CJCE, n° C-19/00, Conclusions de l'avocat général de la Cour, SIAC Construction Ltd contre County Council of the County of Mayo, 10 mai 2001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 10 mai 2001, SIAC Construction, C-19/00
Numéro(s) : C-19/00
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 10 mai 2001. # SIAC Construction Ltd contre County Council of the County of Mayo. # Demande de décision préjudicielle: Supreme Court - Irlande. # Marchés publics de travaux - Attribution à l'offre économiquement la plus avantageuse - Critères d'attribution. # Affaire C-19/00.
Date de dépôt : 24 janvier 2000
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62000CC0019
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2001:266
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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62000C0019

Conclusions de l’avocat général Jacobs présentées le 10 mai 2001. – SIAC Construction Ltd contre County Council of the County of Mayo. – Demande de décision préjudicielle: Supreme Court – Irlande. – Marchés publics de travaux – Attribution à l’offre économiquement la plus avantageuse – Critères d’attribution. – Affaire C-19/00.


Recueil de jurisprudence 2001 page I-07725


Conclusions de l’avocat général


1. En vertu de la réglementation communautaire, les marchés publics de travaux doivent être attribués sur la base soit du prix le plus bas, soit de l’offre économiquement la plus avantageuse; dans ce dernier cas, tous les critères qui seront appliqués doivent être mentionnés dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges.

2. Lorsque, dans ce contexte, il est mentionné que l’offre la plus avantageuse du point de vue du coût et de la valeur technique sera acceptée et lorsque la compétence de tous les soumissionnaires les moins-disants est reconnue, le marché peut-il être attribué non au soumissionnaire dont l’offre est formellement la plus basse, mais au soumissionnaire dont l’offre est, de l’avis de l’ingénieur-conseil, susceptible d’être la plus basse eu égard au coût final? Telle est, en substance, la question posée en l’espèce par la Supreme Court (Irlande).

Cadre législatif

3. La législation communautaire en vigueur à l’époque des faits de la procédure au principal était la directive 71/305/CEE du Conseil (ci-après la «directive»).

4. Parmi les dispositions de celle-ci, ce sont essentiellement celles de l’article 29, paragraphes 1 et 2, qui sont en cause en l’espèce:

«1. Les critères sur lesquels les pouvoirs adjudicateurs se fondent pour attribuer les marchés sont:

— soit uniquement le prix le plus bas;

— soit, lorsque l’attribution se fait à l’offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché: par exemple, le prix, le délai d’exécution, le coût d’utilisation, la rentabilité, la valeur technique.

2. Dans ce dernier cas, les pouvoirs adjudicateurs mentionnent, dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché, tous les critères d’attribution dont ils prévoient l’utilisation, si possible dans l’ordre décroissant de l’importance qui leur est attribuée.»

La procédure au principal et la demande de décision préjudicielle

5. Les faits, tels qu’ils ressortent de l’ordonnance de renvoi de la Supreme Court et des documents annexés à celle-ci, sont les suivants.

6. En février 1992, le County Council de Mayo (ci-après le «County Council») a publié au Journal officiel des Communautés européennes un appel d’offres portant sur la réalisation d’un projet d’amélioration du réseau d’assainissement, comprenant la pose d’égouts, de collecteurs d’eaux pluviales, de tubes de colonnes montantes et de conduites d’eau, avec leurs différents accessoires, ainsi que la construction de deux stations de pompage et d’une installation de traitement des eaux .

7. Le marché relevait de la catégorie des marchés au métré, dans le cadre desquels les quantités estimées de chaque poste de travaux sont indiquées dans un devis quantitatif. Le soumissionnaire complète ce dernier par un taux pour chaque poste et un prix total pour la quantité estimée. Le prix à payer est déterminé en remesurant les quantités réelles après l’exécution des travaux et en les évaluant aux taux indiqués dans l’offre. Ce type de marché est utilisé en particulier lorsqu’il n’est pas possible de fixer des quantités précises avant le début des travaux.

8. Sous l’intitulé «Critères d’attribution (autres que le prix)», il était indiqué dans l’avis de marché publié au Journal officiel que: «le marché sera attribué à l’entrepreneur compétent présentant l’offre qui est jugée la plus avantageuse pour le Council du point de vue du coût et de la valeur technique […]».

