CJCE, n° C-286/90, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Anklagemyndigheden contre Peter Michael Poulsen et Diva Navigation Corp, 31 mars 1992

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 31 mars 1992, Poulsen et Diva Navigation, C-286/90
Numéro(s) : C-286/90
Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 31 mars 1992. # Anklagemyndigheden contre Peter Michael Poulsen et Diva Navigation Corp. # Demande de décision préjudicielle: Kriminal- og Skifteretten i Hjørring - Danemark. # Conservation des ressources de pêche - Saumon pêché dans l'Atlantique Nord en dehors des eaux relevant de la souverainete ou de la juridiction des États membres - Interdiction de transport et de stockage dans les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction des États membres - Application de l'interdiction à un bateau battant pavillon d'un État tiers. # Affaire C-286/90.
Date de dépôt : 19 septembre 1990
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61990CC0286
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1992:155
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61990C0286

Conclusions de l’avocat général Tesauro présentées le 31 mars 1992. – Anklagemyndigheden contre Peter Michael Poulsen et Diva Navigation Corp.. – Demande de décision préjudicielle: Kriminal- og Skifteretten i Hjørring – Danemark. – Conservation des ressources de pêche – Saumon pêché dans l’Atlantique Nord en dehors des eaux relevant de la souverainete ou de la juridiction des États membres – Interdiction de transport et de stockage dans les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction des États membres – Application de l’interdiction à un bateau battant pavillon d’un État tiers. – Affaire C-286/90.


Recueil de jurisprudence 1992 page I-06019
édition spéciale suédoise page I-00189
édition spéciale finnoise page I-00191


Conclusions de l’avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Le règlement (CEE) n 3094/86 du Conseil, du 7 octobre 1986, prévoyant certaines mesures techniques de conservation des ressources de pêche (1) (ci-après « règlement sur la conservation »), concerne, en vertu de l’ article 1er, paragraphe 1, la « capture et le débarquement des ressources halieutiques évoluant dans l’ ensemble des eaux maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction des États membres ». La seule exception à ce principe est celle prévue au titre III, relatif aux « interdictions de pêche », par l’ article 6, paragraphe 1, sous b), en vertu duquel même les saumons et les truites de mer évoluant dans certaines régions de haute mer, c’ est-à-dire dans des eaux ne relevant pas de la souveraineté ou de la juridiction des États membres en tant qu’ États côtiers, « ne peuvent pas être gardés à bord, transbordés, débarqués, transportés, stockés, vendus, exposés ou mis en vente, mais doivent être rejetés aussitôt à la mer lorsqu’ ils ont été capturés » (2). Cette règle a été adoptée en exécution de la convention pour la conservation du saumon dans l’ Atlantique Nord (ci-après « convention sur le saumon »), signée à Reykjavik le 22 janvier 1982 (3), par laquelle la Communauté s’ est engagée à interdire la pêche du saumon dans certaines régions de haute mer.

C’ est précisément sur l’ interprétation de l’ article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conservation que portent les questions préjudicielles posées par le Kriminal- og Skifteret i Hjoerring (Danemark), questions qui ont été soulevées dans le cadre d’ une procédure pénale contre un ressortissant danois, M. P. M. Poulsen, capitaine d’ un bateau de pêche panaméen.

La Cour est en substance appelée à se prononcer sur le point de savoir si en vertu du droit communautaire un État membre doit poursuivre un de ses nationaux, commandant d’ un navire battant pavillon d’ un pays tiers, au motif que le navire en question a pêché du saumon dans une zone de haute mer couverte par l’ interdiction visée à l’ article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conservation. En cas de réponse négative, le fait que le navire, ayant à son bord le saumon capturé, ait ensuite traversé les eaux territoriales de l’ État membre en question et/ou qu’ il ait fait relâche dans un port de cet État, fût-ce en invoquant l’ « état de nécessité », constitue-t-il à lui seul une infraction à cette règle, qui justifie par conséquent la confiscation de la cargaison par les autorités danoises et l’ application de sanctions pénales?

2. Les faits sont simples et incontestés. M. P. M. Poulsen, ressortissant danois résidant au Danemark, a vendu en 1989 le bateau de pêche Onkel Sam, dont il était propriétaire, et a bénéficié, à cette occasion, d’ une prime d’ arrêt définitif conformément au règlement (CEE) n 4028/86 du Conseil, du 18 décembre 1986, relatif à des actions communautaires pour l’ amélioration et l’ adaptation des structures du secteur de la pêche et de l’ aquaculture (4).

Le bateau de pêche en question a été acheté par la société panaméenne Diva Navigation Corp., dont l’ ensemble des actions est détenu par M. J. U. Poulsen, qui est le frère du vendeur. Celui-ci a engagé son propre frère comme commandant du bateau de pêche, ainsi que quatre autres ressortissants danois comme membres d’ équipage. Il convient de préciser ici que tous les membres de l’ équipage sont rémunérés au Danemark, que le bateau opère à partir d’ un port danois (Hirtshals) et que les captures, bien qu’ elles soient débarquées en Pologne, sont payées au propriétaire par l’ entremise d’ une société danoise.

Au cours de la campagne de pêche effectuée au début de 1990, l’ Onkel Sam a pratiqué la pêche du saumon dans l’ Atlantique Nord (plus précisément dans la région 1), dans une zone de haute mer couverte par les interdictions de pêche prévues par la convention sur le saumon et, partant, par le règlement sur la conservation. Le bateau de pêche en question, avec à son bord le saumon capturé, a ensuite pris le chemin du retour vers la Pologne, un itinéraire qui peut comporter la traversée d’ espaces maritimes soumis à la juridiction du Danemark. Des problèmes d’ alimentation du moteur survenus au cours de la traversée ainsi que des conditions météorologiques défavorables ont contraint le commandant à gagner le port danois de Hirtshals en vue d’ y effectuer les réparations nécessaires. C’ est précisément dans ce port que l’ Onkel Sam a été inspecté par les services danois de contrôle de la pêche.

