CJCE, n° C-286/06, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne, 23 octobre 2008

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 23 oct. 2008, Commission / Espagne, C-286/06
Numéro(s) : C-286/06
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 23 octobre 2008. # Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne. # Manquement d’État - Directive 89/48/CEE - Travailleurs - Reconnaissance de diplômes - Ingénieur. # Affaire C-286/06.
Date de dépôt : 29 juin 2006
Précédents jurisprudentiels : arrêt du 29 avril 2004, Beuttenmüller, C-102/02
Centros, C-212/97
Colegio, C-330/03
Kapasakalis e.a. ( C-225/95 à C-227/95
Solution : Recours en constatation de manquement : obtention
Identifiant CELEX : 62006CJ0286
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2008:586
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Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

23 octobre 2008 ( *1 )

«Manquement d’État — Directive 89/48/CEE — Travailleurs — Reconnaissance de diplômes — Ingénieur»

Dans l’affaire C-286/06,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 29 juin 2006,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. H. Støvlbæk et R. Vidal Puig, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume d’Espagne, représenté par M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. J.-C. Bonichot, K. Schiemann (rapporteur), J. Makarczyk et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme M. M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 septembre 2007,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que:

en refusant de reconnaître les qualifications professionnelles d’ingénieur obtenues en Italie, et

en subordonnant l’admission aux épreuves de promotion interne de la fonction publique des ingénieurs en possession de titres professionnels obtenus dans un autre État membre à la reconnaissance académique de ces qualifications,

le Royaume d’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans (JO 1989, L 19, p. 16), telle que modifiée par la directive 2001/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 mai 2001 (JO L 206, p. 1, ci-après la «directive 89/48»), et en particulier de l’article 3 de celle-ci.

2

La principale question de droit posée dans la présente affaire est analogue à celle soulevée dans le cadre de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de ce jour, Commission/Grèce (C-274/05, Rec. p. I-7969). Ces affaires concernent toutes deux la question de savoir dans quelle mesure les dispositions de la directive 89/48 peuvent être invoquées pour obliger un État membre à reconnaître des diplômes délivrés, à la suite d’études suivies sur son propre territoire, par les autorités d’un autre État membre.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3

Il ressort des troisième et quatrième considérants de la directive 89/48 que celle-ci a pour objet de mettre en œuvre un système général de reconnaissance des diplômes visant à faciliter l’exercice par les citoyens européens de toutes les activités professionnelles subordonnées, dans un État membre d’accueil, à la possession d’une formation postsecondaire, pour autant qu’ils possèdent des diplômes qui les préparent à ces activités, sanctionnent un cycle d’études d’au moins trois ans et ont été délivrés dans un autre État membre.

4

Le cinquième considérant de la directive 89/48 est libellé comme suit:

«considérant que, pour les professions pour l’exercice desquelles la Communauté n’a pas déterminé le niveau minimal de qualification nécessaire, les États membres conservent la faculté de fixer ce niveau dans le but de garantir la qualité des prestations fournies sur leur territoire; que, cependant, ils ne peuvent, sans méconnaître leurs obligations inscrites à l’article [10 CE], imposer à un ressortissant d’un État membre d’acquérir des qualifications qu’ils se bornent généralement à déterminer par référence aux diplômes délivrés dans le cadre de leur système national d’enseignement, alors que l’intéressé a déjà acquis tout ou partie de ces qualifications dans un autre État membre; que, en conséquence, tout État membre d’accueil dans lequel une profession est réglementée est tenu de prendre en compte les qualifications acquises dans un autre État membre et d’apprécier si celles-ci correspondent à celles qu’il exige».

5

L’article 1er, sous a), de la directive 89/48 dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend:

a)

par diplôme, tout diplôme, certificat ou autre titre ou tout ensemble de tels diplômes, certificats ou autres titres:

qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre, désignée conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives de cet État,

dont il résulte que le titulaire a suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée minimale de trois ans, ou d’une durée équivalente à temps partiel, effectué dans une université ou un établissement d’enseignement supérieur ou dans un autre établissement d’un niveau équivalent de formation et, le cas échéant, qu’il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d’études postsecondaires, et

dont il résulte que le titulaire possède les qualifications professionnelles requises pour accéder à une profession réglementée dans cet État membre ou l’exercer,

dès lors que la formation sanctionnée par ce diplôme, certificat ou autre titre a été acquise dans une mesure prépondérante dans la Communauté, ou dès lors que son titulaire a une expérience professionnelle de trois ans certifiée par l’État membre qui a reconnu un diplôme, certificat ou autre titre délivré dans un pays tiers.

Est assimilé à un diplôme au sens du premier alinéa tout diplôme, certificat ou autre titre, ou tout ensemble de tels diplômes, certificats et autres titres, qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre dès lors qu’il sanctionne une formation acquise dans la Communauté et reconnue par une autorité compétente dans cet État membre comme étant de niveau équivalent, et qu’il y confère les mêmes droits d’accès à une profession réglementée ou d’exercice de celle-ci».

6

L’article 2, premier alinéa, de la directive 89/48 dispose:

«La présente directive s’applique à tout ressortissant d’un État membre voulant exercer à titre indépendant ou salarié une profession réglementée dans un État membre d’accueil.»

7

L’article 3, premier alinéa, de la directive 89/48 dispose qu’un État membre d’accueil qui subordonne l’accès à une profession à la possession d’un diplôme ne peut refuser à un ressortissant d’un État membre d’accéder à cette profession, pour défaut de qualification, si le demandeur fait état de certaines qualifications précisées par cette disposition. Tel est notamment le cas si le demandeur possède le diplôme qui est prescrit par un autre État membre pour accéder à cette même profession sur son territoire ou l’y exercer et qui a été obtenu dans un État membre.

