Tribunal de commerce de Paris, 18e chambre, 18 mai 1994

  • Infrastructure nécessaire au fonctionnement du prestige·
  • Personnage percu comme representatif de la société·
  • Action en contrefaçon et en concurrence déloyale·
  • Offre en vente anterieure par le contrefacteur·
  • Publication notamment dans le meme magazine·
  • Exploitation du modèle original compromise·
  • Propos emis par le dirigeant de la société·
  • Investissements importants de publicité·
  • Demande en concurrence déloyale·
  • Publicité donnee à la procédure

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Sur la décision

Référence :
T. com. Paris, 18e ch., 18 mai 1994
Juridiction : Tribunal de commerce de Paris
Publication : PIBD 1994 576 III 553
Domaine propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
Référence INPI : D19940057
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Texte intégral

FAITS ET PROCEDURE La société YSL a créé en 1970 pour sa collection haute couture un modèle de robe du soir pour femme inspiré du smoking masculin. Cette robe, longue, est construite en forme croisée, avec un grand col de satin noir brillant sur un lainage noir mat, qui fait contraste. Les épaules, les bras, et le dos de la robe jusqu’à la taille sont dégagés. Pour l’Hiver 92, Y a remis cette robe en Collection Haute Courture. En même temps, pour la Collection Printemps Eté 93, la société DIFFUSION RIVE GAUCHE préparait la commercialisation d’une version courte de la robe, avec seulement de légères modifications de tissu (plus estival) et de boutons (clairs) mais bénéficiant des aspects « création » du modèle, épaules nues, col satin largement dessiné et aussi de la haute technique du patronage de la Collection Couture. Ayant constaté fin 92 que la société POLO RALPH LAUREN proposait à la vente une robe du soir qui semblait copiée sur sa propre création, la société YSL est intervenue par saisie contrefaçon sur le modèle et a assigné les sociétés défenderesses en contrefaçon et préjudice pour concurrence déloyale. Le 11 AVRIL 1994, alors que le litige devait venir devant les juges de ce Tribunal le 27 AVRIL 1994, dans un article de presse en 1re page du quotidien américain W.W.D. (Women’s Wear Dealy), Monsieur Pierre B connu pour être un actionnaire majoritaire d’Y faisait état d’un « vol » de modèle point par point par RALPH LAUREN et du procès intenté pour le 27 AVRIL 1994. A ces déclarations estimées publiques dans un journal américain considéré par les milieux de la Couture et des Créations de luxe comme une référence, et connu dans le monde entier, la société POLO RALPH LAUREN a répondu par une demande en dommages et intérêts pour dénigrement sur la base de l’article 1382 du Code Civil. Le Tribunal en raison de la connexité des demandes et pour une bonne administration de la justice statuera par un seul jugement contradictoire en premier ressort sur la demande principale et la demande reconventionnelle. Par assignation du 12 JANVIER 1993 et 2 jeux de conclusions des 9 FEVRIER 1994, 7 MARS 1994 et 27 AVRIL 1994 la société YSL et la société DIFFUSION RIVE GAUCHE assignent : 1 – la société LOUIS DREYFUS RETAIL MANAGEMENT,

2 – la société POLOCO, dont le nom commercial est « POLO RALPH LAUREN », comme agent de la société POLO FASHION OF EUROP (Italie),

3 – la société PRL FASHION OF EUROP, société de droit italien prise en sa qualité de fabricant sous licence, par voie diplomatique,

4 – la société POLO RALPH LAUREN, de droit américain, par voie deplomatique, pour :

I – SUR LA DEMANDE PRINCIPALE

— dire que la robe smoking créée en 1970 et reprise pour la collection de l’Hiver 92/93 constitue une création originale de la société YSL COUTURE, qui en est propriétaire ;

- dire que la robe smoking réf 18139/01 de POLO RALPH LAUREN constitue une contrefaçon dont les défenderesses sont coupables et fautives ;

- condamner in solidum les défenderesses aux mesures suivantes :

- interdiction de fabriquer, faire fabriquer le modèle incriminé sous astreinte de 100.000, 00 Francs par infraction constatée, confiscation des modèles contrefaits déjà fabriqués ou en cours, livrés ou en cours de livraison, tant en France que dans tous les pays concernés dont les USA, confiscation des recettes réalisées par ces ventes illicites dans l’ensemble des points de vente du Groupe.

