CJCE, n° C-19/92, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Dieter Kraus contre Land Baden-Württemberg, 13 janvier 1993

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 13 janv. 1993, Kraus, C-19/92
Numéro(s) : C-19/92
Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 13 janvier 1993. # Dieter Kraus contre Land Baden-Württemberg. # Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Stuttgart - Allemagne. # Utilisation d'un titre universitaire de troisième cycle - Législation d'un État membre exigeant une autorisation pour l'emploi des titres obtenus dans un autre État membre. # Affaire C-19/92.
Date de dépôt : 24 janvier 1992
Précédents jurisprudentiels : 20 mai 1992, Ramrath ( C-106/91
7 juillet 1992, C-370/90, Rec. p. I-4265, 4280
Grogan e.a. ( C-159/90, Rec. p. I-4685
Stichting Collectieve Antennevoorziening Gouda ( C-288/89
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61992CC0019
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1993:6
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61992C0019

Conclusions de l’avocat général Van Gerven présentées le 13 janvier 1993. – Dieter Kraus contre Land Baden-Württemberg. – Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgericht Stuttgart – Allemagne. – Utilisation d’un titre universitaire de troisième cycle – Législation d’un État membre exigeant une autorisation pour l’emploi des titres obtenus dans un autre État membre. – Affaire C-19/92.


Recueil de jurisprudence 1993 page I-01663
édition spéciale suédoise page I-00167
édition spéciale finnoise page I-00177


Conclusions de l’avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Cette affaire porte sur la question de savoir si le droit communautaire s’ oppose à ce qu’ un État membre subordonne l’ utilisation d’ un titre universitaire obtenu dans un autre État membre à une autorisation délivrée à cet effet par l’ administration compétente.

Faits et cadre juridique

2. Le litige au principal oppose l’ Allemand Dieter Kraus (ci-après « M. Kraus ») au Land Baden-Wuerttemberg. M. Kraus a étudié le droit en République fédérale d’ Allemagne et y a réussi, en 1986, le premier examen d’ État en droit (1). Après une année d’ études de troisième cycle, il a obtenu ensuite, à l’ université d’ Édimbourg, le grade universitaire de « Master of Laws (LL.M.) » (ci-après « LL.M.) ». Après avoir travaillé temporairement en tant qu’ assistant à l’ université de Tuebingen, il a entamé dans le Land Baden-Wuerttemberg le stage pour juristes en vue de présenter le second examen d’ État en droit. Ce dernier examen clôture la formation d’ « Einheitsjurist ». Étant donné qu’ il permet au candidat qui a réussi d’ accéder en qualité de « Volljurist » à la magistrature, au barreau et au notariat, il donne également accès à toutes les autres professions juridiques, réglementées ou non (2).

Dans le litige au principal, M. Kraus demande la reconnaissance du droit de se prévaloir de son LL.M. sans autorisation au Baden-Wuerttemberg, cela indépendamment de tout accès à ou de tout exercice d’ une profession juridique réglementée. Par lettre du 9 janvier 1989, il avait transmis à cet effet, lorsqu’ il était encore assistant à l’ université, une copie de son diplôme au ministère des Sciences et des Arts du Land Baden-Wuerttemberg (ci-après « ministère »). Le ministère lui a répondu, par lettre du 23 janvier 1989, qu’ il devait introduire une demande d’ autorisation formelle, conformément à la législation applicable. M. Kraus a fait savoir au ministère que l’ exigence d’ une autorisation était, selon lui, incompatible avec l’ article 48 du traité CEE. Le ministère ne partageait pas ce point de vue.

3. La législation applicable au Baden-Wuerttemberg est encore le Gesetz ueber die Fuehrung akademischer Grade, c’ est-à-dire une loi du Reich de 1939. Selon cette loi, une autorisation est requise pour l’ utilisation d’ un titre universitaire étranger, sous peine d’ emprisonnement ou d’ amende. Cette exigence d’ une autorisation vise tant les ressortissants allemands que, à quelques exceptions près, les étrangers venant de la Communauté ou d’ ailleurs. L’ autorisation est délivrée par le ministère individuellement. Pour ce qui concerne les titres universitaires délivrés par certains établissements d’ enseignement étrangers, elle peut toutefois être accordée sous la forme d’ une autorisation générale. A l’ époque où la question préjudicielle a été posée, une autorisation générale de ce type existait pour les titres universitaires français et néerlandais, mais pas pour les titres obtenus au Royaume-Uni (3).

Pour un exposé complet des faits du litige au principal et du cadre juridique de cette affaire, nous renvoyons au rapport d’ audience. Nous souhaitons attirer particulièrement l’ attention sur un point, parce que son importance est déterminante pour la réponse à la question préjudicielle posée. Ainsi qu’ il ressort de cette question (voir le point 5 ci-après), il ne s’ agit pas, dans le litige au principal, de savoir si un titre de LL.M., tel que celui obtenu par M. Kraus à l’ université d’ Édimbourg, donne accès en République fédérale d’ Allemagne, plus précisément au Baden-Wuerttemberg, à l’ une ou l’ autre profession juridique réglementée. Il s’ agit uniquement de savoir si M. Kraus peut, sans autorisation, utiliser son titre au Baden-Wuerttemberg dans la vie professionnelle et en dehors de celle-ci.

4. Avant d’ examiner la question posée par la juridiction de renvoi, le Verwaltungsgericht Stuttgart (République fédérale d’ Allemagne), nous souhaitons observer que la directive 89/48/CEE (4) n’ offre pas de solution au cas de M. Kraus. Cette directive devait avoir été mise en oeuvre par les États membres au début de 1990 (5). Elle organise entre les États membres un système de reconnaissance mutuelle des diplômes qui donnent accès à ou permettent d’ exercer une profession réglementée. Sous réserve d’ une seule disposition particulière ((voir l’ article 4, paragraphe 1, sous b), in fine)), elle s’ applique également aux professions juridiques. L’ article 7, paragraphe 2, de la directive reconnaît aux ressortissants des États membres le droit de faire usage de leur titre de formation. L’ État membre d’ accueil peut seulement prescrire que le titre soit suivi des nom et lieu de l’ établissement qui l’ a délivré.