9. Le dossier d’appel d’offres comprenait les instructions aux soumissionnaires, le cahier des charges et les conditions du contrat. Les éléments pertinents suivants ressortent de ces documents:

— parmi les termes définis figuraient «total de l’offre» (le total du devis quantitatif complété par les prix à la date de son acceptation) et «prix du marché» (la somme à déterminer et à verser après l’exécution du marché), bien qu’il ne semble pas que ces termes aient été utilisés systématiquement dans l’ensemble des documents;

— le marché serait attribué au soumissionnaire dont l’offre serait jugée la plus avantageuse économiquement pour le County Council du point de vue «du prix et de la valeur technique»;

— le County Council se réservait néanmoins le droit de ne pas accepter l’offre la moins-disante, voire toute autre offre;

— la décision serait prise sur la recommandation d’un ingénieur-conseil, qui vérifierait si les trois offres les moins-disantes comportent des erreurs de calcul et comparerait les prix à sa propre estimation des coûts pour faire en sorte que le prix des postes soit fixé de manière à garantir l’exécution la plus soignée possible sans frais additionnels s’il apparaissait que le prix de l’offre était trop bas;

— le «prix de l’offre» révisé (c’est-à-dire le prix déterminé après les corrections arithmétiques) servirait de base de comparaison entre les offres;

— le prix de tous les postes devait être fixé, les taux étant indiqués aux endroits appropriés;

— toutefois, lorsque aucun prix ou taux n’était inscrit en regard d’un poste, ce poste serait réputé couvert par les autres taux et prix. (Cette pratique, appelée «fixation d’un taux zéro», est utilisée par les soumissionnaires pour soumettre des prix moins nombreux et plus globaux pour les principaux postes, qui couvrent tous les postes mineurs qui y sont liés, au lieu de fixer en détail le prix de chaque poste distinct.)

10. Il y a eu 24 soumissionnaires. Les trois soumissionnaires les moins-disants étaient SIAC Construction Ltd (ci-après «SIAC»), Pat Mulcair (ci-après «Mulcair») et Pierse Contracting Ltd (ci-après «Pierse»). À la suite des corrections arithmétiques, les totaux des offres étaient de 5 378 528 IEP pour SIAC, 5 508 919 IEP pour Mulcair et 5 623 966 IEP pour Pierse.

11. Dans son rapport extrêmement détaillé du 30 juin 1992, l’ingénieur-conseil affirmait que ces offres étaient équivalentes du point de vue de la valeur technique.

12. Toutefois, il avait de sérieuses réserves en ce qui concerne l’offre de SIAC, étant donné que le système de fixation des prix utilisé «réduisait considérablement la liberté de l’ingénieur-conseil de gérer correctement et complètement le contrat de la manière qu’il considère la plus avantageuse économiquement pour le County Council de Mayo». De manière générale, l’approche suivie par SIAC réduisait de manière significative la maîtrise de tous les postes du devis quantitatif, qui varieraient dans un sens ou dans un autre après le mesurage final. En particulier, elle avait attribué un taux zéro à 27,5 % des postes, tandis que Mulcair avait attribué un taux zéro à seulement 18 % de ceux-ci et avait fixé le prix de tous les principaux postes de travaux mesurés. SIAC avait également déduit entièrement une somme provisoire de 90 000 IEP qui avait été incluse pour certains matériaux. (Il ressort du dossier que SIAC considérait que cela impliquait qu’elle devait fournir gratuitement ces matériaux – ce qui semblerait avoir un effet analogue à celui du taux zéro, le prix étant réputé être inclus dans celui d’autres postes.) De l’avis de l’ingénieur, Mulcair avait présenté une offre «plus équilibrée» que celle de SIAC et «il se pourrait bien que son rapport qualité/prix soit bien supérieur et elle pourrait même coûter moins».

13. Dans ses recommandations, l’ingénieur-conseil a affirmé qu’il y avait lieu de rejeter l’offre de Pierse du seul fait de son prix. Il a ensuite fourni un certain nombre de raisons de ne pas recommander – «avec le plus grand regret» – l’offre de SIAC, en particulier les pratiques décrites ci-dessus consistant à fixer des taux zéro, qui créaient des distorsions et rendaient extrêmement difficiles si ce n’est impossibles la gestion et le contrôle. Il a indiqué qu’il doutait sérieusement que l’offre de SIAC «s’avère en définitive être la moins-disante». Il a par conséquent recommandé l’acceptation de l’offre corrigée de Mulcair. C’est ce qui a été fait et les travaux ont été achevés entre-temps.

