Tribunal administratif de Montreuil, 17 décembre 2020, n° 1907583

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Montreuil, 17 déc. 2020, n° 1907583
Juridiction : Tribunal administratif de Montreuil
Numéro : 1907583

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTREUIL

N°1907583 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

Société STMICROELECTRONICS GRAND OUEST AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS ___________
M. Iss Rapporteur Le Tribunal administratif de Montreuil ___________ (1ère chambre) M. Noël Rapporteur public ___________

Audience du 3 décembre 2020 Décision du 17 décembre 2020 ___________

19-03-045-03-02

D

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 juillet 2019 et le 9 avril 2020, la société STMIcroelectronics Grand Ouest, représentée par Me Bazaille, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge d’un montant de 440 150 euros de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de ses taxes additionnelles en droits, majorations et intérêts pour les exercices clos en 2012 et 2013, dont 314 532 au titre de l’année 2012 et 125 618 au titre de l’année 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- dans la proposition de rectification du 15 décembre 2015 qui lui a été adressée, il n’est pas fait mention de l’utilisation d’un panel d’entreprises comparables, sur lequel l’administration se fonde pourtant dans ses écritures, de sorte que cette proposition de rectification est insuffisamment motivée au regard de l’article L. 57 du livre des procédures fiscales, ce qui constitue une irrégularité qui l’a privée d’un recours effectif auprès de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires et qui présente un caractère substantiel au sens de l’article L. 80 CA du même livre ;



N°1907583 2

- les conditions de l’article 57 du code général des impôts ne sont pas remplies dès lors que le service vérificateur, qui n’a pas fait usage d’exemples comparables, n’a pas apporté la preuve qui lui incombe qu’il existerait un écart injustifié avec entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu ;

- la déduction de subsides dont la société a bénéficié ne constitue pas un transfert de bénéfices, indépendamment de dispositions contractuelles liant le prestataire de recherche & développement à son client ;

- à titre subsidiaire, en ce qui concerne l’assiette de la rémunération, d’une part, la notion de pleine concurrence, comme le confirment les commentaires de l’OCDE et de l’association nationale pour la recherche et la technologie, de même que les principes comptables ainsi que la finalité des subventions et du crédit d’impôt recherche, qui est d’accroitre la compétitivité des entreprises, permettent de déduire le montant de ces aides du prix de revient des prestations de recherche, d’autre part, la méthode de calcul appliquée par le vérificateur est anormale compte tenu du taux de marge auquel elle aboutit ;

- l’administration ne rapporte pas la preuve, par la méthode par comparaison qu’elle invoque dans ses écritures, de l’existence d’un avantage accordé à sa société mère, dès lors qu’elle se fonde sur un panel d’entreprises qui n’est pas pertinent et sur un calcul de rentabilité qui est erroné.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2020, le ministre de l’économie, des finances et de la relance (direction des vérifications nationales et internationales) conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- c’est à bon droit que la commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaire n’a pas été saisie, le litige portant sur une question de droit d’ordre général échappant à la compétence de celle-ci, et que donc aucune irrégularité de procédure n’est constituée en l’espèce ;

- l’existence d’un transfert de bénéfice est constituée, de par l’existence d’un lien de dépendance et les sociétés Sponsor et la société STMIcroelectronics Grand Ouest, l’existence d’un transfert indirect de bénéfices ;

- l’étude d’exemples comparables à laquelle a procédé l’administration, ainsi qu’il lui appartient de le faire, révèle que les marges de la société requérante sont toujours négatives, contrairement à celles des entreprises comparables et que cette situation résulte de la minoration du coût de leurs prestations par l’imputation des aides en matière de recherche, qui les prive d’une rémunération de pleine concurrence et entraine un transfert indirect de bénéfices au profit de la société ST Microelectronics NV.

Par ordonnance du 24 mars 2020 la clôture d’instruction a été fixée au 29 mai 2020.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Iss, premier conseiller,

- les conclusions de M. Noël, rapporteur public.



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Considérant ce qui suit :

1. La société STMicroelectronics Grand Ouest, qui exerce principalement une activité de recherche et de développement dans le domaine des technologies liées aux semi-conducteurs, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre de la période allant du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013. A l’issue de cette procédure, estimant que cette société avait indirectement transféré, en exécution d’un contrat cadre dit de « sponsored design contract », des bénéfices à une entreprise située hors de France, la société Microelectronics NV, société de droit néerlandais implantée en Suisse, sous la dépendance de laquelle elle était placée, l’administration a, sur le fondement de l’article 57 du code général des impôts, procédé à la réintégration dans ses résultats des exercices clos en 2012 et 2013 des sommes regardées comme des bénéfices indirectement transférés ; elle a déterminé notamment, pour ces exercices, des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle ainsi que des intérêts et frais de gestion correspondants par une proposition de rectification du 15 décembre 2015. Ces rappels de cotisations ont été mis en recouvrement le 15 juin 2018 pour un montant total de 440 150 euros. La société requérante a contesté ces rappels par une réclamation en date du 3 août 2018 qui a fait l’objet d’une décision de rejet le 14 mai 2019. Par la présente requête, la société STMicroelectronics Grand Ouest demande donc la décharge des impositions contestées à hauteur de 440 150 euros.

