Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, 5 octobre 2018, n° 2018/07207

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 2e sect., 5 oct. 2018, n° 18/07207
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 2018/07207
Décision(s) liée(s) :
  • Cour d'appel de Paris, 17 septembre 2019, 2018/22546
Domaine propriété intellectuelle : BREVET
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : EP1493886 ; EP3071766
Titre du brevet : Structure modulable pliable pour tente ou analogue à montage rapide
Classification internationale des brevets : E04H
Référence INPI : B20180145
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Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS ORDONNANCE SUR REFERE-RETRACTATION rendue le 05 octobre 2018

3e chambre 2e section N° RG 18/07207

Assignation du 21 juin 2018

RETRACTATION

DEMANDERESSE S.A.R.L. BECHER […] 57660 GROSTENQUIN représentée par Maître Frédéric MASSELIN de la SELARL SCHERMANN M ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R142

DEFENDERESSE S.A.S. UTILIS ZAC du Pôle Industriel Nord Métropole Lorraine 57365 ENNERY représentée par Maître Marc-Roger HIRSCH de la SELARL H et Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #W0003

MAGISTRAT Florence BUTIN, Vice-Présidente, agissant sur délégation de Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS assistée de Jeanine R, Faisant fonction de Greffier

DEBATS À l’audience du 12 septembre 2018, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 05 octobre 2018.

ORDONNANCE Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE La société BECHER SARL, immatriculée le 1er février 2005, a pour activités la fabrication et confection de toiles industrielles. Elle a engagé en 1997 un partenariat avec la société UTILIS SAS spécialisée dans la commercialisation de tentes et abris mobiles d’urgence à déploiement rapide en matière textile, chacune possédant dans ce cadre 50% des parts d’une société civile immobilière louant à la SARL BECHER son local d’exploitation.

Des difficultés survenues entre les parties au cours de l’année 2013 ont conduit la société BECHER à engager une procédure de référé devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de METZ aux fins d’obtenir le règlement de factures impayées par la société UTILIS et suivant ordonnance rendue le 18 juillet 2014, celle- ci a été condamnée au paiement de la somme provisionnelle de 267.747 euros T.T.C. La procédure au fond initiée par assignation du 11 août 2014 est toujours en cours. Parallèlement au mois d’août 2013, la société BECHER S.A.R.L. a constitué avec Régis G et Olivier M -anciens cadres de la société UTILIS S.A.S. qu’ils avaient quittée en avril 2012 pour créer la société de droit luxembourgeois INNOVATION FOR SHELTER INTERNATIONAL I-4S-un groupement européen d’intérêt économique (ci-après GEIE) également composé des sociétés BECHER STP et INNOVATION FOR SHELTER SL (auparavant dénommée UTILIS IBERICA), ayant pour activité le développement et la commercialisation d’une gamme de produits dans les domaines des abris textiles, des équipements militaires projetables, de la décontamination dite « NRBC », de la protection collective et de la structure hospitalière mobile. Estimant que ces agissements étaient constitutifs d’actes de concurrence déloyale commis à son encontre et reprochant à la société BECHER SARL une exploitation de son propre savoir-faire au bénéfice d’autres clients, la société UTILIS a par actes des 10, 18, 25 et 26 novembre 2014, fait assigner Régis G, Olivier M, le GEIE I-4S et la SARL INNOVATION FOR SHELTER INTERNATIONAL I-4S devant le tribunal de grande instance de METZ pour obtenir des mesures indemnitaires. Cette procédure-également toujours en cours- a donné lieu à une ordonnance du juge de la mise en état du 6 juillet 2017 qui statuant notamment sur une demande de communication forcée de pièces relatives à des commandes reçues des sociétés INNOVATION FOR SHELTER INTERNATIONAL I-4S et UTILIS EBERICA pour les années 2012 à 2016, a refusé d’y faire droit au motif que la SAS UTILIS au regard du caractère très général et indéterminé de sa demande, ne faisait pas la démonstration que de telles pièces seraient utiles à l’instruction du litige ni qu’elles seraient détenues par les parties auxquelles elles sont réclamées alors qu’elles sont susceptibles de caractériser une atteinte injustifiée au droit des affaires.

