CJCE, n° C-271/91, Arrêt de la Cour, M. Helen Marshall contre Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority, 2 août 1993

  • Effet dans les rapports entre État et particuliers·
  • Travailleurs masculins et travailleurs féminins·
  • Cee/ce - politique sociale * politique sociale·
  • Choix des sanctions laissé aux états membres·
  • Accès à l' emploi et conditions de travail·
  • Inadmissibilité 2. politique sociale·
  • Nécessité d' une indemnité adéquate·
  • Licenciement discriminatoire·
  • Octroi d' une indemnité·
  • Communauté européenne

Chronologie de l’affaire

Commentaires2

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www.revuegeneraledudroit.eu · 22 septembre 1998

Mots clés 1 Actes des institutions – Directives – Exécution par les États membres – Nécessité d'assurer l'efficacité des directives – Obligations des juridictions nationales (Traité CE, art. 5 et 189, al. 3) 2 Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Accès à l'emploi et conditions de travail – Égalité de traitement – Directive 76/207 – Refus de l'employeur de fournir des références après la cessation de la relation de travail – Principe du contrôle juridictionnel effectif – Portée (Directive du Conseil 76/207, art. 6) Sommaire 1 L'obligation des États …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 2 août 1993, Marshall, C-271/91
Numéro(s) : C-271/91
Arrêt de la Cour du 2 août 1993. # M. Helen Marshall contre Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority. # Demande de décision préjudicielle: House of Lords - Royaume-Uni. # Directive 76/207/CEE - Egalité de traitement entre hommes et femmes - Droit à réparation en cas de discrimination. # Affaire C-271/91.
Date de dépôt : 17 octobre 1991
Précédents jurisprudentiels : Francovich e.a. ( C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61991CJ0271
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1993:335
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

|

61991J0271

Arrêt de la Cour du 2 août 1993. – M. Helen Marshall contre Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority. – Demande de décision préjudicielle: House of Lords – Royaume-Uni. – Directive 76/207/CEE – Egalité de traitement entre hommes et femmes – Droit à réparation en cas de discrimination. – Affaire C-271/91.


Recueil de jurisprudence 1993 page I-04367
édition spéciale suédoise page I-00315
édition spéciale finnoise page I-00349


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


++++

1. Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Accès à l’ emploi et conditions de travail – Égalité de traitement – Directive 76/207 – Licenciement discriminatoire – Choix des sanctions laissé aux États membres – Octroi d’ une indemnité – Nécessité d’ une indemnité adéquate – Fixation d’ un plafond et exclusion de tout paiement d’ intérêts – Inadmissibilité

(Directive du Conseil 76/207, art. 5, § 1, et 6)

2. Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Accès à l’ emploi et conditions de travail – Égalité de traitement – Directive 76/207 – Article 6 – Effet dans les rapports entre État et particuliers – État employeur

(Directive du Conseil 76/207, art. 6)

Sommaire


1. Si la directive 76/207, dont l’ objet est la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l’ égalité de traitement entre hommes et femmes dans les différents aspects du domaine de l’ emploi, et notamment dans les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, laisse aux États membres, pour sanctionner la violation de l’ interdiction de discrimination, la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser son objet, elle implique toutefois que si c’ est la réparation pécuniaire qui est retenue dans l’ hypothèse d’ un licenciement discriminatoire, intervenu en violation de l’ article 5, paragraphe 1, celle-ci soit adéquate, en ce sens qu’ elle permette de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables.

Dès lors, l’ article 6 de la directive 76/207 doit être interprété en ce sens qu’ il s’ oppose à ce que la réparation du préjudice subi par une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire soit limitée par l’ existence d’ un plafond maximal fixé a priori ainsi que par l’ absence d’ intérêts destinés à compenser la perte subie par le bénéficiaire de la réparation du fait de l’ écoulement du temps jusqu’ au paiement effectif du capital accordé.

