CJCE, n° C-145/05, Arrêt de la Cour, Levi Strauss & Co. contre Casucci SpA, 27 avril 2006

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Chronologie de l’affaire

Commentaires4

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 27 avr. 2006, C-145/05
Numéro(s) : C-145/05
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 27 avril 2006.#Levi Strauss & Co. contre Casucci SpA.#Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - Belgique.#Marques - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1, sous b) - Moment pertinent pour l'appréciation du risque de confusion entre une marque et un signe similaire - Perte du pouvoir distinctif due au comportement du titulaire de la marque après que le signe a commencé à être utilisé.#Affaire C-145/05.
Date de dépôt : 31 mars 2005
Précédents jurisprudentiels : 18 octobre 2005, Class International, C-405/03
6 mai 2003, Libertel, C-104/01, Rec. p. I-3793
Arsenal Football Club, C-206/01
Loendersloot, C-349/95
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62005CJ0145
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2006:264
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Sur les parties

Texte intégral

Affaire C-145/05

Levi Strauss & Co.

contre

Casucci SpA

(demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (Belgique))

«Marques — Directive 89/104/CEE — Article 5, paragraphe 1, sous b) — Moment pertinent pour l’appréciation du risque de confusion entre une marque et un signe similaire — Perte du pouvoir distinctif due au comportement du titulaire de la marque après que le signe a commencé à être utilisé»

Conclusions de l’avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 17 janvier 2006

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 27 avril 2006

Sommaire de l’arrêt

Rapprochement des législations — Marques — Directive 89/104 — Droits conférés par la marque

(Directive du Conseil 89/104, art. 5, § 1, et 12, § 2)

L’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104 sur les marques doit être interprété en ce sens que, pour déterminer l’étendue de la protection d’une marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, le juge doit prendre en considération la perception du public concerné au moment où le signe, dont l’usage porte atteinte à ladite marque, a commencé à faire l’objet d’une utilisation, une protection effective et efficace des droits du titulaire de la marque n’étant pas garantie si le risque de confusion était évalué à une date postérieure.

Lorsque la juridiction compétente constate qu’à ce moment le signe concerné était constitutif d’une atteinte à la marque, il lui appartient de prendre les mesures qui s’avèrent les plus appropriées au vu des circonstances de l’espèce pour garantir le droit du titulaire de la marque tiré dudit article 5, paragraphe 1, de la directive, ces mesures pouvant inclure, en particulier, l’ordre de cesser l’utilisation dudit signe.

Toutefois, il n’y a pas lieu d’ordonner une telle mesure dès lors qu’il a été constaté que la marque concernée a perdu son pouvoir distinctif, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, de sorte qu’elle est devenue une désignation usuelle au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive et que son titulaire est donc déchu de ses droits.

(cf. points 17-18, 20, 24-25, 37, disp. 1-3)

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

27 avril 2006 (*)

«Marques – Directive 89/104/CEE – Article 5, paragraphe 1, sous b) – Moment pertinent pour l’appréciation du risque de confusion entre une marque et un signe similaire – Perte du pouvoir distinctif due au comportement du titulaire de la marque après que le signe a commencé à être utilisé»

Dans l’affaire C-145/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour de cassation (Belgique), par décision du 17 mars 2005, parvenue à la Cour le 31 mars 2005, dans la procédure

Levi Strauss & Co.

contre

Casucci SpA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), J.-P. Puissochet, S. von Bahr et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme K. Sztranc, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 novembre 2005,

considérant les observations présentées:

– pour Levi Strauss & Co., par Me T. van Innis, avocat,

– pour la Commission des Communautés européennes, par M. N. B. Rasmussen et Mme D. Maidani, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 janvier 2006,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Levi Strauss & Co. (ci-après «Levi Strauss») à Casucci SpA (ci-après «Casucci») à propos de la vente par cette dernière de pantalons en jean revêtus d’un signe portant prétendument atteinte à une marque dont Levi Strauss est titulaire.

Le cadre juridique

3 Le dixième considérant de la directive 89/104 est libellé comme suit:

«[…] la protection conférée par la marque enregistrée, dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, est absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services; […] la protection vaut également en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services; […] il est indispensable d’interpréter la notion de similitude en relation avec le risque de confusion; […] le risque de confusion, dont l’appréciation dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés, constitue la condition spécifique de la protection; […] les moyens par lesquels le risque de confusion peut être constaté, et en particulier la charge de la preuve, relèvent des règles nationales de procédure auxquelles la présente directive ne porte pas préjudice».