A la suite de cette inspection, le ministère public a engagé une procédure pénale contre M. P. M. Poulsen sur la base de l’ article 6, paragraphe 3, de la loi danoise n 661 du 25 septembre 1986, en vertu duquel « est … condamné à une amende quiconque enfreint ou tente d’ enfreindre les règlements communautaires relatifs à la réglementation de la pêche ». Il convient de préciser à cet égard que le ministère public a confisqué les captures, qui ont été ensuite vendues sur le marché danois.

3. Le ministère public soutient que l’ interdiction édictée à l’ article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conservation est applicable à M. Poulsen, puisque l’ Onkel Sam n’ a aucun lien réel avec le pays d’ immatriculation: tous les critères de rattachement désigneraient en effet le Danemark. Quoi qu’ il en soit, il estime que de toute façon la règle en question a été enfreinte dans la mesure où ce bateau de pêche a, dans les eaux danoises, gardé à bord, transporté et conservé une cargaison de saumon capturé dans la zone interdite. M. Poulsen estime au contraire que l’ article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conservation n’ est pas applicable à un bateau de pêche battant pavillon d’ un pays tiers: tant le bateau de pêche que la cargaison seraient en effet la propriété d’ une société panaméenne et relèveraient de la législation de ce pays; en outre, le bateau de pêche ne se serait réfugié dans le port danois que parce qu’ il se trouvait en état de nécessité.

Aux fins de la solution de ce litige, le juge national a posé à la Cour cinq questions préjudicielles visant, en substance, à déterminer:

— si l’ interdiction en question est applicable à l’ ensemble des ressortissants communautaires, quel que soit le pays d’ immatriculation du bateau de pêche à bord duquel ils sont employés et indépendamment de l’ endroit où se trouve ce bateau;

— si cette interdiction est applicable également à une société panaméenne, propriétaire du bateau de pêche, dont les captures ne sont introduites que provisoirement sur le territoire communautaire.

En cas de réponse négative à la première question, le juge national demande:

— si on doit respecter l’ enregistrement dans un pays tiers même pour un bateau de pêche qui présente les caractéristiques de celui dont il s’ agit en l’ espèce;

— dans quels espaces maritimes un bateau de pêche battant pavillon d’ un pays tiers est soumis à l’ interdiction de transporter et de garder à bord une cargaison de saumon: la zone économique exclusive, la mer territoriale ou les eaux intérieures;

— enfin, quelles sont, selon le droit communautaire, les conséquences que comporte, dans un cas tel que celui visé en l’ espèce, le fait que le bateau de pêche en question s’ est réfugié dans un port communautaire parce qu’ il se trouvait en « état de nécessité ».

4. Il résulte clairement d’ une lecture même superficielle de ces questions, ainsi que des faits de l’ espèce, que certains principes fondamentaux du droit international public sont mis en cause ou, en tout état de cause, directement concernés: la liberté de pêche en haute mer, la navigation dans les eaux territoriales d’ un autre État et le droit correspondant de passage inoffensif, l’ exercice par un État côtier de la juridiction pénale sur les navires d’ autres États, l’ « immunité » d’ un navire qui s’ est réfugié dans un port étranger en invoquant l’ état de nécessité, jusqu’ au respect des pavillons de complaisance.

En d’ autres termes, les questions posées dans la présente procédure impliquent nécessairement l’ identification d’ une série de règles du droit international de la mer, règles dont on ne saurait ne pas tenir compte en interprétant l’ article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement sur la conservation. Il est en effet indéniable que la disposition en question ne pourra être lue qu’ en harmonie et en conformité avec les règles du droit international qui régissent la matière.

Cela étant dit, nous abordons l’ examen des questions posées par le juge national, en précisant toutefois que pour des raisons d’ articulation du raisonnement nous n’ examinerons la deuxième question qu’ en dernier lieu.

Sur la première question

5. La première question du juge national vise à savoir si l’ article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement sur la conservation s’ applique à tous les ressortissants communautaires, quel que soit l’ État du pavillon du bateau de pêche sur lequel ils travaillent, et, partant, également au commandant de l’ Onkel Sam en tant que ressortissant danois.

Relevons tout d’ abord que l’ article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conservation contient une série d’ interdictions relatives à la protection du saumon et de la truite de mer, allant de l’ interdiction de pêche dans des eaux relevant de la juridiction des États membres ou même dans des eaux libres mais soumises à un régime conventionnel ((article 6, paragraphe 1, sous b) )) jusqu’ à l’ interdiction de débarquer et de mettre en vente les captures. Quelques-unes de ces interdictions concernent des activités qui ont lieu en mer: tel est le cas de l’ interdiction de pêche et de l’ interdiction de « garder à bord » les captures et, partant, de l’ obligation qui en découle de rejeter à la mer le poisson capturé fortuitement; d’ autres impliquent une activité … terrestre: comme l’ interdiction de débarquer, de transporter, de stocker ou de mettre en vente.