La directive 89/48 s’ applique toutefois exclusivement aux titres universitaires qui sanctionnent un cycle d’ études d’ une durée minimale de trois ans. Or, comme c’ est habituellement le cas pour les titres du troisième cycle, M. Kraus a obtenu son diplôme de LL.M. à l’ issue d’ une année d’ études. En outre, le droit de faire usage de son titre, garanti par l’ article 7, paragraphe 2, ne vaut qu’ à l’ égard des ressortissants des États membres qui remplissent les conditions d’ accès à et d’ exercice d’ une activité professionnelle réglementée. Comme nous l’ avons indiqué plus haut, la demande faite par M. Kraus en vue d’ utiliser son titre de LL.M. en République fédérale d’ Allemagne n’ est pas liée à un quelconque souhait de sa part d’ exercer une profession réglementée.

La directive 92/51/CEE (6) complète la directive examinée ci-dessus. Cette nouvelle directive doit être transposée par les États membres avant le 18 juin 1994. Elle élargit le système de reconnaissance mutuelle aux diplômes sanctionnant des études d’ une durée d’ au moins un an. Comme c’ est exactement le cas pour la directive 89/48, le droit de se prévaloir de son titre garanti par la directive ne vaut qu’ à l’ égard de la personne qui remplit les conditions d’ accès à et d’ exercice d’ une activité professionnelle réglementée.

5. En posant sa question préjudicielle, le Verwaltungsgericht Stuttgart souhaite savoir si une réglementation nationale qui soumet l’ utilisation d’ un titre universitaire obtenu dans un autre État membre à une exigence d’ autorisation sanctionnée pénalement est contraire à l’ article 48 du traité CEE ou à toute autre disposition du droit communautaire, lorsqu’ il s’ agit d’ un « titre universitaire … sanctionnant des études de troisième cycle dans un autre État membre et qui, sans conditionner l’ accès à une profession, comporte des avantages pour l’ exercice de cette dernière ».

Nous nous proposons d’ examiner la réglementation nationale telle que la décrit la juridiction de renvoi à la lumière à la fois des articles 48 et 59 ainsi que des dispositions combinées des articles 128 et 7 du traité CEE. Nous examinerons d’ abord l’ article 48 (points 6 à 17), notamment parce que la juridiction de renvoi le demande expressément, ensuite l’ article 59 (points 18 à 21), et enfin les dispositions combinées des articles 128 et 7 (points 22 à 24). Bien que nous examinions d’ abord l’ article 48 et en dernier lieu les dispositions combinées des articles 128 et 7, il ressortira de l’ analyse effectuée ci-après que l’ incompatibilité de la réglementation nationale examinée avec le droit communautaire est surtout établie, à notre avis, à l’ égard des articles cités en dernier lieu.

Compatibilité de la réglementation nationale avec l’ article 48 du traité CEE

Discrimination déguisée

6. L’ article 48, paragraphe 2, interdit en principe toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’ emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Une disposition nationale instaurant un système d’ autorisation, même purement formelle, à l’ égard des étrangers uniquement – ce qui n’ est pas le cas en l’ espèce -, est indubitablement discriminatoire par nature (7). En l’ espèce, le système d’ autorisation vise cependant non pas directement les étrangers, mais les diplômes étrangers. Il ressort toutefois de la jurisprudence de la Cour que, en matière de discrimination fondée tant sur la nationalité que sur le sexe, sont interdites non seulement les discriminations ostensibles, mais encore les formes dissimulées de discrimination (8). En matière de discrimination fondée sur la nationalité, ce principe a été formulé pour la première fois dans l’ arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (9), selon lequel

« … les règles de l’ égalité de traitement … prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’ autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat;

… qu’ il n’ est donc pas exclu que des critères tels que le lieu d’ origine ou le domicile d’ un travailleur puissent, selon les circonstances, constituer, dans leur effet pratique, l’ équivalent d’ une discrimination de nationalité prohibée par le traité…".

7. Cette jurisprudence trouve également application en l’ espèce. Une interdiction nationale relative à l’ utilisation des titres qui, bien qu’ applicable indistinctement aux nationaux et aux étrangers, fait une distinction entre les titres nationaux et les titres acquis à l’ étranger – y compris dans les autres États membres – constitue, en effet, une forme dissimulée de discrimination fondée sur la nationalité, étant donné qu’ elle touche potentiellement surtout les étrangers, plus précisément les ressortissants d’ autres États membres qui ont obtenu leur titre dans leur propre État membre et voudraient en faire usage au Baden-Wuerttemberg (10). Certes, l’ interdiction de se prévaloir d’ un titre étranger concerne, dans le litige au principal, non pas un ressortissant d’ un autre État membre, mais un ressortissant de l’ État lui-même. Comme nous le démontrerons ci-après (voir les points 14 et suivants), une telle discrimination à rebours relève également de l’ interdiction énoncée à l’ article 48, paragraphe 2, du traité CEE. Mais auparavant, il convient d’ examiner si l’ article 48 du traité CEE trouverait, en tout état de cause, application dans le cas d’ un ressortissant d’ un autre État membre se trouvant dans la même situation que M. Kraus, en d’ autres termes, si toutes les conditions d’ application de l’ article 48 du traité CEE sont réunies.

Les notions de « travailleur » et d’ « administration publique »

8. L’ interdiction de discrimination de l’ article 48, paragraphe 2, vaut exclusivement à l’ égard des travailleurs et ne s’ applique pas, selon le paragraphe 4, aux emplois dans l’ administration publique. Il appartient à la juridiction de renvoi, compte tenu de la jurisprudence examinée plus haut, de vérifier si M. Kraus était un travailleur n’ occupant pas un emploi dans l’ administration publique au sens de l’ article 48 au moment pertinent, c’ est-à-dire lorsqu’ il a informé en janvier 1989 le ministère compétent de son intention de faire usage du titre de LL.M. au Baden-Wuerttemberg. Pendant la procédure orale devant la Cour, M. Kraus a déclaré qu’ il était à ce moment assistant à l’ université de Tuebingen.