2. Une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire peut se prévaloir des dispositions de l’ article 6 de la directive 76/207 à l’ encontre d’ une autorité de l’ État agissant en qualité d’ employeur pour écarter une disposition nationale qui impose des limites au montant du dédommagement pouvant être obtenu à titre de réparation.

En effet, la faculté, pour l’ État, de choisir parmi les différents moyens aptes à atteindre les objectifs d’ une directive n’ exclut pas la possibilité, pour les particuliers, de faire valoir devant les juridictions nationales les droits dont le contenu peut être déterminé avec une précision suffisante sur la base des seules dispositions de la directive.

Parties


Dans l’ affaire C-271/91,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’ article 177 du traité CEE, par la House of Lords et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

M. H. Marshall

et

Southampton and South West Hampshire Area Health Authority,

une décision à titre préjudiciel sur l’ interprétation de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe d’ égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’ accès à l’ emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40),

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, C. N. Kakouris, G. C. Rodríguez Iglesias, M. Zuleeg et J. L. Murray, présidents de chambre, G. F. Mancini, F. A. Schockweiler, F. Grévisse, M. Díez de Velasco, P. J. G. Kapteyn et D. A. O. Edward, juges,

avocat général: M. W. Van Gerven

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint

considérant les observations écrites présentées:

— pour Mlle M. H. Marshall, par the Honourable Michael J. Beloff, QC et M. Stephen Grosz (Bindman & Partners), solicitor,

— pour Southampton & South West Hampshire Area Health Authority, par MM. Robert Webb, QC, Andrew Lydiard, barrister, et Le Brasseurs, solicitors,

— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par MM. John Collins, du Treasury Solicitor’ s Department, assisté de D. Wyatt, barrister, en qualité d’ agents,

— pour le gouvernement allemand, par MM. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral des Affaires économiques, et Claus-Dieter Quassowski, Oberregierungsrat auprès du même ministère, en qualité d’ agents,

— pour la Commission des Communautés européennes, par M. Nicholas Khan, membre du service juridique, en qualité d’ agent,

vu le rapport d’ audience,

ayant entendu les observations orales de Mlle M. H. Marshall, de Southampton & South West Hampshire Area Health Authority, du gouvernement britannique, du gouvernement irlandais, représenté par M. Feichin McDonagh, BL, en qualité d’ agent, et de la Commission, à l’ audience du 8 décembre 1992,

ayant entendu l’ avocat général en ses conclusions à l’ audience du 26 janvier 1993,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par ordonnance du 14 octobre 1991, parvenue à la Cour le 17 octobre suivant, la House of Lords a posé, en vertu de l’ article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles sur l’ interprétation de l’ article 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe d’ égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’ accès à l’ emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40, ci-après « directive »).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’ un litige opposant Mlle Marshall à son ancien employeur, la Southampton and South West Hampshire Area Health Authority (ci-après « l’ Authority »), au sujet d’ une demande en réparation du préjudice subi par Mlle Marshall du fait de son licenciement par l’ Authority.

3 Cette demande se fonde sur l’ illégalité dudit licenciement, qui n’ est pas contestée au principal, la Cour ayant jugé dans l’ arrêt du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723), en réponse à des questions préjudicielles posées par la Court of Appeal, que l’ article 5, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu’ une politique générale de licenciement, impliquant le licenciement d’ une femme au seul motif qu’ elle a atteint ou dépassé l’ âge auquel elle a droit à une pension d’ État et qui est différent pour les hommes et pour les femmes en vertu de la législation nationale, constitue une discrimination fondée sur le sexe interdite par la directive.

4 Le litige au principal trouve son origine dans le fait que l’ Industrial Tribunal, auquel la Court of Appeal avait renvoyé l’ affaire pour examiner la question de la réparation, a évalué la perte financière de Mlle Marshall à 18 405 UKL, dont 7 710 UKL à titre d’ intérêts, et lui a accordé un dédommagement de 19 405 UKL, incluant un montant de 1 000 UKL pour le préjudice moral.