8

Nonobstant l’article 3 de ladite directive, l’article 4 de cette même directive permet à l’État membre d’accueil d’exiger du demandeur, dans certaines hypothèses qui y sont définies, qu’il prouve qu’il possède une expérience professionnelle d’une durée déterminée, qu’il accomplisse un stage d’adaptation pendant trois ans au maximum ou se soumette à une épreuve d’aptitude (ci-après les «mesures de compensation»). Ce même article 4 fixe certaines règles et conditions applicables aux mesures de compensation pouvant être exigées pour compenser les insuffisances de la formation dont fait état ledit demandeur.

9

En vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 89/48, l’État membre d’accueil accepte les attestations et documents délivrés par les autorités compétentes des États membres, que l’intéressé doit présenter à l’appui de sa demande d’exercice de la profession concernée comme preuve que les conditions énoncées aux articles 3 et 4 de cette directive sont remplies.

La réglementation nationale

10

La réglementation espagnole en matière de diplômes universitaires opère une distinction entre deux types de diplômes, à savoir les «diplômes officiels», dont la validité est reconnue sur tout le territoire national et qui donnent accès aux professions réglementées, et les «diplômes propres» que les différentes universités ont la faculté de délivrer, mais qui, notamment, ne donnent pas accès aux professions réglementées. Cette matière est régie par la loi organique 6/2001, du 21 décembre 2001, relative aux universités (BOE no 307, du 24 décembre 2001, p. 49400).

11

L’article 34 de la loi organique 6/2001 dispose:

«Établissement des diplômes universitaires et des directives générales de leurs programmes d’études.

1. Les diplômes universitaires qui ont un caractère officiel et sont valides sur tout le territoire national ainsi que les directives générales des programmes d’études qui doivent être suivis pour leur obtention et leur homologation seront établis par le gouvernement soit de sa propre initiative, moyennant consultation préalable du conseil de coordination universitaire, soit sur proposition de ce dernier.

2. Les diplômes visés au paragraphe précédent, qui font partie de la liste des diplômes universitaires officiels approuvés par le gouvernement, seront délivrés au nom du Roi par le recteur de l’université au sein de laquelle ils auront été obtenus.

3. Les universités pourront établir des enseignements conduisant à l’obtention de diplômes et de titres propres, ainsi que des enseignements de formation continue. Ces diplômes et ces titres seront dépourvus des effets que les dispositions légales reconnaissent à ceux mentionnés au paragraphe 1.»

La procédure de reconnaissance

12

En Espagne, le décret royal 1665/1991, du 25 octobre 1991, réglementant le système général de reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur délivrés dans les États membres de l’Union européenne qui exigent une formation d’une durée minimale de trois ans (BOE no 280, du 22 novembre 1991, p. 37916, ci-après le «décret royal de reconnaissance») vise à transposer la directive 89/48 dans l’ordre juridique national.

13

L’article 2, paragraphe 1, du décret royal de reconnaissance vise à transposer en droit espagnol l’article 2, premier alinéa, de la directive 89/48 et prévoit ce qui suit:

«Les règles énoncées dans le présent décret royal s’appliquent aux ressortissants d’un État membre de l’Union européenne qui, titulaires d’un diplôme obtenu dans un État de ladite Union, veulent exercer en Espagne, à titre indépendant ou salarié, une profession réglementée pour l’exercice de laquelle une formation supérieure d’une durée minimale de trois ans est exigée.»

14

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ce décret royal:

«Sont reconnus en Espagne, pour l’accès aux activités d’une profession réglementée, avec les mêmes effets que le diplôme espagnol correspondant, les diplômes obtenus dans les États membres qui habilitent à exercer dans ces États la même profession.»

15

L’article 1er, sous a), du décret royal de reconnaissance vise à transposer en droit espagnol l’article 1er, sous a), de la directive 89/48 en définissant le terme «diplôme» comme suit:

«Tout diplôme, certificat ou autre titre ou tout ensemble de tels diplômes, certificats ou autres titres qui a été délivré par une autorité compétente dans un État membre dont il résulte que le titulaire a suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée minimale de trois ans, ou d’une durée équivalente à temps partiel, dans une université ou un établissement d’enseignement supérieur ou dans un autre établissement d’un niveau de formation équivalent et, le cas échéant, qu’il a suivi avec succès la formation professionnelle requise en plus du cycle d’études postsecondaires, et dont il résulte que le titulaire possède les qualifications professionnelles requises pour accéder à une profession réglementée dans cet État membre, dès lors que la formation sanctionnée par ce diplôme a été acquise dans une mesure prépondérante dans la Communauté, ou dès lors que son titulaire a une expérience professionnelle de trois ans certifiée par l’État membre qui a reconnu ce diplôme. […]»

16

L’article 1er, sous b), de ce décret royal définit la notion de «profession réglementée» comme suit:

«[Activité] ou [ensemble] des activités professionnelles dont l’accès ou l’exercice, ou une des modalités d’exercice est subordonné, directement ou indirectement, à la possession d’un diplôme et qui constituent une profession dans un État membre.»

17

L’article 3 du décret royal de reconnaissance dispose que, aux fins de ce décret, sont considérées comme des «professions réglementées» les professions énumérées à l’annexe I dudit décret, au nombre desquelles figurent les professions d’«ingénieur des ponts et chaussées» («ingeniero de Caminos, Canales y Puertos») et d’«ingénieur technique des travaux publics» («ingeniero técnico de obras públicas»). En revanche, celle d’«ingénieur civil» («ingeniero civil») ne figure pas à cette annexe.