9. En ce qui concerne la notion de travailleur, on peut se référer à l’ arrêt du 26 février 1992, Raulin (11), dans lequel la Cour résume comme suit sa jurisprudence constante:

« Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’ il est de jurisprudence constante que la notion de travailleur revêt une portée communautaire et ne doit pas être interprétée de manière restrictive. Cependant, pour être qualifiée de travailleur, une personne doit exercer des activités réelles et effectives à l’ exclusion d’ activités tellement réduites qu’ elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’ une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’ une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération (voir notamment l’ arrêt du 21 juin 1988, Brown, 197/86, Rec. p. 3205, point 21). A cet égard, la nature du lien juridique créé qui lie le travailleur à l’ employeur n’ est pas décisive pour l’ application de l’ article 48 du traité (voir l’ arrêt du 31 mai 1989, Bettray, 344/87, Rec. p. 1621, point 16). »

10. L’ expression emplois dans l’ administration publique utilisée à l’ article 48, paragraphe 4, est également précisée dans la jurisprudence de la Cour. Dans l’ arrêt du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum (12), la Cour a observé à cet égard que:

« Comme la Cour l’ a déjà précisé dans ses arrêts du 17 décembre 1980, Commission/Belgique (149/79, Rec. p. 3881), et du 26 mai 1982, Commission/Belgique (149/79, Rec. p. 1845), il faut entendre par emplois dans l’ administration publique, au sens du paragraphe 4 de l’ article 48, exclus du champ d’ application des paragraphes 1 à 3 de cet article, un ensemble d’ emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l’ exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’ État ou des autres collectivités publiques et qui supposent, de ce fait, de la part de leurs titulaires, l’ existence d’ un rapport particulier de solidarité à l’ égard de l’ État, ainsi que la réciprocité des droits et des devoirs, qui sont le fondement du lien de nationalité. Les emplois exclus sont uniquement ceux qui, compte tenu des tâches et des responsabilités qui leur sont inhérentes, sont susceptibles de revêtir les caractéristiques des activités spécifiques de l’ administration dans les domaines prédécrits. »

Il s’ agissait également, en l’ occurrence, d’ une personne qui accomplissait un stage au Baden-Wuerttemberg, mais cette fois dans le cadre du second examen d’ État d’ accès à la carrière d’ enseignant du second degré dans les lycées. Dans l’ affaire en question, la Cour a conclu que l’ intéressée devait bel et bien être considérée comme un travailleur au sens de l’ article 48 du traité CEE et ne pouvait être regardée, pendant le stage de formation préparatoire à la profession d’ enseignant, comme exerçant un emploi dans l’ administration publique.

11. Comme nous l’ avons dit, M. Kraus a signalé à l’ audience qu’ à l’ époque pertinente il était assistant à l’ université de Tuebingen et il appartient à la juridiction de renvoi de décider si M. Kraus peut, sur cette base, être regardé comme un travailleur n’ occupant pas un emploi dans l’ administration publique. Le fait que M. Kraus a effectué ultérieurement un stage préparatoire sanctionné par le second examen d’ État en droit ne nous semble pas pertinent à cet égard. En effet, même si le juge devait décider – compte tenu du passage de l’ arrêt Lawrie-Blum précité – que des juristes accomplissant un stage (à la différence des enseignants) occupent un emploi dans l’ administration publique (ce qui est loin d’ être certain (13)), cela n’ entraîne pas la perte de la qualité de travailleur, si M. Kraus avait cette qualité au moment des faits pertinents.

Il convient, à cet égard, de se référer à l’ arrêt Bernini (14). La Cour a précisé dans cet arrêt qu’ un travailleur qui quitte volontairement son emploi pour se consacrer, après un certain délai (en l’ espèce, quatre mois), à des études à plein temps conserve son statut de travailleur si les études choisies présentent un lien avec l’ activité professionnelle préalable. A notre avis, le fait que, pendant les études en question, l’ intéressé soit considéré comme accomplissant cette formation dans une administration publique n’ affecte en rien cette règle. En d’ autres termes, si M. Kraus est considéré comme un travailleur au sens de l’ article 48 du traité CEE, eu égard à son activité juridique en tant qu’ assistant, il a de toute façon, selon nous, conservé ce statut après avoir entamé le stage pour juristes dans le cadre du second examen d’ État (15).

Discrimination en matière d’ emploi et de conditions de travail

12. L’ interdiction de discrimination énoncée à l’ article 48, paragraphe 2, du traité CEE concerne exclusivement l’ emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. De nouveau, il appartient à la juridiction nationale de vérifier si une interdiction nationale concernant l’ utilisation d’ un titre est, en soi, de nature à gêner M. Kraus dans l’ accès à, l’ exercice de, la rémunération et/ou les chances de promotion dans une profession juridique ou autre, réglementée ou non. Nous pouvons simplement constater que la juridiction de renvoi n’ exclut pas cette éventualité, puisqu’ elle estime dans la question préjudicielle que le titre universitaire acquis par M. Kraus « comporte des avantages pour l’ exercice (d’ une profession) ». Nous pouvons fort bien imaginer que, dans le cas d’ une profession telle que, par exemple, celle de professeur de droit comparé, la possibilité de se prévaloir d’ un titre de LL.M. revête indubitablement une certaine importance.

Pendant la procédure orale devant la Cour, il a semblé, du reste, qu’ il subsistait une grande confusion au sujet de ce qu’ il faut entendre par l’ utilisation d’ un titre au sens de la loi du Reich de 1939. Selon le représentant du Baden-Wuerttemberg, cette loi n’ exclut pas que le titulaire d’ un titre étranger fasse mention de ce titre, par exemple lorsqu’ il sollicite un emploi. M. Kraus n’ était pas d’ accord avec cette interprétation. Il appartient naturellement non pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi de rechercher la portée exacte de l’ interdiction en cause – sanctionnée pénalement – relative à l’ utilisation des titres. Si l’ interdiction allait jusqu’ à empêcher le titulaire d’ un titre étranger de pouvoir faire mention de ce titre dans la vie professionnelle normale, il nous semble que cette interdiction est alors, en toute hypothèse, susceptible d’ avoir, à l’ égard du titulaire, des répercussions sur son emploi, sa rémunération ou les autres conditions de travail. S’ agissant de la rémunération, M. Kraus a observé à l’ audience que la possibilité de se prévaloir de son titre pouvait entraîner une différence de salaire non négligeable.

Motifs de justification

13. L’ interdiction de discrimination énoncée à l’ article 48, paragraphe 2, du traité ne s’ applique pas lorsque la législation nationale peut se fonder sur un des motifs cités au paragraphe 3 de l’ article (ordre public, sécurité publique, santé publique). Le représentant du Baden-Wuerttemberg a fait valoir, pendant la procédure orale devant la Cour, que la législation concernée visait à protéger l’ ordre public. Cet argument ne saurait être pris au sérieux, compte tenu de la portée limitée que la Cour a donnée à cette notion (16).

