Tribunal de grande instance de Strasbourg, 1er décembre 2003, n° 2002/03234

  • Etudes et recherches explicitement confiées au salarié·
  • Mission inventive dans le cadre du contrat de travail·
  • Violation d'une obligation légale ou conventionnelle·
  • Domaine d'activité de l'entreprise·
  • Exécution des fonctions du salarié·
  • Invention hors mission attribuable·
  • Mission inventive occasionnelle·
  • Revendication de propriété·
  • Invention de mission·
  • Invention de salarié

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Strasbourg, 1er déc. 2003, n° 02/03234
Juridiction : Tribunal de grande instance de Strasbourg
Numéro(s) : 2002/03234
Publication : PIBD 2004, 781, IIIB-125
Domaine propriété intellectuelle : BREVET
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : FR0013599 ; FR0016852
Titre du brevet : Palette en matière plastique et procédé de fabrication d'une palette en matière plastique ; palette en matière plastique et procédé de fabrication d'une telle palette
Classification internationale des brevets : B65D ; B29C ; B29D ; B29L
Brevets cités autres que les brevets mis en cause : WO0103082
Référence INPI : B20030175
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Texte intégral

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE STARSBOURG Jugement du 1er décembre2003

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS

JUGE RAPPORTEUR : Edouard MAZARIN, Vice-Président.

GREFFIER : Edith GASSMANN, Greffier

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DÉLIBÉRÉ Edouard MAZARIN, Vice-Président, Président Isabelle R et Florence VANNIER, Juges. DÉBATS à l’audience publique du 03 Novembre 2003 JUGEMENT
- prononcé publiquement par Edouard MAZARIN,
- contradictoirement et en premier ressort
- signé par Edouard MAZARIN, Président et par Edithe GASSMANN, Greffier.

OBJET : Autres demandes en matière de brevet, d’obtention végétale, de topographie de semi conducteur, marque, dessins et modèles -CODE:39Z0A

DEMANDEUR : Monsieur Patrick M représenté par l’Association A – LEVY – KAHN, avocats associés au barreau de STRASBOURG, prise en la personne de Me Bernard A, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat postulant. vestiaire : 70) et par Me Myriam J, avocat au barreau de METZ, avocat plaidant.

DÉFENDERESSE : E.U.R.L. SOCIÉTÉ SEGIP (société d’étude de gestion d’investissements et de participations), représentée par sa gérante Mme K Chantal […] à 57000 METZ représentée par Me Jean GESCHWIND, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant, (vestiaire : 197)

FAITS ET PROCÉDURE.

La société SEGIP (Société d’Etude de Gestion d’Investissements et de Participations), créée fin 1994 sous la forme d’une S.A.R.L. et immatriculée au Registre du Commerce de Metz le 3 mars 1995, a pour objet social « rachat, la vente, rechange, l’importation et l’export de tout produit, la représentation, le négoce, la fourniture de services et de prestations informatiques ». La capital initial de 50.000 F a été divisé en 500 parts de 100 F réparties par moitié entre les deux associés, Chantai K et Patrick M.

Le 21 novembre 1995, Patrick M a cédé à celle qui était alors sa compagne, Chantai K, l’ensemble de ses parts pour un prix fixé à 25.000 F ce qui a entraîné la transformation de la S.A.R.L. en E.U.R.L.

Les 24 octobre et 22 décembre 2000, la société SEGIP a déposé deux demandes de brevet français mentionnant Patrick M comme en étant l’inventeur sous les numéros respectifs 0013599 et 0016852 et le 5 octobre 2001, une demande de brevet international n° PCT/FR01/03082.

Régulièrement autorisé par ordonnance présidentielle délivrée le 10 juin 2002, Patrick M a, par exploit d’huissier signifié le 17 juin 2002, tait assigner TE.U.R.L. SEGIP en revendication de ces brevets et de la priorité qui y est attachée en application de l’article 4 de la Convention d’Union de Paris ainsi que d’être substitué rétroactivement dans les droits de la société SEGIP relatifs à ces brevets. Il réclame à celle-ci 200.000 à titre de dommages-intérêts et de 7.500 en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et sollicite la publication du jugement au Registre National des Brevets, le tout avec le bénéfice de l’exécution provisoire.

Au dernier état de ses écrits déposés au greffe le 3 avril 2003, il fait principalement valoir que :

- il travaille dans le domaine du traitement de matériaux plastiques et du retraitement des plastiques ménagés depuis 1989, mademoiselle K n’ayant, quant à elle, aucune formation technique dans ce domaine,
- il ne lui a cédé ses parts dans la société SEGIP que pour des raisons fiscales, l’intention commune des parties demeurant de travailler ensemble dans une entité commune en qualité d’associés,
- l’objet social de cette société ne fait état d’aucune activité de recherche, d’étude ou de développement,