Or, même si elles sont toutes en rapport avec l’ objectif du règlement et l’ interdiction de pêche, il nous paraît évident que le problème soulevé par la première question du juge national ne se pose pas en termes réels pour les interdictions de débarquer, d’ « exposer », de transporter (à terre) et de mettre en vente le saumon, activités qui supposent précisément le débarquement à terre. A vrai dire, le problème ne se pose ni sur le plan concret, étant donné qu’ il résulte en l’ espèce que le poisson n’ a été débarqué qu’ à l’ occasion de la confiscation, ni dans l’ abstrait, puisqu’ il est incontestable que sur le territoire communautaire n’ importe quelle interdiction communautaire peut assurément frapper des personnes physiques, qu’ elles soient étrangères ou communautaires, indépendamment de la nationalité du navire dont elles ont débarqué. Le problème s’ est posé uniquement parce que la cargaison est restée à bord et n’ a été ni débarquée ni vendue.

6. Cela dit, la première question étant donc limitée à l’ interdiction de pêcher et de garder à bord les captures, observons tout d’ abord que, dans les zones maritimes ne relevant pas de la juridiction de l’ État côtier, c’ est toujours le célèbre principe de la liberté des mers qui s’ applique intégralement, principe en vertu duquel, étant donné qu’ il y a concours des pouvoirs de tous les États, leur exercice dépend de la nationalité du navire: en d’ autres termes, il est interdit aux États d’ exercer leur juridiction sur des navires étrangers. Cela signifie qu’ une interdiction de pêcher et de garder à bord les captures dans une zone de haute mer peut résulter exclusivement de la législation de l’ État du pavillon, qui à son tour peut être tenu de respecter une convention internationale (5). L’ État du pavillon est aussi en droit d’ exiger que les autres États s’ abstiennent de toute interférence dans la vie à bord et dans les activités du navire, abstraction faite de certaines dérogations sans pertinence en l’ espèce.

Au contraire, dans les zones ne faisant pas partie de la haute mer, l’ activité du navire est également réglementée en partie par la législation de l’ État côtier, le cas échéant par un règlement communautaire.

Il est en revanche absolument exclu que la loi de l’ État d’ origine de l’ un ou l’ autre membre de l’ équipage revête en tant que telle la moindre importance à cet égard. S’ il existe une interdiction, elle frappe, en tant que loi applicable, le navire en tant que collectivité d’ hommes et de moyens, ce qu’ il est convenu d’ appeler la communauté navigante, quelle que soit la zone maritime dans laquelle le navire se trouve, libre ou soumise à la juridiction de l’ État côtier.

Il s’ agit là d’ un principe fondamental et indiscutable et, à vrai dire, il paraît étonnant qu’ au cours de la procédure il ait été mis en cause, fût-ce avec la retenue qui s’ impose. Il est à peine nécessaire d’ ajouter que la nature particulière du règlement communautaire ne réussit pas à modifier les termes du problème.

D’ autre part, si tel n’ était pas le cas, il serait concevable que les membres d’ équipage d’ une certaine nationalité ne soient pas soumis à l’ interdiction et puissent, par exemple, pêcher tranquillement, alors que d’ autres marins ou passagers du même navire, de nationalité différente, seraient soumis à l’ interdiction et ne pourraient par conséquent pas pêcher. Il s’ agirait à l’ évidence d’ une situation absolument paradoxale et en tout cas complètement étrangère au droit de la mer actuellement en vigueur.

La convention de Genève de 1958 sur la pêche en haute mer prévoyait elle-même, de manière pléonastique, que ses dispositions concernaient les navires et non pas les membres d’ équipage (article 14); de même, il avait déjà été établi que la nationalité des « pêcheurs » ne revêtait aucune importance par rapport à celle du navire (6).

7. Si on examine de plus près le cas d’ espèce, il apparaît tout d’ abord que la pêche du saumon litigieux a été pratiquée dans une zone de haute mer par un navire panaméen. Une interdiction de pêche dans cette zone ne pouvait donc procéder que de la législation panaméenne, le cas échéant en conformité avec une convention internationale à laquelle le Panama serait partie. Or, il est évident que tel n’ est pas le cas, puisque le Panama n’ est pas partie à la convention sur le saumon.

Dans ces conditions, il est indéniable que l’ interdiction de pêche prévue par la convention et par l’ article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conservation n’ était pas applicable à l’ Onkel Sam. Que le capitaine, le mousse ou l’ ensemble de l’ équipage de l’ Onkel Sam aient été des ressortissants danois, péruviens ou philippins n’ a pas la moindre importance.

D’ autre part, les États parties à la convention sur le saumon ont bien envisagé l’ hypothèse dont il s’ agit ici ainsi que (article 2, paragraphe 3, de la convention) la nécessité d’ « appeler l’ attention » des États tiers, lorsque les activités de leurs navires paraissent « porter préjudice » à la réalisation des objectifs de conservation poursuivis. Ce n’ est pas un pur hasard si cela s’ est précisément produit avec les navires panaméens, auxquels l’ État du pavillon, à la suite des protestations émanant des pays parties à la convention, a fini par interdire de pêcher le saumon dans la zone de l’ Atlantique Nord dont il s’ agit ici.

C’ était le seul moyen pour empêcher un navire panaméen et les membres de son équipage de pêcher en haute mer: il fallait que l’ État du pavillon, dont la loi est – seule – applicable aux activités du navire en haute mer, le leur interdise.

Nous estimons donc que la première question appelle une réponse résolument négative, étant donné qu’ on ne saurait raisonnablement envisager qu’ une disposition communautaire, et notamment l’ interdiction de pêcher du saumon et de garder à bord les captures, soit applicable à un ou plusieurs membres de l’ équipage de l’ Onkel Sam, alors qu’ elle n’ est pas applicable au navire en tant que tel, et ce indépendamment de la zone de mer dans laquelle le navire se trouve.