On ne saurait davantage, nous semble-t-il, invoquer à l’ appui de la discrimination indirecte ou dissimulée qui résulte de la législation nationale (voir le point 7 ci-dessus) une quelconque raison objective d’ intérêt général de nature à justifier l’ interdiction de se prévaloir d’ un titre universitaire sans autorisation (17). Dans les observations qu’ il a présentées devant la Cour, le Land Baden-Wuerttemberg soutient que la réglementation nationale est indispensable pour protéger l’ intérêt public et le marché du travail. Cet argument n’ est nullement convaincant. Abstraction faite de la question de savoir si de telles raisons objectives peuvent aussi bien être invoquées à l’ égard de dispositions (ouvertement ou indirectement) discriminatoires (18), il faut admettre, à l’ instar de la Commission, que le public est déjà largement protégé par l’ interdiction, sanctionnée pénalement, d’ utiliser des titres faux. Si une protection plus poussée est jugée nécessaire, on pourrait prévoir l’ obligation de faire suivre le titre du nom, et éventuellement du lieu, de l’ établissement qui l’ a délivré. Cette alternative nous paraît suffisamment efficace pour protéger le public contre la tromperie et est également conforme aux dispositions existantes du droit communautaire ou arrêtées dans le cadre du Conseil de l’ Europe (19). Une réglementation nationale qui prévoit un système d’ autorisations individuelles, sur lesquelles il n’ est guère possible d’ exercer un contrôle judiciaire, et qui soumet, en outre, l’ utilisation d’ un titre sans autorisation à de lourdes sanctions pénales nous paraît, du reste, déjà pour ces raisons-là, incompatible avec le principe de nécessité et/ou de proportionnalité.

Discrimination à rebours

14. Supposons que la juridiction nationale conclue, à la lumière de ce qui précède, qu’ une disposition nationale telle que celle qui est examinée ici relève du champ d’ application de l’ article 48 du traité CEE lorsqu’ elle est invoquée contre des ressortissants d’ un autre État membre qui se trouvent dans une situation semblable à celle de M. Kraus. Il convient alors de se demander si M. Kraus peut également invoquer l’ interdiction de discrimination contenue dans cette disposition contre son propre État d’ origine. A cet égard, nous souhaitons d’ abord observer que, selon la décision de la Cour dans l’ arrêt du 3 octobre 1990, Bouchoucha (20), une situation telle que celle qui vous est soumise ne saurait être regardée comme une situation purement interne à un État membre, étant donné qu’ il s’ agit, en l’ espèce, (tout comme dans l’ affaire Bouchoucha) d’ un ressortissant de l’ État membre concerné qui détient un diplôme professionnel obtenu dans un autre État membre.

Dans l’ arrêt Knoors (21), la Cour a décidé, dans le cadre d’ une qualification professionnelle au sens de l’ article 3 de la directive 64/427/CEE (22), acquise par un ressortissant néerlandais en Belgique, qu’ un ressortissant d’ un État membre pouvait invoquer la qualification professionnelle, acquise dans un autre État membre, dans son État d’ origine en vue d’ y obtenir une autorisation d’ exercer la profession d’ installateur-plombier qui est réglementée dans cet État. Eu égard au caractère fondamental des libertés garanties par les articles 3, sous c), 48, 52 et 59 du traité CEE, la Cour a déclaré aux points 24 et 25, plus précisément en ce qui concerne l’ article 52, que

« … s’ il est vrai que les dispositions du traité en matière d’ établissement et de prestations de services ne sauraient être appliquées à des situations purement internes à un État membre, il n’ en reste pas moins que la référence, par l’ article 52, aux 'ressortissants d’ un État membre’ désireux de s’ établir 'dans le territoire d’ un autre État membre’ ne saurait être interprétée de manière à exclure du bénéfice du droit communautaire les propres ressortissants d’ un État membre déterminé, lorsque ceux-ci, par le fait d’ avoir résidé régulièrement sur le territoire d’ un autre État membre et d’ y avoir acquis une qualification professionnelle reconnue par les dispositions du droit communautaire, se trouvent, à l’ égard de leur État d’ origine, dans une situation assimilable à celle de tous autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité;

… on ne saurait cependant méconnaître l’ intérêt légitime qu’ un État membre peut avoir d’ empêcher qu’ à la faveur des facilités créées en vertu du traité certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l’ emprise de leur législation nationale en matière de formation professionnelle".

Étant donné que tout risque d’ abus était exclu en l’ occurrence, la Cour a conclu que sont également « bénéficiaires », au sens de l’ article 1er, paragraphe 1, de la directive 64/427, les personnes possédant la nationalité de l’ État membre réglementant l’ exercice de la profession. L’ idée centrale est toutefois que le droit communautaire en matière de libre circulation des personnes s’ applique également aux propres ressortissants – même si l’ on avait affaire à une situation purement interne à un État membre (ce qui n’ est même pas le cas en l’ espèce) – lorsque ceux-ci « se trouvent, à l’ égard de leur État d’ origine, dans une situation assimilable à celle de tous les autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité » (23). En l’ espèce, M. Kraus se trouve dans une pareille situation assimilable à celle d’ un ressortissant d’ un autre État membre qui, ainsi qu’ il ressort de l’ analyse précédente, pourrait tirer certains droits de l’ interdiction de discrimination de l’ article 48, paragraphe 2, du traité CEE.

15. La Cour a repris le principe du point cité ci-dessus de l’ arrêt Bouchoucha déjà mentionné. Il s’ agissait, en l’ occurrence, de la reconnaissance en France d’ un diplôme d’ ostéopathe délivré au Royaume-Uni à un ressortissant français, en vue de l’ exercice de cette profession en France. En l’ absence d’ une réglementation des professions paramédicales et d’ une définition communautaire de la notion d’ « activités de médecin » – d’ où il s’ ensuit qu’ il appartient à l’ État membre concerné de régler sur son territoire l’ exercice de l’ activité d’ ostéopathe (points 8 et 12) -, la Cour a toutefois ajouté aux points 14 et 15 que

« … on ne saurait méconnaître l’ intérêt légitime qu’ un État membre peut avoir d’ empêcher qu’ à la faveur des facilités créées en vertu du traité certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire à l’ emprise de leur législation nationale en matière de formation professionnelle.

