Tribunal de grande instance de Paris, 22 février 2022, 21/3340

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, ct0196, 22 févr. 2022, n° 21/3340
Numéro(s) : 21/3340
Importance : Inédit
Identifiant Légifrance : JURITEXT000045652984

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE [Localité 6]

3ème chambre
3ème section

No RG 21/03340 – 
No Portalis 352J-W-B7F-CT5RH

No MINUTE :

Assignation du :
24 Février 2021

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 Février 2022
DEMANDERESSE

S.A.S. E REMY [C] & C
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Maître Annette SION de l’ASSOCIATION HOLLIER-LAROUSSE & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0362

DEFENDERESSES

Société SIRE SPIRITS LLC
intervenant volontaire
[Adresse 4]
[Adresse 5] (ETATS-UNIS)

Société SIRE BROWN LLC
intervenant volontaire
[Adresse 4]
[Adresse 5] (ETATS-UNIS)

représentées par Maître Louis DE GAULLE et Maître Francine LE PECHON JOUBERT de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0035

S.A.R.L. COGNAC EMBOUTEILLAGE
[Adresse 7]
[Localité 2]

représentée par Maître Thibault LACHACINSKI de la SCP NFALAW, avocat au barreau de PARIS, avocats posutlant, vestiaire #E0730 et par Maître Marie CHAMFEUIL, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Arthur COURILLON-HAVY, juge
assisté de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l’audience du 09 décembre 2022, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue 08 février, prorogée au 22 février 2022.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

Exposé du litige

1.La société E. [V] [C] & co (la société [V] [C]), qui commercialise des cognacs, reproche à la société Cognac embouteillage d’avoir embouteillé du cognac dénommé « Branson cognac XO, grande champagne » dans une bouteille dont la forme serait la contrefaçon d’une marque tridimensionnelle et d’un dessin ou modèle représentant la forme de sa bouteille « Centaure de diamant », et dont le bouchon serait la contrefaçon de trois autres de ses marques tridimensionnelles.

2.Après une saisie-contrefaçon pratiquée chez Cognac embouteillage le 29 janvier 2021 et dont la mainlevée a été refusée par jugement du 6 avril, suivie d’une retenue douanière des bouteilles litigieuses trouvées dans les locaux de cette société le 3 février, toujours en cours, la société [V] [C] a, par acte du 24 février 2021 assigné la société Cognac embouteillage en dommages et intérêts, interdiction, destruction, et publication du jugement.

3.Par conclusions du 3 septembre 2021, les sociétés de droit des États-Unis Sire spirits llc et Sire brown (les sociétés Sire), à qui étaient destinées les bouteilles, sont intervenues volontairement à l’instance.

4.Et par conclusions du même jour, elles ont soulevé un incident devant le juge de la mise en état relatif à l’irrecevabilité des demandes en invoquant la déchéance des marques, leur défaut de distinctivité et le défaut de nouveauté et de caractère individuel du dessin ou modèle.

5.La société [V] [C] invoque dans cette procédure les droits de propriété industrielle suivants :

— la marque tridimensionnelle de l’Union européenne no009406869 déposée le 28 septembre 2010 et enregistrée le 9 mars suivant pour désigner des boissons alcooliques à l’exception des bières en classe 33 (et des conditionnements en verre en classe 21), sous la représentation ci-dessous, et qui correspond à la forme de la bouteille du cognac « Centaure de diamant ».

— les marques tridimensionnelles françaises no 3440053 (ci-après la marque 053), 4165692 (ci-après la marque 692) et 4271019 (ci-après la marque 019), déposées respectivement les 11 juillet 2006 (renouvelée régulièrement depuis), 17 mars 2015 et 10 mai 2016, et enregistrées respectivement les 15 décembre 2006, 10 juillet 2015 et 2 décembre 2016 pour désigner des boissons alcooliques ou alcoolisées (à l’exception des bières), et respectivement représentées ainsi :
053 692 019

— le dessin ou modèle communautaire no001735457-0001, déposé et enregistré le 23 juillet 2010 sous les représentations suivantes (qui correspondent à la forme de la bouteille « Centaure de diamant ») :

