Conseil national de l'ordre des médecins, 21 juillet 2023, n° -- 15425

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Sur la décision

Référence :
CNOM, 21 juill. 2023, n° -- 15425
Numéro(s) : -- 15425
Dispositif : Annulation Interdiction temporaire d'exercer

Sur les parties

Texte intégral

CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17
N° 15425 ____________________
Dr A ____________________
Audience du 22 mai 2023
Décision rendue publique par affichage le 21 juillet 2023
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE DES MEDECINS,
Vu la procédure suivante :
Par une plainte, enregistrée le 15 mars 2021 à la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l’ordre des médecins, le conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins a demandé à cette chambre de prononcer une sanction à l’encontre du Dr A, qualifié spécialiste en médecine générale.
Par une décision n° 201-168 du 14 décembre 2021, la chambre disciplinaire de première instance a infligé au Dr A la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de six mois, dont trois mois avec sursis.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 janvier et 14 septembre 2022, le Dr A relève appel de cette décision. Il demande à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins :
1° D’annuler la décision du 14 décembre 2021 de la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l’ordre des médecins ;
2° De rejeter la plainte ;
3° De mettre à la charge du conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans le dépens.
Il soutient que :
- il n’a commis aucun manquement déontologique dans le traitement de la Covid 19 ;
- s’agissant du grief tiré de la prescription d’hydroxychloroquine, si le courrier du 22 avril 2020 fait état d’un « signalement » au sujet de ses prescriptions pour le traitement de la
Covid 19 et lui rappelle les conditions de prescription, dispensation et administration de ce médicament et de l’association lopinavir/ritonavir, il relève qu’aucune des deux ordonnances versées aux débats ne concerne ce médicament ; le conseil départemental ne peut se fonder sur son propre courrier pour établir l’existence de prescriptions contestables ; aucun élément au dossier ne permet de savoir si de telles prescriptions ont été faites, pour quels patients, dans quel état de santé et pour quel motif médical, à quelle date et quelles conditions de soins ; le conseil départemental s’avère défaillant dans l’administration de la preuve dont en tant que plaignant la charge lui incombe ;
- s’agissant du grief tiré de la prescription d’ivermectine et d’antibiotiques, deux ordonnances étant produites, il souligne que le praticien bénéficie de la liberté de prescription, conformément à l’article R. 4127-8 du code de la santé publique, et qu’en vertu de l’article L.
5121-12-1 du même code la prescription hors AMM n’est pas en soi illégale ; il appartient 1 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 au conseil départemental de l’ordre des médecins d’indiquer en quoi il fait courir des risques aux patients, alors qu’à l’époque des prescriptions il n’existait aucune recommandation ou protocole de soins pour le traitement de la Covid 19 et qu’il n’y a toujours pas à ce jour de consensus scientifique ;
- il a des connaissances avancées en matière d’innovation thérapeutique ;
- aucune faute ne peut être retenue dans ses prescriptions d’antibiotiques ; il n’est pas établi que celle du 5 avril 2020 n’était pas conforme aux données acquises de la science, aucune option thérapeutique n’étant alors disponible, et il était de son devoir de soigner ses patients, conformément à l’article R. 4127-7 du code de la santé publique, avec les traitements les plus appropriés ; s’agissant de l’ordonnance du 9 juillet 2020, l’avis du Haut conseil de la santé publique montre les bénéfices de l’azytromycine, le risque étant la tolérance à long terme ; il n’a pas été tenu compte du cas concret de la patiente ; la durée de prescription était brève et il n’y avait pas de risque de résistance bactérienne ; le Haut conseil recommande l’usage d’antibiothérapie, dans l’attente du résultat virologique, de manière préventive ; la question de la difficulté d’accès aux tests à cette époque a été occultée ;
- s’agissant des soins prodigués à Mme B, ils ont fait l’objet d’une autre plainte et d’une autre décision de la chambre disciplinaire de première instance, infligeant un blâme après avoir relevé l’absence de danger des traitements prescrits ; un même manquement ne peut faire l’objet de deux procédures disciplinaires, sauf à méconnaître ses droits et l’autorité de chose jugée ; la décision attaquée prenant en compte les faits concernant Mme B doit être en conséquence annulée ;
- si la plainte excipe de ce que par ses vidéos il expose auprès du public des traitements pouvant faire naître des espoirs infondés, aucune de ces vidéos, d’ailleurs aujourd’hui inaccessibles, n’a permis de l’identifier avec certitude et il conteste tout lien avec elles ;
- le courriel du 28 octobre 2020 dont excipe le plaignant à l’appui du grief tiré de la déconsidération à l’égard de la profession de médecin est postérieur au courrier du conseil départemental de l’ordre des médecins concernant la prescription de l’hydroxychloroquine et aux plaintes du conseil départemental mettant en cause sa pratique médicale ; il s’agit d’une réaction à chaud, excessive, mais qui ne dénigre pas le conseil départemental de l’ordre des médecins ; la profession n’a pas été déconsidérée puisque le courriel n’a pas reçu de publicité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2022, le conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins conclut :
1° Au rejet de l’appel du Dr A ;
2° A ce que soit mise à la charge du Dr A une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans le dépens.
Il soutient que :
- un signalement émanant d’un pharmacien a été transmis par le conseil départemental de l’ordre des pharmaciens à la suite d’une prescription anormale dans le cadre du traitement de la Covid 19 ; les règles de prescription de l’hydroxychloroquine et de l’association lopinavir/ritonavir ont été rappelées par courriel au praticien ;
- une des patientes du Dr A, Mme B, a alerté le conseil départemental de la CharenteMartime de l’ordre des médecins sur des traitements fantaisistes ; elle a indiqué avoir dû se faire opérer le plus vite possible après avoir passé une échographie avec un autre médecin ; M. B, son ex-époux, a porté plainte à la suite d’une mauvaise prise en charge de son épouse, atteinte d’un cancer, indiquant que le Dr A prescrivait à sa femme une « potion » à base de bleu de méthylène et des cures d’argile ; un autre praticien a prescrit une échographie qui a montré des kystes, puis un scanner révélant des métastases au foie et aux poumons ; un cardiologue a alerté les instances ordinales sur les prescriptions anormales du Dr A ; des vidéos émanant de l’intéressé promouvant des traitements non validés scientifiquement ont été mises en ligne sur Internet ; il a répondu 2 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 à un courriel relatif au secret médical et aux violences dans le couple dans des termes insultants et provocateurs contre le gouvernement et sa politique sanitaire ;
- les obligations résultant des articles R. 4127-8, R. 4127-31, R. 4127-32 et R. 4127-39 du code de la santé publique ont été méconnues par le Dr A dans le contexte aggravant de l’épidémie de Covid 19 ;
- l’intéressé fait courir à ses patients infectés par le virus des risques injustifiés en leur prescrivant des traitements non éprouvés ; ses traitements médicamenteux sont mis en œuvre en dehors de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), sans justification suffisante, et l’intéressé fait la promotion de pratiques mettant en danger ses patients ; ses vidéos peuvent faire naître dans l’esprit du public des espoirs infondés ; ces manquements déontologique sont graves ;
- outre une pratique médicale fautive, le Dr A fait preuve d’un comportement inacceptable à l’égard des instances ordinales, affichant hostilité et désinvolture, alors que le conseil départemental a tenté des démarches à fin d’échange confraternel, et déconsidère la profession.
Par une ordonnance du 7 février 2023, le président de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a fixé la clôture de l’instruction au 14 mars 2023, à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112 ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, notamment le I de l’article 75.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 22 mai 2023 :
- le rapport du Dr Plat ;
- les observations de Me Sobczynski pour le Dr A, et celui-ci en ses explications
- les observations de Me Lapegue pour le conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins.
Le Dr A a été invité à reprendre la parole en dernier.