5 Il ressort du dossier que, selon l’ article 65, paragraphe 1, sous b) du Sex Discrimination Act 1975 (ci-après « SDA »), lorsqu’ un Industrial Tribunal juge fondée une plainte pour discrimination illégale en raison du sexe dans le cadre d’ une relation d’ emploi, il peut, s’ il considère comme juste et équitable de le faire, ordonner au défendeur de payer au plaignant un montant correspondant aux dommages-intérêts auxquels il aurait pu être condamné par une County Court. Toutefois, aux termes de l’ article 65, paragraphe 2, du SDA, le montant du dédommagement accordé ne peut excéder une limite spécifiée qui, à l’ époque considérée, était de 6 250 UKL.

6 Il ressort également du dossier qu’ à la même époque un Industrial Tribunal n’ était pas compétent – ou du moins les dispositions applicables étaient-elles ambiguës quant à la question de savoir s’ il l’ était – pour accorder des intérêts sur les sommes octroyées à titre de dédommagement suite à un acte de discrimination illégale fondée sur le sexe dans le cadre d’ une relation d’ emploi.

7 En l’ espèce, l’ Industrial Tribunal a estimé que l’ article 35 A du Supreme Court Act 1981 l’ autorisait à inclure dans sa décision un montant représentant les intérêts. A son avis, le dédommagement était la seule réparation possible dans le cas de Mlle Marshall, tandis que la limite prévue à l’ article 65, paragraphe 2, du SDA, rendait ce dédommagement inapproprié et contraire à l’ article 6 de la directive.

8 Suite à la décision de l’ Industrial Tribunal, l’ Authority a versé à Mlle Marshall la somme de 5 445 UKL, en complément des 6 250 UKL, correspondant au plafond ci-dessus indiqué et versés avant même la saisine du tribunal. Elle a cependant fait appel contre l’ octroi de 7 710 UKL à titre d’ intérêts.

9 L’ Employment Appeal Tribunal ayant fait droit à l’ appel de l’ Authority et la Court of Appeal ayant rejeté l’ appel additionnel de Mlle Marshall, cette dernière s’ est pourvue devant la House of Lords qui a décidé de surseoir à statuer et de déférer à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes:

« 1. Lorsque la législation nationale d’ un État membre prévoit que toute personne ayant fait l’ objet d’ une discrimination illégale de la nature de celle interdite par la directive du Conseil 76/207/CEE du 9 février 1976 (ci-après la directive) peut réclamer en justice le versement d’ un dédommagement à titre de réparation, cet État membre est-il coupable de non-application de l’ article 6 de la directive au motif que la législation nationale impose une limite maximale de 6 250 UKL au montant du dédommagement auquel cette personne peut prétendre?

2. Lorsque la législation nationale prévoit le versement d’ un dédommagement, ainsi qu’ il a été spécifié plus haut, est-il essentiel à l’ application correcte de l’ article 6 de la directive que le dédommagement à accorder:

a) ne soit pas inférieur au montant du préjudice subi en raison de la discrimination illégale, et

b) inclue l’ attribution d’ intérêts sur le montant principal du préjudice ainsi établi, à partir de la date de la discrimination illégale jusqu’ à la date de versement du dédommagement?

3. Si la législation nationale d’ un État membre n’ a pas mis en oeuvre l’ article 6 de la directive sous l’ un quelconque des aspects mentionnés dans les questions 1 et 2, une personne, qui a fait l’ objet d’ une discrimination illégale de la nature de celle décrite plus haut, est-elle en droit de se réclamer, à l’ encontre d’ une autorité qui est une émanation de cet État membre, des dispositions de l’ article 6 comme prévalant sur les limites imposées par la législation nationale au montant du dédommagement pouvant être obtenu?"