8. D’ autre part, il résulte du dossier que, à une époque antérieure aux faits de l’ espèce, le gouvernement danois lui-même, invité à plusieurs reprises à se prononcer sur la légitimité des activités de pêche exercées dans la zone maritime en question par un navire battant pavillon d’ un pays tiers, mais ayant un équipage danois, avait itérativement – et à juste titre – fourni une réponse affirmative et que cette réponse avait reçu l’ aval de la Commission.

En effet, celle-ci avance, avec un embarras certain, des arguments en sens contraire, qui sont de toute évidence non fondés.

L’ argument selon lequel l’ article 15 du règlement (CEE) n 2241/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, établissant certaines mesures de contrôle à l’ égard des activités de pêche (7), permettrait aux États membres d’ appliquer des sanctions à leurs nationaux embarqués sur des navires non soumis à l’ interdiction de pêche, dans la mesure où la législation de ces États contient des dispositions nationales de contrôle plus rigoureuses que les dispositions communautaires, ne nous paraît pas fondé. Il s’ agit d’ une contradiction manifeste, car le sujet embarqué sur un navire auquel l’ interdiction de pêche n’ est pas applicable a pleinement le droit de pêcher et, partant, ne mérite aucune sanction, dès lors qu’ il n’ y a pas infraction à une règle.

L’ argument selon lequel l’ article 14, paragraphe 1, de la convention sur le saumon constituerait une base suffisante pour infliger des sanctions à des ressortissants communautaires embarqués sur des navires battant pavillon de pays qui ne sont partie à la convention ne nous paraît pas davantage fondé, du moment que cette disposition, nullement destinée à déroger au droit international en vigueur, se borne à prévoir l’ hypothèse de sanctions pour la mise en oeuvre correcte de la convention: des sanctions, par conséquent, pour le non-respect de l’ interdiction de pêche et applicables à celui qui l’ a transgressée, ce qui suppose de nouveau qu’ il s’ agisse d’ un navire soumis à l’ interdiction. Au contraire, en ce qui concerne les navires de pays tiers, c’ est le rappel susmentionné, visé à l’ article 2, paragraphe 3, qui est prévu. On ne saurait non plus passer sous silence le principe pacta tertiis neque iuvant neque nocent.

Il est à peine nécessaire de relever, en outre, que l’ arrêt de la Cour permanente de justice internationale dans l’ affaire du Lotus (8), qui a été évoqué au cours de la procédure, n’ est pas du tout pertinent. En effet, dans cette affaire, le débat portait sur la compétence des tribunaux du pays dont des ressortissants avaient subi un dommage à la suite d’ un abordage accidentel en haute mer entre un navire français et un navire turc, et non pas sur l’ existence d’ une infraction, qui était au contraire présumée; le débat ne portait pas non plus sur la loi applicable aux deux navires impliqués, c’ est-à-dire, respectivement, la loi française et la loi turque (9).

D’ ailleurs, le principe de la compétence des tribunaux du pays de la victime, déjà fortement contesté à l’ époque, a été ensuite spécifiquement écarté par la convention de Genève sur la haute mer (article 11).

Quant à l’ exemple scolastique d’ un coup de fusil tiré dans un État et qui tue quelqu’ un au-delà de la frontière, il s’ agit d’ un exemple tellement malheureux qu’ il ne mérite pas de commentaires.

Sur la troisième question

9. Étant donné qu’ il est donc exclu que le règlement s’ applique aux ressortissants communautaires embarqués sur un navire non communautaire, il convient de vérifier si par hypothèse on peut … « communautariser » le navire. En effet, par la troisième question, le juge national demande en substance si l’ Onkel Sam doit effectivement être considéré comme un navire panaméen ou s’ il peut au contraire être considéré comme un navire danois, du moment que la société propriétaire, formellement de droit panaméen, représente des intérêts exclusivement danois, que l’ équipage est danois et que l’ État de refuge est normalement le Danemark. En résumé, le problème est celui des pavillons de complaisance.

Beaucoup de choses ont été écrites et dites sur le phénomène des pavillons de complaisance, qui est apparu pendant les années folles de la prohibition et a pris de l’ ampleur surtout au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la neutralité limitait l’ activité commerciale des navires battant pavillon des États-Unis, mais pas celle des navires battant pavillon du Honduras, du Costa Rica ou du Panama, même s’ ils représentaient des intérêts des États-Unis. Après qu’ il se soit renforcé même en des temps meilleurs et que ses avantages économiques aient été découverts, le phénomène a souvent fait l’ objet de critiques, parfois sous l’ emprise émotionnelle de faits divers très graves. On en a même proclamé haut et fort l’ antidote juridique, résumé dans la formule suggestive du genuine link, conçu comme une limite à la liberté des États d’ attribuer leur pavillon.

Dans la pratique, ces propos ne trouvent cependant pas le pendant nécessaire et précis, ni sur le plan arbitral ni sur le plan conventionnel. A vrai dire, l’ affirmation selon laquelle « il appartient à chaque État souverain de décider à qui il accorde le droit de battre son pavillon » (10) n’ a pas été jusqu’ à présent démentie dans sa substance. Dans l’ affaire du I’ am Alone, dans laquelle un navire, représentant des intérêts américains mais immatriculé au Canada, faisait de la contrebande de spiritueux aux États-Unis d’ Amérique et avait été « confisqué » pour ce motif par les gardes-côtes américains, la confiscation a été jugée illégale (11).