La SCI BECHER UTILIS a été placée sous administration provisoire le 19 février 2018 à la requête de la SARL BECHER, au regard de la situation de blocage générée par le conflit opposant les deux sociétés. C’est dans ce contexte que le 08 juin 2018 la société UTILIS, estimant que figuraient dans le catalogue du GEIEI-4S précité des images de tentes reproduisant la revendication 1 de ce titre, a sollicité et obtenu par deux ordonnance rendue le même jour l’autorisation de faire

pratiquer des opérations de saisie-contrefaçon sur la base d’un brevet européen EP 1493 886 Bl désignant la France déposé le 1er juillet 2003 et délivré le 1er mars 2006 ayant pour intitulé « structure modulable pliable pour tente ou analogue à montage rapide », ce d’une part au siège de la société BECHER SARL et du GEIE I-4S et d’autre part, sur le stand tenu par celle-ci du 11 au 15 juin 2018 au salon eurosATORY organisé au Parc des Expositions de Paris Nord -Villepinte. Ces mesures ont été exécutées le 12 juin 2018. Par acte d’huissier en date du 22 juin 2018, la société BECHER SARL a fait assigner la société UTILIS SAS en référé pour obtenir la rétractation de l’ordonnance rendue le 8 juin 2018, présentant aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 juillet 2018 soutenues oralement à l’audience les demandes suivantes: Vu les articles 496 et suivants, 700 du code de procédure civile, Vu la présente assignation et les pièces y étant annexées,

RETRACTER en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 08 juin 2018 par Françoise B, Vice-Président agissant par délégation de Monsieur le Président du tribunal de grande instance de PARIS, à la demande de la société UTILIS SAS et autorisant une saisie contrefaçon dans les locaux de la SARL BECHER, DIRE que l’ensemble des documents, photographies, vidéos ou tout autre élément saisis à l’occasion des opérations de saisies- contrefaçon diligentées sur la base de l’ordonnance rétractée seront restitués à la société BECHER SARL, et ce dans un délai de 24heures à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 3.000 euros par jour de retard passé ce délai, INTERDIRE dès le jour de la notification de l’ordonnance à la société UTILIS SAS d’utiliser, notamment dans le cadre de toute instance judiciaire en cours ou nouvelle, les éléments appréhendés lors des saisies-contrefaçon opérées au sein de la société BECHER SARL, de même que les procès-verbaux ou toute copie qui aurait pu en être faite, et ce sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée, SE RESERVER la liquidation de l’astreinte, CONDAMNER la société UTILIS SAS à payer à la société BECHER SARL la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, CONDAMNER la société UTILIS SAS aux entiers frais et dépens toutes taxes comprises.

La société UTILIS SAS présente, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 31 août 2018 développées oralement à l’audience, les demandes suivantes:

DIRE ET JUGER mal fondée la société SARL BECHER en toutes ses demandes, fins et conclusions, l’en débouter ;

CONDAMNER la société SARL BECHER à payer à la société UTILIS SAS une indemnité de 10.000 (dix mille) euros par application de l’article 700 du code de procédure civile. L’affaire a été plaidée le 12 septembre 2018 et mise en délibéré au 5 octobre 2018.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : La société BECHER SARL fait valoir qu’aucun commencement de preuve d’une prétendue contrefaçon n’a été fourni par la société UTILIS SAS à l’appui de sa requête, les gammes de tentes ayant été développées conjointement et commercialisées plusieurs années avant le dépôt de brevet européen EP 1 493 886 Bl par UTILIS SAS le 1er juillet 2003, et qu’en aucun cas l’ordonnance ne pouvait autoriser une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société BECHER SARL. Elle soutient ensuite que la société UTILIS SAS n’a pas fait preuve de loyauté en sollicitant l’autorisation de recourir aux mesures en cause sans évoquer les procédures en cours l’opposant à la demanderesse et que cette dissimulation est à l’évidence intentionnelle. Enfin elle estime qu’au moyen de la mesure sollicitée, la société UTILIS SAS avait la possibilité d’obtenir notamment la saisie de factures émises par la SARL BECHER à l’égard de ses clients -parmi lesquels I-4S- qu’elle pouvait alors produire dans le cadre des autres instances précédemment évoquées.