APRES EN AVOIR DELIBERE,
Considérant ce qui suit :
1. D’une part, par une plainte, enregistrée le 18 février 2021 à la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l’ordre des médecins, transmise, en s’y associant, par le conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins, M. B a demandé à cette chambre de prononcer une sanction à l’encontre du Dr A, qualifié spécialiste en médecine générale, sur le fondement d’un grief tiré de la mauvaise prise en charge de son ancienne épouse par ce praticien. Par une décision n° 201-155 du 14 décembre 2021, la chambre disciplinaire de première instance a 3 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 infligé un blâme au Dr A. Le conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins a relevé appel de cette décision, sous le n° 15432.
2. D’autre part, par une autre plainte, enregistrée le 15 mars 2021 à la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l’ordre des médecins, le conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins a demandé à cette chambre de prononcer une sanction à l’encontre du Dr A, sur le fondement de griefs relatifs notamment aux conditions de prise en charge des patients infectés par le virus de la Covid 19 et au comportement du praticien à l’égard des instances ordinales. Le cas de Mme B et la plainte de son ancien époux sont évoqués dans l’appel du conseil départemental de la
Charente-Maritime. Par une décision n° 201-168 du 14 décembre 2021, la chambre disciplinaire de première instance a infligé au Dr A, la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pour une durée de six mois, dont trois mois avec sursis. Le Dr A relève appel de cette décision, sous le n° 15425. Il demande d’annuler la décision attaquée et de rejeter la plainte.
3. La présente juridiction examine ce jour, à la même audience, les deux affaires enregistrées, de façon distincte, sous les numéros 15432 et 15425. Les écritures produites par les parties dans ces litiges comportent chacune une argumentation dont certains éléments font écho à l’autre affaire, ce qui peut entretenir une certaine confusion. Il y a lieu, dans un souci de bonne administration de la justice, de regarder la présente affaire, n° 15425, sur laquelle il est statué par la présente décision, comme ne concernant pas les conditions de prise en charge de Mme B.
Sur la régularité de la décision attaquée :
4. Il résulte du principe non bis in idem qu’un praticien ne peut faire l’objet de poursuites disciplinaires et être sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Pour retenir le grief tiré de ce que le Dr A ferait courir aux patients infectés par le virus de la Covid 19 des risques injustifiés en prescrivant des traitements non éprouvés, mis en œuvre en dehors de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), sans justification médicale suffisante, les premiers juges ont relevé au point 3 de leur décision que : « certains traitements contre la Covid 19 ou contre d’autres pathologies, dont celles de l’ex-épouse de M. B, sont non conformes aux données acquises de la science. Si la sécurité de ces traitements ne peut être remise en cause en l’état du dossier, leur manque d’efficacité et leur mise en œuvre ne peut être qualifiée de soins consciencieux ». En se prononçant ainsi, alors qu’il sanctionnait par une autre décision du même jour les mêmes faits relatifs à la prise en charge de l’ex-épouse de M. B, ainsi qu’il a été dit au point 1, la chambre disciplinaire de première instance a méconnu le principe ci-dessus mentionné et par suite irrégulièrement statué, comme le soutient le Dr A qui est par suite fondé à demander l’annulation de la décision attaquée.
L’affaire étant en état d’être jugée, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, d’évoquer et de statuer imédiatement sur la plainte du conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins.
Sur la plainte :