Dans un avis consultatif relatif à la composition du Comité de sécurité maritime de l’ OMCI (Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime), la Cour internationale de justice ne s’ est pas prononcée dans un sens différent. En effet, à cette occasion, l’ assemblée de l’ OMCI avait exclu que le Panama et le Libéria puissent être comptés au nombre des pays possédant les flottes de commerce les plus importantes, qui en tant que tels sont membres du Comité, parce qu’ il n’ aurait pas existé de lien réel entre la plupart des navires et ces pays, qui, précisément, auraient attribué un pavillon de complaisance. La Cour internationale de justice a radicalement et fermement rejeté cette thèse en déclarant qu’ une pareille méthode pour apprécier le rang d’ une nation possédant une flotte de commerce n’ est ni sûre ni pratique et ne trouve aucun fondement ni dans la jurisprudence et la doctrine internationale, ni dans la terminologie maritime, ni dans les conventions internationales traitant de la sécurité en mer (12).

A l’ occasion de l’ effort de codification du droit de la mer, la Commission du droit international des Nations unies a essayé d’ introduire dans la convention de Genève de 1958 sur la haute mer le principe selon lequel les États peuvent ne pas reconnaître la nationalité du pavillon du navire lorsqu’ elle ne reflète pas un genuine link avec cet État, notamment sous l’ angle de la propriété prédominante et de la composition de l’ équipage. Il en est résulté l’ article 5 de la convention, qui, comme on le sait, retourne le problème du genuine link et oblige l’ État du pavillon à exercer effectivement sa juridiction et son contrôle sur les navires auxquels il accorde sa nationalité. La tentative d’ interpréter l’ article 5 dans un sens différent n’ a pas non plus été couronnée de succès: voir l’ avis consultatif précité de la Cour internationale de justice.

Enfin, la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, du 10 décembre 1982, bien qu’ elle ne soit pas encore en vigueur, confirme les observations qui précèdent, dans la mesure où elle prévoit que tout État, dès lors qu’ il tient le contrôle exercé sur un navire pour inadéquat, peut « signaler les faits » à l’ État du pavillon; celui-ci « procède à une enquête et prend, s’ il y a lieu, les mesures nécessaires pour remédier à la situation » (article 94, paragraphe 6).

La nationalité du navire est donc celle de l’ État du pavillon, c’ est-à-dire en l’ espèce la nationalité panaméenne. Il faut de toute évidence respecter cette nationalité dans la mesure où elle est conforme à la législation panaméenne relative aux conditions d’ immatriculation des navires, même si le capital de la société propriétaire du navire, de droit panaméen, représente des intérêts exclusivement danois. Cela implique que le pouvoir de contrôle appartient en principe à l’ État du pavillon, sous réserve des limites découlant d’ accords internationaux et de l’ exercice de la juridiction de l’ État côtier dans les zones ne relevant pas de la haute mer.

Sur la quatrième question

10. La quatrième question du juge national vise à savoir dans quels espaces maritimes on peut opposer au bateau de pêche d’ un pays tiers l’ interdiction, prévue à l’ article 6, paragraphe 1, du règlement sur la conservation, de transporter et de garder à bord une cargaison de saumon pêché dans la zone maritime visée par la convention sur le saumon.

Tout d’ abord, l’ interdiction de garder les captures à bord ne nous paraît pas dissociable de l’ interdiction de pêche. En effet, un navire non soumis à l’ interdiction de pêche ne sera pas obligé de rejeter le poisson à la mer, obligation prévue, elle aussi, par la disposition réglementaire en question, et il aura donc également le droit de le garder à bord: tertium non datur. Cela signifie qu’ une cargaison de poisson pêché légitimement est une cargaison tout à fait licite.

Si on part du bien-fondé de cette analyse, qui nous paraît incontestable, il devient difficile de soutenir qu’ un État côtier peut faire valoir des prétentions lorsque le navire doit passer de la haute mer, où il a légitimement pêché et tout aussi légitimement gardé les captures à bord, dans des zones maritimes soumises plus ou moins largement à la juridiction de cet État.

Nous l’ exclurions d’ abord en ce qui concerne la zone économique exclusive, où les prétentions légitimes de l’ État côtier peuvent porter non pas sur la navigation en tant que telle de navires étrangers (il s’ agit en principe, notons-le, de haute mer), mais seulement sur les activités soumises à un régime particulier (à savoir la pêche, la recherche scientifique, les installations artificielles) qui sont exercées dans cette zone maritime (13). La pêche ayant eu lieu en dehors de la zone économique exclusive, tel n’ est donc pas le cas dont il s’ agit en l’ espèce.

11. Il nous paraît également à exclure, tout aussi radicalement, que l’ État côtier puisse faire valoir l’ interdiction de garder à bord une cargaison de poisson légitimement pêché en haute mer lorsque le navire se limite à traverser les eaux territoriales, et ce indépendamment de l’ état de la mer et du « salut » du navire.

En fait, les pouvoirs dont l’ État côtier dispose en principe dans les eaux territoriales sont équivalents à ceux afférents au territoire, mais depuis toujours ils trouvent une limite dans le respect de ce qu’ il est convenu d’ appeler le passage inoffensif des navires battant le pavillon d’ un autre État. Sans préjudice de l’ obligation de se conformer aux règles de navigation, le navire étranger jouit du droit de passage (inoffensif) dans la mer territoriale de l’ État côtier, tant pour la traverser que pour se rendre dans les eaux intérieures ou pour prendre le large (articles 14 et 17 de la convention de Genève sur la mer territoriale et la zone contiguë).

Le passage est inoffensif tant que le navire en transit n’ utilise pas la mer territoriale d’ un État côtier pour accomplir un acte qui « porte atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’ État côtier » (article 14, paragraphe 4). Si le passage n’ est pas inoffensif, l’ État côtier peut prendre toutes les mesures nécessaires pour l’ empêcher (article 16). L’ obligation de l’ État côtier de tolérer et de ne pas entraver le passage inoffensif laisse en outre intacte la liberté de cet État pour tout ce qui concerne la réglementation de la navigation, le contrôle inoffensif du passage et en général l’ utilisation des eaux en question et de leurs ressources (14).