10 Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d’ audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur la portée des questions préjudicielles

11 Par ses questions, la House of Lords vise essentiellement à savoir s’ il découle de la directive qu’ une personne ayant fait l’ objet d’ une discrimination en raison de son sexe, de la part d’ une autorité qui est une émanation de l’ État, a droit à une réparation intégrale du préjudice subi et si l’ article 6 de la directive permet à ladite personne de s’ opposer à l’ application d’ une législation nationale, censée donner exécution à la directive, mais fixant des limitations à la réparation. Le problème fondamental est donc celui de la détermination de la signification et de la portée dudit article 6, dans le contexte des principes et des finalités de la directive.

12 Il y a lieu toutefois de constater, au vu de la teneur desdites questions, lues à la lumière des jugements antérieurs de la Court of Appeal et de l’ Employment Appeal Tribunal, que la House of Lords s’ est abstenue d’ interroger la Cour sur le point, soulevé par le gouvernement britannique, de savoir si une juridiction, telle qu’ un Industrial Tribunal, spécialement instituée pour trancher les litiges en matière d’ emploi, a ou non la possibilité, ou l’ obligation, de passer outre aux limites imposées par le législateur à sa compétence afin de rencontrer les exigences du droit communautaire.

13 Les gouvernements britannique et irlandais ont par ailleurs soutenu que, malgré le fait que les questions préjudicielles concernent tant le plafond litigieux que les intérêts, la Cour devrait limiter sa réponse à cette dernière question, puisque le recours introduit par Mlle Marshall devant la House of Lords concerne exclusivement le point de savoir si l’ Industrial Tribunal a le pouvoir d’ accorder des intérêts et que le rôle de la Cour de justice serait de se prononcer sur des problèmes réels et non sur des questions hypothétiques.

14 Il convient d’ observer, à cet égard, que, sous réserve de l’ appréciation de la Cour sur sa propre compétence, il appartient à la juridiction nationale de déterminer les points de droit communautaire à soumettre à la Cour, afin d’ obtenir de celle-ci tous les éléments d’ interprétation nécessaires à la solution du litige pendant devant elle.

15 Dans la présente affaire, la House of Lords a pris soin de préciser au point 12 de l’ ordonnance de renvoi que, bien que le pourvoi concerne le pouvoir de l’ Industrial Tribunal d’ accorder des intérêts en cas de discrimination illégale fondée sur le sexe dans le cadre d’ une relation d’ emploi, le litige porte également et portait déjà devant la Court of Appeal sur la limite du dédommagement imposée par l’ article 65, paragraphe 2, du SDA. La juridiction de renvoi a considéré que, si cette disposition était applicable au dédommagement accordé à Mlle Marshall, le problème des intérêts serait de ce fait résolu, étant donné que le montant en capital de sa perte excédait la limite légale.

16 Dans ces circonstances, aucune raison ne s’ oppose à la prise en considération des questions préjudicielles posées sous tous leurs aspects.

Sur la signification et la portée de l’ article 6 de la directive 76/207

17 Il résulte d’ une jurisprudence constante que l’ article 189, troisième alinéa, du traité implique, pour chacun des États membres destinataires d’ une directive, l’ obligation de prendre, dans son ordre juridique interne, toutes les mesures nécessaires en vue d’ assurer le plein effet de ses dispositions, conformément à l’ objectif qu’ elle poursuit, tout en lui laissant le choix des voies et des moyens pour y parvenir.

18 Il convient donc d’ identifier les objectifs de la directive et de vérifier en particulier si, en cas de violation de l’ interdiction de discrimination, ses dispositions laissent aux États membres une marge d’ appréciation quant à la détermination des types de sanction à appliquer ainsi que de leur contenu.

19 La directive a pour objet la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l’ égalité de traitement entre hommes et femmes dans les différents aspects du domaine de l’ emploi, et notamment dans les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement.

20 A cet effet, l’ article 2 établit le principe de l’ égalité de traitement et ses limites, alors que l’ article 5, paragraphe 1, en définit la portée en ce qui concerne précisément les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, dans le sens qu’ il implique que soient assurées, aux hommes et aux femmes, les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.