La société UTILIS SAS répond qu’elle conçoit, fabrique et commercialise des tentes à montage rapide depuis 1997, que ses produits innovants sont le résultat d’un véritable savoir-faire dans le cadre duquel s’inscrit la délivrance de son brevet EP'886 et que très récemment, elle a constaté l’existence d’un brevet européen EP 3071766B1 présentant d’étonnantes similitudes avec son propre titre. Elle expose avoir constaté la fabrication, l’offre à la vente et la commercialisation de tentes reprenant les caractéristiques de la revendication 1 de son brevet et que dans son dernier état, la jurisprudence n’exige plus la production au stade de la requête des premiers éléments de preuve de la contrefaçon et/ou de son imputation. Elle estime qu’à cet égard les arguments relatifs au savoir- faire de la société BECHER sont inopérants, et que le fait que la mesure ait été refusée s’agissant de la société BECHER STP s’explique par le fait qu’il existait moins d’indices de l’implication de cette dernière de sorte qu’aucune conclusion ne peut en être tirée quant au bien-fondé de la demande visant la société BECHER SARL. Enfin elle soutient que le fait de taire l’existence des procédures en cours ne peut s’analyser comme un comportement déloyal en ce que celles-ci concernent des faits distincts sans lien avec des actes de contrefaçon susceptibles d’être démontrés, et que le contenu de la mission de l’huissier était normalement circonscrite, limitée à la finalité probatoire poursuivie et en conséquence parfaitement proportionnée.

Sur ce, L’objet de la demande de rétractation prévue aux articles 496 alinéa 3 et 497 précités est de permettre au juge ayant statué sur la requête d’apprécier si au regard des éléments fournis dans le cadre du débat contradictoire mais sans considération pour ceux qui ont été révélés ultérieurement il aurait refusé la mesure, rendu la même décision ou aurait limité la mission autorisée.

L’article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle relatif aux conditions de recours à la saisie-contrefaçon ne mentionne pas expressément d’autre exigence que la démonstration de la qualité à agir en contrefaçon et la détermination de l’objet de la saisie. Il est néanmoins au regard du caractère exceptionnel de cette mesure imposé au requérant, outre de rapporter la preuve qu’il est titulaire du droit invoqué, de motiver suffisamment sa requête en exposant les éléments le conduisant à supposer l’existence d’une atteinte que la mesure sollicitée a vocation à établir. Cette exigence de motivation implique nécessairement que les indices fondant la demande soient explicités et étayés par des pièces permettant au juge d’une part d’apprécier si le recours à une saisie-contrefaçon est justifié et d’autre part, d’en définir le périmètre.

L’absence de contradictoire et le caractère intrusif de la mesure exigent en outre que le requérant ne fasse pas une présentation déloyale des faits susceptibles d’influencer le sens de la décision qui sera rendue. Dans sa requête aux fins de saisie-contrefaçon présentée le 8 juin 2018, la société UTILIS expose qu’elle est titulaire du brevet EP'886 délivré le 1er mars 2006 et que 1997 à juin 2015, elle a confié la fabrication de ses toiles de tente à la société BECHER SARL avec laquelle elle a noué des liens privilégiés consistant notamment dans la constitution d’une SCI possédée à parts égales. Elle indique avoir appris qu’en août 2013, la SARL BECHER avait créé avec d’autres sociétés le GEIE I-4S ayant une activité identique à la sienne, composé de la société de droit luxembourgeois INNOVATION FOR SHELTER INTERNATIONAL I-4S, de la société BECHER STP et de la société de droit espagnol INNOVATION FOR SHELTER SI, ancien distributeur en Espagne des produits de la société UTILIS sous la dénomination sociale UTILIS EBERICA. Elle précise avoir relevé l’existence d’un brevet déposé conjointement par les deux premières sociétés précitées et présentant de « troublantes similitudes » avec son propre titre, et la présentation dans le catalogue du GEIE 1-4 S de produits reproduisant selon elle la revendication 1 de son brevet EP'886.

