Tribunal administratif de Grenoble, 18 novembre 2011, n° 0700235

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Grenoble, 18 nov. 2011, n° 0700235
Juridiction : Tribunal administratif de Grenoble
Numéro : 0700235
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Bordeaux, 26 mars 2007

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE GRENOBLE

N° 0700235

___________

Mme Z X

___________

M. Boucher

Président-rapporteur

___________

Mme Cottier

Rapporteur public

___________

Audience du 17 octobre 2011

Lecture du 18 novembre 2011

___________

60-01-03

60-04-01

60-04-04

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif de Grenoble

(3e chambre)

Vu la requête enregistrée le 15 janvier 2007, présentée pour Mme Z X, domiciliée résidence les oliviers, bât. A3, XXX à XXX, par Me Avi Bitton ; Mme X demande au tribunal :

1°) de condamner in solidum l’Etat et la société nationale des chemins de fer français (SNCF) à lui verser la somme de 600 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la réclamation préalable et de leur capitalisation, en réparation de préjudices résultant d’agissements fautifs de l’Etat et de la SNCF en lien avec l’arrestation de ses grands-parents par la Gestapo le 27 mars 1944 à Voiron, leur internement et leur transport vers les camps d’internement de Grenoble et de Drancy puis leur déportation vers le camp d’extermination d’Auschwitz d’où ils ne sont pas revenus ;

2°) de condamner l’Etat et la SNCF à lui verser, chacun, une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que la juridiction administrative est compétente pour connaître de dommages causés par un organisme de droit privé dans l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées pour l’exécution de sa mission de service public ; que le gouvernement de Vichy a commis des fautes de service de nature à engager la responsabilité délictuelle de l’Etat en adoptant des lois antisémites et en les faisant mettre en œuvre, puis en se livrant à divers agissements ayant permis l’arrestation, le transport et l’internement dans des camps de concentration et d’extermination étrangers des victimes de la déportation ; que la SNCF a joué un rôle direct et déterminant dans le processus d’internement et de déportation des victimes, dans des conditions permettant de caractériser des fautes de service de nature à engager sa responsabilité délictuelle ; qu’il ressort notamment de témoignages et certificats médicaux que les fautes du gouvernement de Vichy et de la SNCF sont directement à l’origine des préjudices subis ;

Vu les réclamations préalables ;

Vu le mémoire enregistré le 19 mai 2007, présenté pour la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), par la société d’avocats Gide-Loyrette- Nouel ; la SNCF demande à être autorisée à ne déposer son mémoire en défense qu’après l’intervention de la décision du Conseil d’Etat sur le pourvoi formé par les consorts Y contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 27 mars 2007 ;

Vu le mémoire, enregistré le 1er février 2008, présenté par le ministre de la défense qui conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir que la requérante n’est pas fondée à demander une indemnisation en sa qualité d’héritière de grands-parents déportés, le droit à réparation de ces derniers étant entré dans son patrimoine dans la mesure où il n’est pas établi qu’elle n’aurait pas bénéficié de l’indemnisation résultant de l’accord du 15 juillet 1960 conclu entre la République française et la République fédérale d’Allemagne ; que la créance sur l’Etat dont se prévaut la requérante est née au plus tard en 1945, date à laquelle elle avait connaissance du décès de ses grands- parents, et que cette créance est ainsi prescrite en application, soit de la loi du 29 janvier 1831 portant règlement du budget définitif de l’exercice 1828 et des dispositions sur la déchéance des créanciers de l’Etat, soit, à titre subsidiaire, de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 mai 2009, présenté par le ministre de la défense, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire ; il fait état d’un avis de Conseil d’Etat du n° 315499 16 février 2009 portant sur l’ensemble des questions de droit soulevées par la requête de Mme X ;

Vu le courrier du 4 octobre 2011 indiquant aux parties que le tribunal est susceptible de soulever d’office l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions dirigées contre la SNCF ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg du 8 août 1945 et le protocole signé à Berlin le 6 octobre 1945 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble son premier protocole additionnel ;