La procédure d’homologation

18

La procédure de reconnaissance des qualifications professionnelles prévue par le décret royal de reconnaissance doit être distinguée de la procédure dite d’«homologation» des diplômes universitaires. La première de ces procédures a pour objet d’opérer un contrôle aux fins de déterminer si la personne concernée dispose ou non de la qualification requise pour exercer une profession réglementée donnée. En revanche, la procédure d’homologation vise à contrôler le contenu académique, en termes de connaissances, des études suivies en vue de l’obtention d’un diplôme.

19

La procédure d’homologation est régie par le décret royal 285/2004, du 20 février 2004, portant réglementation des conditions d’homologation et de validation des diplômes et études d’enseignement supérieur étrangers (BOE no 55, du 4 mars 2004, p. 8996, ci-après le «décret royal d’homologation»).

20

La notion d’homologation est définie à l’article 3, sous a) et b), du décret royal d’homologation comme suit:

«Aux fins du présent décret royal, on entend par:

a)

homologation de l’équivalence avec un diplôme du catalogue des diplômes universitaires officiels: reconnaissance officielle de la formation accomplie pour l’obtention d’un diplôme étranger, reconnue équivalente à celle exigée pour l’obtention d’un diplôme espagnol mentionné dans le catalogue précité;

b)

homologation de l’équivalence avec l’un des grades académiques structurant les études universitaires en Espagne: reconnaissance officielle de la formation accomplie pour l’obtention d’un diplôme étranger, reconnue équivalente à celle exigée pour l’obtention d’un grade académique correspondant à l’un des niveaux structurant les études universitaires espagnoles, et non à un diplôme concret.»

21

L’article 4, paragraphe 1, du décret royal d’homologation précise les effets de l’homologation dans les termes suivants:

«L’homologation confère au diplôme étranger, dès le moment où elle est accordée et où l’attestation correspondante est délivrée, les mêmes effets sur tout le territoire national que le diplôme ou le grade académique espagnol dont il a été homologué équivalent, conformément à la législation en vigueur.»

22

L’article 22 du décret royal d’homologation, intitulé «Reconnaissance professionnelle des diplômes de l’Union européenne», dispose:

«La reconnaissance professionnelle des diplômes d’éducation supérieure délivrés par les États membres de l’Union européenne est régie par les procédures prévues par les directives communautaires et par la réglementation espagnole les transposant.»

23

En outre, la première disposition additionnelle du décret royal d’homologation, intitulée «Réglementation communautaire», se réfère à la législation communautaire dans les termes suivants:

«Les dispositions du présent décret royal s’appliquent sans préjudice des dispositions en la matière contenues dans le traité d’adhésion de l’Espagne aux Communautés européennes, le traité sur l’Union européenne et le droit communautaire dérivé.»

La réglementation de la profession d’ingénieur en Espagne et en Italie

24

La profession d’ingénieur constitue une profession réglementée tant en Espagne qu’en Italie.

— Les systèmes de formation

25

Les systèmes de formation italien et espagnol sont voisins en ce qui concerne les qualifications dans le domaine de l’ingénierie. Dans ces deux États membres, de telles qualifications peuvent être obtenues à l’issue d’un cycle d’études postsecondaires d’une durée de trois ou de cinq ans.

26

En Espagne, une distinction est faite entre les diplômes universitaires d’ingénieur technique («ingeniero técnico»), obtenus après trois années d’études, et ceux d’ingénieur («ingeniero», ci-après l’«ingénieur de plein droit»), obtenus après cinq années de formation. Les titulaires d’un diplôme d’ingénieur technique peuvent obtenir le diplôme d’ingénieur de plein droit en suivant avec succès les deux dernières années que comprend la formation conduisant à ce dernier diplôme.

27

En Italie, une distinction est opérée entre les diplômes universitaires obtenus après trois années d’études («laurea triennale»), qui sanctionnent la formation des ingénieurs juniors («ingegnere junior»), et ceux qui sont délivrés à la suite de deux années d’études complémentaires dispensées en vue de la formation des ingénieurs («ingegnere», ci-après les «ingénieurs de plein droit»). Ces derniers diplômes qui, précédemment, étaient intitulés «diplômes de spécialité» («laurea specialistica») sont intitulés, depuis une réforme intervenue au cours de l’année 2004, «laurea magistrale».

— Les conditions d’accès à la profession d’ingénieur et les conditions d’exercice de celle-ci en Espagne et en Italie

28

En Espagne, l’accès aux professions d’ingénieur technique et d’ingénieur de plein droit est en principe subordonné à la possession du diplôme universitaire officiel, au sens de la loi organique 6/2001, correspondant à la profession concernée.

29

En Italie, l’accès aux professions d’ingénieur junior et d’ingénieur de plein droit est subordonné à la possession du diplôme universitaire requis ainsi qu’à la réussite à l’examen d’État («esame di Stato») correspondant à la profession concernée [article 4 du décret royal no 2537, du 23 octobre 1925 (Gazzetta ufficiale no 37, du 15 février 1926)]. Cet examen d’État comprend, selon les articles 47 et 48 du décret du président de la République no 328, du 5 juin 2001 (supplément ordinaire à la GURI no 190, du 17 août 2001), au moins deux épreuves écrites, une épreuve orale et une épreuve pratique. Les candidats ayant passé avec succès l’examen d’État se voient conférer l’habilitation à l’exercice de la profession d’ingénieur («abilitazione all’esercizio della profesione di ingegnere»).