— il a été salarié de cette société en qualité de technico-commercial du 1er janvier 1995 au 31 décembre 19% et du 1er avril 2000 au 31 décembre 2001 sans contrat de travail écrit,
- les brevets revendiqués, relatifs à la configuration spécifique d’une palette en plastique recyclé ainsi qu’au procédé de fabrication de cette palette dénommés ''projet PALTEC, sont le résultat de son seul savoir-faire et sont dès lors sa propriété par application de l’article L.611-6 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- la société SEGIP ne prouve pas qu’elle lui avait confié une mission inventive correspondant à ses fonctions effectives ou d’étude et de recherche,
- elle ne peut davantage justifier d’un accord écrit qu’elle aurait passé avec lui au sujet de ces inventions,
- en paralysant volontairement le développement du projet PALTEC pour anéantir tous ses efforts d’inventeur, la société SEGIP a commis une faute qui a retardé la fabrication et la commercialisation du produit breveté et la possibilité de déposer des brevets complémentaires sur d’autres technologies mises au point

Il sollicite enfin, avant dire droit, qu’il soit fait injonction à celle-ci de justifier du suivi actualisé de la procédure de dépôt et de délivrance des brevets litigieux.

L’E.U.RL. SEGIP (dernières conclusions déposées au greffe le 4 juin 2003) conclut au débouté et réclame 10.000 H.T. en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle ne conteste pas la qualité d’inventeur de Patrick M mais expose que :

- ce dernier, qui n’a jamais versé la part du capital social lui incombant, n’a jamais été véritablement associé,
- engagé en qualité de technico-commercial jusqu’à fin 1997 puis, de nouveau à compter du mois d’avril 2000, il bénéficiait des avantages réservés aux cadres,
- les brevets ont été déposés par la société avec son accord et sont soumis au régime des inventions salariées,
- son activité inventive s’est accomplie au sein de la société SEGIP contre rémunération et défraiement complet,
- les inventions litigieuses doivent être qualifiées d’inventions de mission au sens de l’article L.611-7 du Code de la Propriété Intellectuelle qui appartiennent à l’employeur ou, pour le moins, d’inventions hors mission attribuables, la SEGIP ayant assumé l’ensemble des frais afférents au dépôt des brevets et à leur valorisation.

Elle conteste en outre avoir commis une faute quelconque en paralysant le développement des inventions brevetées et reproche au contraire à Patrick M de s’être régulièrement présenté comme le dirigeant social de SEGIP et d’avoir commis des actes déloyaux de concurrence qui lui sont préjudiciables.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 septembre 2003.

II) MOTIFS DE LA DÉCISION.

Compte tenu des relations intimes qui existaient entre les parties à l’époque, il ne saurait être tiré aucune présomption de l’accord exprès donné par Patrick M au dépôt par la société SEGIP des brevets litigieux avec la simple mention de sa qualité d’inventeur.

De même, le protocole d’accord passé entre les parties le 20 décembre 2001 étant manifestement caduc faute de réalisation avant le 28 janvier2002 des conditions suspensives qui y étaient convenues, ne peut produire aucun effet

En outre, il est de jurisprudence constante qu’il appartient au Tribunal appelé à statuer sur la propriété d’un brevet, d’examiner si se trouve remplie l’une ou l’autre des conditions légales (contrat de travail, mission inventive, etc …) ce classement ne dépendant pas de la volonté des intéressés mais, objectivement, des critères légaux et que, même en cas d’accord des intéressés, il appartient aux Tribunaux de contrôler la pertinence du classement fait par eux.

Il sera encore rappelé que l’article L.611-7-3° alinéa 3 dispose que « tout accord entre le salarié et l’employeur ayant pour objet une invention de salarié doit, à peine de nullité, être constaté par écrit » et il est constant qu’aucun écrit de ce type n’a jamais été établi entre les parties.

Celles-ci reconnaissent d’ailleurs que les inventions brevetées litigieuses sont soumises au régime des inventions salariées défini à l’article L.611 -7 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Ce texte définit trois catégories d’inventions salariées :

- les inventions de mission,
- les inventions hors mission attribuables,
- les inventions hors mission non attribuables.

L’invention de mission suppose qu’elle ait été faite par le salarié dans l’exécution, soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d’études et recherches qui lui sont explicitement confiées et il appartient à l’employeur d’établir l’existence du contrat de travail à l’instant de l’invention.

Or,
- si les premiers dépôts de brevets ont été effectués en 2000, aucun élément du dossier ne permet de connaître la date à laquelle les inventions ont été faites,
- il n’est versé aux débats aucun contrat de travail écrit définissant clairement les fonctions de Monsieur M au sein de l’entreprise,
- les fiches de paye produites mentionnent des fonctions de technico-commercial et la convention du S janvier 1997 (annexe 1S du demandeur) précise que : " Patrick M est chargé du développement des activités de la société SEGEP, apport de conseils, relations connaissances techniques et commerciales du marché…'',

— l’objet social de la société SEGIP à savoir "l’achat, la vente, l’échange, l’importation et l’export de tout produit, la représentation, le négoce, la fourniture de services et de prestations informatiques'' ne concerne en rien l’invention brevetée qui porte sur la fabrication d’une palette de manutention en plastique recyclé.