Vu l’accord du 15 juillet 1960 entre la République française et la République fédérale d’Allemagne au sujet de l’indemnisation des ressortissants français ayant été l’objet de mesures de persécution nationales-socialistes ;

Vu l’accord du 18 janvier 2001 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique relatif à l’indemnisation de certaines spoliations intervenues pendant la seconde guerre mondiale (ensemble trois annexes et un échange de notes), ainsi que les accords sous forme d’échanges de lettres en date des 7 et 10 août 2001, 30 et 31 mai 2002, 2 février 2005 et 21 février 2006 qui l’ont interprété ou modifié ;

Vu le code civil ;

Vu le code pénal ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le décret-loi du 31 août 1937, portant réorganisation du régime des chemins de fer ;

Vu l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle, ensemble les ordonnances du 14 novembre 1944, 21 avril 1945 et 9 juin 1945 prises pour son application ;

Vu l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental ;

Vu l’ordonnance du 16 octobre 1944 relative à la restitution par l’administration des domaines de certains biens mis sous séquestre ;

Vu l’ordonnance du 20 avril 1945 relative à la tutelle des enfants de déportés ;

Vu l’ordonnance n° 45-948 du 11 mai 1945 modifiée par l’ordonnance n° 45-2413 du 18 octobre 1945, réglant la situation des prisonniers de guerre, déportés politiques et travailleurs non volontaires rapatriés, ensemble ses décrets d’application n° 45-1105 du 30 mai 1945, n° 45-1447 du 29 juin 1945 et n° 46-1242 du 27 mai 1946 ;

Vu la loi n° 46-1117 du 20 mai 1946 portant remise en vigueur, modification et extension de la loi du 24 juin 1919 sur les réparations à accorder aux victimes civiles de guerre, ensemble son décret d’application n° 47-1249 du 7 juillet 1947 ;

Vu la loi n° 48-978 du 16 juin 1948 portant aménagements fiscaux, notamment son article 44 ;

Vu la loi n° 48-1404 du 9 septembre 1948 définissant le statut et les droits des déportés et internés politiques, ensemble son décret d’application n° 50-325 du 1er mars 1950 ;

Vu la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité ;

Vu la loi n° 97-1269 du 30 décembre 1997 portant loi de finances pour 1998, notamment son article 106 ;

Vu la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 portant loi de finances pour 2000, notamment son article 112 ;

Vu le décret n° 61-971 du 29 août 1961 portant répartition de l’indemnité prévue en application de l’accord conclu le 15 juillet 1960 entre la République française et la République fédérale d’Allemagne, en faveur des ressortissants français ayant été l’objet de mesures de persécutions nationales-socialistes ;

Vu le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant une Commission pour l’indemnisation des victimes des spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation ;

Vu le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites ;

Vu le décret du 26 décembre 2000 portant reconnaissance d’une fondation comme établissement d’utilité publique ;

Vu l’avis du 16 février 2009 par lequel le Conseil d’Etat s’est prononcé, au titre des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative et à la demande du tribunal administratif de Paris, sur les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’Etat peut être engagée du fait de la déportation de personnes victimes de persécutions antisémites durant la seconde guerre mondiale et sur le régime de la réparation des dommages qui en ont résulté ;

Vu la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section) du 24 novembre 2009, n° 49637 et s., rendue dans les affaires J.H et autres c/ France ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 17 octobre 2011 :

— le rapport de M. Boucher, président ;

— les conclusions de Mme Cottier, rapporteur public ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la SNCF :

Considérant que le juge administratif n’est compétent pour connaître de conclusions tendant à mettre en jeu la responsabilité pour faute d’une personne morale de droit privé que si le dommage se rattache à l’exercice par cette personne morale de prérogatives de puissance publique qui lui ont été conférées pour l’exécution de la mission de service public dont elle a été investie ;