30

Tant en Espagne qu’en Italie, l’exercice de la profession d’ingénieur requiert également l’inscription au tableau d’un ordre professionnel. En Espagne, selon les spécialisations et les régions, différents ordres des ingénieurs (colegios de ingenieros) sont compétents. En Italie, un tableau des ingénieurs est tenu dans chaque province par le Conseil de l’ordre des ingénieurs (Consiglio dell’Ordine degli Ingegneri). Ce tableau se divise en deux sections, à savoir la section A, réservée aux ingénieurs de plein droit, et la section B, réservée aux ingénieurs juniors. Dans ces deux États membres, l’inscription au tableau d’un ordre des ingénieurs constitue une simple démarche administrative qui n’atteste pas, en soi, des qualifications professionnelles des personnes concernées, mais vise à garantir que l’exercice de la profession respecte certaines normes déontologiques.

— Les professions d’ingénieur des ponts et chaussées et d’ingénieur technique des travaux publics en Espagne

31

En Espagne, ainsi qu’il ressort de l’article 4 de la loi, du 20 juillet 1957, portant dispositions réglementant les enseignements techniques (BOE no 187, du 22 juillet 1957, p. 607), les personnes désirant exercer la profession d’ingénieur des ponts et chaussées doivent, normalement, être titulaires du diplôme universitaire officiel, au sens de la loi organique 6/2001, d’ingénieur des ponts et chaussées, délivré par l’une des écoles espagnoles de formation des ingénieurs des ponts et chaussées. Ce diplôme d’ingénieur de plein droit est obtenu après cinq années d’études.

32

L’accès à cette profession est également ouvert aux titulaires d’un diplôme délivré dans un autre État membre, reconnu à des fins professionnelles conformément au décret royal de reconnaissance, ainsi qu’aux titulaires d’un diplôme universitaire étranger homologué comme équivalent au diplôme espagnol d’ingénieur des ponts et chaussées, conformément au décret royal d’homologation.

33

En outre, dans tous ces cas, les intéressés doivent être inscrits au tableau de l’Ordre professionnel des ingénieurs des ponts et chaussées (Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos) pour pouvoir exercer la profession concernée. Cette inscription n’est pas subordonnée à la réussite à un examen. Toute personne qui possède le diplôme correspondant et satisfait aux autres conditions légales est en droit d’être inscrite audit tableau.

34

Le diplôme d’ingénieur technique en constructions civiles («ingeniero técnico en construcciones civiles») constitue un diplôme officiel, au sens de la loi organique 6/2001, qui valide une formation d’une durée de trois ans. Il donne accès, en Espagne, à la profession réglementée d’ingénieur technique de travaux publics. Les titulaires de ce diplôme peuvent obtenir le diplôme d’ingénieur des ponts et chaussées en suivant avec succès la formation dispensée dans le cadre des quatrième et cinquième années d’études de l’une des écoles de formation des ingénieurs des ponts et chaussées espagnoles.

— La profession d’ingénieur civil en Italie

35

Les personnes désirant exercer, en Italie, la profession d’ingénieur civil doivent normalement être titulaires du diplôme universitaire d’ingénieur civil («laurea in Ingegneria Civile»), «laurea magistrale» qui sanctionne une formation d’une durée de cinq ans, ainsi que de l’habilitation à l’exercice de la profession d’ingénieur, délivrée après la réussite à l’examen d’État. En outre, ces personnes doivent être inscrites au tableau des ingénieurs d’une province, dans la section A, pertinente en l’espèce.

L’exigence d’homologation des titres professionnels obtenus dans un autre État membre pour l’admission aux épreuves de promotion interne dans la fonction publique

36

L’arrêté MAM/1266/2003 du ministre de l’Environnement, du 9 mai 2003 (BOE no 123, du 23 mai 2003, p. 19820) avait ouvert un concours interne en vue de la promotion au grade de cadre technique supérieur des organismes autonomes du ministère de l’environnement («técnicos facultativos superiores de organismos autónomos del Ministerio de Medio ambiente»).

37

L’article 2 de l’arrêté MAM/1266/2003, intitulé «Conditions relatives aux candidats», prévoyait:

«2.1

Pour être admis à participer aux épreuves de sélection, les candidats doivent satisfaire, à compter du dernier jour du délai de présentation des candidatures et jusqu’au moment de leur prise de fonction en qualité de fonctionnaires de carrière, aux conditions de participation suivantes:

[…]

2.1.4

Diplômes: être en possession ou en position d’obtenir le titre de docteur, licencié, ingénieur ou architecte. Dans le cas des titres obtenus à l’étranger, ils doivent être en possession du certificat attestant leur homologation.

[…]»

38

Cette exigence s’appliquait d’une manière générale aux procédures de sélection organisées en vue de l’accès à des corps ou à des grades de l’administration générale de l’État.

39

Cette pratique a par la suite été codifiée par l’arrêté APU/423/2005 du ministre des Administrations publiques, du 22 février 2005, établissant les bases communes régissant les procédures de sélection en vue de l’entrée ou de l’accès aux corps ou aux grades de l’administration générale de l’État (BOE no 48, du 25 février 2005, p. 6993).

40

Le paragraphe 7 de l’arrêté APU/423/2005, intitulé «Conditions relatives aux candidats», dispose:

«1.