Toujours dans la convention de Genève et dans la section relative au passage inoffensif, il est également précisé que l’ exercice de la juridiction pénale de l’ État riverain est légitime si les conséquences de l’ infraction s’ « étendent » à l’ État riverain ou troublent la paix publique de ce pays ou le « bon ordre » dans la mer territoriale (article 19): ces hypothèses sont toutes très éloignées de celle de la simple détention à bord d’ une cargaison de poisson légitimement pêché en haute mer.

En substance, l’ exercice de la juridiction de l’ État côtier concerne la réglementation de la navigation et des autres activités maritimes, réglementation qui est évidemment applicable à tous les navires, même étrangers; il concerne en outre les faits qui, quoique ayant lieu à bord du navire, en franchissent … le bord, au point de troubler la vie et les intérêts de la communauté établie sur le territoire. C’ est pour cela qu’ un navire qui se borne à traverser la mer territoriale de l’ État riverain en respectant les règles de navigation de cet État et en ne pratiquant aucune activité interdite (la pêche par exemple), ou en tout état de cause de nature à gêner ou à troubler le cours normal de la vie de la communauté territoriale, jouit du droit de passage. En définitive, il ne nous semble pas qu’ on puisse raisonnablement douter du caractère inoffensif (au regard des règles internationales précitées) du passage d’ un navire panaméen qui se limite à traverser les eaux territoriales danoises avec une cargaison de saumon légitimement pêché en haute mer. A vrai dire, le fait de garder à bord une telle cargaison ne nous paraît pas de nature à porter atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’ État riverain.

Cela signifie que l’ interdiction communautaire de « garder à bord » le saumon ne peut pas être opposée à un navire panaméen, qui a légitimement pêché le poisson en haute mer, dès lors que ce navire se borne à traverser les eaux danoises.

12. Une solution analogue devrait, selon nous, être valable également en ce qui concerne l’ entrée de l’ Onkel Sam dans un port danois, en ce sens que nous considérons toujours comme inopposable l’ interdiction communautaire de « garder à bord » le saumon légitimement pêché en haute mer, à condition – cela va sans dire – qu’ il soit établi que la cargaison est restée à bord et qu’ aucun membre de l’ équipage n’ a même tenté de le débarquer, de l’ exposer ou de le mettre en vente à terre, ainsi que cela semble avoir été constaté en l’ espèce.

En effet, comme on le sait déjà d’ une manière générale l’ idée d’ un assujettissement complet et inconditionnel du navire étranger à la juridiction de l’ État du port est contredite par une pratique ancienne et constante, dont l’ illustration la plus célèbre est la décision du Conseil d’ État français du 28 octobre 1806 dans les affaires du Sally et du Newton (15). A cette occasion, il a été affirmé qu’ un crime qui ne concerne que le navire et son équipage ne permet pas à l’ autorité locale d’ intervenir, à moins que l’ intervention de celle-ci ne soit requise ou que la tranquillité du port ne soit compromise. En somme, il s’ agit du critère des faits internes et externes au navire, qui règle déjà l’ exercice de la juridiction sur les navires étrangers dans la mer territoriale, ainsi qu’ il a été exposé.

Ce critère a trouvé des applications importantes dans la pratique. Par exemple, la Cour suprême des États-Unis d’ Amérique, dans l’ affaire Lauritzen/Larsen (16), confirmant une jurisprudence antérieure (Wildendness et US/Flores), affirme que « all matters of discipline and all things done on board » qui ne troublent pas la paix ni la tranquillité du port doivent être laissés à la compétence de l’ État du pavillon. Dans la résolution de l’ Institut de droit international d’ Amsterdam (1957), il est dit: « The coastal State may exercise its judicial competence over delictual acts committed on board a vessel during its sojourn in the internal waters of that State … However, according to widely accepted practice, judicial competence is not exercised in penal matters with respect to acts committed on the vessel which are not of a kind to disturb public order. Nor, in general, is judicial competence exercised in matters of civil juridiction which relate to the internal order of the vessel » (17).

Par ailleurs, lorsque les États-Unis prétendirent appliquer les lois de la prohibition également aux navires étrangers se trouvant dans les ports, cela souleva des protestations énergiques de la part de presque tous les États, dont le Danemark, qui faisaient valoir l’ incompatibilité de la prétention américaine avec le droit international et la pratique (18). Les Liquor Treaties qui ont mis fin au litige reconnurent le droit des navires étrangers à détenir à bord des boissons alcooliques destinées à d’ autres pays (19).

L’ hypothèse envisagée en dernier lieu, c’ est-à-dire la détention à bord de marchandises qui sont prohibées en vertu de la législation de l’ État du port, illustre bien le fait qu’ en l’ absence d’ indices permettant à cet État de discerner l’ intention de débarquer et d’ introduire sur le territoire la marchandise en question, c’ est-à-dire dans la mesure où le navire maintient son extranéité par rapport à la communauté territoriale, il y a lieu d’ exclure l’ extension de la législation nationale ainsi que de la juridiction au navire en question.

Il ne nous semble pas non plus que la solution suggérée ici priverait de tout effet utile la disposition du règlement en question, ainsi qu’ il a été également soutenu au cours de la procédure.