4 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 5. D’une part, aux termes de l’article R. 4127-8 du code de la santé publique : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. / Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins. / Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. » L’article R. 4127-31 du même code dispose que : « Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. » Aux termes de l’article R. 4127-32 du même code :
« Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents. » L’article
R. 4127-39 du même code dispose que : « Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. / Toute pratique de charlatanisme est interdite. » Enfin, aux termes de l’article R. 4127-40 du même code : « Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié. » 6. D’autre part, en vertu des dispositions de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) des praticiens sont strictement encadrées et subordonnées notamment à l’obligation pour le prescripteur d’informer le patient que la prescription du médicament ne s’effectue pas dans le cadre d’une AMM, et le cas échéant, de l’absence d’alternative thérapeutique, des risques encourus ainsi que des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament et enfin, des conditions de prise en charge par l’assurance maladie du médicament prescrit dans l’indication considérée.
Le praticien doit aussi mentionner sur l’ordonnance que la prescription se fait hors AMM, en portant en tant que de besoin les indications adéquates dans le dossier médical.
7. Il résulte des dispositions du code de la santé publique citées au point 5 que les médecins ont l’obligation déontologique d’assurer au patient des soins dévoués et consciencieux fondés sur les données acquises de la science, telles qu’elles ressortent notamment des recommandations de bonnes pratiques médicales des autorités de santé et des sociétés savantes, lesquelles ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction. Ces recommandations de bonnes pratiques ne dispensent pas le médecin d’entretenir et perfectionner ses connaissances par d’autres moyens et de rechercher, pour chaque patient, la prise en charge qui lui paraît la plus appropriéeen fonction de ses propres constatations et des préférences du patient. Il se doit de solliciter, au cas par cas, les concours appropriés de confrères s’il est confronté à des situations délicates ou complexes excédant ses propres compétences. La littérature scientifique peut être prise en compte dès lors qu’elle provient de revues médicales reconnues garantissant, au regard des pairs et au terme d’une procédure de vérification rigoureuse, l’objectivité et la qualité des articles publiés. Le respect de ces exigences déontologiques fondamentales et des obligations de 5 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 prudence qui en découlent s’est avéré particulièrement nécessaire dans le contexte de la crise d’urgence sanitaire entraînée par l’épidémie de la Covid 19, notamment pour les praticiens n’exerçant pas dans un établissement de santé prenant en charge cette pathologie et à qui il appartenait, en conséquence, de prescrire des traitements suffisamment éprouvés ou, le cas échéant, s’agissant d’une maladie nouvelle grave, validés par les autorités de santé et les sociétés savantes.
8. Il ressort, d’une part, des pièces du dossier qu’un signalement émanant d’un pharmacien a été transmis par courriel par le conseil régional du Centre-Val de Loire de l’ordre des pharmaciens le 20 avril 2020 au conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins à la suite d’une prescription anormale effectuée lors d’une téléconsultation dans le cadre du traitement de la Covid 19 et ayant donné lieu à un refus de délivrance.
L’ordonnance, en date du 4 avril 2020, comporte une dizaine de mentions. La première indique « ne pas faire baisser la fièvre » et, à la suite, « ni anti-inflammatoire, la fièvre désactive le virus comme la chaleur altère le blanc d’œuf ». L’ordonnance comporte ensuite, outre une prescription de masques de protection « pour 3 semaines pour toute la famille », des prescriptions de mélatonine, chlorumagène, ZymaD, granions de zinc, doxycycline (antibiotique), vitamine C et Stromectol (ivermectine, qui est un antiparasitaire). Dans son courriel de signalement du 7 avril 2020, le pharmacien indique que le patient concerné se portait bien, se plaignant seulement de maux de gorge, d’une légère rhinorrhée et de constipation sans fièvre, et qu’il a contacté le praticien qui lui aurait demandé ironiquement de renvoyer le patient vers un confère qui voudrait bien délivrer les médicaments prescrits, en affirmant que la doxycycline était bien prescrite pour la Covid 19 « suite à des études dont il avait connaissance ». Ce pharmacien indique également qu’une autre pharmacie du secteur affirmait ne plus savoir quoi faire devant les prescriptions de ce médecin. Aucun élément pertinent documenté n’est fourni dans la présente instance par le Dr A pour justifier cette accumulation particulièrement hétéroclite de prescriptions qui est étrangère à tous les référentiels médicaux alors reconnus et dont il ne ressort pas des pièces du dossier que, s’agissant de celles pratiquées hors AMM, elles auraient satisfait aux exigences ci-dessus rappelées de l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique. Par un courrier en date du 22 avril 2020 adressé au Dr A, le président du conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins fait état du signalement le concernant en mentionnant qu’il est relatif à des prescriptions pour un traitement de la Covid 19 semblant non conformes aux données acquises de la science, rappelle les règles de prescription de l’hydroxychloroquine et de l’association lopinavir/ritonavir et incite l’intéressé à la plus grande prudence dans la prise en charge des patients à la fois en présentiel et en téléconsultation, le mettant en garde avec insistance sur les conséquences disciplinaires pouvant en résulter. Une autre pharmacie a effectué un signalement d’une ordonnance du 9 juillet 2020 établie à la suite d’une téléconsultation du Dr A, prescrivant du chlorumagène, de la mélatonine, du Zithromax, du Stromectol, du ZymaD et des granions de zinc, et indiquant de « ne pas faire baisser la fièvre pour trois semaines et toute la famille ».
Cette ordonnance, comportant des prescriptions hors AMM dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elles seraient conformes aux exigences ci-dessus rappelées de l’article L.
5121-12-1 du code de la santé publique, n’est pas non plus étayée par des justifications médicales pertinentes du praticien.