Pour être admis à participer aux épreuves de sélection, les candidats doivent satisfaire, à compter du dernier jour du délai de présentation des candidatures et jusqu’au moment de leur prise de fonctions en qualité de fonctionnaire de carrière, aux conditions de participation suivantes, ainsi qu’à celles contenues dans les dispositions spécifiques correspondantes:

[…]

1.3.

Diplômes: être en possession ou en condition d’obtenir le diplôme requis pour l’accès à chaque corps ou grade, conformément à ce qui sera établi sur les bases spécifiques de chaque convocation. Dans le cas des titres obtenus à l’étranger, ils doivent être en possession du certificat attestant leur homologation.

[…]»

La procédure précontentieuse

Les plaintes reçues par la Commission

41

La Commission a reçu de nombreuses plaintes motivées par le refus des autorités espagnoles compétentes, en l’occurrence le ministère de l’Équipement et des Transports (Ministerio de Fomento), de donner suite à des demandes de reconnaissance, introduites en vertu du décret royal de reconnaissance, de qualifications professionnelles d’ingénieur obtenues en Italie, en vue d’exercer, en Espagne, la profession d’ingénieur des ponts et chaussées.

42

Les plaignants sont titulaires du diplôme officiel, au sens de la loi organique 6/2001, d’ingénieur technique en construction civile délivré par l’université d’Alicante (Espagne), ainsi que du diplôme universitaire d’«ingénieur civil», lequel constitue un diplôme propre, au sens de la loi organique 6/2001, délivré par la même université.

43

En vertu d’une convention-cadre de collaboration conclue entre l’université d’Alicante et l’université polytechnique des Marches (Italie), les études d’«ingénierie civile» auxquelles donne accès la première de ces universités sont coordonnées et supervisées par la seconde.

44

En application de cette convention-cadre, l’université polytechnique des Marches a reconnu aux plaignants l’équivalence entre les deux diplômes universitaires espagnols susvisés et le diplôme universitaire italien d’ingénieur civil («laurea in ingegneria civile») et leur a par conséquent délivré un diplôme d’ingénieur civil. Une fois en possession de ce diplôme, les plaignants ont passé avec succès, en Italie, l’examen d’État leur conférant l’habilitation à l’exercice de la profession d’ingénieur qui les autorise à exercer la profession d’ingénieur civil dans cet État membre.

45

Les plaignants ont, par la suite, demandé au ministère de l’Équipement et des Transports la reconnaissance des qualifications professionnelles obtenues en Italie afin de pouvoir exercer, en Espagne, la profession d’ingénieur des ponts et chaussées. Ledit ministère a rejeté ces demandes en arguant du fait que la totalité de la formation universitaire suivie par les plaignants avait été dispensée en Espagne et que, en conséquence, ni le décret royal de reconnaissance ni la directive 89/48 n’étaient applicables.

46

Par ailleurs, l’un des plaignants en cause s’est vu refuser l’accès à l’une des épreuves de promotion interne organisées par le ministère de l’Environnement (Ministerio de Medio ambiente) au motif que les personnes titulaires de diplômes étrangers devaient, en vertu de l’arrêté MAM/1266/2003, obtenir au préalable l’homologation de ces derniers, conformément au décret royal d’homologation.

La lettre de mise en demeure et l’avis motivé

47

Considérant que la réglementation espagnole n’était pas conforme à la directive 89/48, la Commission a, le 22 décembre 2004, adressé au Royaume d’Espagne une lettre de mise en demeure à laquelle les autorités espagnoles ont répondu le 22 février 2005.

48

Ayant estimé que les explications fournies par les autorités espagnoles n’étaient pas satisfaisantes, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne, le 5 juillet 2005, un avis motivé auquel cet État membre a répondu par courrier du 20 septembre 2005.

49

Ne considérant pas encore ces explications comme satisfaisantes, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Sur le recours

Sur le premier grief, tiré d’un défaut de reconnaissance des qualifications acquises en Italie à l’issue d’une formation dispensée en Espagne

50

Par son premier grief, la Commission fait valoir que les plaignants satisfont à la totalité des conditions d’applicabilité de la directive 89/48 et que, par conséquent, les autorités espagnoles étaient tenues d’autoriser l’accès des plaignants à la profession d’ingénieur des ponts et chaussées en Espagne. En leur refusant cet accès, le Royaume d’Espagne aurait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de ladite directive.

51

Selon la Commission, le fait que la formation que possèdent les plaignants ait été exclusivement dispensée en Espagne n’affecte en rien cette conclusion. La directive 89/48 n’exigerait pas que la formation soit dispensée dans un État membre autre que l’État d’accueil. La Commission estime qu’il découle d’une lecture combinée des articles 1er, sous a) et b), ainsi que 2 et 3 de la directive 89/48 que cette dernière est applicable dès lors que l’État membre dans lequel le demandeur souhaite exercer la profession concernée est différent de celui dans lequel le diplôme dont il se prévaut a été délivré, et cela indépendamment du lieu où la formation nécessaire à l’obtention du diplôme a été suivie.

52

Le Royaume d’Espagne conteste le bien-fondé de ce grief, estimant qu’il existe deux motifs fondamentaux justifiant l’absence d’obligation de reconnaissance des diplômes des plaignants en cause, à savoir lorsque les personnes sollicitant la reconnaissance de leurs titres ont suivi toute leur formation en Espagne et qu’elles prétendent obtenir cette reconnaissance en vue de l’exercice, également en Espagne, de la profession en cause. En premier lieu, le Royaume d’Espagne fait valoir que, en l’espèce, les dispositions de la directive 89/48 ne sont pas applicables dès lors que tous les faits pertinents se sont produits dans un seul État membre. En second lieu, il invoque la jurisprudence de la Cour selon laquelle les justiciables ne sauraient abusivement ou frauduleusement se prévaloir des normes communautaires.