Sur les conclusions à fins de décharge :

2. Aux termes de l’article 57 du code général des impôts, applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu du I de l’article 209 de ce code : « Pour l’établissement de l’impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l’égard des entreprises qui sont sous la dépendance d’une entreprise ou d’un groupe possédant également le contrôle d’entreprises situées hors de France. (…) / A défaut d’éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement. ».

3. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu’elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c’est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l’administration doit être regardée comme établissant l’existence d’un avantage qu’elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l’entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes. A défaut d’avoir procédé à une telle comparaison, le service n’est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu’une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

4. Pour estimer que la société requérante avait procédé à un transfert indirect de bénéfices au profit de la société ST Microelectronics NV, sous la dépendance de laquelle elle était placée, le vérificateur s’est fondé sur la circonstance que le prix de vente des prestations facturées à cette société avait été déterminé en fonction de leur prix de revient, net des crédits d’impôt et subventions en matière de recherche qui leur ont été accordés. Toutefois, la déduction, opérée par une société française, pour la détermination du prix de cession du produit de sa recherche à facturer à une société étrangère qui lui est liée en application d’un contrat prévoyant



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une rémunération du type de celle prévue par le « sponsored design contract », mentionné au point 1, des subventions qu’elle avait reçues de l’Etat pour le financement des projets correspondants, ne saurait être considérée comme permettant, par elle-même et indépendamment du niveau du prix de cession auquel cette déduction conduit par application du mode de calcul contractuel, de présumer l’existence d’un transfert de bénéfices à l’étranger, au sens de l’article 57 du code général des impôts, à charge pour la société française d’établir l’existence d’une contrepartie

5. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance fait valoir dans ses écritures, que les impositions en litige sont légalement justifiées dès lors que les marges de cette société sont toujours négatives, à la différence de celles issues d’un panel d’entreprises comparables, ce dont il résulte qu’elle ne reçoit pas une rémunération correspondant à une situation de pleine concurrence, sans que la minoration de prix accordée à la société ST Microelectronics NV soit assortie d’une contrepartie. A supposer que le panel produit pour la première fois dans le mémoire en défense soit recevable à ce stade de la procédure, il résulte toutefois de l’instruction qu’une mention manuscrite de l’annexe 2 du mémoire en défense de l’administration indique que les entreprises sélectionnées pour constituer le panel de sociétés comparables sont agréées au crédit d’impôt recherche, permettant au donneur d’ordre de bénéficier directement dudit crédit en lieu et place de l’entreprise effectuant les opérations de recherches, contrairement au modèle économique de la société. Dès lors que l’administration conteste le transfert par la société requérante au donneur d’ordre du bénéfice du crédit d’impôt recherche ou des subventions, un tel biais méthodologique n’est pas de nature à considérer le panel comme pertinent. Ainsi, à défaut d’avoir présenté des termes permettant de comparer valablement les prix facturés par ces sociétés et ceux pratiqués entre entreprises indépendantes ou de proposer une autre méthode alternative pouvant se substituer à cette comparaison, le vérificateur n’a pas apporté la preuve que les sommes réintégrées dans les résultats de ces sociétés constituaient des bénéfices indûment transférés à l’étranger au sens et pour l’application de l’article 57 du code général des impôts. Dès lors, les impositions mises à la charge de la société STMicroelectronics Grand Ouest ne sont pas légalement fondées.

6. Il résulte de ce qui précède que la société STMicroelectronics Grand Ouest est fondée à obtenir la décharge des impositions en litige, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société STMicroelectronics Grand Ouest et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La société STMicroelectronics Grand Ouest est déchargée des suppléments de cotisation à l’impôt sur les sociétés ainsi que de contribution sociale et de contribution exceptionnelle sur cet impôt et des pénalités correspondantes, qui lui ont été assignés au titre des exercices clos en 2012 et 2013, à hauteur de 314 532 euros au titre de l’année 2012 et 125 618 euros au titre de l’année 2013.



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Article 2 : L’Etat versera à la société STMicroelectronics Grand Ouest la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : En application des dispositions de l’article 6 du décret 2020-1406 du 18 novembre 2020 pris en application de l’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, le présent jugement sera notifié à Me Bazaille, conseil de la société STMicroelectronics Grand Ouest et au ministre de ministre de l’économie, des finances et de la relance (direction des vérifications nationales et internationales).

Délibéré après l’audience du 3 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Gosselin, président,

- M. Quenette, premier conseiller,

- M. Iss, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020.

Le rapporteur, Le président,

Signé Signé

A. Iss C. Gosselin

Le greffier,

Signé

A. Mambo

La République mande et ordonne au ministre de l’économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Tribunal administratif de Montreuil, 17 décembre 2020, n° 1907583