14. Toutefois, lorsqu’il a attribué le marché, le County Council a informé SIAC des raisons pour lesquelles il n’a pas accepté son offre. SIAC a attaqué la décision du County Council devant la High Court, qui a rejeté son recours en contrôle juridictionnel et en dommages-intérêts le 17 juin 1997.

15. L’un des points litigieux était de savoir si le terme «coût» indiquait un critère autre que le «prix», au sens du total de l’offre, dans le dossier d’appel d’offres. La High Court a jugé que les deux termes étaient utilisés de manière interchangeable dans le dossier d’appel d’offres et qu’il était entendu qu’ils avaient le même sens. En choisissant les critères qui ont été stipulés dans l’avis de marché et développés dans d’autres documents, le County Council avait exercé un pouvoir discrétionnaire de sélection qui reposait largement sur l’exercice d’un jugement professionnel. La High Court s’est bornée à vérifier si la décision du Council était déraisonnable et a conclu qu’elle ne l’était pas. SIAC a interjeté appel devant la Supreme Court.

16. SIAC a soutenu dans le cadre de son appel que le County Council était tenu d’accepter son offre qui était la moins-disante. Étant donné que tous les soumissionnaires avaient la valeur technique requise, le seul critère qui pouvait entrer en ligne de compte était le coût (qui était synonyme du prix). Le coût/prix ne pouvait signifier le coût final; il pouvait uniquement signifier le prix de l’offre. En tenant compte du coût final, le County Council s’était écarté des critères d’attribution spécifiés, contrairement aux principes de transparence, de prévisibilité de la procédure d’adjudication et d’égalité des soumissionnaires.

17. Le County Council a soutenu qu’il était en droit d’exercer un pouvoir d’appréciation discrétionnaire et d’attribuer le marché sur la base de la recommandation de son ingénieur-conseil quant à l’offre qui était la plus avantageuse du point de vue du coût et de la valeur technique. Dans un marché au métré, le coût doit être compris comme le coût final pour le pouvoir adjudicateur. De plus, l’ingénieur-conseil était autorisé à effectuer des comparaisons entre les prix indiqués et ses propres estimations du coût. SIAC avait compris que le critère du coût visait le coût probable du marché pour le County Council.

18. La Supreme Court a décidé de surseoir à statuer et de déférer la question suivante à la Cour de justice en vue d’une décision à titre préjudiciel:

«Lorsqu’un pouvoir adjudicateur attribue un marché conformément aux dispositions du deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1, de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, telle qu’elle a été transposée dans le droit national d’un État membre, que le pouvoir adjudicateur a précisé que les critères d’attribution (autres que le prix) étaient tels que le marché serait attribué à l’entrepreneur compétent présentant l’offre qui est jugée la plus avantageuse pour le (pouvoir adjudicateur) du point de vue du coût et de la valeur technique, que les trois soumissionnaires les moins-disants sont des entrepreneurs dont la compétence est reconnue et qui ont soumis des offres valides dont la valeur technique est reconnue et lorsque les prix des offres des trois soumissionnaires les moins-disants ne divergeaient pas beaucoup, le pouvoir adjudicateur est-il tenu d’attribuer le marché à l’entrepreneur qui a présenté l’offre la plus basse ou le pouvoir adjudicateur est-il autorisé à attribuer le marché à l’entrepreneur qui a présenté la deuxième offre la plus basse sur la base du rapport professionnel de son ingénieur-conseil selon lequel le coût final du marché pour le pouvoir adjudicateur est susceptible d’être inférieur si le marché est attribué à l’entrepreneur qui a présenté la deuxième offre la plus basse par rapport à ce qu’il serait si le marché était attribué à l’entrepreneur qui a présenté l’offre la plus basse?»

Observations présentées devant la Cour

19. Des observations écrites ont été déposées par SIAC, le County Council, le gouvernement irlandais, le gouvernement autrichien et la Commission. SIAC, le County Council, le gouvernement français, le gouvernement irlandais et la Commission ont présenté des observations orales à l’audience.