- communication sous astreinte de 100.000, 00 Francs par jour de retard à compter d’un mois après la signification du jugement de la comptabilité des sociétés incriminées du 18 DECEMBRE 1991 jusqu’à l’arrêt de la commercialisation du modèle contrefait,
- condamnation in solidum à payer une indemnité provisionnelle de 2.000.000, 00 de Francs à la société YSL COUTURE pour contrefaçon et 2.000.000, 00 de Francs pour concurrence déloyale.

- 1.000.000, 00 de Francs pour Y DIFFUSION RIVE GAUCHE du fait de son préjudice sur la vente de son modèle de printemps été 93 et ce dans l’attente des investigations comptables.

- ordonner la publication dans 10 journaux aux frais des défenderesses sous la même solidarité sans que le coût de chaque insertion dépasse 200.000, 00 Francs hors taxes.

- ordonner une enquête financière sur le Groupe POLO RALPH LAUREN pour savoir la quantité de robes vendues dans les 3000 points de vente de la société POLO RALPH LAUREN dans le monde et le chiffre d’affaires réalisé par ces ventes.

- débouter les défenderesses de toutes leurs demandes reconventionnelles. II – SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DES DEFENDEURS POUR DENIGREMENT

— se déclarer incompétent et renvoyer les parties à se pourvoir à NEW YORK, lieu du délit et du préjudice prétendûment subi et lieu du siège de la société PRL de Monsieur R, seul cité dans l’article en question.

- déclarer irrecevables pour défaut de qualité lesdites sociétés faute d’être nommées dans l’article litigieux.

- les déclarer irrecevables à l’encontre des concluantes qui n’ont aucune responsabilité en ce qui concerne l’opinion personnelle de Monsieur Pierre B qui n’y est pas mentionné en tant que leur représentant.

- déclarer non constitué le dénigrement allégué, l’article de presse ne contenant aucune

présentation mensongère des faits sur le procès en cours et l’avis contraire des représentants de la société PRL à NEW YORK ayant été reproduit de manière à respecter le contradictoire dans le même article.

- rejeter les demandes de dommages et intérêts et de publication du jugement.

- renvoyer Monsieur R à son droit de réponse légal étant précisé que la même faculté sera offerte à Monsieur Pierre B. Enfin, sur le tout, condamner les sociétés défenderesses à 200.000, 00 Francs, 100.000, 00 Francs et 50.000, 00 Francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Par conclusions des 10 NOVEMBRE 1993, 9 FEVRIER 1994, 23 MARS 1994 et 27 AVRIL 1994 les sociétés défenderesses demandent : III – SUR LA DEMANDE PRINCIPALE

— dire que la robe 18139/01 n’est pas une contrefaçon du modèle appartenant à Y sous le N° 6036, débouter Y ;

- déclarer la saisie contrefaçon pratiquée le 17 DECEMBRE 1992 et la présente procédure comme constitutives d’abus de droit ;

- débouter Y de sa demande de concurrence déloyale ;

- la condamner à 1.000.000, 00 de Francs de dommages et intérêts. IV – SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DES DEFENDERESSES

— dire que la parution dans W.W.D. du 11 AVRIL 1994 constitue un acte fautif de concurrence déloyale par dénigrement au titre de l’article 1382 du Code Civil ;

- condamner Y et Y DIFFUSION à payer solidairement aux sociétés concluantes 1.000.000, 00 de Francs de dommages et intérêts de ce chef ;

- ordonner la publication aux frais des sociétés demanderesses d’extrait du jugement à intervenir dans 2 quotidiens au choix des concluantes ainsi que dans le 1er numéro de W.W.D. suivant la signification du jugement à intervenir à hauteur de 50.000, 00 Francs par insertion à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