6.Dans leurs dernières conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 7 décembre 2021, les sociétés Sire spirits llc et Sire brown soulèvent l’irrecevabilité des demandes en ce que la preuve d’un usage sérieux des marques ne serait pas rapportée, que le dessin ou modèle ne serait pas nouveau et serait dépourvu de caractère individuel, et subsidiairement que les marques ne seraient pas distinctives ; elles demandent une indemnité de procédure de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

7.Dans ses dernières conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 5 novembre 2021, la société Cognac embouteillage oppose les mêmes fins de non-recevoir et demande 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

8.Dans ses dernières conclusions d’incident signifiées par voie électronique le 9 décembre 2021, la société E. [V] [C] & co soulève l’incompétence du juge de la mise en état pour connaitre des demandes en nullité des marques et du dessin ou modèle, demande d’écarter les fins de non-recevoir qui s’analysent selon elle en des moyens de défenses au fond, et réclame elle-même 8 000 euros aux sociétés Sire et 8 000 euros à la société Cognac embouteillage au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; subsidiairement, elle demande un délai pour conclure en réponse sur les demandes en nullité.

9.L’incident a été entendu le 9 décembre 2021 et mis en délibéré.

MOTIFS

Rappels sur la notion de fin de non-recevoir

10.L’article 789 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 11 décembre 2019, en vigueur depuis le 1er janvier 2020, donne compétence au juge de la mise en état pour trancher les fins de non-recevoir. Celles-ci sont définies à l’article 122 comme tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. Elles se distinguent des exceptions de procédure (incompétence, litispendance et connexité, exceptions dilatoires, et nullité des actes de procédure), et des défenses au fond, lesquelles sont définies par l’article 71 comme tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire.

11.Ainsi, si la défense au fond conteste au demandeur le droit d’obtenir ce qu’il réclame, la fin de non-recevoir lui conteste la possibilité même de le réclamer. Le demandeur peut bien caractériser toutes les conditions du droit qu’il invoque (par exemple, en justifiant qu’il détient un droit de propriété intellectuelle valide, et que le défendeur y a porté atteinte), le défendeur lui conteste le droit d’agir.

12.Il en résulte que la titularité ou la validité du droit de propriété intellectuelle invoqué par le demandeur, faisant partie des conditions d’application du régime juridique invoqué pour fonder la demande, et donc des conditions de fond de celle-ci, relèvent des défenses au fond, et non des fins de non-recevoir.

Application à la contestation de la validité des titres

13.Par conséquent, la contestation soulevée par les défendeurs portant sur des causes de nullité des marques et du dessin ou modèle sont des défenses au fond. La fin de non-recevoir soulevée à ce titre doit être écartée.

Cas de la déchéance

14.L’exception de déchéance pour non-usage de la marque conteste au demandeur l’existence du droit qu’il invoque au soutien de sa demande, ce qui relève à l’évidence d’une défense au fond, et non d’une fin de non-recevoir.

15.Toutefois, par exception à ces notions procédurales, les articles L. 716-2-3 et L. 716-4-3 du code de la propriété intellectuelle qualifient d’ « irrecevable[s] » la demande en nullité (d’une marque postérieure), et « l’action » en contrefaçon, lorsqu’elles sont fondées sur une marque dont le titulaire ne rapporte pas la preuve qu’elle a fait l’objet d’un usage sérieux au cours des cinq années précédant la demande (ou le dépôt de la marque postérieure). Ce qualificatif s’applique donc aux demandes relevant du droit national : la demande en nullité de marque française (qu’elle soit fondée sur une marque antérieure française ou de l’Union européenne) et la demande en contrefaçon de marque française. Le moyen de déchéance des marques françaises, en l’espèce, doit donc être qualifié de fin de non-recevoir, et être examiné à ce titre par le juge de la mise en état.

16.En revanche, pour les demandes en contrefaçon relevant du droit de l’Union, le règlement 2017/1001, qui prévoit à l’article 127 un dispositif similaire où le défendeur à une action en contrefaçon peut faire valoir que la déchéance de la marque pourrait être prononcée pour défaut d’usage sérieux, qualifie ce moyen de « défense au fond » dans le titre même de l’article (de la même manière, « defence as to the merits » dans le texte en Anglais, « difesa nel merito » en Italien, par exemple).