20. SIAC soutient que le critère du coût ou prix mentionné dans le dossier d’appel d’offres doit être entendu comme signifiant le prix total de l’offre telle qu’elle est présentée; en choisissant entre SIAC et Mulcair en fonction du coût final extrapolé, le County Council s’est écarté des critères d’attribution qu’il avait lui-même stipulés. Il a de ce fait enfreint le principe de non-discrimination, n’a pas garanti la transparence et la prévisibilité et a agi de manière subjective et arbitraire en s’attribuant un pouvoir d’appréciation totalement discrétionnaire.

21. Le County Council soutient que les références au coût et au prix ne peuvent être que des références au coût probable du marché exécuté et que la question est simplement de savoir s’il est permis à un pouvoir adjudicateur d’adopter ce coût (tel qu’il est déterminé par son ingénieur-conseil) à titre de critère d’attribution conformément au deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1, de la directive. Il considère que cela est permis, étant donné qu’il résulte de la jurisprudence qu’un pouvoir adjudicateur doit disposer d’une marge d’appréciation pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de critères objectifs, qui peuvent comprendre les suites pour l’avenir du choix effectué.

22. Les gouvernements français, irlandais et autrichien soutiennent en substance la position du County Council. Le gouvernement irlandais souscrit en particulier au point de vue selon lequel, dans le contexte d’un marché au métré dans lequel les quantités et coûts finaux ne peuvent pas être calculés à l’avance avec exactitude, le respect des instructions remises aux soumissionnaires garantit un juste partage du risque, qui est compromis par l’usage excessif de la fixation de taux zéro; en outre, le jugement professionnel d’un ingénieur-conseil n’est en principe pas subjectif, mais peut en tout état de cause être attaqué devant les juridictions nationales si un défaut d’objectivité peut être démontré. Le gouvernement autrichien s’accorde avec le County Council pour considérer qu’il serait contraire aux dispositions et aux principes de la directive d’exiger d’un pouvoir adjudicateur qu’il attribue le marché sur la base du prix de l’offre le plus bas alors qu’il avait stipulé un critère différent.

23. Enfin, la Commission adopte une position plus favorable à SIAC. Elle considère que lorsque le seul critère pertinent est le «coût», qui correspond au prix soumissionné, un pouvoir adjudicateur n’est pas autorisé à tenir compte de critères non mentionnés auparavant tels que l’utilisation de taux zéro, le caractère équilibré de l’offre ou la méthodologie de fixation des prix. Lorsque le prix est l’un des critères, il signifie nécessairement le prix de l’offre le plus bas, que ce soit dans le contexte du premier ou du deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1, de la directive; utiliser le coût final à titre de critère poserait des problèmes de sécurité et d’objectivité, tels que l’appréciation apparemment subjective de l’ingénieur-conseil en l’espèce.

Analyse

La signification de «prix» et «coût»

24. Une question cruciale en l’espèce est celle de savoir ce qui est entendu par «coût» ou «prix» dans le dossier d’appel d’offres. La High Court a jugé que les mots étaient utilisés de manière interchangeable et qu’il était entendu qu’ils avaient le même sens, mais elle ne semble pas avoir décidé quel était ce sens. La question est apparemment encore en suspens devant la Supreme Court, SIAC soutenant que cela signifie le prix arithmétiquement corrigé indiqué dans l’offre (le «total de l’offre» défini dans le dossier d’appel d’offres) et le County Council soutenant que cela signifie le coût final prévisible (le «prix du marché»).

25. SIAC souhaite que la Cour juge que les termes «prix» et «coût» dans le dossier d’appel d’offres ne peuvent pas, en droit communautaire, être interprétés comme signifiant le «coût final» et le County Council soutient que la question de la Supreme Court présuppose qu’ils doivent avoir ce sens.

26. Bien que cela constitue à notre avis une question d’interprétation des termes d’un contrat régi par le droit irlandais et que cela soit donc du ressort des juridictions irlandaises, la Cour peut néanmoins fournir des éclaircissements sur la signification de «prix» dans la directive qui peuvent être utiles pour aboutir à une interprétation.

27. Le terme «prix» est utilisé aux deux tirets de l’article 29, paragraphe 1, de la directive.

28. Au premier tiret, l’expression «uniquement le prix le plus bas» ne peut s’appliquer, à notre avis, qu’au prix indiqué dans l’offre. Toute autre interprétation réduirait la clarté de cette disposition, qui vise manifestement à consacrer un critère absolument objectif; aucun point de vue contraire n’a d’ailleurs été soutenu.