4 L’article 5 de la même directive dispose:

«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

[…]

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque;

[…]

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

[…]»

5 Aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive:

«2. Le titulaire d’une marque peut également être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque:

a) est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée;

[…]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

6 En 1980, Levi Strauss a fait enregistrer au Benelux une marque graphique, dénommée «mouette», constituée du dessin représenté par une double surpiqûre incurvée vers le bas en son milieu et situé au milieu du dessin formé par la couture d’une poche pentagonale, reproduite ci-après,

pour les vêtements relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

7 Casucci a mis sur le marché, au Benelux, des pantalons en jean comportant un signe formé par une double surpiqûre incurvée vers le haut en son milieu, apposée sur les poches arrière, qui revêt la forme suivante:

8 Considérant que Casucci portait ainsi atteinte aux droits que lui confère la marque enregistrée «mouette», Levi Strauss a, par citation du 11 mars 1998, assigné cette société devant le tribunal de commerce de Bruxelles afin d’obtenir sa condamnation à cesser tout emploi du signe en cause pour les vêtements qu’elle commercialise. En outre, elle a demandé sa condamnation au paiement de dommages et intérêts.

9 La juridiction de première instance l’ayant déboutée de sa demande par jugement du 28 octobre 1999, Levi Strauss a interjeté appel devant la cour d’appel de Bruxelles. Devant cette juridiction, elle a soutenu qu’il résultait de la jurisprudence de la Cour de justice que, d’une part, le risque de confusion devait être apprécié globalement en tenant notamment compte du degré de similitude existant entre la marque et le signe en cause et entre les produits concernés et, d’autre part, que ce risque était d’autant plus élevé que le caractère distinctif de la marque antérieure s’avérait important. Or, en l’espèce, en dehors du fait que sa marque et le signe en cause revêtiraient des similitudes visuelles et que les produits concernés seraient identiques, il importerait que la marque «mouette» constitue une marque présentant un caractère distinctif élevé en raison de son contenu imaginatif et de son usage abondant depuis des décennies.

10 Cependant, la cour d’appel de Bruxelles a rejeté la requête de Levi Strauss, estimant que le degré de similitude entre le signe en cause et la marque «mouette» était faible et, en particulier, que cette dernière ne pouvait plus être considérée comme une marque présentant un caractère distinctif élevé. En effet, celle-ci serait en partie formée de composantes qui constitueraient désormais des caractéristiques communes aux produits concernés en raison de leur usage très répandu et constant, usage qui aurait nécessairement eu pour effet d’affaiblir sensiblement le pouvoir distinctif de ladite marque dès lors que cette dernière ne pouvait tirer aucun pouvoir distinctif intrinsèque de ces composantes.

11 Levi Strauss a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Elle a fait valoir devant cette juridiction que Casucci semblait prétendre que la marque «mouette» présentait encore un caractère distinctif élevé en 1997 et qu’elle aurait perdu celui-ci en 1998, année durant laquelle ont été réalisés les achats d’autres pantalons en jean dont la distribution au Benelux aurait entraîné la dilution de ladite marque. Dans ce contexte, la cour d’appel de Bruxelles aurait été tenue, selon Levi Strauss, de se conformer à la position de la Cour de justice Benelux dans son arrêt «Quick» du 13 décembre 1994 (A 93/3) selon laquelle, pour apprécier si une marque présentait un caractère distinctif élevé, le juge devait se placer au moment où le signe en cause avait commencé à être utilisé – soit, selon elle, en 1997 – et qu’il ne pouvait en être autrement que si la marque concernée avait perdu son pouvoir distinctif en tout ou en partie postérieurement audit moment, mais uniquement dans le cas où cette perte était due en tout ou en partie au fait ou à la carence du titulaire de cette marque. Or, en l’espèce, ladite cour d’appel se serait placée, pour apprécier le risque de confusion, à la date du prononcé de son arrêt et non au moment où le signe en cause avait commencé à être utilisé. Si la cour d’appel de Bruxelles avait considéré que le caractère largement répandu des composantes de la marque concernée avait eu pour effet d’affaiblir sensiblement le pouvoir distinctif de cette dernière, elle n’aurait toutefois pas constaté que l’affaiblissement sensible de ce pouvoir distinctif, postérieurement au moment où le signe en cause avait commencé à être utilisé, était dû en totalité ou en partie à l’action ou à la carence de Levi Strauss. Ladite cour d’appel n’aurait pu, dès lors, juger à bon droit que la marque «mouette» n’était plus une marque présentant un caractère distinctif élevé.