- dire que cette publication se fera à la diligence des sociétés concluantes en 1re page de W.W.D. ou aussi près que possible de cette 1re page qu’il est permis par W.W.D. et comportera le même nombre de lignes et de caractères que l’article jugé fautif ;

- condamner les société YSL et YSL DIFFUSION à 10.000, 00 Francs au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Les dépens étant requis. La société YVES SAINT LAURENT COUTURE et la société DIFFUSION RIVE GAUCHE exposent que : Sur la demande principale : 1 – Antériorité du modèle d’Y : La robe a été créée par Monsieur Yves SAINT LAURENT en 1970, modèle n° 1288, pour la Collection Haute-Couture. Le modèle a été repris en 1992 avec quelques modifications de détail, N° 6036, dépsoé chez Maitre C,

Huissier de Justice le 3 AOUT 1992. Des parutions comme l’Officiel de la Mode de Septembre 92 en attestent.

2 – Originalité du modèle d’Y : La première originalité de Monsieur Yves SAINT LAURENT a été sa coupe (son tailleur-pantalon est un classique présent dans toutes ses collections). Dans le Jardin des Modes de fin 92, Monsieur Y est qualifié de « Prince du Smoking ».

L’idée d’adapter le smoking caractérisé par le revers de la veste en satin noir à une robe du soir constitue une création, une oeuvre de l’esprit donc protégée par la Loi. Selon l’arrêt de la 4e Chambre du 24 NOVEMBRE 1993 l’originalité du modèle s’apprécie d’après la coupe du vêtement : « la protection (est) attachée uniquement aux formes linéaires ou plastiques ». Pas aux éléments comme les boutons, les poches, les décors. L’originalité du modèle d’Y serait sa coupe. 3 – La copie du modèle par Ralph LAUREN : Le modèle de Ralph LAUREN est identique dans sa forme essentielle : robe longue, robe-manteau, sans manches, épaules et dos nus, boutonnée et croisée devant, revers de smoking en satin noir. Il a été mis en vente postérieurement à la création d’Y. Aucun dessin d’atelier du modèle n’a été communiqué.

Les différences dont se targue PRL seraient fausses. Les robes doivent s’apprécier en comparant les 2 robes longues de l’hiver 92. Il n’y a pas de différence visible pour une cliente qui soit une modification substantielle du modèle. L’impression d’ensemble est la même, créant une confusion. Les responsables sont la société POLO RALPH LAUREN qui prétend être l’auteur du modèle, la société FASHION OF EUROP qui l’a réalisé pour la diffusion en Europe, la société POLOCO agent commercial, la société LOUIS DREYFUS MANAGEMENT comme distributeur. 4 – Sur le préjudice

Du fait de la contrefaçon : Le modèle Haute Couture aurait été déprécié par la reproduction en prêt à porter, fut-il de luxe. Ce modèle, très original, est un modèle « phare » dont la clientèle Haute Couture, très au fait de l’actualité de la Mode n’a pas pu ignorer la vulgarisation par la publication dans la Presse Internationale et Nationale de ce modèle par le Groupe PRL. L’atteinte au droit de propriété d’Y est d’autant plus considérable que la Haute Couture ne fait que des modèles « originaux » qui ne sont pas commercialisés en série. L’atteinte à la marque est importante. La clientèle du prêt à porter de Luxe ne vient pas en Haute Couture tandis

que la clientèle Haute Couture achète volontiers en Prêt à Porter de Luxe. C’est même la raison pour laquelle Y a fondé SAINT LAURENT RIVE GAUCHE, sa société de diffusion qui a un grand succès. Il y aurait donc préjudice pour la société Haute Couture, mais aussi pour la société YSL DIFFUSION, qui se trouve en concurrence directe avec PRL non seulement à PARIS mais dans leurs nombreux magasins dans le monde qui se trouvent très fréquemment dans les mêmes centres. La société YSL DIFFUSION RIVE GAUCHE devait commercialiser pour la saison printemps-été 93 la robe en question sous une forme de robe courte, dans un tissu plus léger, plus estival, mais avec les mêmes caractéristiques de coupe. Le fait que Ralph LAUREN ait vendu ses robes du soir en hiver a empêché la vente en été de la robe SAINT-LAURENT, les mêmes clientes ne s’achetant pas 2 fois la même robe. Le fait que la société RALPH LAUREN soit une société internationale aggraverait la faute. 5 – Sur les montants demandés :