29. La Commission considère que le terme «prix» doit être interprété de la même façon dans le contexte du second tiret.

30. Nous sommes d’accord, mais ce point ne nous paraît pas décisif. Le second tiret permet aux pouvoirs adjudicateurs de déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse sur la base de «divers critères variables suivant le marché» et fournit une liste non exhaustive de tels critères, parmi lesquels figure le «prix». D’autres critères peuvent donc être utilisés, dès lors qu’ils sont mentionnés dans l’avis de marché ou le cahier des charges conformément au paragraphe 2 de l’article 29 et l’un de ces critères pourrait être le coût final probable. Il est difficile de nier que le coût final le plus bas pour le pouvoir adjudicateur peut être considéré comme le plus avantageux économiquement.

31. Pour les raisons indiquées plus haut, nous n’exprimerons pas d’avis sur le point de savoir si le «coût» (ou «prix») dans le dossier d’appel d’offres signifie le total de l’offre présentée ou le prix final prévisible du marché, mais nous examinerons les hypothèses en présence tour à tour.

32. Toutefois, il est utile d’évoquer auparavant certaines considérations générales relatives à l’interprétation et à l’application de la directive.

L’application des critères d’attribution

33. Le principal objet de la réglementation de la passation des marchés publics en général est de garantir que les fonds publics soient dépensés honnêtement et efficacement, sur la base d’une appréciation sérieuse et sans favoritisme d’aucune sorte ou contrepartie financière ou politique. Le principal objet de l’harmonisation communautaire est de garantir en outre la suppression des entraves et l’égalité des conditions de concurrence en posant, notamment, des exigences de transparence et d’objectivité.

34. La façon dont les critères d’attribution doivent être appliqués en vertu de la réglementation communautaire a été clarifiée par la Cour dans plusieurs arrêts, et en particulier les arrêts Beentjes , Commission/Danemark et Commission/Belgique , qui ont tous été cités par les parties qui ont présenté des observations.

35. L’arrêt Beentjes portait sur la légalité de certains critères stipulés dans le dossier d’appel d’offres. Bien que ces critères fussent différents de ceux qui sont en cause en l’espèce, quelques points pertinents se dégagent de l’arrêt. La stipulation selon laquelle le marché sera attribué au soumissionnaire «dont l’offre semble la plus acceptable» est incompatible avec le droit communautaire si, dans l’interprétation qu’en fait le droit national, elle confère une liberté inconditionnée de choix au pouvoir adjudicateur, mais non si elle a pour effet de permettre une comparaison entre les offres sur la base de critères objectifs tels que ceux énumérés au second tiret de l’article 29, paragraphe 1 , et, lorsque de tels critères sont utilisés, ils doivent être mentionnés dans l’avis de marché ou le cahier des charges .

36. L’affaire Pont du Storebælt était un recours introduit par la Commission contre le royaume de Danemark en raison d’irrégularités ayant affecté une importante procédure d’adjudication. Un soumissionnaire avait présenté une offre non conforme au cahier des charges et le pouvoir adjudicateur avait engagé des négociations avec ce soumissionnaire qui ont abouti à la modification des conditions et à l’acceptation de son offre. La Cour a jugé en particulier que le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires était à la base de la directive et exigeait que toutes les offres soient conformes aux prescriptions du cahier des charges afin de garantir une comparaison objective .

37. Dans l’affaire Bus wallons, un recours introduit par la Commission contre le royaume de Belgique (sur le fondement d’une autre directive marchés publics ), il a été jugé qu’un pouvoir adjudicateur avait enfreint le droit communautaire parce qu’il avait tenu compte d’une modification apportée à l’offre par un seul soumissionnaire, avait attribué le marché sur la base de chiffres qui ne correspondaient pas aux prescriptions du cahier des charges et avait pris en considération des éléments supplémentaires proposés par un soumissionnaire mais ne figurant pas parmi les critères d’attribution stipulés. La Cour a rappelé la nécessité de respecter les principes d’égalité de traitement des soumissionnaires et de transparence .