Tel serait notamment le cas si le fait, pour le ressortissant d’ un État membre, d’ avoir obtenu dans un autre État membre un diplôme dont la portée et la valeur ne sont reconnues par aucune disposition réglementaire communautaire pouvait obliger l’ État membre d’ origine de ce ressortissant à lui permettre d’ exercer les activités visées par ce diplôme sur son territoire, alors que l’ accès à ces activités y est réservé aux détenteurs d’ une qualification supérieure bénéficiant de la reconnaissance mutuelle au niveau communautaire et que cette réserve n’ apparaît pas comme arbitraire".

16. Il nous semble que la réserve exprimée dans l’ arrêt Bouchoucha par rapport au principe de l’ arrêt Knoors n’ est pas applicable dans la présente affaire. Il ressort du passage cité au paragraphe précédent que cette réserve repose sur la considération qu’ il s’ agissait, dans l’ affaire Bouchoucha, d’ un diplôme (britannique) dont le titulaire affirmait qu’ il lui donnait accès à une profession réglementée (en France). Ce n’ est pas le cas en l’ espèce. M. Kraus n’ invoque pas son diplôme de LL.M. pour exercer une profession réglementée en République fédérale d’ Allemagne; il veut seulement pouvoir utiliser le titre attaché à ce diplôme.

En outre, la réserve exprimée dans l’ arrêt Bouchoucha est inspirée du souci d’ empêcher qu’ à la faveur des dispositions du traité, les propres ressortissants ne tentent de se soustraire, dans un secteur aussi sensible que le secteur médical et paramédical, à l’ emprise de leur législation nationale en matière d’ accès à une profession réglementée (24). Il convient, dès lors, de placer cet arrêt dans le cadre de la jurisprudence citée ci-dessus (point 13), qui justifie les règles nationales destinées à empêcher l’ usage abusif des libertés fondamentales garanties par le traité, par exemple en vue de se soustraire à des dispositions contraignantes en matière de formation professionnelle (25). Comme nous l’ avons déjà observé à cet endroit, la protection contre l’ utilisation abusive des titres à l’ égard, notamment, des professions juridiques peut, toutefois, être organisée d’ une autre manière, moins contraignante.

17. Nous concluons, en conséquence, qu’ une réglementation nationale, telle que celle décrite par la juridiction de renvoi, est incompatible avec l’ article 48, paragraphe 2, du traité CEE si, à la lumière de la jurisprudence de la Cour examinée ci-dessus, la juridiction de renvoi devait constater que M. Kraus était, à l’ époque des faits pertinents, un travailleur n’ occupant pas un emploi dans l’ administration publique au sens de l’ article précité, et que l’ interdiction d’ utiliser un titre sans autorisation, eu égard à la portée qu’ il convient de lui donner en droit national, peut être de nature à gêner des personnes telles que M. Kraus, en ce qui concerne l’ emploi, la rémunération ou les autres conditions de travail.

Applicabilité de l’ article 59 du traité

18. La juridiction de renvoi demande à la Cour d’ examiner également la réglementation nationale en cause à la lumière d’ autres dispositions de droit communautaire que l’ article 48 du traité CEE. Dans ce contexte, nous examinerons d’ abord l’ article 59 du traité CEE dont l’ application éventuelle est toutefois subordonnée, ainsi qu’ il ressort de l’ article 60, paragraphe 1, du traité CEE, à la non-applicabilité des dispositions relatives, entre autres, à la libre circulation des personnes, notamment l’ article 48 du traité CEE.

S’ agissant du domaine d’ application général de l’ article 59 du traité CEE, il est établi que cette disposition interdit toute réglementation nationale qui traite de façon discriminatoire, ouvertement ou sous une forme dissimulée, les ressortissants d’ autres États membres ou qui, même si elle s’ applique indistinctement aux propres ressortissants et aux ressortissants d’ autres États membres, est de nature à gêner ces derniers lorsqu’ ils fournissent des services dans d’ autres États membres (26). En outre, il est constant que l’ interdiction de l’ article 59 vise les restrictions tant à l’ égard des prestataires de services qu’ à l’ égard des destinataires de la prestation, lorsque ces derniers se rendent dans l’ État d’ établissement du prestataire de services (27).

19. Malgré ce large champ d’ application de l’ article 59 du traité CEE, il n’ est pas établi qu’ il peut trouver application dans une situation telle que celle qui se présente aujourd’ hui. Selon la jurisprudence de la Cour, les cours dispensés dans le cadre d’ un système d’ éducation nationale ne peuvent pas, en effet, être qualifiés de services au sens de l’ article 59 (28). Pour répondre à la notion de services, les prestations doivent être, selon l’ article 60, premier alinéa, du traité CEE, « fournies normalement contre rémunération ». Or, la Cour a déclaré, aux points 17 à 19 de l’ arrêt Humbel et Edel, que:

« La caractéristique essentielle de la rémunération réside, dès lors, dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause, contrepartie qui est normalement définie entre le prestataire et le destinataire du service.

Or, une telle caractéristique fait défaut dans le cas de cours dispensés dans le cadre du système d’ éducation nationale. D’ une part, en établissant et en maintenant un tel système, l’ État n’ entend pas s’ engager dans des activités rémunérées, mais accomplit sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif envers sa population. D’ autre part, le système en cause est, en règle générale, financé par le budget public et non par les élèves ou leurs parents.

La nature de cette activité n’ est pas affectée par le fait que, parfois, les élèves ou leurs parents sont obligés de payer des redevances ou des frais de scolarité en vue de contribuer, dans une certaine mesure, aux frais de fonctionnement du système. A plus forte raison, la simple circonstance que le paiement d’ un minerval soit imposé aux seuls élèves étrangers ne saurait avoir un tel effet."

20. Le passage reproduit ci-dessus de l’ arrêt Humbel et Edel indique, néanmoins, qu’ il ne faut pas exclure a priori que certains programmes du troisième cycle doivent pourtant être qualifiés de prestation de services au sens de l’ article 59 du traité CEE. Ce serait, en effet, le cas si les programmes en question étaient organisés de telle façon que leur financement est assuré entièrement, ou en grande partie, non par le budget de l’ État mais par les participants au programme ou par des personnes qui paient ou subsidient les études de ces derniers sous quelque forme que ce soit. La question de savoir si tel est le cas pour ce qui concerne le diplôme de LL.M. qui a été délivré à M. Kraus par l’ université d’ Édimbourg (29) est un point qu’ il appartient à la juridiction de renvoi d’ apprécier dans le litige au principal.