Les sociétés défenderesses précisent avoir vendu 123 robes en Europe, aux U.S.A. et au Japon pour un total de royalties de 2621, 71 $ US. Ce qui ne représente pas la perte subie, tant par Y COUTURE pour qui le chiffre d’affaires pour 123 robes couture serait de 17.213.604, 00 Francs français, et de 799.500, 00 Francs pour DIFFUSION RIVE GAUCHE, tant en préjudice direct qu’en perte de prestige. Compte tenu de la mise en vente du modèle POLO RALPH LAUREN en NOVEMBRE et DECEMBRE 92, c’est d’après le modèle de la Haute Couture que le préjudice doit s’apprécier. 6 – Sur la demande reconventionnelle de PRL suite à l’article paru dans W.W.D.

1 – Le Tribunal de Commerce de PARIS n’est pas compétent pour un fait qui s’est produit à NEW YORK.

2 – Seul Monsieur R est concerné, pas la société POLO RALPH LAUREN qui n’a pas qualité à agir.

3 – Monsieur Pierre B est libre d’exprimer son opinion, la demande est irrecevable en ce qui concerne les sociétés YSL et DIFFUSION RIVE GAUCHE.

4 – Il n’y a pas dénigrement, mais un rappel des faits sans aucun mensonge. La contradiction est respectée tant par la reproduction des 2 modèles que par la parution de l’opinion d’un porte-parole de la société RALPH LAUREN.

La société RALPH LAUREN oppose que
- Depuis 1968, Monsieur R a créé et commercialisé des vêtements pour hommes, femmes, des accessoires et des parfums. A BEVERLY HILLS ou Place de la Madeleine à PARIS et partout dans le monde, il a ouvert de nombreux et prestigieux magasins. Le service « Style » emploie 200 personnes qui respectent un style et une qualité. Comme dans le monde entier comme créateur, Monsieur R n’a pas besoin de prendre son inspiration chez SAINT LAURENT, et il ne le fait pas. Sur le modèle qui serait contrefait, la comparaison avec celui d’Y révèlera qu’il n’existe aucune ressemblance entre les différents éléments caractéristiques de chacun des modèles, hormis leur communauté de genre. La seule ressemblance réside dans le concept de robe smoking. Un concept, pas plus qu’un genre, n’est appropriable. Seul, un modèle déterminé l’est. Seule la robe smoking créée par Monsieur Y en 1970 se doit d’être protégée. L’idée est de libre parcours. La robe de Monsieur R n’a aucune ressemblance caractéristique avec celle d’Y : la coupe du col serait plus étroite, le revers plus pointu, les 6 boutons, 2 en garniture, 4 en boutonnage sont différents, un pan de la jupe est biaisé, il n’y a pas de poches. Le concept de la robe smoking n’est pas appropriable. Une communauté de genre ne suffit pas à établir une contrefaçon qui n’existe pas.

- Sur la demande reconventionnelle de la société RALPH LAUREN contre Y 1 – Les sociétés YSL et YSL DIFFUSION ont opéré une saisie contrefaçon, pratiquée sans mise en garde préalable aux heures d’affluence du magasin le 18 DECEMBRE 1992, ce qui engage la responsabilité d’Y.

La réalité comme l’étendue du préjudice commercial d’Y n’est pas établi. Seules 123 robes ont été vendues dans le monde en 2 mois NOVEMBRE et DECEMBRE 1992 par RALPH LAUREN. La marge bénéficiaire est faible. Au cas où le Tribunal retiendrait la contrefaçon le préjudice ne peut s’établir que sur le prix de la robe vendue par PRL : 5.291, 00 Francs hors taxes. Il s’agit d’un produit de prêt à porter de nature totalement différent de la Haute Couture. 2 – Sur la demande reconventionnelle de PRL en raison de l’article de W.W.D. du 11 AVRIL 1994.