Tout d’ abord, le respect de principes fondamentaux du droit international ne revêt pas une importance secondaire. En outre, l’ effet utile, en ce qui concerne le saumon pêché par des navires non communautaires et non soumis, même aliunde, à l’ interdiction de pêche, résulte de l’ interdiction de débarquer les captures. D’ autre part, ainsi qu’ il a été exposé, le gouvernement danois lui-même avait déjà envisagé, à une époque antérieure aux faits en cause, le cas d’ espèce dont il s’ agit ici et en avait expressément reconnu la légitimité: la distinction entre l’ infraction à l’ interdiction de pêche et l’ infraction à l’ interdiction de garder à bord le poisson est, comme nous l’ avons déjà dit, indéfendable.

Les considérations qui précèdent appellent la conclusion suivante: l’ interdiction communautaire de garder à bord une cargaison de saumon pêché dans une zone de haute mer ne saurait être opposée à un navire battant pavillon d’ un pays tiers qui a légitimement pêché ce saumon ni dans la zone économique exclusive, ni dans la mer territoriale, ni, en principe, dans le port, au moins dans la mesure où ce bateau de pêche maintient une position d’ extranéité par rapport à la communauté territoriale, c’ est-à-dire dans la mesure où le fait de garder à bord la cargaison de saumon reste un fait purement interne au navire en question. Il appartient au juge national d’ apprécier cette circonstance.

Sur la cinquième question

13. Un bateau de pêche d’ un pays tiers qui s’ est réfugié dans un port communautaire en invoquant un état de nécessité jouit-il de l’ immunité? C’ est-à-dire est-il possible qu’ il garde à son bord une cargaison de saumon pêché dans une zone interdite par le règlement sur la conservation sans pour autant encourir des sanctions de la part de l’ État du port?

Cette question part à l’ évidence du principe que l’ État côtier est habilité à inspecter un bateau de pêche d’ un pays tiers qui est amarré dans son port et – surtout – qu’ il peut poursuivre pénalement le capitaine de ce bateau de pêche pour avoir gardé à bord cette cargaison de saumon, même si l’ intention de débarquer et de mettre en vente le saumon en question dans l’ État membre intéressé n’ est aucunement établie. Comme nous venons de le dire, à moins que des éléments en ce sens (intention de vendre ou, en tout cas, de débarquer le saumon) puissent être constatés, un État membre devrait, selon nous, s’ abstenir d’ intenter une action pénale contre le capitaine du bateau de pêche en question.

De toute façon, il est par ailleurs indéniable, en vertu du droit international, qu’ un navire qui se trouve en état de nécessité peut trouver refuge dans un port, même lorsque l’ admission dans ce port lui est normalement interdite, hypothèse qui est assurément à exclure dans le cas qui nous occupe, puisque le port de Hirtshals, où l’ Onkel Sam a trouvé refuge, est également celui dans lequel le bateau en question fait normalement relâche.

Le droit international admet en outre l’ état de nécessité comme un motif d’ exclusion de l’ illicéité d’ un comportement non conforme à une obligation internationale (20); l’ exemple qui revient est précisément celui de la disposition qui permet aux navires de se réfugier dans les eaux territoriales et/ou dans les ports d’ un État étranger en cas d’ avarie et d’ autres situations de détresse. Une telle hypothèse est expressément envisagée à l’ article 14, paragraphe 3, de la convention de Genève sur la mer territoriale et la zone contiguë (qui a été repris, pour ce qui nous intéresse, à l’ article 18, paragraphe 2, de la convention de Montego Bay), en vertu duquel on admet que, dans l’ exercice du passage inoffensif, les navires étrangers jouissent du droit d’ arrêt et de mouillage seulement dans la mesure où cela rentre dans l’ exercice normal de la navigation ou s’ impose aux navires « en état de relâche forcée ou de détresse ».

En pareil cas, la doctrine est presque unanime à considérer que le navire en question ne peut pas être soumis aux lois de l’ État du port en raison du simple fait qu’ il est entré dans le port, à moins, évidemment, que les activités litigieuses aient eu lieu dans le territoire relevant de la souveraineté de l’ État en question (21).

En définitive, il appartient au juge national de vérifier si en l’ espèce il y a eu état de nécessité, c’ est-à-dire si l’ Onkel Sam a été contraint ou non d’ entrer dans le port danois en raison de l’ état des moteurs et/ou des conditions météorologiques. Comme le droit communautaire ne précise pas la portée de la notion d’ état de nécessité, qui revêt de l’ importance en l’ espèce, le juge national devra se référer à la pratique internationale, qui n’ est certainement pas négligeable (22).

Sur la deuxième question

14. A la lumière des observations qui viennent d’ être développées, nous estimons que la réponse à la deuxième question est incluse dans les réponses précédentes, en ce sens que l’ exercice du pouvoir de confiscation par l’ État membre côtier en ce qui concerne une cargaison de poisson légitimement pêché qui n’ a été introduit que provisoirement par un navire panaméen dans les eaux territoriales ou intérieures est exclu; et ce a fortiori lorsque la relâche est due à un état de nécessité.

Le règlement (CEE) n 2241/87 sur les contrôles confiés aux États membres, rappelé par la Commission, est dépourvu de pertinence. Ces contrôles, ainsi qu’ il a été déjà exposé, concernent les violations de la réglementation communautaire en matière de pêche. Ils ne peuvent donc frapper un navire d’ un pays tiers que dans la mesure où la pêche a eu lieu dans des eaux couvertes par la réglementation communautaire. Or, tel n’ est pas le cas en l’ espèce, étant donné que l’ Onkel Sam a pêché en haute mer et n’ a en aucun cas enfreint l’ interdiction de pêche communautaire.

15. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le juge national:

« 1) L’ article 6, paragraphe 1, du règlement (CEE) n 3094/86 doit être interprété en ce sens qu’ il ne s’ applique pas aux membres de l’ équipage dès lors qu’ il n’ est pas applicable au navire sur lequel ils sont embarqués, quels que soient les espaces maritimes dans lesquels le navire se trouve;

2) La nationalité d’ un navire est celle du pays dans lequel il a été valablement immatriculé, même lorsque la société qui en est propriétaire représente des intérêts étrangers, que l’ équipage est entièrement composé d’ étrangers et que le port de relâche habituel est étranger;

3) L’ article 6, paragraphe 1, du règlement (CEE) n 3096/86 doit être interprété en ce sens que l’ interdiction de garder à bord une cargaison de saumon, légitimement pêché, ne saurait être opposée à un navire qui se limite à traverser la zone économique exclusive et les eaux territoriales d’ un État membre et n’ entre que provisoirement dans un port, notamment en cas d’ état de nécessité; il appartient au juge national de vérifier ces circonstances."

(*) Langue originale: l’ italien.

(1) JO L 288, p. 1.

(2) C’ est nous qui soulignons.

(3) JO L 378, p. 25.

(4) JO L 376, p. 7.

(5) Voir la Convention de Genève de 1958 sur la haute mer, spécialement les articles 2 et 6.

(6) Voir arrêt du 7 septembre 1910 sur l’ affaire anglo-américaine des pêcheries de l’ Atlantique du Nord-Ouest: NU, RSA, XI, p. 167 et suiv.

(7) JO L 207, p. 1.

(8) CPJI, arrêt du 7 novembre 1927, série A, n 10, p. 25 et suiv.

(9) A cet égard, on observera que, dans l’ arrêt Lotus, la Cour permanente de justice internationale a en tout état de cause réaffirmé le principe selon lequel, « en dehors de cas particuliers déterminés par le droit international, les navires en haute mer ne sont soumis à aucune autorité qu’ à celle de l’ État dont ils portent le pavillon. En vertu du principe de la liberté de la mer, aucun État ne peut exercer des actes de juridiction quelconques sur des navires étrangers ».

(10) Arrêt du 8 septembre 1905, Cour permanente d’ arbitrage, Grande-Bretagne/France, Boutres de Mascate, NU, RSA, XI, p. 92 et suiv.

(11) Arrêt de la Cour permanente d’ arbitrage du 5 janvier 1935, NU, RSA, III, p. 1617 et suiv.

(12) CIJ, avis du 8 juin 1960, Rec. 1960, p. 169; CIJ Mémoires, affaire de la composition du Comité de la sécurité maritime de l’ OMCI, p. 23.

(13) Voir notamment les articles 58 et 73 de la Convention de Montego Bay, qu’ on peut considérer comme conformes au droit international coutumier.

(14) A cet égard, il n’ est peut-être pas inutile de souligner que la proposition du Portugal, présentée à la conférence de 1958 et tendant à lier le caractère inoffensif du passage en général au respect de la législation de l’ État côtier (Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, Documents officiels, vol. III, Doc. C 1/L 26, p. 236), a été écartée.

(15) Bulletin de Lois, 1806, n 126, p. 602 et suiv. La jurisprudence nationale ultérieure en la matière montre que le principe élaboré par le Conseil d’ État français a été largement accepté et appliqué. Voir, par exemple, les décisions nationales mentionnées dans l’ American Journal of International Law, 1929, Suppl. n 23, p. 323 et suiv.; plus récemment, l’ arrêt du 7 février 1974 du Tribunale di Napoli (Giurisprudenza italiana, 1974, II, p. 513 et suiv.).

(16) 1953, U.S., p. 345, 571.

(17) Annuaire de l’ IDI, 1957, p. 487.

(18) Précisément, les notes de protestation adressées au gouvernement des États-Unis par tous les pays intéressés sont particulièrement significatives à cet égard (voir American Journal of International Law, 1929, Suppl., loc. cit., p. 309 et suiv.); ces notes soulignent notamment que la juridiction de l’ État du port « should not extend beyond restricting acts which might disturb public order » (Belgique) et qu’ il n’ est pas licite de prohiber le transport de boissons alcoolisées « not intended for importation into the United States » (Danemark).

(19) Sur cette question, voir Quadri: Diritto internazionale pubblico, Naples, 1968, p. 744, et déjà Le navi private nel diritto internazionale, Milan, 1935, p. 95; Jessup: The law of territorial waters and maritime jurisdiction, New York, 1927, p. 77 et suiv.

(20) Voir article 32 du projet de la Commission du droit international sur la responsabilité internationale des États, qui définit l’ état de nécessité comme une situation d’ extrême détresse dans laquelle se trouve l’ auteur de l’ acte contraire à l’ obligation internationale « s’ il n’ a pas d’ autres moyens … de sauver sa vie ou celle de personnes confiées à sa garde » (voir NU, Annuaire de la Commission du droit international, 1979, II, deuxième partie, p. 149).

(21) Voir pour l’ ensemble O’ Connell: The international Law of the Sea, Oxford, 1984, volume II, p. 853 et suiv.

(22) Voir, par exemple, la pratique citée par De Lapradelle, Politis: Recueil des arbitrages internationaux, Paris 1905, I, p. 686 et suiv.; ainsi que Gidel: Le droit international public de la mer, 1981, volume II, p. 89 et suiv.; enfin, plus récemment, les arrêts des 22 avril et 9 mai 1990 du Tribunal Supremo espagnol (Contencioso-Administrativo, sala 3a., Repertorio de jurisprudencia Aranzadi, respectivement n s 3328 et 3807).

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CJCE, n° C-286/90, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Anklagemyndigheden contre Peter Michael Poulsen et Diva Navigation Corp, 31 mars 1992