Ainsi, il ne résulte pas de ces éléments que :

- Monsieur M était titulaire d’un contrat de travail comportant une mission inventive, générale ou ponctuelle,
- qu’une telle mission inventive ou que des études ou des recherches lui ont été explicitement confiées par son employeur,
- que l’invention a été faite à une époque où il était salarié de la société SEGIP étant précisé que les parties s’accordent au moins pour admettre que Monsieur M n’avait pas cette qualité entre fin 1997 et le 1er avril 2000.

L’invention litigieuse ne peut en conséquence être qualifiée, ni d’invention de mission inventive, ni d’invention de mission occasionnelle. A supposer que l’invention ait été faite pendant le temps du travail de Monsieur M au sein de la société SEGIP, force est de constater, d’une part, que tout en admettant subsidiairement qu’il pourrait s’agir d’une invention hors mission attribuable, la société défenderesse n’offre pas pour autant d’en payer à Monsieur M le juste prix et, d’autre part, que les fonctions de technico-commercial de ce dernier consistant à rechercher des partenaires commerciaux ne le prédisposaient pas à réaliser une telle invention.

En outre, eu égard à l’objet social de la société SEGIP sus-rappelé, l’invention n’a pas été faite dans son domaine d’activités et si certes, Monsieur M a pu démarcher des investisseurs grâce aux moyens mis à sa disposition par son employeur, ce dernier, qui pourtant en assume la charge, ne rapporte nullement la preuve que l’invention elle-même a été faite grâce à la connaissance ou à l’utilisation des techniques ou des moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle.

Il s’ensuit que les inventions litigieuses entrent dans la catégorie des inventions hors mission non attribuantes qui, conformément à l’article L.611-7-2° appartiennent au salarié et qu’en déposant les brevets à son nom, fusse avec son accord, la société SEGIP a violé l’obligation légale à laquelle elle était tenue.

Il convient en conséquence, conformément à l’article L.611-8 du Code de la Propriété Intellectuelle, de faire droit à la demande en revendication de ces brevets présentée par Monsieur M

En outre, s’agissant du brevet international n° PCT7FR 01/03082, il sera fait droit, par application de l’article 4 de la Convention d’Union de Paris du 20 mars 1883, à la demande de Monsieur M qui revendique le droit de priorité attaché aux demandes de brevets français FR 0013599 et FR 0016852 qui y est prévu en le substituant rétroactivement à la société SEGIP dans les droits de celle-ci relatifs à ces brevets.

Pour le surplus, Patrick M avait choisi la voie rapide de l’assignation à jour fixe et avait obtenu l’autorisation présidentielle nécessaire mais, pour des motifs qui lui sont seuls imputables, notamment par le défaut de communication à l’adversaire d’un certain nombre de ses pièces, il a perdu le bénéfice de cette procédure.

A ce jour, malgré la durée de celle-ci et alors qu’il appartient à celui qui se prévaut d’un préjudice de rapporter la preuve de sa réalité et de son étendue, il ne verse aucune pièce aux débats au soutien de sa réclamation portant sur la modique somme de 200.000 €, se bornant à demander qu’il soit fait injonction à la défenderesse de fournir des renseignements qu’il pouvait lui-même obtenir.

Dans ces conditions, le Tribunal, qui n’a pas à suppléer la carence des parties dans l’administration des preuves, lui allouera la somme de 4.500 € en réparation du seul préjudice moral que lui a causé le dépôt par la société SEGIP des trois brevets litigieux en fraude de ses droits.

La nature et les circonstances de la cause justifient que l’exécution provisoire de la présente décision soit ordonnée.

La société SEGIP qui succombe pour l’essentiel, supporte les entiers dépens de la procédure et doit, par application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, indemniser Patrick M des frais irrepetibles qu’il a exposés et qui, compte tenu des circonstances de l’espèce seront fixés à 3.000 €.

PAR CES MOTIFS

Le TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Constate que les inventions ayant fait l’objet des demandes de brevet français et international sous les numéros FR 0013599, FR 0016852 et PCT/FR01/03082 sont la propriété de Patrick M.

Condamne l’E.U.R.L. SEGIP à transférer à ses frais les-dites demandes de brevet au nom de Patrick M ainsi qu’à payer à ce dernier à la somme de quatre mille cinq cents euros (4.500 €) à titre de dommages-intérêts.

Dit que Patrick M sera rétroactivement substitué à l’E.U.R.L. SEGIP dans les droits relatifs aux brevets sus-visés et bénéficiera de la priorité attachée aux brevets français numéros FR 0013599 et FR 0016852 prévue par l’article 4 de la Convention d’Union de PARIS du 20 mars 1883 ainsi que pour les extensions territoriales réalisées sous priorité de cette demande.

Ordonne l’exécution provisoire.

Condamne TE.U.R.L. SEGIP aux frais et dépens ainsi qu’à payer à Patrick M un montant de trois mille euros (3.000 €) en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Ordonne publication du présent jugement au Registre National des Brevets.

Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.

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