12 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Pour déterminer l’étendue de la protection d’une marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, prévue à l’article 5, § 1er, de la [directive 89/104], le juge doit-il avoir égard à la conception du public concerné au moment où a commencé l’emploi de la marque ou du signe ressemblant, incriminé comme atteinte à la marque?

2) Dans la négative, le juge peut-il avoir égard à la conception du public concerné à n’importe quel moment de la période qui suit le moment où a commencé l’emploi incriminé? Peut-il notamment avoir égard à la conception du public concerné au moment où il statue?

3) Lorsque, par application du critère visé sub 1°, le juge constate l’atteinte à la marque, est-il justifié, en règle, qu’il ordonne la cessation de l’emploi du signe constitutif d’atteinte?

4) Peut-il en être autrement si la marque du demandeur a perdu son pouvoir distinctif en tout ou en partie après le moment où a commencé l’emploi constitutif d’atteinte, mais uniquement dans les cas où cette perte est due en tout ou en partie au fait ou à la carence du titulaire de cette marque?»

Sur les questions préjudicielles

Sur les première et deuxième questions

13 Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si, pour déterminer l’étendue de la protection d’une marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104, le juge doit prendre en considération la perception du public concerné soit au moment où le signe portant atteinte à la marque concerné a commencé à être utilisé, soit à n’importe quel moment de la période qui a suivi ce moment, soit au moment où le juge statue.

14 Tout d’abord, en conférant au titulaire d’une marque un droit à interdire à tout tiers de faire usage d’un signe identique ou similaire, en cas de risque de confusion, et en énumérant les usages d’un tel signe qui peuvent être interdits, l’article 5 de la directive 89/104 vise à protéger ce titulaire contre des usages de signes susceptibles de porter atteinte à cette marque.

15 C’est ainsi que la Cour a souligné que, pour que puisse être assurée la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désignés par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou service de ceux qui ont une autre provenance, le titulaire de la marque doit être protégé contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de celle-ci (voir arrêts du 11 novembre 1997, Loendersloot, C-349/95, Rec. p. I-6227, point 22, et du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club, C-206/01, Rec. p. I-10273, point 50). Il doit en aller ainsi également lorsque, en raison d’une similarité entre les signes et la marque concernés, il existe un risque de confusion entre ceux-ci.

16 Ensuite, les États membres sont tenus de prendre des mesures qui soient suffisamment efficaces pour atteindre l’objet de la directive et de faire en sorte que les droits conférés par celle-ci puissent être effectivement invoqués devant les tribunaux nationaux par les personnes concernées (voir arrêts du 10 avril 1984, von Colson et Kamann, 14/83, Rec. p. 1891, point 18, et du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 17).

17 Or, le droit du titulaire à une protection de sa marque contre les atteintes à celle-ci ne serait ni effectif ni efficace s’il ne permettait pas de prendre en considération la perception du public concerné au moment où le signe, dont l’usage porte atteinte à ladite marque, a commencé à être utilisé.

18 En effet, si le risque de confusion était évalué à une date postérieure à celle à laquelle le signe concerné a commencé à être employé, l’utilisateur de ce signe pourrait tirer indûment profit de son propre comportement illégal en invoquant une atténuation de la notoriété de la marque protégée dont il serait lui-même responsable ou à laquelle il aurait lui-même contribué.

19 Enfin, il résulte de l’article 12, paragraphe 2, sous a), de la directive 89/104 que le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque est devenue, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée. Ainsi, en procédant à une mise en balance des intérêts du titulaire d’une marque et de ceux de ses concurrents liés à une disponibilité des signes, le législateur a estimé en adoptant cette disposition que la perte du caractère distinctif de ladite marque ne peut être opposée au titulaire de celle-ci que si cette perte est due à son activité ou à son inactivité. Ainsi, aussi longtemps que tel n’est pas le cas, et notamment lorsque la perte de ce caractère distinctif est liée à l’activité d’un tiers qui fait usage d’un signe portant atteinte à la marque, cette dernière doit continuer à bénéficier d’une protection.