38. Il ressort donc clairement du libellé de l’article 29, paragraphes 1 et 2, et de la jurisprudence que, si un pouvoir adjudicateur ne précise pas les critères relevant du «caractère économiquement avantageux» qu’il entend appliquer conformément au deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1, il est tenu d’attribuer le marché sur la base uniquement du prix le plus bas; lorsqu’il énonce effectivement de tels critères, il est tenu par ceux-ci et ne peut s’en écarter au cours de la procédure. Les exigences de transparence, d’objectivité et d’égalité des chances ne sont respectées que si tous les soumissionnaires savent à l’avance en fonction de quels critères leurs offres seront jugées et si ces critères sont appréciés objectivement.

39. Ayant ces considérations à l’esprit, nous abordons maintenant les deux hypothèses alternatives sur lesquelles les parties à la procédure au principal fondent leur argumentation. Il ne faut pas non plus oublier que la procédure d’adjudication était régie par le deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1, et par l’article 29, paragraphe 2, de la directive, et non par les conditions plus strictes du premier tiret de l’article 29, paragraphe 1.

Première hypothèse: les termes «prix» et «coût» dans le dossier d’appel d’offres signifient le total de l’offre présentée, arithmétiquement corrigé

40. Si l’on retient cette hypothèse, l’issue de la procédure nationale semble simple. Il est constant que le marché a été attribué (tout au moins au stade final du choix entre les deux offres les plus basses) sur la base du coût final probable et non sur la base du total de l’offre tel qu’il était défini dans le dossier d’appel d’offres. Dès lors, si le coût final probable n’était pas l’un des critères d’attribution énoncés conformément à l’article 29, paragraphe 2, son utilisation était contraire aux dispositions de la directive et aux principes régissant leur application.

41. Une telle situation serait analogue à celle des affaires Pont du Storebælt et Bus wallons, bien qu’il ne semble pas qu’il y ait eu en l’espèce de modification formelle des conditions du cahier des charges ou de l’offre du soumissionnaire retenu. Le seul fait d’attribuer le marché sur la base de critères dont les soumissionnaires n’étaient pas informés les prive de la possibilité d’élaborer la structure de leurs offres de manière à parvenir à une compétitivité optimale et ne répond manifestement pas aux exigences de transparence incorporées dans l’article 29, paragraphe 2 – un fait qui entache d’illégalité la procédure indépendamment du point de savoir si les critères utilisés étaient en fait objectifs et du point de savoir si tous les soumissionnaires ont été tenus dans la même ignorance en ce qui concerne le véritable élément en fonction duquel le marché serait attribué.

42. Si telles sont les circonstances de l’affaire, la réponse à la question de la juridiction nationale doit par conséquent être que le pouvoir adjudicateur n’était pas autorisé à attribuer le marché sur la base du coût final probable.

Seconde hypothèse: les termes «prix» et «coût» dans le dossier d’appel d’offres signifient le coût final probable pour le County Council

43. Si l’on se place dans cette hypothèse, les objections formulées plus haut ne sont en principe pas pertinentes. On suppose que le critère du coût final probable avait été choisi et a ensuite été appliqué. Toutefois, il reste nécessaire d’examiner si le choix de ce critère était permis, s’il a été mentionné clairement conformément à l’article 29, paragraphe 2, s’il a été appliqué objectivement et si tous les soumissionnaires ont été traités de la même manière.

44. Nous avons considéré que le coût final probable était en principe un critère d’attribution possible dans le contexte du deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1, mais nous n’avons pas encore examiné le point de savoir s’il était admissible sous la forme qu’il a prise en l’espèce.

45. Il est compréhensible que, lorsque, dans un marché au métré, les quantités finales sont susceptibles de différer des quantités estimées sur la base desquelles les offres ont été présentées, la façon dont les offres sont structurées et en particulier l’utilisation qu’elles ont faite du taux zéro peuvent influer sur le classement des offres selon qu’elles sont évaluées par rapport au coût estimé ou par rapport au coût final.

46. Par exemple, x unités linéaires de canalisation peuvent être estimées, les soumissionnaires étant priés de fixer un chiffre par unité, ainsi que des chiffres séparés pour un nombre estimé d’accessoires tels que des trous d’homme, des déversoirs, des branchements, des bouches d’égout, des valves et des colonnes de ventilation et pour les excavations dans la roche, l’argile, le limon, etc.

