Conseil de l'Ordre national des pharmaciens, rapport du rapporteur, Affaire 762 - Libre choix du pharmacien, n° 2004-D

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Sur la décision

Référence :
ONPH

Texte intégral

Affaire Mme A
Document 2004-R
Rapporteur : M. R
Le 27 mai 2011, a été enregistrée au greffe du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de
Midi-Pyrénées une plainte formée par Mme B, titulaire d’une officine, sise …, à …. Celle-ci était dirigée à l’encontre de Mme A, titulaire d’une officine, sise …, à … (ANNEXE I).
I – ORIGINE DE LA PLAINTE :
La plaignante a porté plainte à l’encontre de Mme A pour concurrence déloyale. Mme B expose les faits comme suit.
Depuis de nombreuses années, Mme A et Mme B délivraient des médicaments aux patients résidant à l’établissement d’hébergement des personnes âgées (EHPAD) « S », à …. En juillet 2010, le groupe X a racheté cet établissement. Dans le cadre d’un entretien au mois de décembre 2010, la nouvelle directrice de la structure aurait informé Mme B de la mise en place d’un nouveau dispositif pour la fourniture des médicaments :
- le pharmacien doit préparer les doses à administrer sous blister à usage unique pour le mois ;
- le pharmacien doit utiliser le logiciel informatique MEDISSIMO imposé par le groupe X ;
- Le pharmacien est tenu d’offrir à l’établissement quatre chariots de services pour un montant de 6759 € hors taxes ;
En contrepartie, le pharmacien obtiendrait l’exclusivité de la délivrance de médicaments.
La plaignante relève le non respect du libre choix du pharmacien par le patient ; en outre, l’illégalité de ce procédé serait masquée par l’envoi d’une lettre à faire signer par les familles demandant de changer de fournisseur. Elle ajoute qu’une pression est exercée sur les patients dans la mesure où les familles qui n’adhéreraient pas à ce nouveau dispositif devraient « se débrouiller » seules pour se procurer les médicaments. Choquée par un tel dispositif, elle indique avoir averti Mme A. Mme B ajoute qu’en avril 2011, le groupe X a lancé un appel d’offres aux termes duquel il aurait présenté le contrat de collaboration avec l’EHPAD « S », comme étant une amélioration de la qualité de dispensation de médicaments aux patients. Elle estime en réalité qu’il s’agit d’une astuce pour réaliser une économie substantielle en frais salariaux. Les médecins ayant reçu cette convention auraient refusé d’y adhérer après s’être entretenus avec le conseil de l’Ordre des médecins. Mme B considère qu’en acceptant de signer la convention, Mme A a commis un acte de concurrence déloyale puisque l’entente entre l’EHPAD et sa pharmacie crée une exclusivité sur la patientèle et que la divulgation d’informations détaillées et régulières sur les traitements administrés aux patients (qualitatif, quantitatif, coût) est contraire au secret professionnel.
La plaignante estime ainsi que le comportement de Mme A est contraire aux dispositions des articles R.4235-5, R.4235-18, R. 4235-21, R.4235-22 du code de la santé publique.
II – PREMIERE INSTANCE :
Le rapport de première instance, en date du 21 décembre 2011, figure en ANNEXE II.
Dans sa séance du 25 octobre 2012, le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de MidiPyrénées a décidé de traduire Mme A en chambre de discipline (ANNEXE III).