53

Dans le cadre de l’appréciation de ce grief, il y a lieu de relever que la notion de «diplôme», définie à l’article 1er, sous a), de la directive 89/48, constitue la clef de voûte du système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur prévu par cette directive.

54

Sous réserve des dispositions de l’article 4 de la directive 89/48, l’article 3, premier alinéa, sous a), de cette dernière donne à tout demandeur qui est titulaire d’un «diplôme», au sens de cette directive, lui permettant d’exercer une profession réglementée dans un État membre le droit d’exercer la même profession dans tout autre État membre.

55

S’agissant de l’appréciation des qualifications dont se prévalent les plaignants, il convient de rappeler, tout d’abord, que le «diplôme», au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 89/48, peut être constitué par un ensemble de titres.

56

Ensuite, en ce qui concerne la condition énoncée à l’article 1er, sous a), deuxième tiret, de la directive 89/48, les plaignants satisfont manifestement à la condition selon laquelle les titulaires doivent avoir suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée minimale de trois ans dans une université. Il ressort en effet des titres d’études qui ont été délivrés aux plaignants par l’université d’Alicante que ceux-ci ont suivi avec succès un cycle d’études postsecondaires d’une durée de cinq ans.

57

S’agissant, par ailleurs, de la condition visée à l’article 1er, sous a), troisième tiret, de la directive 89/48, il convient de constater qu’il ressort des pièces jointes à la requête que les plaignants se sont vu délivrer un diplôme d’ingénieur civil («laurea in ingegneria civile») par l’université polytechnique des Marches, sur le fondement de l’équivalence des études qu’ils ont suivies à l’université d’Alicante avec celles qui conduisent à ce diplôme. Il résulte de l’obtention dudit diplôme ainsi que de la réussite de ces plaignants à l’examen d’État italien, à la suite de laquelle ils se sont vu conférer l’habilitation à l’exercice de la profession d’ingénieur, que ces derniers possèdent les qualifications professionnelles requises pour accéder à une profession réglementée en Italie.

58

Il ne fait, enfin, aucun doute que chacun des titres en cause a été délivré par une autorité compétente, désignée conformément aux dispositions législatives, respectivement, espagnoles et italiennes, et que, par conséquent, la condition posée à l’article 1er, sous a), premier tiret, de la directive 89/48 est satisfaite.

59

Il peut, par conséquent, être constaté que les plaignants sont titulaires de «diplômes», au sens de l’article 1er, sous a), premier tiret, de la directive 89/48, et que l’article 3 de cette directive leur donne par conséquent le droit, sous réserve d’éventuelles mesures de compensation, d’exercer, en Espagne, la profession qu’ils sont, en vertu de ces diplômes, habilités à exercer en Italie.

60

Contrairement à ce que maintient le Royaume d’Espagne, aucune condition ne saurait être déduite de la directive 89/48, selon laquelle les intéressés devraient avoir suivi la totalité ou une partie de leur formation dans un État membre autre que le Royaume d’Espagne.

61

Il peut être relevé, à cet égard, que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 89/48 oblige l’État membre d’accueil à accepter, en tout état de cause, comme preuve de ce que les conditions d’une reconnaissance d’un diplôme sont remplies, les attestations et les documents délivrés par les autorités compétentes des autres États membres. Par conséquent, l’État membre d’accueil ne saurait examiner le fondement sur lequel de tels documents ont été délivrés, tout en disposant de la possibilité d’effectuer des contrôles portant sur celles des conditions fixées à l’article 1er, sous a), de la directive 89/48 qui, au vu du libellé desdits documents, n’apparaissent pas comme étant déjà remplies.

62

En outre, si la définition de la notion de «diplôme» figurant à l’article 1er, sous a), de la directive 89/48 apporte certaines réserves à l’applicabilité de cette directive aux qualifications acquises dans des États tiers, ni l’article 1er, sous a), de ladite directive ni aucune autre disposition de celle-ci ne contiennent une quelconque limitation en ce qui concerne l’État membre dans lequel un demandeur doit avoir acquis ses qualifications professionnelles.

63

En effet, il résulte expressément dudit article 1er, sous a), premier alinéa, qu’il est suffisant que la formation ait été acquise «dans une mesure prépondérante dans la Communauté». Il a déjà été jugé que cette expression couvre tant la formation entièrement acquise dans l’État membre ayant délivré le titre de formation en question que celle partiellement ou entièrement acquise dans un autre État membre (arrêt du 29 avril 2004, Beuttenmüller, C-102/02, Rec. p. I-5405, point 41).

64

Aucune raison ne saurait en outre justifier une telle limitation, la question principale, aux fins de se prononcer sur l’applicabilité de la directive 89/48, étant celle de savoir si le demandeur est ou non habilité à exercer une profession réglementée dans un État membre. Selon le système mis en place par cette directive, un diplôme est reconnu non pas en considération de la valeur intrinsèque de la formation qu’il sanctionne, mais en raison du fait qu’il ouvre, dans l’État membre où il a été délivré ou reconnu, l’accès à une profession réglementée (arrêts Beuttenmüller, précité, point 52, et du 19 janvier 2006, Colegio, C-330/03, Rec. p. I-801, point 19).