21 Ainsi que la Cour l’ a jugé dans l’ arrêt Marshall, précité, ledit article 5, paragraphe 1, excluant de manière générale et dans des termes non équivoques, toute discrimination fondée sur le sexe, notamment en matière de licenciement, peut être invoqué à l’ encontre d’ une autorité de l’ État agissant en qualité d’ employeur pour écarter l’ application de toute disposition nationale non conforme.

22 En vertu de l’ article 6 de la directive, les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires permettant à toute personne qui s’ estime lésée par une discrimination de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle. Une telle obligation implique que les mesures en question soient suffisamment efficaces pour atteindre l’ objectif de la directive et puissent être effectivement invoquées devant les tribunaux nationaux par les personnes concernées.

23 Ainsi que la Cour l’ a reconnu dans l’ arrêt du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, Rec. p. 1891, point 18), ledit article 6 n’ impose pas une mesure déterminée, en cas de violation de l’ interdiction de discrimination, mais laisse aux États membres la liberté de choisir parmi les différentes solutions propres à réaliser l’ objectif de la directive, en fonction des différentes situations qui peuvent se présenter.

24 Toutefois, l’ objectif est de parvenir à une égalité de chances effective et ne saurait dès lors être atteint en l’ absence de mesures propres à rétablir cette égalité lorsqu’ elle n’ est pas respectée. Comme la Cour l’ a précisé dans l’ arrêt von Colson et Kamann, précité, point 23, ces mesures doivent assurer une protection juridictionnelle effective et efficace et avoir à l’ égard de l’ employeur un effet dissuasif réel.

25 De tels impératifs impliquent nécessairement la prise en compte des caractéristiques propres à chaque cas de violation du principe d’ égalité. Or, dans l’ hypothèse d’ un licenciement discriminatoire, en violation de l’ article 5, paragraphe 1, de la directive, le rétablissement de la situation d’ égalité ne pourrait être réalisé à défaut d’ une réintégration de la personne discriminée, ou, alternativement, d’ une réparation pécuniaire du préjudice subi.

26 Lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l’ objectif ci-dessus indiqué, elle doit être adéquate en ce sens qu’ elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables.

Sur les première et deuxième questions

27 Par sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir si l’ article 6 de la directive s’ oppose à ce que des dispositions nationales fixent une limite maximale au montant du dédommagement auquel une personne qui a été discriminée peut prétendre.

28 Par la deuxième question, il est demandé si le même article 6 exige que (a) la réparation du préjudice subi en raison de la discrimination illégale soit complète et que (b) elle inclue l’ attribution d’ intérêts sur le montant principal, à partir de la date de ladite discrimination jusqu’ à la date de versement du dédommagement.

29 Il y a lieu de considérer, à cet égard, que l’ interprétation de l’ article 6, telle que formulée ci-dessus, fournit une réponse directe à la première partie de la deuxième question relative au niveau du dédommagement requis par cette disposition.

30 Il découle également de ladite interprétation que la fixation d’ un plafond du type de celui en cause dans l’ affaire au principal ne saurait constituer par définition une mise en oeuvre correcte de l’ article 6 de la directive, étant donné qu’ il limite a priori le montant du dédommagement à un niveau qui n’ est pas nécessairement conforme à l’ exigence d’ assurer une égalité de chances effective par une réparation adéquate du préjudice subi du fait d’ un licenciement discriminatoire.

31 S’ agissant de la deuxième partie de la deuxième question, visant l’ attribution d’ intérêts, il suffit de constater qu’ une réparation intégrale du préjudice subi du fait d’ un licenciement discriminatoire ne saurait faire abstraction d’ éléments, tel que l’ écoulement du temps, susceptibles d’ en réduire, en fait, la valeur. L’ octroi d’ intérêts, selon les règles nationales applicables, doit donc être considéré comme une composante indispensable d’ un dédommagement permettant le rétablissement d’ une égalité de traitement effective.