Par un mémoire enregistré au greffe du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de MidiPyrénées le 17 juin 2013 (ANNEXE IV), Mme B maintient les doléances formulées dans sa ___________________________________________________________________________
Ordre national des pharmaciens plainte. Elle estime que la convention passée par Mme A avec l’EHPAD empêche le libre choix du pharmacien par le patient, dans la mesure où le contrat a pour objet la préparation individualisée et la livraison en chariots des médicaments à l’ensemble des résidents. Mme B réagit aux propos de Mme A relatifs aux relations commerciales particulières qui auraient lié la plaignante avec l’établissement de santé « O ». Mme B précise y avoir exercé en qualité de pharmacien gérant d’une pharmacie à usage intérieur, de 1984 à 2001 ; elle ajoute qu’aucun accord n’avait été conclu avec son officine, puisque le pharmacien gérant commande directement les produits auprès des laboratoires. Mme B indique que depuis son installation, Mme A a contacté les professionnels de santé (médecin, kinésithérapeute, …) afin de les inciter à lui adresser leur clientèle ; en contrepartie, Mme A leur aurait proposé « certains avantages » prenant la forme de loisirs. La plaignante estime qu’un tel comportement est contraire à la dignité de la profession. Mme B estime que la saisie de données confidentielles sur le logiciel MEDISSIMO, telles que les ordonnances des patients, a conduit Mme A à violer son obligation de respect du secret professionnel, au détriment du patient. Mme B considère que Mme A s’est soumise à des contraintes financières, commerciales et techniques. La convention stipulerait que le pharmacien assume seul le coût de la mise en place du système MEDISSMO, qui ne présente pourtant, d’après la plaignante, aucun intérêt pour un pharmacien libéral qui dispose de logiciels bien plus adaptés à son activité ; les chariots présentés dans la convention comme un « prêt » à l’EHPAD seraient en réalité, selon Mme B, offerts puisqu’un pharmacien d’officine n’en a aucune utilité dans le cadre de son exercice professionnel. Mme A se serait par ailleurs placée en situation de faiblesse vis-à-vis de l’EHPAD qui aurait imposé ses conditions de tarification. Mme B estime enfin que la préparation de doses à administrer suscite des contraintes techniques et légales. Il convient de mettre en place un dispositif qui garantit notamment les conditions d’hygiène, la traçabilité des lots de médicaments, les dates de péremption. Mme B s’interroge sur la responsabilité de chaque intervenant (infirmier, pharmacien) en cas d’erreur dans l’administration des traitements médicaux.
Elle soutient également qu’en agissant ainsi, Mme A s’est assuré un chiffre d’affaires régulier au détriment de ses confrères. Mme A ne saurait, selon la plaignante, se soustraire à ses obligations en invoquant des difficultés financières, dans la mesure où des travaux d’aménagement auraient été réalisés à son officine.
Par un mémoire enregistré comme ci-dessus le 24 juin 2013 (ANNEXE V), Mme A indique que les résidents peuvent accepter ou non le système de dispensation des médicaments ; ils conserveraient le libre choix du pharmacien. Elle verse au débat les demandes d’accord signées par les patients intéressés.
Elle ajoute que la saisie des données informatiques sur le logiciel ne donne pas lieu à une violation du secret professionnel puisque les bons de délivrance sont fournis à chaque livraison hebdomadaire à l’infirmier référent de l’EHPAD et resteraient dans le circuit du personnel médical. Mme A indique que seuls les médecins et les infirmières accèdent aux renseignements médicaux, via des mots de passe spécifiques. Elle ajoute qu’à ce jour, la direction de l’établissement n’a jamais demandé les données statistiques sur les patients et que le coût des traitements médicamenteux et dépenses afférentes ne l’intéresse pas. Mme A précise que la contrainte financière dont fait mention la plaignante est directement imputable à la traçabilité et à la sécurité du système : le logiciel permettrait une saisie des traitements de façon très précise, les chariots seraient en outre la propriété de l’officine. Mme A indique qu’en tout état de cause, son activité nécessite de plus en plus d’investissements dans le matériel informatique et dans « divers consommables ». Elle précise n’avoir supporté aucune contrainte commerciale ; les conditions de tarification ne lui auraient pas été imposées. Mme A estime déplacée cette façon de mettre en doute le sérieux de son travail. Elle précise que ___________________________________________________________________________
Ordre national des pharmaciens Mme B qui adhérait également à ce système lors du changement de direction, n’a pas répondu à l’appel d’offres. Mme A réfute avoir méconnu ses obligations déontologiques.
Lors de l’audience du 28 juin 2013, la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Midi-Pyrénées a prononcé à l’encontre de Mme A la sanction de l’interdiction d’exercer la pharmacie pendant une durée d’un mois (ANNEXE VI).
