Tribunal administratif de Paris, 16 mars 2015, n° 1504065

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 14 novembre 2019

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Sur la décision

Référence :
TA Paris, 16 mars 2015, n° 1504065
Juridiction : Tribunal administratif de Paris
Numéro : 1504065

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

N°154065/9/1

___________

M. E et autres

___________

M. D

Juge des référés

___________

Ordonnance du 16 mars 2015

__________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le juge des référés

Vu la requête, enregistrée le 14 mars 2015, présentée par M. L E, demeurant XXX à XXX, Mme F G, demeurant XXX à XXX, Mme J K, demeurant XXX à XXX, Mme P Q, demeurant XXX à XXX,

M. N O, demeurant XXX à XXX, M. H I Corréa, demeurant 22 avenue de Saint-Ouen à XXX ; les requérants demandent au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner au préfet de police, au président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne et au recteur de l’académie de Paris de les laisser exposer leurs œuvres à la galerie R S de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne ;

Ils soutiennent que :

— la fermeture de l’exposition à l’origine du litige porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion, à la liberté d’expression, à la liberté d’opinion et de communication des idées et opinions ;

— cette mesure disproportionnée, dès lors qu’elle touche l’ensemble des œuvres exposées alors que deux d’entre elles seulement avaient un contenu en rapport avec l’islam, n’est en l’espèce pas justifiée par une menace de trouble à l’ordre public suffisamment caractérisée et à laquelle l’autorité de police n’aurait pas pu faire face ;

— l’urgence commande de laisser l’exposition se tenir car la galerie où elle doit se dérouler est retenue à partir du 23 mars 2015 et ils ne pourront pas y exposer leurs œuvres avant la fin de leur scolarité au mois de juin, ce qui a pour conséquence de leur faire perdre une chance d’être choisis pour participer l’exposition individuelle organisée en faveur du lauréat du prix R S ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2015 à 9 h 15, présenté par le préfet de police, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient qu’aucune des conditions exigées par l’article L. 521-1 du code de justice administrative n’est remplie ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 mars 2015 à 16 h19, présenté par l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision par laquelle le président du tribunal a désigné M. D,

vice-président de section, pour statuer sur les demandes de référé ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir, au cours de l’audience publique du 16 mars 2015 à 10 h, donné lecture de son rapport, entendu les observations de M. L E, de Mme F G, de Mme P Q, ainsi que de M. B, représentant le préfet de police, de Mme Z, représentant le président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, et demandé des éclaircissements à M. Y, co-responsable de la galerie R S de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne ;

L’audience ayant été tenue en présence de Mme X, greffier ;

Après avoir prononcé, à l’issue de l’audience, la clôture de l’instruction ;

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, des observations faites par les parties lors de l’audience publique et des éclaircissements apportés en réponse aux questions du juge des référés, que, dans le cadre de l’attribution du prix S, une exposition d’une vingtaine d’œuvres de six étudiants des masters 2 « Arts Plastiques » de l’université

Paris 1-Panthéon Sorbonne devait être ouverte au public du 11 au 20 mars 2015, après un vernissage le 10 mars à partir de 17 h , à la galerie R S, située dans les locaux d’une UFR de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne ; qu’alors que le contenu de l’exposition avait été préalablement approuvé par le président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, qui n’ignorait pas la présence de deux œuvres de Mme F G incluant des éléments ayant un rapport avec l’islam, cette autorité a finalement décidé d’annuler le vernissage et de différer l’exposition ; que toutes les œuvres des six étudiants ont été retirées de la galerie le 10 mars 2015, sous le contrôle de fonctionnaires de la préfecture de police présents sur les lieux dès le matin pour protéger l’exposition, selon le préfet de police, pour demander le décrochage des œuvres, selon les requérants ;

3. Considérant que, dans le courriel daté du 11 mars 2015 qu’il a adressé à plusieurs de ses collaborateurs, le président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne a justifié sa décision de différer l’exposition en expliquant que « des informations de la Préfecture de police transmises par M. Le recteur de l’académie de Paris ont fait état de risques graves pouvant porter sur l’exposition (…) » ; que les seuls éléments émanant de la préfecture de police figurant au dossier consistent en des échanges de courriels dans lesquels aucune menace précise de trouble à l’ordre public ou à la sécurité publique n’est décrite ; que

