Tribunal administratif de Paris, 7 décembre 2021, n° 2123315

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Paris, 7 déc. 2021, n° 2123315
Juridiction : Tribunal administratif de Paris
Numéro : 2123315

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

N°2123315/5-2 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

M. J. P. ___________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

M. L. G. Juge des référés ___________ Le juge des référés

Ordonnance du 7 décembre 2021 ___________

C

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 3 novembre 2021, M. J. P., représenté par la SCP Pi., demande au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de la décision du 7 septembre 2021 par laquelle la directrice du conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d’un an avec retenue de traitement ;

2°) de mettre à la charge du conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris une somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que : En ce qui concerne l’urgence : – la décision attaquée le prive de son emploi et de sa source principale de revenus ; son exécution le place dans l’incapacité de rembourser ses emprunts et dans une situation de précarité économique ; – elle a des répercussions sur le déroulement de sa carrière et son éventuelle annulation interviendrait certainement après qu’elle ait été entièrement exécutée ; – elle porte une atteinte grave à l’organisation du conservatoire et place ses élèves dans une profonde situation de détresse.

En ce qui concerne le doute sérieux quant à la légalité de la décision : – la décision attaquée a été adoptée à l’issue d’une procédure irrégulière, ce qui l’a privé d’une garantie ; la commission consultative paritaire était irrégulièrement composée,

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tant du point de vue du quorum que des règles de parité requises par les textes ; l’avis émis par la commission n’a pas été rendu à la majorité des membres présents ; – l’enquête administrative s’est déroulée dans des conditions qui ont porté une atteinte irrémédiable au respect des droits de la défense ; – la décision attaquée repose sur des faits dont la matérialité n’est pas établie ; à supposer même que leur matérialité soit établie, ils ne constituent pas une faute de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire ; en tout état de cause, la sanction est disproportionnée.

Le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, à qui la procédure a été régulièrement communiquée, n’a pas produit de mémoire.

Vu : – les autres pièces du dossier ; – la requête enregistrée le 16 septembre 2021 sous le numéro 2113609 par laquelle M. P. demande l’annulation de la décision attaquée.

Vu : – la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; – la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ; – le décret n°86-83 du 17 janvier 1986 ; – l’arrêté du 24 août 2011 portant création d’une commission consultative paritaire unique compétente à l’égard des personnels contractuels de droit public du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon et du Conservatoire national supérieur d’art dramatique ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. G., vice-président de section, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique tenue le 18 novembre 2021 en présence de Mme T., greffière d’audience, M. G. a lu son rapport et entendu les observations de Me S. et de Me H. (Cabinet T.), conseils de M. P., et les observations de M. P.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. M. P. est professeur de violoncelle en qualité d’enseignant contractuel au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris depuis le 1er septembre 2007. Par une décision du 7 septembre 2021, la directrice du conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d’un an avec retenue de traitement. Par la présente requête, M. P. demande au juge des référés de suspendre l’exécution de cette décision.

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Sur les conclusions aux fins de suspension :

2. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (…) »

En ce qui concerne la condition d’urgence :

3. La condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. P. doit faire face à des charges fixes incompressibles ainsi qu’au remboursement de l’emprunt qu’il a contracté en vue de l’acquisition d’un logement. Il ressort également des pièces du dossier que la décision attaquée, qui a pour effet de le priver de sa rémunération pour une durée de douze mois, porte une telle atteinte à sa réputation qu’elle entraîne l’annulation de tous ses concerts et de ses activités accessoires à ses missions d’enseignement au CNSMDP, le privant ainsi de toute ressource financière. Selon ses déclarations orales à l’audience, la mesure l’affecte psychologiquement au point de ne plus pouvoir jouer de son instrument. Elle porte ainsi une atteinte suffisamment grave et immédiate à sa situation, de nature à caractériser l’urgence au sens des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

En ce qui concerne l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée :

