Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, Affaire AD/06155-3/CN, 15 mars 2022

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Sur la décision

Référence :
ONPH, 15 mars 2022
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Texte intégral

CONSEIL NATIONAL DE
L’ORDRE DES PHARMACIENS
Chambre de discipline
N° AD/06155-3/CN __________ M. A c/ M. B M. C
SELARL D __________ Mme Martine Denis-Linton, présidente __________ M. Alain Mazaleyrat, rapporteur __________
Audience du 15 février 2022
Lecture du 15 mars 2022
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure : M. A, pharmacien biologiste responsable du laboratoire de biologie médicale du Centre hospitalier de …, a formé une plainte enregistrée à la chambre de discipline du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens le 7 avril 2020. Cette plainte est dirigée contre MM. B et
C, pharmaciens biologistes coresponsables au sein de la SELARL D, située à …, et contre la
SELARL D.
Par une décision du 26 mars 2021, la chambre de discipline du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens a prononcé à l’encontre de MM. B et C la sanction de l’interdiction temporaire d’exercer la pharmacie pendant une durée de trois mois, dont un mois avec sursis et, à l’encontre de la SELARL D la sanction de l’interdiction de pratiquer des examens de biologie médicale pendant la même durée.
Procédure devant la chambre de discipline du Conseil national de l’ordre des pharmaciens :
Par une requête enregistrée à la chambre de discipline du Conseil national le 23 avril 2021, et un mémoire enregistré le 13 septembre 2021, MM. B, C et la SELARL D, représentés par Me
Poulet-Odent, demandent à la juridiction d’appel :
1°) d’annuler la décision de la chambre de discipline du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens ;

N° AD/06155-3/CN 2 2°) de rejeter la plainte formée par M. A;
3°) à titre subsidiaire, de transmettre la question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne portant sur l’interprétation de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne au regard de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique lequel, pour protéger la santé publique, impose une interdiction générale et absolue de toute forme de publicité, directe ou indirecte, en faveur des laboratoires de biologie médicale ;
4°) de mettre à la charge de M. A la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Ils soutiennent que :
- dans les deux articles de presse des 28 et 31 mars 2020, ils ont délivré une information scientifique et médicale relative à la disponibilité d’un nouveau test sérologique dans un contexte de crise sanitaire, ce qui ne saurait constituer de la publicité ;
- ils n’ont pas utilisé ces tests sérologiques ;
- concomitamment, la France avait commandé 5 millions de tests rapides venant s’ajouter aux tests PCR ;
- dans ces deux articles, MM. B et C ont présenté les avantages et inconvénients des tests PCR et sérologiques en toute objectivité ;
- ces articles n’ont pas pour objectif de promouvoir le laboratoire D, dont aucune coordonnée n’apparait, et ne lui sont pas imputables ;
- à la date de leur publication, seul le « marquage CE » suffisait à commercialiser ces tests, l’exigence de leur évaluation par le centre national de référence étant intervenue postérieurement, de sorte qu’aucun risque pour la santé publique n’est caractérisé ;
- ils n’ont pas manqué à leurs devoirs déontologiques en délivrant une information avec tact et mesure sans inciter à la consommation abusive de médicaments ;
- ils n’ont pas l’obligation de vérifier des articles de presse préalablement à leur publication eu égard au principe à valeur constitutionnelle d’indépendance des journalistes et de la liberté d’expression ;
- la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans son arrêt E du 4 mai 2017, que l’interdiction générale et absolue de toute forme de publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires dépassait ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis ;
- en tout état de cause, l’article L. 6222-8 du code de la santé publique impose une interdiction générale et absolue de toute forme de publicité directe ou indirecte en faveur d’un laboratoire de biologie médicale contraire au droit de l’Union européenne et à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ;
- ils sollicitent la transmission à la Cour de justice de l’Union européenne de la question suivante : « Faut-il interpréter l’article 56 du TFUE en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle contenue à l’article L. 6222-8 du CSP, qui, pour protéger la santé publique, impose une interdiction générale et absolue de toute forme de publicité, directe ou indirecte, en faveur des laboratoires de biologie médicale ? ».
Par un mémoire enregistré le 11 juin 2021, M. A, représenté par Me Tamburini-Bonnefoy, conclut au rejet de la requête d’appel et fait valoir s’en remettre à la juridiction d’appel pour l’appréciation du bien-fondé de sa plainte.
Par une ordonnance du 4 août 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 20 septembre 2021.