6 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 9. Il ressort, d’autre part, de trois courriels du Dr A du 23 avril 2020 adressés au président du conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins que le praticien reconnaît prescrire à ses patients des molécules ou produits tels que l’hydroxychloroquine, la doxycycline, le zinc, l’ivermectine, en affirmant que « les pharmaciens qui refusent de délivrer ces médicaments mettent en danger la vie des patients », et défend en des termes vifs l’usage de l’hydroxychloroquine, en contestant le décret du 25 mars 2020 restreignant sa prescription notamment aux établissements de santé prenant en charge la Covid 19 et à certains médecins spécialistes. L’intéressé a enfin répondu dans les termes suivants par courriel du 20 octobre 2020 à autre un courriel du même jour du conseil départemental, de diffusion générale, relatif au secret médical et aux violences dans le couple: « Cher confrère, monsieur le président, je formule officiellement un signalement contre ce gouvernement de guignols, qui m’empêche de soigner mes patients avec du plaquénil, du zithromax, du zinc, anticoagulant si nécessaire, corticoïde si nécessaire et l’ivermectine. A bon entendeur salut. ». Eu égard à leur teneur et à leur ton, ces différents courriels ne peuvent être regardés comme un simple échange confraternel de points de vue dans le cadre d’une controverse médicale sur un problème de santé publique.
La présente juridiction constate que, bien qu’invité à échanger avec le conseil départemental de l’ordre des médecins sur les difficultés rencontrées, le Dr A ne s’est pas présenté.
10. Le praticien excipe pour sa défense de sa liberté de prescription qui est garantie par le code de déontologie et de ce qu’il n’existait pas, au moment où il a établi la première ordonnance critiquée, de consensus médical sur le traitement de la Covid 19, notamment sur l’utilisation de l’ivermectine, et allègue avoir des « connaissances avancées en matière de dernières innovations thérapeutiques ». Il résulte toutefois des éléments concordants et précis rappelés aux points 8 et 9 que même après que diverses autorités de santé, en particulier le Haut conseil de la santé publique, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et le Conseil national de l’ordre des médecins, ont alerté dès les mois de mars et avril 2020, par des prises de position rendues publiques que le praticien ne peut sérieusement prétendre ignorer sur les risques d’une mise en danger des patients par des traitements non validés scientifiquement, sur les doutes quant à l’efficacité réelle de certains des traitements mentionnés ci-dessus et sur la nécessité d’une stricte application des règles de prescription hors AMM, que le praticien, qui est médecin généraliste et n’a pas reçu de formation spécialisée en infectiologie, a entendu s’affranchir de ces recommandations et persévérer dans sa pratique atypique et dangereuse de la médecine en dehors de toute structure médicale de référence prenant en charge la Covid 19 ou de l’aide de confrères plus qualifiés. Il doit en conséquence être regardé comme ayant méconnu les diverses obligations déontologiques rappelées au point 5, en particulier celle de donner des soins dévoués et consciencieux fondés sur les données acquises de la science et de ne pas commettre d’actes de nature à déconsidérer la profession.
11. En revanche, il y a lieu, au bénéfice du doute, d’écarter le grief tiré de la mise en ligne sur Internet de vidéos émanant de l’intéressé promouvant des traitements non validés scientifiquement.