20 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 doit être interprété en ce sens que, pour déterminer l’étendue de la protection d’une marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, le juge doit prendre en considération la perception du public concerné au moment où le signe, dont l’usage porte atteinte à ladite marque, a commencé à faire l’objet d’une utilisation.

Sur la troisième question

21 Par cette question, la juridiction de renvoi cherche à savoir s’il convient, en règle générale, d’ordonner la cessation de l’emploi du signe concerné dès lors qu’il est constaté que ce signe était constitutif d’une atteinte à la marque protégée au moment où il a commencé à être utilisé.

22 Il résulte de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104, lu à la lumière de la réponse aux première et deuxième questions posées par la juridiction de renvoi, que, dès lors qu’il existait un risque de confusion entre la marque enregistrée et un signe similaire au moment où le signe concerné a commencé à être utilisé, le titulaire de cette marque est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires, de ce signe.

23 Or, en prévoyant à son article 5, paragraphe 3, d’une manière non exhaustive, certaines mesures destinées à garantir un tel droit du titulaire, la directive 89/104 n’impose pas que celles-ci prennent une forme particulière, les autorités nationales compétentes bénéficiant à cet égard d’une certaine marge d’appréciation.

24 Néanmoins, l’exigence d’une protection effective et efficace des droits que le titulaire tire de la directive 89/104, rappelée au point 16 du présent arrêt, implique que la juridiction compétente prenne de telles mesures qui s’avèrent les plus appropriées au vu des circonstances de l’espèce pour garantir les droits du titulaire de la marque et pour remédier aux atteintes portées à celle-ci. À cet égard, il convient de constater en particulier que l’ordre de cesser l’utilisation dudit signe s’avère être une mesure qui garantit, d’une manière effective et efficace, ces droits.

25 Dès lors, il y a lieu de répondre à la troisième question que, lorsque la juridiction compétente constate que le signe concerné était constitutif d’une atteinte à la marque au moment où il a commencé à être utilisé, il appartient à cette juridiction de prendre les mesures qui s’avèrent les plus appropriées au vu des circonstances de l’espèce pour garantir le droit du titulaire de la marque tiré de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104, ces mesures pouvant inclure, en particulier, l’ordre de cesser l’utilisation dudit signe.

Sur la quatrième question

26 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il y a lieu d’ordonner la cessation de l’usage du signe concerné lorsque la marque a perdu son pouvoir distinctif en totalité ou en partie après que ce signe a commencé à être utilisé et que cette perte est due en totalité ou en partie au fait ou à la carence du titulaire de la marque.

27 Si l’article 5 de la directive 89/104 confère au titulaire d’une marque certains droits, cette directive tire des conséquences du comportement de ce dernier afin de déterminer l’étendue de la protection de ces droits.

28 Ainsi, l’article 9, paragraphe 1, de cette directive dispose que le titulaire d’une marque antérieure qui a toléré, dans un État membre, l’usage d’une marque postérieure enregistrée dans cet État membre pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage ne peut plus en principe demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée.
De même, en vertu de l’article 10 de ladite directive, si, après l’achèvement de la procédure d’enregistrement, la marque n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, ladite marque est soumise aux sanctions prévues dans cette même directive, sauf juste motif pour le non-usage. Enfin, selon l’article 12, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/104, le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si cette marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans ou si elle est devenue, par le fait du comportement de son titulaire, une désignation usuelle d’un produit ou d’un service.

29 Il ressort de ces dispositions que la directive 89/104 vise, d’une manière générale, à mettre en balance, d’une part, les intérêts du titulaire d’une marque à sauvegarder la fonction essentielle de celle-ci et, d’autre part, les intérêts d’autres opérateurs économiques à disposer de signes susceptibles de désigner leurs produits et services (voir, s’agissant de l’exigence de disponibilité de couleurs en cas d’enregistrement en tant que marque d’une couleur en elle-même, arrêt du 6 mai 2003, Libertel, C-104/01, Rec. p. I-3793).