65

Le système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur prévu par la directive 89/48 est en effet fondé sur la confiance mutuelle qu’ont les États membres dans les qualifications professionnelles qu’ils octroient. Ce système établit, en substance, une présomption selon laquelle les qualifications d’un demandeur habilité à exercer une profession réglementée dans un État membre sont suffisantes pour l’exercice de cette même profession dans les autres États membres.

66

En l’espèce, il ne fait aucun doute que les plaignants sont dûment habilités à exercer la profession réglementée d’ingénieur en Italie.

67

Dès lors que ces plaignants ont été habilités à exercer la profession réglementée en cause dans un État membre autre que celui dans lequel ils demandent à exercer cette profession, leur situation ne saurait être qualifiée de purement interne et il convient, par conséquent, de rejeter l’argumentation du Royaume d’Espagne fondée, à cet égard, sur l’arrêt du 2 juillet 1998, Kapasakalis e.a. (C-225/95 à C-227/95, Rec. p. I-4239, points 18 et 19). Ainsi que l’a relevé la Commission, la Cour a considéré, dans cet arrêt, que la directive 89/48 n’était pas applicable dès lors que les requérants au principal n’avaient ni travaillé, ni étudié, ni obtenu un diplôme dans un autre État membre.

68

Le Royaume d’Espagne considère, par ailleurs, que l’application de la directive 89/48 aurait pour conséquence de permettre de contourner la distinction établie par la loi organique 6/2001 entre diplômes officiels et diplômes propres par une simple convention privée conclue entre deux universités, en vertu de laquelle une université d’un autre État membre procède à une reconnaissance automatique de diplômes propres délivrés par une université espagnole. Il rappelle que le diplôme d’«ingénieur civil» dont se prévalent les plaignants est non pas un diplôme officiel, mais seulement un diplôme propre à l’université d’Alicante qui, conformément à la loi organique 6/2001, est dépourvu des effets que les dispositions légales attachent aux diplômes officiels et qui est donc sans validité à des fins académiques ou professionnelles en Espagne. Les titres d’études obtenus par les plaignants en Espagne ne permettraient pas, par conséquent, d’exercer la profession d’ingénieur des ponts et chaussées dans cet État membre. L’invocation, par les plaignants qui ont effectué la totalité de leurs études en Espagne, des dispositions de la directive 89/48 pour accéder néanmoins à cette profession devrait, partant, être qualifiée de frauduleuse ou d’abusive.

69

À cet égard, il doit être constaté que, certes, les ressortissants d’un État membre ne sauraient, à la faveur des facilités créées en vertu du droit communautaire, tenter de se soustraire abusivement à l’emprise de leur législation nationale. Ils ne sauraient se prévaloir abusivement ou frauduleusement des normes communautaires (arrêts du 7 février 1979, Knoors, 115/78, Rec. p. 399, point 25; du 3 octobre 1990, Bouchoucha, C-61/89, Rec. p. I-3551, point 14; du 9 mars 1999, Centros, C-212/97, Rec. p. I-1459, point 24, et du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C-196/04, Rec. p. I-7995, point 35).

70

Toutefois, si les juridictions nationales peuvent, au cas par cas, en se fondant sur des éléments objectifs, tenir compte du comportement abusif ou frauduleux des personnes concernées pour leur refuser, le cas échéant, le bénéfice des dispositions du droit communautaire invoquées, elles doivent également, dans l’appréciation d’un tel comportement, prendre en considération les objectifs poursuivis par les dispositions communautaires en cause (arrêt Centros, précité, point 25).

71

Le système général de reconnaissance établi par la directive 89/48 vise précisément à permettre aux ressortissants d’un État membre habilités à exercer une profession réglementée dans un État membre d’accéder à cette même profession dans d’autres États membres.

72

Dans ces conditions, le fait, pour un ressortissant d’un État membre qui souhaite exercer une profession réglementée, de choisir d’accéder à celle-ci dans l’État membre de sa préférence ne saurait constituer, en soi, un usage abusif du système général de reconnaissance établi par la directive 89/48. En effet, le droit pour les ressortissants d’un État membre de choisir l’État membre dans lequel ils souhaitent acquérir leurs qualifications professionnelles est inhérent à l’exercice, dans un marché unique, des libertés fondamentales garanties par le traité CE.

73

Il ressort de ces considérations que le Royaume d’Espagne est, en vertu de l’article 3, premier alinéa, sous a), de la directive 89/48, tenu, sous réserve d’éventuelles mesures de compensation, de reconnaître non seulement les diplômes d’ingénieur italiens lorsque la formation suivie pour obtenir ceux-ci s’est déroulée en totalité ou en partie en Italie, mais également les diplômes délivrés par les autorités compétentes italiennes au terme d’une formation dispensée entièrement en Espagne.

74

Quoi qu’il en soit, ainsi que le relève le Royaume d’Espagne dans son mémoire en défense, contrairement à ce que laissent entendre les conclusions du présent recours en manquement, le premier grief invoqué par la Commission ne vise pas, en réalité, un refus catégorique des autorités espagnoles compétentes de reconnaître toutes les qualifications professionnelles d’ingénieur italiennes, mais porte uniquement sur un refus de reconnaissance de qualifications professionnelles d’ingénieur obtenues en Italie sur le fondement d’une formation universitaire dispensée seulement en Espagne. Il convient donc de limiter le dispositif du présent arrêt en conséquence de ces considérations.