N° AD/06155-3/CN 3
Par une décision du 15 octobre 2021, la chambre de discipline du Conseil national de l’ordre des pharmaciens a reporté l’examen de l’affaire à une audience ultérieure et a rouvert l’instruction jusqu’au 1er février 2022. M. A a produit un mémoire enregistré le 31 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité de fonctionnement sur l’Union européenne, notamment son article 56 ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- l’arrêt E n° C-339/15 du 4 mai 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. Mazaleyrat,
- les observations de Me Pellevoizin, substituant Me Tamburini-Bonnefoy, pour M. A,
- les observations de Me Poulet-Odent pour MM. B et C et la SELARL D,
- les explications de MM. B et C et de la SELARL D, représentée par M. B.
Les pharmaciens et la SELARL poursuivis ont eu la parole en dernier.
Considérant ce qui suit :
1. M. A, pharmacien biologiste responsable du laboratoire de biologie médicale du Centre hospitalier de …, situé …, a formé une plainte dirigée contre MM. B et C, pharmaciens biologistes coresponsables au sein de la SELARL D située … et contre la SELARL D. Il leur reproche d’avoir réalisé de la publicité pour leur laboratoire dans deux articles de presse parus les 28 et 31 mars 2020 relatifs à la réalisation de tests sérologiques de dépistage de la Covid-19 par le laboratoire D, non validés scientifiquement. Par une décision du 26 mars 2021, la chambre de discipline du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens a prononcé à l’encontre de MM. B et C la sanction de l’interdiction temporaire d’exercer la pharmacie pendant une durée de trois mois, dont un mois avec sursis et, à l’encontre de la SELARL D, la sanction de l’interdiction de pratiquer des examens de biologie médicale pendant la même durée.
Sur le moyen tiré de l’absence de publicité :
2. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique :
« Toute forme de publicité ou de promotion, directe ou indirecte, en faveur d’un laboratoire de biologie médicale est interdite (…) ».
3. MM. B et C et la SELARL D soutiennent qu’ils n’ont pas fait de publicité pour le laboratoire D et qu’ils ne sont pas à l’origine des articles publiés en ligne dans les journaux « … » et « … » qui se bornent à donner une information scientifique et médicale relative à la disponibilité prochaine d’un nouveau test sérologique de dépistage de la Covid-19. Toutefois, il résulte de l’instruction que les articles en cause portant sur l’utilisation à venir de tests sérologiques de N° AD/06155-3/CN 4 dépistage de la Covid-19, proposés par le laboratoire D « en premier » par rapport à d’autres laboratoires, avant que ces tests n’aient été validés par le centre national de référence, ont été réalisés à partir d’informations recueillies auprès de M. B et de M. C et si l’adresse du laboratoire
D n’y figure pas, le nom du laboratoire et la localisation de ses sites à … et … y sont expressément mentionnés. En conséquence, ces articles constituent une publicité en faveur du laboratoire au sens de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique.
Sur le moyen tiré de l’inconventionnalité de l’alinéa 1er de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique :
4. L’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que : « (…)
Les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation (…) ». Dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l’affaire C- 339/15 sur renvoi préjudiciel d’une juridiction belge, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que :
« l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale (…) qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires (…) ».
5. MM. B et C et la SELARL D sollicitent le renvoi préjudiciel en interprétation de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne au regard de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique et soutiennent que les dispositions de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique interdisant toute forme de publicité ou de promotion, directe ou indirecte, en faveur d’un laboratoire de biologie médicale sont contraires à l’article 56 du traité précité. S’il appartient au législateur national de définir les règles relatives aux conditions d’utilisation de procédés de publicité compatibles avec les exigences déontologiques de protection de la santé publique, de dignité de la profession de pharmacien, de confraternité entre pharmaciens et de relations de confiance avec le public, il résulte des stipulations de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt rendu le 4 mai 2017 dans l’affaire C-339/15, qu’elles s’opposent à des dispositions nationales qui interdisent de manière générale et absolue toute publicité destinée à promouvoir les activités d’une profession de santé, telles que celles qui figurent au premier alinéa de l’article L.
6222-8 du code de la santé publique.
6. Il résulte de ce qui précède que MM. B et C et la SELARL D sont fondés à soutenir, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en interprétation, que les dispositions de l’alinéa premier de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique sont incompatibles avec les dispositions de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dès lors qu’elles prévoient une interdiction de toute publicité directe ou indirecte en faveur d’un laboratoire de biologie médicale. Il y a lieu, dès lors, d’écarter l’application au présent litige du premier alinéa de l’article L. 6222-8 du code de la santé publique et, en conséquence, de rejeter la plainte de M. A fondée sur les dispositions en cause et d’annuler la décision du 26 mars 2021 de la chambre de discipline du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens.
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique :
7. Aux termes de l’article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 applicable aux juridictions disciplinaires : « I. – Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux N° AD/06155-3/CN 5 dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ».
8. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A le paiement de la somme de 3000 euros demandée par MM. B et C ainsi que la SELARL D au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :
Article 1er : La plainte formée par M. A est rejetée.
Article 2 : La décision du 26 mars 2021 par laquelle la chambre de discipline du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens a prononcé à l’encontre de M. B et de M. C la sanction de l’interdiction temporaire d’exercer la pharmacie pendant une durée de trois mois, dont un mois avec sursis et, à l’encontre de la SELARL D, la sanction de l’interdiction de pratiquer des examens de biologie médicale pendant la même durée, est annulée.
Article 3 : Les conclusions présentées par MM. B, C et la SELARL D au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à :
- M. A;
- M. B ;
- M. C ;
- La SELARL D ;
- M. le directeur général de l’agence régionale de santé des Pays de la Loire ;
- M. le président du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens ;
- M. le président de la chambre de discipline du conseil central de la section G de l’ordre des pharmaciens ;
- Mmes et MM. les présidents des autres conseils centraux de l’ordre des pharmaciens ;
- M. le ministre des solidarités et de la santé.
Et transmise à :
- Me Tamburini-Bonnefoy ;
- Me Poulet-Odent.
Délibéré après l’audience publique du 15 février 2022 à laquelle siégeaient : Mme Denis-Linton, présidente, Mme Brunel-Lefebvre – M. Caillier – M. Andriollo – M. Delgutte – Mme Goudable – Mme HaroBrunet – Mme Jourdain-Scheuer – M. Labouret – M. Leblanc – Mme Le Gal Fontes – Mme Mare – M. Mazaleyrat – Mme Charra – Mme Pignolet – M. Pouria.

N° AD/06155-3/CN 6
Lu par affichage public le 15 mars 2022.

La conseillère d’Etat
Présidente de la chambre de discipline du
Conseil national de l’ordre des pharmaciens
Martine Denis-Linton
La présente décision peut faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’Etat dans un délai de deux mois à compter de sa notification, en application de l’article L. 4234-8 du code de la santé publique. Le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation est obligatoire.

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Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, Affaire AD/06155-3/CN, 15 mars 2022