Si l’ article 59 du traité CEE trouvait à s’ appliquer pour la raison citée, il interdit, à notre avis, une disposition nationale qui rend plus difficile ou moins attrayant pour ses propres ressortissants – sans qu’ un motif de justification puisse être invoqué à cet égard (voir le point 13 ci-dessus) – l’ accès aux services de l’ enseignement dans un autre État membre. Tel est le cas, selon nous, lorsqu’ ils se voient refuser le droit d’ utiliser sans restriction dans leur propre État membre le titre universitaire qu’ ils ont obtenu dans l’ autre État membre à la fin de leurs études (voir également le point 23 ci-après).

21. Nous concluons, dès lors, au sujet de l’ applicabilité de l’ article 59 du traité CEE, que cette disposition peut s’ appliquer, dans la mesure où l’ applicabilité de l’ article 48 du traité CEE n’ aurait pas été démontrée, s’ il apparaissait que le programme de LL.M. suivi par M. Kraus à l’ université d’ Édimbourg n’ est pas ou est dans une faible mesure financé par le budget public, mais est entièrement ou en grande partie financé par les participants au programme ou par des personnes qui paient ou subsidient les études de ces derniers sous quelque forme que ce soit.

Accès à la formation professionnelle

22. Nous examinerons, enfin, la question de savoir si une interdiction nationale concernant l’ utilisation des titres, telle qu’ elle est décrite dans la question préjudicielle, est compatible avec les dispositions combinées des articles 128 et 7 du traité CEE. Comme nous l’ avons observé plus haut (point 5), c’ est surtout à cet égard que l’ interdiction soulève des problèmes quant à sa compatibilité avec le droit communautaire.

Le point de départ, en l’ occurrence, est sans aucun doute l’ arrêt du 13 février 1985, Gravier (30), dans lequel la Cour a précisé que l’ accès et la participation à l’ enseignement à l’ intérieur de la Communauté ne sont pas, en tant que tels, étrangers au droit communautaire (point 19). S’ agissant plus précisément de la formation professionnelle, la Cour a affirmé, aux points 24 et 25, que:

« En particulier, l’ accès à la formation professionnelle est susceptible de favoriser la libre circulation des personnes dans l’ ensemble de la Communauté, en leur permettant d’ obtenir une qualification dans l’ État membre où elles se proposent d’ exercer leurs activités professionnelles et en leur procurant l’ occasion de parfaire leur formation et de développer leurs talents particuliers dans l’ État membre dont l’ enseignement professionnel comporte la spécialisation appropriée.

Il résulte de tout ce qui précède que les conditions d’ accès à la formation professionnelle relèvent du domaine d’ application du traité."

Dans des arrêts ultérieurs, la Cour a affirmé que des études universitaires relevaient également de la formation professionnelle, même si l’ examen de fin d’ études ne confère pas à l’ intéressé – comme c’ est le cas en l’ espèce – la « qualification immédiate pour l’ exercice d’ une profession, d’ un métier ou d’ un emploi déterminé présupposant cette qualification ». Dans l’ arrêt du 2 février 1988, Blaizot (31), la Cour a déclaré ce qui suit aux points 19 et 20:

« En ce qui concerne le point de savoir si des études universitaires préparent à une qualification pour une profession, un métier ou un emploi spécifique, ou confèrent l’ aptitude particulière à exercer une telle profession, un tel métier ou un tel emploi, il faut souligner que tel est le cas non seulement si l’ examen de fin d’ études confère la qualification immédiate pour l’ exercice d’ une profession, d’ un métier ou d’ un emploi déterminé présupposant cette qualification, mais également dans la mesure où ces études confèrent une aptitude particulière, à savoir dans les cas où l’ étudiant a besoin de connaissances acquises pour l’ exercice d’ une profession, d’ un métier ou d’ un emploi, même si l’ acquisition de ces connaissances n’ est pas prescrite, pour cet exercice, par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives.

Il convient de constater que les études universitaires répondent, dans leur généralité, à ces conditions. Il n’ en va autrement que pour certains cycles d’ études particuliers qui, du fait de leurs caractéristiques propres, s’ adressent à des personnes désireuses d’ approfondir leurs connaissances générales plutôt que d’ accéder à la vie professionnelle."

Il ne fait donc aucun doute que des études de LL.M. constituent une formation professionnelle au sens du droit communautaire, même si le diplôme délivré à la fin de ces études n’ est pas requis pour l’ exercice d’ une profession, d’ un métier ou d’ un emploi.

23. L’ idée centrale de la jurisprudence Gravier est que les ressortissants des États membres doivent pouvoir, de la même façon, accéder librement dans l’ ensemble de la Communauté aux formations professionnelles qu’ ils jugent le plus aptes à parfaire leur formation.

Le représentant du gouvernement du Royaume-Uni a observé à juste titre à l’ audience que cette jurisprudence est axée sur l’ accès et la participation à la formation professionnelle et que la politique de l’ enseignement n’ en fait pas partie (32). Étant donné que l’ interdiction générale de discrimination énoncée à l’ article 7 du traité CEE s’ exerce uniquement « dans le domaine d’ application du présent traité » et donc, s’ agissant de la formation professionnelle, seulement dans la mesure où l’ article 128 est applicable, la matière de la reconnaissance des titres, des diplômes et des périodes d’ études en serait exclue. En conséquence, conclut le représentant du gouvernement du Royaume-Uni, une législation nationale telle que celle qui est en cause en l’ espèce ne relève pas non plus du champ d’ application des articles 128 et 7 du traité CEE.