Considérant qu’à l’époque des faits, la SNCF était une société d’économie mixte exploitant le service public industriel et commercial des transports ferroviaires dans le cadre de la convention approuvée par le décret-loi du 31 août 1937, placée à la disposition des autorités allemandes entre 1940 et 1944 et chargée par les autorités de l’Etat, qui organisaient, à la demande et sous l’autorité des forces d’occupation, la déportation des personnes d’origine juive, d’assurer le transport de ces dernières depuis les gares proches des centres de détention administrative jusqu’aux gares desservant les camps de transit à partir desquels elle devaient être transférées vers les camps de concentration ; que chaque opération de transport était réalisée par la SNCF sur demande de « mise à disposition » ou sur « réquisition » émanant d’une autorité administrative de l’Etat, moyennant le versement d’un prix déterminé en fonction du trajet parcouru et du nombre de personnes transportées ; que ces transports n’avaient pas donné lieu à la conclusion par la SNCF d’une convention spéciale les organisant dans leur ensemble ; que les conditions dans lesquelles les transports devaient être réalisés, notamment la détermination de la composition des trains, du type de wagons utilisés, de leur aménagement intérieur et de leur dispositif de fermeture, de même que le nombre des victimes transportées et les modalités de leur traitement, étaient fixées par l’occupant et mises en œuvre par les autorités de l’Etat ; qu’enfin, les représentants allemands exerçaient le commandement et la surveillance armée des convois avec, parfois, le concours des forces de sécurité publique ; qu’ainsi, la SNCF qui n’a disposé d’aucune autonomie dans l’organisation des transports requis, ne pouvait être regardée comme ayant, pour l’exécution de ces transports, agi dans l’exercice de prérogatives de puissance publique ; que, dès lors, la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître des demandes de Mme X tendant à l’indemnisation par cette société de préjudices nés des conditions dans lesquelles ses grands-parents ont été déportés ;

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l’Etat :

Considérant que si la responsabilité de l’Etat est engagée au titre des dommages causés par des agissements fautifs qui, ne résultant pas d’une contrainte directe de l’occupant, ont permis ou facilité la déportation à partir de la France de personnes victimes de persécutions antisémites vers des camps dans lesquels la plupart d’entre elles ont été exterminées, une série de mesures, telles que pensions, indemnités, aides ou mesures de réparation, ont été prises par l’Etat dans le cadre des accords internationaux et dispositions législatives ou réglementaires susvisés, pour compenser les préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la déportation et par leurs ayants droit ; qu’en outre, la réparation des souffrances exceptionnelles endurées par les personnes victimes des persécutions antisémites ne pouvant se limiter à une seule indemnisation financière, l’Etat a pris diverses mesures solennelles tant normatives que politiques visant à reconnaître son rôle dans la déportation de ces personnes ; que, prises dans leur ensemble et bien qu’elles aient procédé d’une démarche très graduelle et présenté un caractère largement forfaitaire, ces mesures, comparables, tant par leur nature que par leur montant, à celles adoptées par les autres Etats européens dont les autorités ont commis de semblables agissements, doivent être regardées comme ayant permis, autant qu’il a été possible, l’indemnisation, dans le respect des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des préjudices de toute nature causés par les actions de l’Etat qui ont concouru à la déportation ; que, par suite, le préjudice subi par la requérante à raison de la mort en déportation de membres de sa famille a, en tout état de cause, été intégralement réparé par l’ensemble de ces mesures, tant générales que particulières ; qu’il résulte de ce qui précède que les demandes indemnitaires de Mme X dirigées contre l’Etat doivent également être rejetées ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que l’Etat et la SNCF n’étant, dans la présente instance, ni des parties perdantes, ni des parties tenue aux dépens, ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme quelconque soit mise à leur charge au titre des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les conclusions de la requête de Mme X dirigées contre la SNCF sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme Z X, au ministre de la défense et des anciens combattants et à la société nationale des chemins de fer français.

Délibéré après l’audience du 17 octobre 2011, à laquelle siégeaient :

M. Boucher, président ;

Mme Kohler, conseiller ;

Mme Beytout, conseiller ;

Lu en audience publique le 18 novembre 2011.

Le président-rapporteur, L’assesseur le plus ancien

dans l’ordre du tableau,

Y. Boucher J. Kohler

Le greffier,

J. Bonino

La République mande et ordonne au ministre de la défense et des anciens combattants en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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