A l’appui de sa requête étaient communiqués un extrait du site infogreffe, une présentation de ses produits, le brevet EP'886 ainsi qu’un état des inscriptions et des annuités réglées, un extrait Kbis de

la SARL BECHER, de la SARL BECHER STP, de la SCI et du GEIE, un extrait de sa documentation commerciale, le fascicule du brevet déposé par la société BECHER STP et INNOVATION FOR SHELTER INTERNATIONAL, une comparaison avec la revendication 1 de son propre brevet, une attestation du président de la société UTILIS – désigné comme inventeur sur le brevet EP'886- et enfin, les informations relatives au salon eurosATORY. L’article L.615-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « la contrefaçon peut être prouvée par tous moyens. À cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d’experts désignés par le demandeur, en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des produits ou procédés prétendus contrefaisants ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux produits ou procédés prétendus contrefaisants en l’absence de ces derniers (…). Au regard de ces dispositions et de leur application jurisprudentielle telle que rappelée plus haut, il ne peut être reproché à la société UTILIS de ne pas s’être livrée à une démonstration complète de la matérialité de la contrefaçon alléguée. Il lui suffisait, en effet, de faire état des indices lui permettant de présumer qu’il était porté atteinte à ses droits et de communiquer les pièces afférentes, ce qu’elle a fait. En revanche, elle ne peut être suivie lorsqu’elle soutient qu’elle n’avait aucune raison de mentionner l’existence des procédures judiciaires en cours l’opposant à la société BECHER SARL et en particulier, l’existence d’une ordonnance du juge de la mise en état la déboutant de sa demande de production forcée de pièces potentiellement susceptibles d’être obtenues dans le cadre des opérations de saisie- contrefaçon. En passant ce contexte complètement sous silence alors qu’il était susceptible d’une part, d’accroitre la vigilance du juge dans l’appréciation des indices de l’atteinte soupçonnée aux droits issus du brevet et d’autre part, de le conduire à restreindre le champ de la mission, la société UTILIS n’a pas satisfait à l’exigence de loyauté permettant un contrôle efficace de la proportionnalité de la mesure autorisée.

Il y a lieu en conséquence de rétracter l’ordonnance rendue le 8 juin 2018 sous le numéro 18/1658 et d’interdire à la société UTILIS SAS de faire usage des documents appréhendés au moyen de la mesure, laquelle devient dépourvue de fondement.

La société UTILIS SAS, partie perdante, supportera la charge des dépens et sera condamnée à verser à la société BECHER SARL une

somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS Statuant par ordonnance de référé mise à disposition au greffe le jour du délibéré, contradictoirement et en premier ressort, RETRACTE en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 08 juin 2018 sous le numéro 18/1658 par le juge agissant par délégation du Président du tribunal de grande instance de PARIS à la requête de la société UTILIS SAS et autorisant une saisie contrefaçon dans les locaux de la SARL BECHER,

ORDONNE la restitution de l’ensemble des pièces saisies à l’occasion des opérations de saisies-contrefaçon diligentées le 12 juin 2018 sur la base de l’ordonnance rétractée ;

FAIT INTERDICTION à la société UTILIS SAS d’utiliser les éléments appréhendés lors des saisies-contrefaçon opérées au sein de la société BECHER SARL, de même que les procès-verbaux ou toute copie qui aurait pu en être faite, DIT n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte, CONDAMNE la société UTILIS SAS à payer à la société BECHER SARL la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, CONDAMNE la société UTILIS SAS aux dépens.

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