47. Si le soumissionnaire A propose un chiffre global par unité linéaire de canalisation (en attribuant un taux zéro à tous les autres) et si le soumissionnaire B indique des chiffres tout à fait détaillés, leurs offres peuvent être comparées de façon satisfaisante sur la base des quantités estimées. Toutefois, si la longueur finale de la canalisation posée est différente, cette comparaison ne sera plus valable à moins que les quantités des accessoires et des types d’excavation demeurent proportionnellement les mêmes. Entre autres choses, il sera plus facile pour le pouvoir adjudicateur (ou son ingénieur-conseil) de contrôler les dépenses relatives à des variations en exerçant des choix techniques dans le cas du soumissionnaire B que dans le cas du soumissionnaire A. Lorsque les offres sont très proches en valeur, comme cela était le cas en l’espèce, il ne semble pas déraisonnable de supposer que l’offre B peut se révéler être d’un coût final inférieur.

48. De surcroît, étant donné que les quantités finales différeront des quantités estimées mais que les écarts ne peuvent pas être prévus formellement avec exactitude, il semble raisonnable que l’appréciation de l’effet probable de structures de prix différentes sur le coût final repose sur le jugement professionnel d’un consultant expérimenté. D’une part, une telle personne est en principe qualifiée pour apprécier cet effet avec la plus grande exactitude possible et, d’autre part, elle devrait connaître la marge d’incertitude que ses prévisions comportent et sera en mesure de tenir compte de ce facteur lorsqu’elle fera sa recommandation.

49. Le critère appliqué dans la présente espèce nous semble donc être admissible.

50. La question qui se pose ensuite est de savoir si le critère a été mentionné de façon suffisamment claire dans le dossier d’appel d’offres, mais, dans un cas tel que celui de l’espèce, il appartient à la juridiction nationale d’en juger. Manifestement, dans l’hypothèse dans laquelle nous nous sommes placés, les soumissionnaires ont été informés que leurs offres seraient appréciées eu égard au coût final probable, mais nous considérons qu’il est néanmoins nécessaire d’examiner si les informations fournies dans l’avis de marché et le dossier d’appel d’offres étaient suffisantes pour leur permettre de structurer leurs offres de manière à tenir compte de la façon dont cette appréciation serait effectuée, en particulier en ce qui concerne les effets de l’utilisation du taux zéro. Si tel n’était pas le cas, l’article 29, paragraphe 2, et le principe de transparence n’auraient pas été respectés.

51. En examinant cette question, la juridiction nationale devrait prendre en considération non seulement les termes littéraux du dossier d’appel d’offres, mais également la façon dont on peut présumer qu’ils seront compris par un soumissionnaire disposant d’une expérience normale dans le contexte d’un marché au métré. En gardant à l’esprit que la certitude quant aux critères qui seront appliqués est d’une importance fondamentale lors de la rédaction d’une offre, la juridiction nationale devrait examiner dans quelle mesure la distinction entre le total de l’offre et le prix du marché et le rôle respectif de chacune de ces notions ont été précisés et si les indications à cet effet étaient suffisamment apparentes dans le dossier d’appel d’offres. Nous considérons qu’il est pertinent que, comme nous l’avons indiqué plus haut, le terme «prix» doit normalement être entendu comme signifiant le prix indiqué dans l’offre, même dans le contexte du deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1.

52. À cet égard, le County Council a mentionné l’indication selon laquelle l’ingénieur-conseil comparerait les prix avec ses propres estimations du coût. Toutefois, il est possible que cette indication ne soit pas pertinente à cet égard; elle semble avoir été limitée à la situation dans laquelle le prix fixé pour certains postes paraissait trop bas.

53. Il appartient encore à la juridiction nationale de déterminer si le critère a été appliqué objectivement. Cette question est liée, mais non identique, à celle du caractère déraisonnable, qui a été examinée en détail par la High Court qui a vérifié si la décision d’attribution «était manifestement et sans équivoque possible contraire à la raison et au bon sens». À notre avis, le critère de l’objectivité devrait être un peu moins radical.

54. La question essentielle dans ce cadre est de savoir si les facteurs pris en considération sont susceptibles d’étayer les conclusions qui en ont été tirées.

55. La recommandation de l’ingénieur-conseil était fondée sur son avis professionnel quant au coût final probable. À notre avis, un tel jugement professionnel devrait en principe être considéré comme objectif, même s’il comporte nécessairement une certaine extrapolation à partir de faits strictement vérifiables, à condition qu’il soit fondé, sur tous les points essentiels, sur des facteurs objectifs considérés, selon les règles de l’art, comme pertinents et appropriés pour l’appréciation à effectuer.