Nous ne sommes pas d’ accord sur ce dernier point. Premièrement, il ne s’ agit pas, en l’ espèce, de reconnaître en République fédérale d’ Allemagne un diplôme de LL.M. acquis dans un autre État membre en vue d’ exercer une profession réglementée en République fédérale d’ Allemagne. Il s’ agit uniquement, en l’ espèce, de reconnaître la possibilité d’ utiliser (notamment) dans la vie professionnelle en République fédérale d’ Allemagne, sans autorisation, un titre acquis dans un autre État membre. Deuxièmement, il nous semble qu’ une telle interdiction relative à l’ utilisation des titres concerne bel et bien l’ accès et la participation à la formation professionnelle. Lorsqu’ une législation nationale empêche un étudiant d’ utiliser dans son propre État membre le titre qu’ il a acquis à l’ issue d’ une formation professionnelle suivie dans un autre État membre et de bénéficier ainsi du résultat des efforts fournis dans ses études, la législation est alors, à notre avis, de nature à rendre peu ou, en tout cas, moins attrayants l’ accès et la participation à la formation professionnelle organisée dans cet autre État membre. Alors que, dans la jurisprudence antérieure, il s’ agissait de restrictions discriminatoires à l’ accès « ex ante », telles qu’ une aide accordée pour couvrir les frais d’ inscription ou autres imposés comme condition pour l’ accès à l’ enseignement, il s’ agit aujourd’ hui d’ une restriction « ex post ». Cette différence n’ est toutefois pas de nature à rendre la restriction moins réelle.

24. Sur la base des développements qui précèdent, nous arrivons donc à la conclusion qu’ une réglementation nationale qui empêche des étudiants de se prévaloir du titre qu’ ils ont acquis en suivant une formation professionnelle dans un autre État membre relève bel et bien du champ d’ application de l’ article 128 du traité CEE. Cela signifie que cette réglementation peut également relever du domaine d’ application de l’ interdiction de discrimination prévue par l’ article 7 du traité CEE. Pour que cet article soit applicable, il faut que la réglementation exerce une discrimination ouverte ou déguisée en raison de la nationalité (33). Il est toutefois indifférent que la réglementation discriminatoire concerne la personne qui reçoit ou celle qui dispense la formation en question et qu’ elle soit mise en oeuvre dans l’ État membre dans lequel le titre a été acquis et par les autorités de cet État membre, ou, comme c’ est le cas en l’ espèce, dans l’ État membre et par les autorités de l’ État membre dans lequel ce titre est utilisé (34). Comme nous l’ avons dit, la discrimination interdite consiste, en l’ espèce, en ce que l’ interdiction d’ utiliser un titre, que nous avons examinée, gêne l’ accès de ressortissants allemands à la formation professionnelle dans d’ autres États membres en rendant cet accès peu ou, en tout cas, moins attrayant, tandis qu’ elle ne le fait pas pour ce qui concerne l’ accès de ressortissants allemands à la formation professionnelle dans leur propre État membre, sans qu’ aucun motif de justification admissible en droit communautaire puisse être invoqué à cet égard (voir le point 13 ci-dessus).

Conclusion

25. Sur la base des développements qui précèdent, nous proposons de répondre de la façon suivante à la question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi:

« 1) Une réglementation nationale qui soumet à une autorisation obligatoire la simple utilisation d’ un titre universitaire acquis dans un autre État membre et ne donnant pas directement accès à une profession n’ est pas compatible avec l’ interdiction de discrimination prévue par l’ article 48 du traité CEE, dans la mesure où cette exigence d’ une autorisation gêne un travailleur, au sens de l’ article 48, en ce qui concerne l’ emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Cela vaut également, dans les mêmes circonstances, lorsque le travailleur est un ressortissant de l’ État membre dans lequel la réglementation nationale s’ applique.

2) Dans la mesure où elle n’ est pas déjà interdite par l’ article 48 du traité CEE, une réglementation nationale telle que celle décrite au point 1) est incompatible avec l’ article 59 du traité CEE, parce qu’ elle rend moins attrayant pour ses propres ressortissants et donc empêche l’ accès aux services de l’ enseignement dispensés dans un autre État membre, lorsqu’ il s’ avère que les services concernés, dans l’ État membre du prestataire, ne sont pas financés par le budget public, mais que l’ étudiant ou les personnes qui financent ou subsidient ses études doivent fournir à cet égard une contrepartie couvrant totalement ou presque totalement les frais d’ enseignement.

3) Une réglementation nationale, telle que celle décrite au point 1), est de toute façon incompatible avec l’ article 7 du traité CEE dans la mesure où elle rend l’ accomplissement d’ une formation professionnelle dans un autre État membre moins attrayant pour les nationaux que l’ accomplissement d’ une formation professionnelle dans leur propre État membre."

(*) Langue originale: le néerlandais.

(1) Ce premier examen donne, par exemple, accès aux professions de conseiller juridique d’ entreprise ou, ainsi qu’ il ressort du litige au principal, d’ assistant dans une université.

(2) On trouvera une description détaillée du système allemand de formation pour juristes et des deux examens d’ État dans Lonbay e.a.: « Training lawyers in the European Community », The Law Society, 1990, p. 23 et suiv.

(3) Depuis, une autorisation générale plus large a été déclarée applicable, permettant l’ utilisation de nombreux titres universitaires repris dans une annexe détaillée, mais apparemment pas l’ utilisation du LL.M. britannique (à la différence de l’ irlandais); voir « Allgemeine Genehmigung zur Fuehrung von Hochschulgraden », Amtsblatt Wissenschaft und Kunst- Baden-Wuerttemberg, 19 juin 1992.

(4) Directive du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’ enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’ une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16).

(5) L’ autorisation générale citée à la note 3 vise à mettre cette directive en application au Baden-Wuerttemberg.

(6) Directive du Conseil du 18 juin 1992 relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE (JO L 209, p. 25).

(7) Comparez, dans le domaine de la libre circulation des marchandises, l’ arrêt du 15 décembre 1971, International Fruit Company e.a. (51/71 à 54/71, Rec. p. 1107, point 9).

(8) Voir, à ce sujet, Lenaerts, K.: « L’ égalité de traitement en droit communautaire », Cahiers de droit européen, 1991, p. 3, 13.

(9) 152/73, Rec. p. 153, point 11. Voir également l’ arrêt du 15 janvier 1986, Pinna (41/84, Rec. p. 1, point 23), et récemment, l’ arrêt du 30 mai 1989, Allué et Coonan (33/88, Rec. p. 1591, points 10 et suiv.).

(10) L’ importance du groupe de ressortissants CEE (comparé au groupe d’ Allemands) qui se trouvent dans une telle situation est toutefois sans incidence, à notre avis, sur l’ applicabilité de principe de l’ interdiction de discrimination de l’ article 48. Il s’ agit, en effet, de déterminer le caractère discriminatoire de la réglementation nationale en elle-même. Il suffit, à cet égard, que la réglementation soit de nature à produire, potentiellement, un effet discriminatoire à l’ encontre de ressortissants d’ autres États membres, peu importe leur nombre.