M. C, présenté comme le responsable adjoint à l’ingénieur de sécurité de l’université a même précisé au commissaire de police du quinzième arrondissement de Paris, selon l’un de ces courriels, que M. A, haut-fonctionnaire à la « Défense-Sécurité » avait validé l’exposition ; que si la représentante de l’université a indiqué lors de l’audience publique que son président aurait été informé le 9 mars 2015 de l’existence de risques liés à l’organisation de l’exposition, elle n’a pas été à même d’expliciter la nature de ces risques ; que, sur la vingtaine d’œuvres devant être exposées, seules deux sont identifiées comme susceptibles d’être à l’origine de menaces de troubles à l’ordre public ou à la sécurité publique ; que l’une de ces œuvres consiste en un tapis de prière sur lequel devait être déposée de la viande ; que l’autre est composée de six portraits de l’auteur, Mme F G, juxtaposés à trois autres portraits, dont l’un représente le buste d’une femme revêtue d’un « niqab » dont le visage est remplacé par de la viande ; que Mme F G, ressortissante d’Irak d’origine kurde, a expliqué lors de l’audience publique que son intention, en incluant dans ses créations des éléments en rapport avec l’islam, était notamment de faire référence à son propre passé, le tapis de prière lui appartenant, et à la condition des femmes, quelle que soit la culture à laquelle elles appartiennent ; que ces œuvres, exposées par un artiste dont la notoriété est encore faible dans une galerie s’adressant à un public averti, n’apparaissent pas, par leur contenu ou leur aspect, et ce même si elles étaient vues par un public ignorant les intentions de l’auteur, comme susceptibles de provoquer des réactions de même nature que celles ayant été constatées à la suite par exemple de la publication de caricatures de Mahomet ;

4. Considérant que la liberté d’expression a, comme la liberté de communication des idées et des opinions, le caractère d’une liberté fondamentale, à laquelle les autorités de police ne peuvent apporter de restrictions, afin de concilier son exercice avec les exigences de l’ordre public, que dans la mesure où elles sont strictement nécessaires et proportionnées à ces exigences ; que la possibilité pour des artistes d’exposer leurs œuvres participe à l’exercice de cette liberté ;

5. Considérant qu’en annulant le vernissage de l’exposition prévu le 10 mars 2015 et en différant l’organisation de l’exposition à l’origine du litige alors qu’il n’est pas établi qu’existaient en l’espèce des risques avérés de trouble à l’ordre public ou à la sécurité publique, le président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne a, dans l’exercice des pouvoirs de police qu’il détient en vue de la sécurité des usagers du service public et de la gestion des dépendances du domaine public, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression des six étudiants dont les œuvres d’art devaient être exposées ; que, dès lors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’exposition sera à nouveau organisée dans un futur proche, la condition d’urgence particulière qui s’attache à la mise en œuvre des mesures décidées sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme satisfaite ;

6. Considérant que la décision d’annuler le vernissage de l’exposition à l’origine du litige et d’en différer l’organisation a été prise par le président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne ; que s’il n’est pas contesté que des fonctionnaires de la préfecture de police ont prêté leur concours à son exécution, et qu’elle que soit l’étendue de cette assistance, le préfet de police n’en est pas l’auteur, ni le recteur de l’académie de Paris ; qu’il y a par suite lieu de faire injonction au seul président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne de ne pas faire obstacle, sauf circonstances de droit ou de fait nouvelles, à l’organisation de l’exposition prévue à la galerie R S ;

O R D O N N E

Article 1er : Il est enjoint au président de l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne de ne pas faire obstacle, sauf circonstances de droit ou de fait nouvelles, à l’organisation de l’exposition prévue à la galerie R S.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. L E, Mme F G, Mme J K, Mme P Q, M. N O, M. H I Corréa, à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, au ministre de l’intérieur et au ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Copie en sera adressée au préfet de police et au rectorat de l’académie de Paris.

Fait à Paris, le 16 mars 2015.

Le juge des référés, Le greffier,

M. D Mme X

La République mande et ordonne au ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.



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