III – APPEL :
Cette décision a été notifiée à Mme A le 13 juillet 2013. Celle-ci en a interjeté appel et sa requête, tenant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que ceux précédemment développés, a été enregistrée le 29 juillet 2013 au greffe du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (ANNEXE VII). La requérante demande à la chambre de discipline du Conseil national d’annuler la décision rendue en première instance et de condamner Mme B aux dépens et au paiement de la somme de 4000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative. Mme A soutient que la décision rendue par la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Midi-Pyrénées est entachée d’irrégularité en ce qu’elle n’a pas suffisamment motivé le manquement tiré de la violation de l’indépendance professionnelle prévue à l’article R.4235-18 du code de la santé publique. Estimant que les manquements qui lui sont reprochés ne sont pas caractérisés, Mme A rappelle l’objet de la convention conclue avec l’EHPAD rédigé comme suit : « Cette convention constitue un acte de coopération à caractère non-onéreux passé dans l’intérêt des résidents. Elle ne suppose, ni implique, le versement d’un quelconque prix ou rémunération. (…) La convention organise ces rapports dans les limites de compétences légales des parties, dans le respect du libre choix et de la dignité du résident, ainsi que dans le respect de l’indépendance professionnelle du pharmacien. Elle est conclue dans le respect du code de déontologie des pharmaciens ». Mme A indique que la simple utilisation et fourniture d’un matériel informatique « MEDISSIMO » ne caractérise pas en soi une atteinte au libre choix du pharmacien par la clientèle. N’ayant pas engagé de frais « très onéreux », elle estime ne pas avoir aliéné son indépendance professionnelle. Le fait d’informer les résidents de l’existence d’une convention conclue avec une officine ne contraint pas, selon Mme A, ces derniers à y adhérer. S’agissant de la transmission de données statistiques sur les patients, Mme A réfute une quelconque violation du secret professionnel dans la mesure où ces données ne relèvent pas du domaine médical. Mme A estime que Mme B n’apporte pas la preuve d’une contrainte financière, commerciale ou morale qui porterait atteinte à son indépendance professionnelle.
Par un mémoire en réponse enregistré comme ci-dessus le 18 septembre 2013 (ANNEXE
VIII), tenant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que ceux précédemment développés, Mme B souhaite voir la décision de première instance confirmée. Elle sollicite également que Mme A soit condamnée aux entiers dépens et au paiement de la somme de 3000 € par application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative. Mme B indique derechef que la personne qui intègre l’EHPAD n’est pas libre de choisir son pharmacien puisqu’il est prévu que le résident qui s’oppose à un tel partenariat serait contraint de trouver une autre solution pour acheter ses médicaments. Elle ajoute que l’ensemble des résidents a signé les demandes d’accord. Elle considère que l’utilisation de logiciel risque de constituer une méconnaissance du secret professionnel. Mme B soutient également qu’en contractant avec l’EHPAD, Mme A s’est soumise à une « obligation principale essentielle » ;
cette activité représenterait une charge de travail supplémentaire et une charge financière beaucoup plus importante que Mme A voudrait le faire croire. Mme B ajoute que le travail accompli dans ce cadre par le pharmacien met l’infirmière qui administre les prescriptions médicales dans l’incapacité de vérifier si le médicament délivré au patient est conforme à la prescription. Elle indique enfin avoir subi un préjudice « considérable » ; elle aurait perdu ___________________________________________________________________________
Ordre national des pharmaciens toute la clientèle de l’EHPAD et ainsi supporté une baisse de chiffre d’affaires de l’ordre de 10 %. Mme B estime que la concurrence déloyale est caractérisée et particulièrement avérée.
J’ai reçu le 12 juin 2014 Mme A, assistée de son conseil, au siège du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (ANNEXE IX). Elle déclare maintenir ses précédentes écritures.