56. Enfin, il se pose la question de l’égalité de traitement des soumissionnaires. Il n’a pas été avancé en l’espèce que le soumissionnaire retenu avait bénéficié d’un traitement spécial du type observé dans les affaires Pont du Storebælt et Bus wallons, dans lesquelles un seul soumissionnaire a été autorisé à opérer des modifications ou à négocier à des conditions différentes après la remise de toutes les offres. Toutefois, SIAC a attaché une grande importance au fait que, sur les 24 soumissionnaires, 22 ont été éliminés sur la base du seul total de l’offre et seules deux offres ont été examinées sur la base du coût final probable.

57. Nous avons indiqué plus haut que nous considérons que l’examen de la structure des prix était une méthode admissible d’appréciation du coût final probable parce que les variations des quantités finales peuvent influer différemment sur le prix final du marché selon la méthode de fixation des prix utilisée dans l’offre.

58. Toutefois, étant donné que l’effet des différentes méthodes de fixation des prix sur le coût final ne peut dépasser une certaine limite, il ne servirait à rien d’analyser toutes les offres sous cet angle. La différence entre deux offres peut être trop grande pour qu’une telle analyse ait un effet sur leur classement. Dans ce cas, une offre d’un montant plus élevé peut à notre avis être rejetée sur la seule base du total de l’offre. Il n’y a pas de contradiction entre cette approche et l’examen minutieux des structures de prix pour opérer un choix entre des offres en concurrence étroite. Ce point de vue n’est pas remis en cause par le fait que les soumissionnaires ont été informés que le total de l’offre arithmétiquement corrigé servirait de base de comparaison, pourvu que l’ingénieur-conseil ait effectivement utilisé les chiffres corrigés lorsqu’il s’est livré à cet examen détaillé.

59. Eu égard aux faits de l’espèce, on pourrait se demander si toutes les offres autres que celles de Mulcair et de SIAC étaient en fait de celles pour lesquelles l’examen de la structure des prix ne pouvait affecter le classement des offres sur la base du coût final probable. En particulier, sur les trois offres les moins-disantes devant être examinées en détail, celle de Pierse n’a pas été examinée de cette façon, bien que la différence entre son total corrigé et celui de la soumission de Mulcair n’était pas supérieure à celle qui séparait les totaux des offres de Mulcair et de SIAC. Toutefois, ce fait ne saurait influer sur la validité du choix opéré entre Mulcair et SIAC et aucun autre soumissionnaire ne semble avoir contesté l’issue de la procédure d’adjudication.

60. En tenant compte des réserves que nous avons formulées, il nous semble que la notion de coût final pouvait valablement être utilisée à titre de critère d’attribution dans la présente hypothèse. L’approche que nous préconisons devrait permettre, à notre avis, de dissiper les craintes exprimées par la Commission à l’audience, selon lesquelles l’utilisation de ce critère se traduirait par un degré d’incertitude et un manque d’objectivité inacceptables dans les procédures de passation de marchés publics. À notre sens, elle ne peut – comme tout autre critère – être utilisée que lorsque les principes de transparence, d’objectivité et d’égalité des soumissionnaires sont manifestement respectés.

Conclusion

61. Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la question déférée par la Supreme Court (Irlande):

«Dans le cadre d’une procédure régie par le deuxième tiret de l’article 29, paragraphe 1, et l’article 29, paragraphe 2, de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, un pouvoir adjudicateur est autorisé à attribuer le marché au soumissionnaire dont l’offre, bien que n’étant pas la moins-disante, est susceptible, de l’avis professionnel de l’ingénieur-conseil du pouvoir adjudicateur, d’être la plus basse eu égard au coût final, à condition que la transparence, l’objectivité et l’égalité de traitement des soumissionnaires soient assurées et en particulier que:

— le critère d’attribution ait été clairement mentionné dans l’avis de marché ou le cahier des charges et que

— l’avis professionnel soit fondé, sur tous les points essentiels, sur des facteurs objectifs considérés, conformément aux règles de l’art, comme pertinents et appropriés pour l’appréciation opérée.»

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CJCE, n° C-19/00, Conclusions de l'avocat général de la Cour, SIAC Construction Ltd contre County Council of the County of Mayo, 10 mai 2001