l’hôpital pénitentiaire indiquait que c’était à la prison d’où venait le requérant de fournir à l’intéressé les documents demandés (paragraphe 122 ci-dessus).

216.  En outre, même en admettant que le requérant ait vu ses demandes satisfaites en mars et en août 2003, il reste que les autorités lui ont dans ce cas fourni les documents demandés par la Cour avec un retard de plus d’une année. Or ce retard n’a aucunement été justifié (voir Boicenco c. Moldova, no 41088/05, § 157, 11 juillet 2006, et, a contrario, Kornakovs c. Lettonie, no 61005/00, § 172-173, 15 juin 2006). Par ailleurs, il ressort des informations fournies par le Gouvernement que ce n’est que le 5 juin 2005 que l’Administration nationale des prisons a émis la décision no 3386 imposant aux responsables des prisons l’obligation d’enregistrer les demandes de documents introduites par les personnes détenues, ainsi que l’obligation de leur délivrer copie des documents concernés.

217.  En ce qui concerne enfin les allégations du requérant relatives aux pressions auxquelles l’auraient soumis deux médecins militaires qui exerçaient leurs fonctions à la prison de Timişoara, la Cour considère qu’on peut y voir des actes d’intimidation, qui, combinés avec la non-communication au requérant des documents dont il avait besoin pour étayer sa requête devant la Cour s’analysent en une entrave au droit de recours individuel garanti par l’article 34 de la Convention. Cette conclusion s’impose d’autant plus que le requérant, qui était enfermé dans un espace clos et avait, de ce fait, peu de contacts avec ses proches ou avec le monde extérieur, se trouvait dans une situation particulièrement vulnérable (voir aussi Cotleţ c. Roumanie, no 38565/97, § 71, 3 juin 2003).

Partant, il y a eu violation de l’article 34 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

218.  Le requérant allègue enfin que sa correspondance avec l’organisation non gouvernementale Amnesty International a été violée et qu’il a reçu ouverte une lettre recommandée que lui avaient adressée les services postaux. Il invoque à cet égard l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Sur la recevabilité

219.  Le Gouvernement plaide l’irrecevabilité de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que le requérant n’a pas contesté devant un tribunal, comme il aurait pu le faire en vertu de l’article 2781 CPP, la décision de non-lieu rendue par le parquet le 8 septembre 2004 au sujet de sa plainte pour violation de correspondance. En outre, invoquant l’affaire Foley c. Royaume Uni (déc.), no 39197/98, du 11 septembre 2001, le Gouvernement soutient que l’article 8 n’impose pas aux Etats l’obligation d’offrir un système postal fonctionnant parfaitement.

220.  Le requérant ne se prononce pas à cet égard.

221.  La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 de la Convention impose aux personnes désireuses d’intenter contre un Etat une action devant la Cour l’obligation d’utiliser auparavant les recours adéquats, c’est-à-dire susceptibles de fournir un moyen efficace et suffisant pour redresser directement la situation qui leur fait grief, qu’offre le système juridique de leur pays. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues.

La Cour rappelle aussi que les doutes entourant l’efficacité d’une action ne suffisent pas à justifier son non-exercice. Au contraire, il y a intérêt en pareil cas à saisir le tribunal compétent, afin de lui permettre de développer les droits existants en usant de son pouvoir d’interprétation (voir, mutatis mutandis, Spencer c. Royaume Uni, nos 28851/95 et 28852/95, décision de la Commission du 16 janvier 1998, DR 92, p. 56).

222.  La Cour note tout d’abord qu’à l’époque de ses allégations relatives à une ingérence dans sa correspondance avec une organisation non gouvernementale et avec les services postaux le requérant avait été libéré de prison et était rentré à son domicile, à Beba Veche, depuis le 1er octobre 2003.

223.  Elle relève également qu’il n’est pas contesté que le requérant a reçu le 18 juin 2004 la lettre d’Amnesty International datée du 28 mai 2004, ni que la réponse des services postaux à sa réclamation relative au retard de ladite lettre lui est parvenue dans une enveloppe ouverte. A cet égard, le Gouvernement indique que la poste roumaine a infligé une sanction disciplinaire pour négligence à l’employé responsable de n’avoir pas dressé un procès-verbal au sujet de la remise dans une enveloppe ouverte du pli adressé au requérant par ses services.

224.  La Cour observe aussi que le requérant a entamé sans succès, sur le fondement de l’article 195 du code pénal, une procédure pénale pour violation de correspondance et qu’il n’a pas, ensuite, contesté devant le tribunal compétent le non-lieu rendu par le procureur le 8 septembre 2004.

225.  Surtout, la Cour constate que le requérant n’a pas entamé contre la poste une action en responsabilité civile, voie de recours qui aurait pu aboutir à un redressement adéquat de ses griefs. Elle aurait en effet pu conduire à la condamnation de la poste au versement de dommages-intérêts, d’autant que la faute de l’employé responsable avait déjà été établie à la suite d’une action disciplinaire.

226.  La Cour considère dès lors que le requérant est resté en défaut d’exercer la voie de recours qui était la plus naturelle en l’occurrence pour faire établir les responsabilités quant aux atteintes portées à sa correspondance et qui était de nature, dans le contexte spécifique de la présente affaire, à satisfaire aux obligations positives découlant pour l’Etat de l’article 8 de la Convention.

227.  Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

228.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

229.  Le requérant réclame 80 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’il dit avoir subi. Il affirme en effet avoir souffert physiquement et psychiquement, y compris à cause de ses grèves de la faim pour l’obtention des documents dont la Cour avait demandé la production.

230.  Le Gouvernement considère que le montant réclamé par le requérant est excessif et conteste le lien de causalité entre les violations alléguées de la Convention et l’étendue du préjudice invoqué.

231.  Compte tenu des violations constatées par elle, la Cour, statuant en équité considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 000 EUR pour préjudice moral.

B.  Frais et dépens

232.  Le requérant n’a soumis aucune demande pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et devant la Cour.

233.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il l’a demandé. Dès lors, en l’espèce, la Cour n’octroie au requérant aucune somme à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

234.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 34 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet substantiel ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 34 de la Convention ;

5.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, 12 000 EUR (douze mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

c)  que les sommes mentionnées ci-dessus seront à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 juin 2008 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE IAMBOR c. ROUMANIE (N° 1), 24 juin 2008, 64536/01