Par un mémoire enregistré comme ci-dessus le 19 juin 2014 (ANNEXE X), tenant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que ceux précédemment développés, Mme A soutient que la décision rendue par la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Midi-Pyrénées est entachée d’irrégularité pour absence d’intérêt à agir de Mme B, en application du principe « nul ne plaide par procureur ». En outre, Mme A relève qu’en l’absence d’appel incident, sa requête en appel « fixe le limites des débats en cause d’appel, de sorte que tout autre moyen tiré de la violation d’un grief supplémentaire ne saurait être retenu ». Elle estime que les principes prévus aux articles R.4235-3, R.4235-5, R.4235-18 et
R.4235-21 du code de la santé publique, « sans lien avec Mme B », ne peuvent être invoqués que par l’institution ordinale et non par la plaignante. Mme A soutient qu’en l’absence de poursuite du président du conseil régional de l’ordre des pharmaciens de Midi-Pyrénées et devant l’absence d’intérêt à agir de Mme B des chefs tirés des articles précités, la décision rendue en première instance manque de fondement et de base légale. Mme A rappelle en outre que la procédure est écrite, de sorte, que la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Midi-Pyrénées ne pouvait retenir des arguments oraux, « qui plus est non-corroborés et/ou étayés ». Mme A verse aux débats des attestations de l’EHPAD qui prouveraient qu’elle n’a pas manqué à son indépendance professionnelle.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il vous appartient de dire la suite devant être réservée à l’appel formé par Mme A dans cette affaire.
Le 20 juin 2014 M. R
Signé ___________________________________________________________________________
Ordre national des pharmaciens Affaire Mme A
Document 2004-R
Rapporteur : M. R (Rapport complémentaire)
Un mémoire complémentaire de Mme B, tenant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que ceux précédemment développés, a été enregistré au greffe du Conseil national le 26 juin 2014 (ANNEXE A). La plaignante soutient que le principe du contradictoire n’a pas été respecté puisqu’elle ne dispose que de quelques jours pour répondre au mémoire de Mme A déposé le 19 juin 2014. Elle demande à la chambre de discipline du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens d’écarter des débats ces dernières écritures, en application de l’article 16 du code de procédure civile. Mme B tient à rappeler que le conseil de l’Ordre des pharmaciens n’a jamais approuvé la convention signée par Mme A.
La plaignante réfute le défaut de motivation de la décision rendue par la juridiction de première instance, allégué par Mme A. Elle indique que la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Midi-Pyrénées s’est fondée sur des écritures et des pièces contradictoires régulièrement communiquées, ainsi que sur les procès-verbaux d’audition des deux parties. Elle précise à ce propos ne jamais avoir été convoquée pour être auditionnée dans le cadre de la procédure en appel. Mme B rappelle que tout manquement déontologique ou toute faute professionnelle peut faire l’objet d’une plainte disciplinaire et ajoute que le procureur de la république, les représentants de la profession, les pharmaciens et les patients ont la faculté de déposer plainte contre un pharmacien devant l’instance ordinale compétente. Mme B estime que son intérêt à agir est « évident », contrairement à ce que soutient Mme A ; elle indique derechef avoir subi un grave préjudice dans la mesure où elle a perdu toute la clientèle de l’EHPAD ; elle verse aux débats la liste des résidents de l’établissement qui se fournissaient auprès de sa pharmacie avant la signature de la convention. Pour autant, elle aurait réussi à ne pas licencier du personnel. Elle ajoute que le détournement de clientèle est récurrent dès lors que l’un de ses clients est accueilli en EHPAD. Mme B précise avoir subi une baisse de chiffre d’affaires et par conséquent une perte de bénéfices considérable, les comptes annuels de sa pharmacie pour l’exercice du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010 et celui du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012 sont joints au dossier. Elle estime que la concurrence déloyale est « caractérisée et particulièrement avérée » et que la sanction prononcée par la juridiction de première instance à l’encontre de sa consœur se justifie compte tenu de la nature et de la gravité des faits litigieux. Mme B se réserve la possibilité de déposer une requête devant le tribunal administratif afin d’obtenir « de justes » dommages et intérêts.

Le 27 juin 2014 M. R
Signé ___________________________________________________________________________
Ordre national des pharmaciens

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