30 Il s’ensuit que la protection des droits que le titulaire d’une marque tire de ladite directive n’est pas inconditionnelle, dès lors que cette protection est notamment limitée, afin de mettre en balance lesdits intérêts, aux cas où ce titulaire se montre suffisamment vigilant en s’opposant à l’utilisation par d’autres opérateurs de signes susceptibles de porter atteinte à sa marque.

31 Une telle exigence d’un comportement vigilant dépasse par ailleurs le domaine de la protection des marques et peut s’appliquer à d’autres domaines du droit communautaire lorsqu’un sujet de droit prétend au bénéfice d’un droit tiré de cet ordre juridique.

32 Il a été rappelé au point 28 du présent arrêt que le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits lorsque la marque est devenue, par le fait de son activité ou de son inactivité, la désignation usuelle dans le commerce d’un produit ou d’un service pour lequel elle est enregistrée.

33 Ainsi, dès lors qu’une marque a perdu son pouvoir distinctif, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, de sorte qu’elle est devenue une désignation usuelle au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 89/104, son titulaire ne peut plus faire valoir les droits qui lui sont conférés par l’article 5 de ladite directive.

34 Une telle inactivité peut également correspondre à une omission du titulaire d’une marque de recourir en temps utile à cet article 5, afin de demander à l’autorité compétente d’interdire aux tiers concernés de faire usage du signe pour lequel il existe un risque de confusion avec cette marque, puisque de telles demandes ont précisément pour objet de préserver le pouvoir distinctif de ladite marque.

35 Or, eu égard aux considérations énoncées aux points 29 et 30 du présent arrêt, il appartient à la juridiction compétente de constater l’existence éventuelle d’une déchéance de droits, liée notamment à une telle omission, y compris dans le cadre d’une procédure qui vise à protéger le droit exclusif conféré par l’article 5 de la directive 89/104, et qui a été entamée, le cas échéant, tardivement par le titulaire de la marque. Si la prise en compte de la déchéance au sens dudit article 12, paragraphe 2, dans une procédure en contrefaçon relevait uniquement du droit national des États membres, il pourrait en résulter pour les titulaires de marques une protection variable en fonction de la loi concernée. L’objectif d’une «même protection dans la législation de tous les États membres», visé au neuvième considérant de ladite directive et qualifié de «fondamental» par celui-ci, ne serait pas atteint (voir, à propos de la charge de la preuve de l’atteinte au droit exclusif du titulaire, arrêt du 18 octobre 2005, Class International, C-405/03, non encore publié au Recueil, points 73 et 74).

36 Ainsi, après que cette déchéance a été constatée, la juridiction compétente ne peut pas ordonner la cessation de l’usage du signe concerné, même s’il existait, au moment où ledit signe a commencé à être utilisé, un risque de confusion entre celui-ci et la marque concernée.

37 En conséquence, il convient de répondre à la quatrième question qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la cessation de l’usage du signe concerné dès lors qu’il a été constaté que ladite marque a perdu son pouvoir distinctif, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, de sorte qu’elle est devenue une désignation usuelle au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 89/104, et que son titulaire est donc déchu de ses droits.

Sur les dépens

38 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1) L’article 5, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que, pour déterminer l’étendue de la protection d’une marque régulièrement acquise en fonction de son pouvoir distinctif, le juge doit prendre en considération la perception du public concerné au moment où le signe, dont l’usage porte atteinte à ladite marque, a commencé à faire l’objet d’une utilisation.

2) Lorsque la juridiction compétente constate que le signe concerné était constitutif d’une atteinte à la marque au moment où il a commencé à être utilisé, il appartient à cette juridiction de prendre les mesures qui s’avèrent les plus appropriées au vu des circonstances de l’espèce pour garantir le droit du titulaire de la marque tiré de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104, ces mesures pouvant inclure, en particulier, l’ordre de cesser l’utilisation dudit signe.

3) Il n’y a pas lieu d’ordonner la cessation de l’usage du signe concerné dès lors qu’il a été constaté que ladite marque a perdu son pouvoir distinctif, par le fait de l’activité ou de l’inactivité de son titulaire, de sorte qu’elle est devenue une désignation usuelle au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 89/104, et que son titulaire est donc déchu de ses droits.

Signatures


* Langue de procédure: le français.

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CJCE, n° C-145/05, Arrêt de la Cour, Levi Strauss & Co. contre Casucci SpA, 27 avril 2006