32 Il y a dès lors lieu de répondre aux première et deuxième questions que l’ article 6 de la directive doit être interprété en ce sens qu’ il s’ oppose à ce que la réparation du préjudice subi par une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire soit limitée à un plafond maximal fixé a priori ainsi que par l’ absence d’ intérêts destinés à compenser la perte subie par le bénéficiaire de la réparation, du fait de l’ écoulement du temps jusqu’ au paiement effectif du capital accordé.

Sur la troisième question

33 Par sa troisième question, la House of Lords cherche à savoir si une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire peut se prévaloir, à l’ encontre d’ une autorité de l’ État agissant en qualité d’ employeur, de l’ article 6 de la directive pour s’ opposer à l’ application de dispositions nationales qui imposent des limites au montant du dédommagement pouvant être obtenu à titre de réparation.

34 Il résulte des considérations ci-dessus exposées, quant à la signification et à la portée de l’ article 6 de la directive, que cette disposition représente un élément indispensable pour atteindre l’ objectif fondamental de l’ égalité de traitement entre hommes et femmes, notamment en matière de conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, visée à l’ article 5, paragraphe 1, de la directive et que, lorsque, en cas de licenciement discriminatoire, une réparation pécuniaire est la mesure retenue pour rétablir ladite égalité, une telle réparation doit être intégrale et ne saurait être limitée a priori quant à son montant.

35 Dès lors, les dispositions combinées de l’ article 6 et de l’ article 5 de la directive font naître, dans le chef d’ une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire, des droits dont elle doit pouvoir se prévaloir, devant les juridictions nationales, à l’ encontre de l’ État et des autorités qui en émanent.

36 La circonstance qu’ un choix soit laissé aux États membres entre différentes solutions pour atteindre l’ objectif poursuivi par la directive, en fonction des situations susceptibles de se présenter, ne saurait avoir pour conséquence d’ empêcher le particulier de se prévaloir dudit article 6 dans une situation, comme celle de l’ espèce au principal, où les autorités nationales ne disposent d’ aucune marge d’ appréciation dans la mise en oeuvre de la solution choisie.

37 Il convient de rappeler, à cet égard, ainsi qu’ il résulte notamment de l’ arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357, point 17), que la faculté, pour l’ État, de choisir parmi les différents moyens aptes à atteindre les objectifs d’ une directive n’ exclut pas la possibilité, pour les particuliers, de faire valoir devant les juridictions nationales les droits dont le contenu peut être déterminé avec une précision suffisante sur la base des seules dispositions de la directive.

38 Il y a lieu en conséquence de répondre à la troisième question préjudicielle qu’ une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire peut se prévaloir des dispositions de l’ article 6 de la directive à l’ encontre d’ une autorité de l’ État agissant en qualité d’ employeur pour écarter une disposition nationale qui impose des limites au montant du dédommagement pouvant être obtenu à titre de réparation.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

33 Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement allemand, le gouvernement irlandais, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’ objet d’ un remboursement. La procédure revêtant, à l’ égard des parties au principal, le caractère d’ un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la House of Lords, par ordonnance du 14 octobre 1991, dit pour droit:

1) L’ article 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe d’ égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’ accès à l’ emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, doit être interprété en ce sens qu’ il s’ oppose à ce que la réparation du préjudice subi par une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire soit limitée à un plafond maximal fixé a priori ainsi que par l’ absence d’ intérêts destinés à compenser la perte subie par le bénéficiaire de la réparation du fait de l’ écoulement du temps jusqu’ au paiement effectif du capital accordé.

2) Une personne lésée du fait d’ un licenciement discriminatoire peut se prévaloir des dispositions de l’ article 6 de la directive à l’ encontre d’ une autorité de l’ État agissant en qualité d’ employeur pour écarter une disposition nationale qui impose des limites au montant du dédommagement pouvant être obtenu à titre de réparation.

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