7 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 12. Il sera fait une juste appréciation de la gravité des manquements du Dr A, qui a déjà fait l’objet par une décision n° 13752 du 10 novembre 2020 de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins d’une sanction d’interdiction d’exercice d’une durée d’un mois, et s’est vu confirmer par une décision n° 14881 du 18 janvier 2023 de cette même chambre la sanction du blâme infligée en première instance , en lui infligeant la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de six mois, dont trois mois assortis du sursis.
Sur les conclusions relatives aux frais de l’instance :
13. Les dispositions du I de l’article 75 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que le conseil départemental de la Charente-Martime de l’ordre des médecins, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, verse au Dr A la somme de 2 500 euros qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce de mettre à la charge du Dr
Moattassime la somme de 1 500 euros qui sera versée au conseil départemental de la
Charente-Maritime de l’ordre des médecins au même titre.

PAR CES MOTIFS,
DECIDE:
Article 1er : La décision n° 201-168 du 14 décembre 2021 de la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l’ordre des médecins est annulée.
Article 2 : Il est infligé au Dr A la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de six mois, dont trois mois avec sursis.
Article 3 : La partie ferme de la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine mentionnée à l’article 2 prendra effet à compter du 1er novembre 2023 et cessera de porter effet le 31 janvier 2024 à minuit.
Article 4 : Le Dr A versera la somme de 1 500 euros au conseil départemental de la
Charente-Maritime de l’ordre des médecins en application du I de l’article 75 de la loi susvisée du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions du Dr A est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au Dr A, au conseil départemental de la Charente-Maritime de l’ordre des médecins, à la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine de l’ordre des médecins, au directeur général de l’agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de La Rochelle, au Conseil national de l’ordre des médecins, au ministre chargé de la santé et à tous les conseils départementaux de l’ordre des médecins.
Ainsi fait et délibéré par : M. Delion, conseiller d’Etat, président ; Mme le Pr Bagot, Mmes les Drs Bohl, Jousse, Masson, MM. les Drs Plat, Wilmet, membres.

8 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17
Le conseiller d’Etat, président de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins
François Delion
Le greffier en chef
François-Patrice Battais
La République mande et ordonne au ministre chargé de la santé en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Conseil national de l'ordre des médecins, 21 juillet 2023, n° -- 15425