La société RALPH LAUREN a eu la désagréable surprise de voir paraitre dans W.W.D. le 11 AVRIL 1994 un article accusant la société de vol et la traitant de manière infamante : « c’est une chose de »s’inspirer" d’un autre couturier c’est tout autre chose de voler un

modèle point par point, ce qu’a fait RALPH LAUREN". C’est totalement inacceptable et cela doit être arrêté a dit Pierre B, associé d’Y. Ces accusations préjugent de l’issue du présent procès et justifient une demande reconventionnelle additionnelle en concurrence déloyale par dénigrement sur le fondement de l’article 1382. Le dénigrement est constitué par le seul fait de procéder à la publicité de poursuites judiciaires réellement engagées par un concurrent. Il y a donc lieu à réparations car W.W.D. est un journal lu et reconnu dans le monde entier et le tort fait à RALPH LAUREN est étendu d’autant. Il y a lieu à réparation à hauteur d’un million de Francs.

DECISION Le Tribunal examinera en premier lieu la question de la contrefaçon, puis éventuellement le préjudice qui en découlerait pour Y, puis statuera sur la demande reconventionnelle de RALPH LAUREN tant sur le dommage causé par la saisie que sur le dommage causé par l’article de W.W.D. du 11 AVRIL 1994. I – LA CONTREFAÇON EXISTE-T-ELLE?

1 – Antériorité – Propriété

La société YSL a créé le modèle de robe du soir smoking en 1970, cela n’est pas contesté. Elle a réédité ce modèle en 1992 comme l’atteste les parutions publicitaires et les photos du défilé de la Collection. C’est la parution dans JOURS DE FRANCE MADAME du 7 DECEMBRE 1992 de la photo du modèle de RALPH LAUREN qui a déclenché la procédure initiée par Y. L’antériorité et la propriété d’Y sur la robe longue dite robe- smoking n’est pas contestée et le Tribunal retiendra ces 2 éléments en droit. 2 – Sur l’originalité

La société RALPH LAUREN conteste la contrefaçon en raison des nombreuses différences entre sa robe smoking et celle d’Y au motif que le concept de robe-smoking n’est pas appropriable et que des différences nombreuses telles que le col, les boutons, le panneau biaisé devant, la fabrication même d’une robe de prêt à porter face à une robe couture en font un élément très différent. Le Tribunal, examinant les 2 vêtements contradictoirement en audience de magistrat rapporteur a relevé en effet ces différences, plus la coupe du dos de la robe d’Y qui présente 3 coutures, alors que la robe PRL n’en a qu’une, ce qui change le tombé de la

jupe non seulement dans le dos, mais surtout sur le croisé, devant. Néanmoins, il dira, sur l’originalité, qu’elle ne consiste pas seulement en la coupe et les boutons mais dans l’idée du créateur, simple en apparence, originale en réalité, qui consiste à avoir enlevé les épaules et les manches du smoking pour laisser apparaitre les épaules de la femme qui se détachent sur le drap noir. Ce sont ces « manques », qui signent la robe et y apposent la griffe SAINT LAURENT. La robe smoking, robe du soir d’YVES SAINT LAURENT sera dite originale. Créée en 1970, reprise comme le prouve la publicité en 1992, elle est protégeable au regard de la loi. Le Tribunal dira donc que le modèle de prêt à porter de luxe de PRL, avec ses différences de détail qui, pour une cliente d’attention moyenne ne sont pas repérables, contrefait le modèle Haute Couture d’Y. II – SUR LE PREJUDICE

1 – Le préjudice d’Y Haute Couture

La société YSL COUTURE demande 2.000.000, 00 de Francs au titre de la contrefaçon et 2.000.000, 00 de Francs au titre de la concurrence déloyale. a – Sur la demande de dommages et intérêts en contrefaçon

Les dommages causés à la maison de haute Couture en contrefaçon sont importants. 1 – En raison du prix de la création elle-même, le couturier, sa recherche, son style. Monsieur Yves SAINT LAURENT a décliné dans le style smoking toute une gamme de vêtements pour femme. Sa robe du soir est d’une incontestable pureté de ligne.