5. Pour prononcer à l’encontre de M. P. la sanction d’exclusion temporaire d’un an avec retenue de traitement, la directrice du CNSMDP a relevé qu’il imposait « aux élèves un climat où la familiarité, la référence à la sexualité et les gestes déplacés sont omniprésents dans [son] expression et [ses] attitudes à leur égard ». Elle a relevé qu’il adoptait un « mode d’enseignement [qui] n’est pas conforme au devoir d’exemplarité qui [lui] incombe », qu’il instaurait « un fonctionnement clivant au sein de la classe » en « [abusant] de l’ascendant indéniable [qu’il] exerce sur [ses] élèves », qu’il entretenait une « confusion des genres », qu’il employait des « contrepèteries à connotation sexuelle » et qu’il adoptait « des attitudes humiliantes en public où les moqueries et humiliations font partie du dispositif pédagogique ». Il ressort des pièces du dossier que, pour prononcer la décision attaquée, la directrice du CNSMDP s’est notamment fondée sur le rapport de l’enquête diligentée par Mme De H., directrice associée du groupe E., structure experte de la prévention des violences sexistes, discriminatoires, morales et sexuelles, et M. O., chef du service ressources humaines du CNSMDP, et au cours de laquelle cinquante-et-une personnes ont été entendues, dont M. P., et quarante-cinq d’entre elles ont signé le compte-rendu de leur entretien.

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6. Si M. P. conteste la matérialité des faits qui lui sont reprochés, il ressort des pièces du dossier et en particulier des nombreux témoignages précis et concordants versés dans le rapport d’enquête, y compris ceux favorables à l’intéressé, que celui-ci donne des surnoms à ses élèves, qu’il tient de nombreux propos à connotation sexuelle, notamment sous forme de contrepèteries, qu’il fait preuve de contacts physiques réguliers avec ses élèves qui outrepassent les gestes nécessaires à l’apprentissage du violoncelle, tels que notamment des bises et des accolades fréquentes, et qu’il entretient une proximité particulière avec ses élèves allant au-delà du devoir d’exemplarité qui incombe à tout enseignant.

7. Dans ces circonstances, l’utilisation par le requérant de propos inadaptés même pour un enseignement artistique supérieur, ainsi qu’une attitude inappropriée dans le cadre de l’enseignement qu’il délivre peuvent être regardées comme établis. Si de nombreux élèves ont fait part de ce que ces comportements ne les incommodaient pas et ont fait l’éloge de ses techniques d’enseignement, ces faits, s’agissant d’un professeur de l’enseignement supérieur qui s’adresse, dans le cadre de ses cours, à des adolescents ou à des jeunes adultes, alors même qu’ils seraient effectués sur un ton humoristique ou dans le contexte particulier de l’enseignement de la musique, constituent des fautes qui sont de nature, à eux seuls, à justifier le prononcé d’une sanction.

8. Les griefs précédemment regardés comme établis peuvent être considérés comme graves en raison, ainsi qu’il a déjà été relevé, des fonctions d’enseignant exercées par M. P. et de sa position de musicien renommé face à un public encore jeune et influençable, et dont les enseignements ont un large retentissement sur leur insertion professionnelle. Toutefois, compte tenu de la nature des fautes commises par l’intéressé, de ce que M. P. n’a jamais fait l’objet de signalements ni de sanctions disciplinaires pour des faits similaires depuis son recrutement par le CNSMDP en 2007, et eu égard à l’ancienneté de certains faits, dont certains remontent aux années 2002 à 2016, le moyen tiré de ce que la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pendant un an avec retenue de traitement, qui relève du troisième groupe des mesures disciplinaires, présente un caractère disproportionné est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

9. C’est également le cas des moyens tirés du manque d’impartialité de l’enquête administrative, de l’irrégularité de la composition du conseil de discipline et de la procédure suivie devant cette instance consultative.

10. Il y a lieu donc lieu de suspendre la décision du 7 septembre 2021 par laquelle la directrice du CNSMDP a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d’un an avec retenue de traitement.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge du CNSMDP la somme de 2 000 euros à verser à M. P. en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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ORDONNE:

Article 1er : L’exécution de la décision du 7 septembre 2021 par laquelle la directrice du conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris a prononcé à l’encontre de M. P. la sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d’un an avec retenue de traitement est suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de la décision attaquée.

Article 2 : Le conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris versera à M. P. une somme de 2 000 (deux milles) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. P. et au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.

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