(11) C-357/89, Rec. p. I-1027, point 10. Il s’ agissait en l’ occurrence d’ une période d’ emploi très limitée: 60 heures sur une période de deux semaines dans le cadre de ce qu’ il est convenu d’ appeler un « oproepcontract » (contrat de travail occasionnel, effectué à la demande de l’ employeur). Voir également un arrêt de la même date, Bernini (C-3/90, Rec. p. I-1071, point 14).

(12) 66/85, Rec. p. 2121, point 27.

(13) Dans l’ affaire 274/80 soumise à la Cour et radiée ultérieurement, la Commission a procédé à une analyse approfondie de ce point dans ses observations écrites du 13 février 1981; elle a abouti à la conclusion que ce qu’ il est convenu d’ appeler les « Rechtsreferendare » doivent être considérés, pendant leur formation, comme des travailleurs au sens de l’ article 48 du traité CEE qui n’ exercent pas un emploi dans l’ administration publique.

(14) Précité à la note 11, point 21.

(15) Comparez l’ arrêt Allué et Coonan précité à la note 9, point 8.

(16) Voir arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, Rec. p. 1999, point 35).

(17) La Cour admet pareilles raisons dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsqu’ il existe un risque que, à la faveur des libertés garanties par le traité, certains ressortissants tentent, par exemple, de se soustraire à des règles professionnelles contraignantes. Voir, concernant l’ article 59, l’ arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299, points 12 et suiv.), et, concernant (entre autres) l’ article 48, l’ arrêt du 7 février 1979, Knoors (115/78, Rec. p. 399, point 25).

(18) Depuis l’ arrêt du 25 juillet 1991, Saeger (C-76/90, Rec. p. I-4221, points 12 et suiv.), il est établi que même des dispositions nationales qui ne sont pas discriminatoires (ouvertement ou de façon déguisée), mais qui sont de nature à gêner les échanges entre États, relèvent de l’ interdiction de l’ article 59 du traité CEE. Selon la jurisprudence de la Cour, ce qu’ il est convenu d’ appeler des raisons impérieuses d’ intérêt général ne peuvent justifier que des dispositions non discriminatoires: voir arrêt du 25 juillet 1991, Stichting Collectieve Antennevoorziening Gouda (C-288/89, Rec. p. I-4007, points 12 et suiv.). Or, il s’ agit, en l’ espèce, d’ une disposition créant une discrimination (déguisée). Il ressort apparemment de l’ arrêt du 20 mai 1992, Ramrath (C-106/91, Rec. p. I-3351, points 28 à 31), que ces principes valent également à l’ égard de l’ article 48 du traité CEE.

(19) Nous visons les directives 89/48 et 92/51 examinées plus haut, ainsi que la convention européenne sur la reconnaissance académique des qualifications universitaires du 14 décembre 1959. Cette convention, élaborée au sein du Conseil de l’ Europe, a été signée par tous les États membres de la Communauté et s’ applique aujourd’ hui dans dix États membres, dont la République fédérale d’ Allemagne.

(20) C-61/89, Rec. p. I-3551, point 11.

(21) Précité à la note 17.

(22) Directive du Conseil du 7 juillet 1964 relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23-40 CITI (industrie et artisanat) (JO 1964, 117, p. 1863).

(23) Voir également les conclusions (points 5 à 9) de l’ avocat général M. Tesauro dans l’ affaire Singh (arrêt du 7 juillet 1992, C-370/90, Rec. p. I-4265, 4280).

(24) Le dispositif de l’ arrêt est, dès lors, expressément centré sur une « activité paramédicale, telle que, notamment, l’ ostéopathie » qui est réservée, dans l’ État membre concerné, aux « seuls détenteurs d’ un diplôme de docteur en médecine ». La sensibilité particulière de ce secteur ressort également de l’ article 57, paragraphe 3, du traité CEE, qui lui accorde un statut particulier en ce qui concerne l’ harmonisation des législations en matière d’ établissement et de prestation de services.

(25) Voir, en particulier, la jurisprudence précitée à la note 17.

(26) Arrêt Saeger, précité à la note 18, point 12.

(27) Arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 10); voir également arrêt du 2 février 1989, Cowan (186/87, Rec. p. 195, point 20).

(28) Arrêt du 27 septembre 1988, Humbel et Edel (263/86, Rec. p. 5365, points 14 et suiv.).

(29) A cet égard, il ne nous paraît pas nécessaire de consacrer une attention particulière à l’ article 58, deuxième alinéa, du traité CEE, qui, en vertu de l’ article 66, est également applicable à la libre prestation de services. L’ alinéa précité contient une exception relative aux « sociétés qui ne poursuivent pas de but lucratif ». Cette phrase ne nous semble pas poser de condition supplémentaire, mais reflète simplement la notion de « services », telle qu’ elle figure à l’ article 60. Voir également l’ arrêt du 4 octobre 1991, Grogan e.a. (C-159/90, Rec. p. I-4685, point 26).

(30) 293/83, Rec. p. 593. Depuis l’ arrêt Gravier, la politique communautaire en matière de formation professionnelle s’ est largement développée.

(31) 24/86, Rec. p. 379; confirmé dans l’ arrêt du 30 mai 1989, Commission/Conseil (Erasmus) (242/87, Rec. p. 1425, point 25).

(32) Voir déjà arrêt du 3 juillet 1974, Casagrande (9/74, Rec. p. 773, point 6).

(33) En d’ autres termes, l’ article 7 ne concerne pas, dans l’ état actuel du droit communautaire, des réglementations qui, sans être discriminatoires, restreignent d’ une autre manière la libre circulation des personnes, des marchandises et des services.

(34) Sur ces deux points, il existe une analogie avec ce qui s’ applique en matière de libre circulation des services. Ainsi, dans l’ arrêt Luisi et Carbone, précité à la note 27, il s’ agissait de restrictions à des paiements imposées par l’ État membre de provenance du bénéficiaire d’ une prestation se rendant à l’ étranger.

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CJCE, n° C-19/92, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Dieter Kraus contre Land Baden-Württemberg, 13 janvier 1993