2 – En raison du prix d’acquisition du savoir-faire de la maison de Haute Couture : après le créateur vient toute une richesse de fond de la maison, assistants, ateliers avec leurs « premières » qui mettent sur la toile le projet, l’adaptent, domptent le tissu, essayent bien des fois avant de satisfaire au désir du créateur, patronnages confirmés, connaissance du corps féminin comme le montre si bien les 3 coutures de la jupe du modèle d’Y.

3 – Enfin en raison de l’infra-structure nécessaire au fonctionnement du prestige, les salons, les mannequins professionnels et les frais qui entourent l’appareil du luxe au service de la Haute Couture.

C’est pourquoi le Tribunal dira que la contrefaçon en prêt à porter de luxe du modèle Haute Couture entraine une condamnation à des dommages et intérêts conséquents qu’il estimera en raison des éléments suffisants dont il dispose à la somme de 1.000.000, 00 de Francs, qu’il condamnera les sociétés défenderesses à payer à la maison YVES SAINT LAURENT COUTURE, solidairement entre elles. b – Sur la demande de dommages et intérêts en concurrence déloyale

Les dommages causés à la maison de haute Couture en concurrence déloyale sont également importants. En effet il ne s’agit pas de comparer le chiffre d’affaires ou les royalties de la société PRL avec ceux d’Y. Le dommage causé financièrement se base principalement sur le préjudice causé par la déconsidération du modèle Haute Couture. Il ne s’agit pas d’apprécier une marge nette, ni une quantité vendue, ni même une marge brute tant les frais qui entourent une robe Haute Couture ne sont pas incorporables dans son prix. En contrepartie de l’investissement du modèle Haute Couture tout un chiffre d’affaires est réalisé en parfums et royalties diverses qui portent la griffe. C’est pour tenir compte des péréquations qui s’opèrent ainsi que le Tribunal estimera à 1.000.000, 00 de Francs le préjudice financier subi par l’image, ce qui correspond d’ailleurs à 123 fois une marge brute qui serait évaluée à 70% du prix hors taxes (77.000 x 123) le nombre de robes vendues par PRL. c – Sur le préjudice causé à la société DIFFUSION RIVE GAUCHE

La société DIFFUSION RIVE GAUCHE se plaint de la mévente de son modèle de printemps en raison de la vente de la robe du soir RALPH LAUREN qui aurait empêché la saison suivante la clientèle Diffusion de lui acheter un modèle semblable : une cliente ne veut pas avoir 2 fois la même robe. Les sociétés sont en concurrence directe. Le Tribunal, au vu du modèle d’été présenté à l’audience du Magistrat Rapporteur a constaté que la robe Diffusion bénéficiait des mêmes coupes et détails techniques que la robe couture, sauf à avoir été traitée différemment en tissu, boutons, longueur, etc… En raison de la contrefaçon faite par PRL et de la concurrence directe qui existe entre DIFFUSION RIVE GAUCHE et PRL dont les magasins voisinent dans les quartiers élégants des capitales du monde et qui s’adressent à la même clientèle dira que la mise en vente antérieure par PRL de la robe contrefaite a compromis les efforts de promotion et de vente de la société YSL DIFFUSION RIVE GAUCHE et évaluera en fonction des éléments suffisants dont il dispose à 200.000, 00 Francs de dommages et intérêts le préjudice que les sociétés défenderesses seront condamnées à payer à la société YSL DIFFUSION RIVE GAUCHE. d – Sur les autres demandes d’Y

Interdira de fabriquer, faire fabriquer, vendre le modèle incriminé sous astreinte de 100.000, 00 Francs par infraction constatée. Ordonnera la publication d’extraits du jugement à intervenir en mentionnant obligatoirement les 2 éléments de la décision dans 10 journaux maximum au choix d’Y aux frais de PRL dans la limite de 300.000, 00 Francs hors taxes. Dira qu’il n’y a lieu à expertise ni à aucune enquête financière. Déboutera le demandeur de toutes ses autres demandes. 4 – Sur les demandes reconventionnelles de PRL

a – Le Tribunal déboutera PRL de ses demandes concernant la copie du modèle et les dommages et intérêts, puisque les défendeurs succombent sur la contrefaçon.

b – Sur la demande concernant l’article paru dans W.W.D. le 11 AVRIL 1994.