Sur le second grief, tiré de l’exigence d’homologation de titres obtenus dans un autre État membre pour l’admission aux épreuves de promotion interne de la fonction publique espagnole

75

Par son second grief, la Commission conteste l’exigence d’homologation de tout diplôme étranger, prévue par les arrêtés MAM/1266/2003 et APU/423/2005 aux fins de l’obtention de promotions au sein de l’administration générale de l’État. Cette exigence serait contraire à l’article 3 de la directive 89/48 qui s’appliquerait aussi bien à l’exercice d’une profession réglementée qu’à l’accès à celle-ci.

76

Par conséquent, lorsqu’un ressortissant d’un État membre exerce la profession d’ingénieur au sein de l’administration générale de l’État, les conditions de cet exercice devraient inclure les possibilités de promotion et, par conséquent, les critères relatifs à la participation aux épreuves de sélection interne. L’exigence d’homologation du diplôme rendrait la promotion interne et, in fine, l’exercice de cette profession plus difficiles pour les ressortissants d’un État membre qui sont en possession du diplôme professionnel prescrit dans un autre État membre que pour ceux qui sont titulaires du diplôme requis en Espagne.

77

Le Royaume d’Espagne relève que, dans la mesure où, dans l’administration générale de l’État, tout fonctionnaire peut, en principe, être affecté sur des postes de différents types, les postes sont pourvus en fonction non pas d’une qualification professionnelle donnée, mais de grades académiques, à savoir le doctorat, la maîtrise ou les diplômes d’ingénieur ou d’architecte. La décision de reconnaissance permettant l’accès à une profession réglementée ne donnerait aucune indication quant au niveau du grade académique requis. Dans ces conditions, une homologation s’imposerait afin de déterminer le grade académique d’un candidat ayant acquis ses qualifications dans un autre État membre.

78

La Cour a déjà jugé que, lorsque la directive 89/48 est applicable, un organisme public d’un État membre, tenu de respecter les normes prévues par cette directive, ne peut plus exiger l’homologation des titres d’un intéressé par les autorités nationales compétentes comme condition préalable à l’accès à la profession en cause (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 1999, Fernández de Bobadilla, C-234/97, Rec. p. I-4773, point 27, et du 14 juillet 2005, Peros, C-141/04, Rec. p. I-7163, point 35).

79

L’article 3 de la directive 89/48 exige, ainsi que l’a relevé la Commission, que les diplômes délivrés dans un État membre donné permettent à leur titulaire non seulement d’accéder à une profession réglementée dans un autre État membre, mais également d’y exercer cette profession dans les mêmes conditions que les titulaires de diplômes nationaux.

80

Par conséquent, il incombe aux autorités nationales de s’assurer que les titulaires d’une qualification professionnelle obtenue dans un autre État membre ont les mêmes possibilités de promotion que les titulaires de la qualification professionnelle nationale équivalente. Ainsi, en l’espèce, si la profession d’ingénieur des ponts et chaussées est normalement exercée en Espagne par les titulaires d’un diplôme espagnol obtenu au terme de cinq années d’études, le titulaire d’un diplôme délivré dans un autre État membre et habilitant l’intéressé à exercer, le cas échéant après qu’il a fait l’objet de mesures de compensation, cette même profession en Espagne doit se voir reconnaître les mêmes possibilités de promotion que les titulaires de ce diplôme espagnol. Ces considérations sont indépendantes du nombre d’années d’études requises par ledit titulaire pour obtenir le diplôme en question.

81

En effet, dès lors qu’un diplôme délivré dans un autre État membre a été reconnu en application de la directive 89/48, le cas échéant après que des mesures de compensation ont été imposées, il est réputé conférer les mêmes qualifications professionnelles que le diplôme espagnol équivalent. Dans ces conditions, le fait de ne pas faire bénéficier le titulaire d’un diplôme délivré dans un autre État membre des mêmes possibilités de promotion que les titulaires du diplôme espagnol équivalent, au seul motif que ce diplôme a été obtenu au terme d’une formation d’une durée plus courte, reviendrait à désavantager les titulaires d’un diplôme d’un autre État membre en raison du seul fait qu’ils ont acquis des qualifications équivalentes plus rapidement.

82

Par conséquent, l’exigence d’une homologation n’est pas compatible avec l’article 3 de la directive 89/48, à tout le moins dans la mesure où cette exigence constitue une condition préalable à l’admission aux épreuves de promotion interne, même pour des candidats qui se prévalent uniquement d’un diplôme délivré dans un autre État membre et reconnu en application de la directive 89/48.

83

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que le Royaume d’Espagne,

en refusant de reconnaître les qualifications professionnelles d’ingénieur obtenues en Italie sur le fondement d’une formation universitaire dispensée seulement en Espagne, et

en subordonnant l’admission aux épreuves de promotion interne de la fonction publique des ingénieurs en possession de titres professionnels obtenus dans un autre État membre à la reconnaissance académique de ces qualifications,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89/48, et en particulier de l’article 3 de celle-ci.

Sur les dépens

84

En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d’Espagne et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)

Le Royaume d’Espagne,

en refusant de reconnaître les qualifications professionnelles d’ingénieur obtenues en Italie sur le fondement d’une formation universitaire dispensée seulement en Espagne, et

en subordonnant l’admission aux épreuves de promotion interne de la fonction publique des ingénieurs en possession de titres professionnels obtenus dans un autre État membre à la reconnaissance académique de ces qualifications,

a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 89/48/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative à un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d’une durée minimale de trois ans, telle que modifiée par la directive 2001/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 14 mai 2001, et en particulier de l’article 3 de celle-ci.

2)

Le Royaume d’Espagne est condamné aux dépens.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’espagnol.

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CJCE, n° C-286/06, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne, 23 octobre 2008