Le Tribunal rapportera d’abord la citation de Monsieur Pierre B parue dans W.W.D. Il informe d’abord de la poursuite judiciaire devant le Tribunal de Commerce de PARIS le 27 AVRIL et ajoute : « C’est une chose de »s’inspirer" d’un autre couturier ; c’est tout autre chose de voler un modèle point par point, ce qu’a fait RALPH LAUREN« …. »C’est le summum du mauvais goût et nous sommes décidés à faire quelque chose à cet égard". La société RALPH LAUREN expose que selon une jurisprudence constante le dénigrement est constitué par le seul fait de procéder à la publicité de poursuites judiciaires réellement engagées contre un concurrent. L’article en question est paru en 1re page du journal dans la semaine où les couturiers présentent leurs collections automne hiver à NEW YORK et où tout le monde de la couture et de la presse est présent et attentif au célèbre magazine de mode W.W.D. La société YSL a soulevé diverses irrecevabilités exposées supra. III – SUR LES IRRECEVABILITES

a – Le Tribunal serait incompétent au motif que l’incident a eu lieu à NEW YORK, la publication n’ayant pas eu lieu à PARIS.

Le Tribunal dira que W.W.D. est un journal que reçoivent chaque jour les responsables de la Couture et de la Création de Luxe en France et que le préjudice, s’il existe, concerne bien le milieu français de la Couture. Il se dira compétent.

b – Défaut de qualité des sociétés non incriminées dans ledit article de presse : les propos rapportés ne concerneraient que Ralph LAUREN en personne et non les sociétés du groupe POLO RALPH LAUREN.

Le Tribunal dira que « RALPH LAUREN » est un nom qui désigne un ensemble et non une personne et que les propos tenus dans W.W.D. visent la production des sociétés qui sont dans la cause qui, étant concernées, ont bien qualité à agir. c – irrecevabilité de la demande, les propos relatés étant tenus par Monsieur Pierre B personnellement et exprimant son opinion personnelle.

Le Tribunal dira que Monsieur Pierre B est Président de la société YSL COUTURE et que, même sans connaître sa place juridique exacte dans la société YSL, sa renommée comme personnalité active de la maison SAINT LAURENT est mondiale. D’ailleurs Monsieur BERGE, dans la phrase citée emploie le « nous » : « nous sommes décidés ». Les propos relatés par W.W.D. seront donc bien retenus par le Tribunal comme exprimés vis à vis des lecteurs par quelqu’un de représentatif de Y COUTURE, et la demande sera dite recevable. IV – SUR LE FOND

La société YSL soutient que l’acte incriminé ne dénigrerait pas, qu’il rapporte un fait réel, dans le respect du contradictoire. Le Tribunal relève en effet que le journaliste prend soin, après avoir rapporté les propos de Monsieur P.BERGE, de consulter quelqu’un de la maison PRL ; les deux modèles sont décrits, une photo de la robe d’Y est reproduite ; Le travail du journaliste est objectif et complet. Mais la presse n’est pas en question dans le litige, seulement les propos de Monsieur BERGE. Attendu que Monsieur P.BERGE a fait état d’un procès à venir en accusant la société PRL d’avoir volé un modèle, comme s’il anticipait d’une décision évidente, dira que le dénigrement à l’encontre de la société PRL est établi, et condamnera la société YSL COUTURE à payer 500.000, 00 Francs de dommages et intérêts sur la base de l’article 1382 en réparation du préjudice subi. V – SUR LA PUBLICATION

Ordonnera la publication d’extraits du jugement à condition que la société RALPH LAUREN fasse état de l’ensemble de la décision, dans 2 journaux au choix de PRL et aux frais d’Y à hauteur de 50.000, 00 Francs hors taxes par parution ainsi que dans W.W.D. dans les mêmes conditions de rédaction et de coût, déboutant PRL du surplus de ses demandes à ce titre. Déboutera les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.

VI – SUR L’EXECUTION PROVISOIRE

Attendu que le Tribunal l’estime nécessaire, vu la nature de l’affaire, il y a lieu de l’ordonner avec constitution de garantie, sauf sur l’ensemble des publications. VII – SUR L’ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE

L’équité ne commande pas en l’espèce de faire application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. VIII – SUR LES DEPENS

Attendu que les dépens seront à la charge de la société POLO RALPH LAUREN. PAR CES MOTIFS Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement en premier ressort, Dit que la robe longue, dite robe-smoking, a été créée par la société YVES SAINT LAURENT COUTURE, que cette maison est propriétaire du modèle, et que la robe est originale et protégeable au regard de la loi. Dit que le modèle de Prêt à Porter de Luxe de la société POLO RALPH LAUREN contrefait le modèle Haute Couture. Condamne la société POLO RALPH LAUREN et l’ensemble des sociétés défenderesses à payer solidairement à la société YVES SAINT LAURENT COUTURE UN MILLION DE FRANCS à titre de dommages et intérêts sur la contrefaçon. Dit qu’il y a préjudice financier par atteinte à l’image et condamne les mêmes défendeurs sous la même solidarité à payer solidairement à la société YVES SAINT LAURENT COUTURE UN MILLION de FRANCS à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale. Condamne au titre de la concurrence déloyale la société POLO RALPH LAUREN et les mêmes défendeurs à payer solidairement DEUX CENT MILLE FRANCS de dommages et intérêts à la société DIFFUSION RIVE GAUCHE. Interdit de fabriquer, faire fabriquer, vendre le modèle incriminé sous astreinte de CENT MILLE FRANCS par infraction constatée. Ordonne la publication d’extraits dans 10 journaux au maximum au choix de la société YVES SAINT LAURENT COUTURE et aux frais de la société POLO RALPH LAUREN et de l’ensemble des sociétés défenderesses avec solidarité sans que le coût total puisse excéder TROIS CENT MILLE FRANCS Hors Taxes, et à condition que l’ensemble de la décision soit respectée. Dit qu’il n’y a lieu à expertise ni enquête financière et déboute la demanderesse de toutes ses autres demandes. Déboute les sociétés du Groupe POLO RALPH LAUREN de leurs demandes reconventionnelles en dommages et intérêts au titre de la saisie contrefaçon. Et statuant sur la demande reconventionnelle des sociétés du Groupe POLO RALPH LAUREN sur le dénigrement causé par l’article paru dans W.W.D. le 11 AVRIL 1994 dit

la demande recevable et se déclare compétent. Dit que les propos rapportés constituent un dénigrement et condamne la société YVES SAINT LAURENT COUTURE à payer CINQ CENT MILLE FRANCS de dommages et intérêts en réparation du préjudice aux sociétés du groupe POLO RALPH LAUREN. Ordonne la publication d’extraits du jugement à ce titre à condition que la société POLO RALPH LAUREN qui succombe partiellement fasse état de l’ensemble de la décision, dans 2 journaux au choix de la société POLO RALPH LAUREN et aux frais de la société YVES SAINT LAURENT COUTURE à hauteur maximum de CINQUANTE MILLE FRANCS Hors Taxes par parution ainsi que dans W.W.D. dans les mêmes conditions de rédaction et de coût, déboutant la société POLO RALPH LAUREN du surplus de ses demandes à ce titre. Déboute les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires. Ordonne l’exécution provisoire, à charge par les parties de fournir une caution bancaire égale au montant des condamnations ci-dessus prononcées à leur profit, sauf sur l’ensemble des publications. Dit qu’il n’y a lieu à article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne la société POLO RALPH LAUREN aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe liquidés à la somme de 275, 21 Francs TTC (app 5.25 ; aff 42.00 ; émol 184.80 ; TVA 43.16).

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Tribunal de commerce de Paris, 18e chambre, 18 mai 1994