17.Au demeurant, les exceptions doivent s’interpréter strictement, et ne peuvent être étendues au-delà des seuls cas où elles sont prévues. L’exception à la notion de fin de non-recevoir que prévoient les articles L. 716-2-3 et L. 716-4-3 doit donc être limitée aux seuls cas des actions en nullité de marque et au contentieux de la contrefaçon relevant du droit national ; le moyen de déchéance opposé aux actions en contrefaçon de marque de l’Union européenne, régies par le règlement, doivent suivre la qualification que celui-ci retient, qui est au demeurant la même que celle qui résulte des définitions prévues par le code de procédure civile français.

18.C’est encore la solution que conduit à adopter l’esprit de l’article 789 issu du décret du 11 décembre 2019, qui dissocie le régime des fins de non-recevoir de celui des défenses au fond. En effet, en faisant suivre aux premières le même régime que les exceptions, les provisions et les mesures provisoires, il invite à les traiter comme elles comme des questions préalables appelant une réponse rapide et plus simple que l’examen au fond de la demande, ce qui correspond à une vision restrictive du domaine des fins de non-recevoir ; car si la fin de non-recevoir suppose une mise en état longue et complexe (comme c’est le cas pour le moyen de déchéance qui appelle un important effort probatoire), elle vide de son efficacité la voie rapide prévue par le texte et ôte toute justification à un traitement dissocié de la fin de non-recevoir et de la défense au fond. Cet objectif de rapidité destiné par principe aux contestations les plus simples explique aussi la faculté offerte par l’article 789 de renvoyer la fin de non-recevoir au tribunal lorsqu’elle dépend d’une question de fond, sans prévoir aucun délai à cet examen par le tribunal, et sans interdire la clôture (« le cas échéant sans clôturer l’instruction »), autorisant donc a contrario le tribunal à trancher toutes les questions au même moment, après la clôture de l’instruction, lorsqu’elles sont longues et complexes.

19.Par conséquent, seule la déchéance opposée aux marques française doit être examinée par le juge de la mise en état, en application de la dissociation du régime des fin de non-recevoir et des défenses au fond introduite depuis le 1er janvier 2020. La fin de non-recevoir doit être écartée pour le surplus.

Déchéance pour non-usage des 3 marques françaises

Moyens des parties

20.Les sociétés Sire et la société Cognac embouteillage estiment qu’alors que la demanderesse n’invoque que les bouchons de ses 3 marques françaises et non la forme de la bouteille qu’elles représentent, elle ne justifie pas de l’usage desdits bouchons, qu’elle aurait remplacés par un autre bouchon avec un goulot en verre transparent, différent des marques.

21.La société [V] [C] fait valoir que la marque no4271019 n’ayant été enregistrée que le 2 décembre 2016, soit moins de 5 ans avant l’assignation, elle n’est pas soumise à déchéance, et estime pour les deux autres marques françaises que ses catalogues, l’attestation de son directeur financier sur les quantités vendues, les parutions dans la presse en France et à l’étranger, ainsi que plusieurs attestations qu’elle verse aux débats permettent de démontrer l’usage sérieux des marques dans leur ensemble, flacon et bouchon.

Réponse du tribunal

22.Comme le soulève la société [V] [C], la marque 019 a été enregistrée moins de 5 ans avant l’assignation, de sorte que l’irrecevabilité prévue à l’article L. 716-4-3, dont le délai de 5 ans ne débute, en vertu de l’article L. 714-5, qu’à compter de l’enregistrement, n’est pas applicable.

23.Les trois marques françaises invoquées par la demanderesse, 053, 692 et 019 sont d’une très grande similitude, représentant chacune une bouteille de forme apparemment identique, et se distinguant seulement par la couleur de l’étiquette, la couleur du col (noir pour la marque 692, jaune ou doré pour les 053 et 019), et la forme du bouchon (doré haut et strié d’une certaine façon pour les marques 053 et 692, plus plat pour la marque 019, dans laquelle la partie verticale légèrement inclinée du bouchon des marques 053 et 692 est comme compressée, devenant une ligne à l’inclinaison beaucoup plus forte, et les stries ont disparu). En revanche, la différence signalée par les défenderesses, tenant à la coloration du verre, n’est pas perceptible aux yeux du présent tribunal, et semble plutôt dépendre de la prise de vue, selon les reflets dorés venant du bouchon ou du col.

24.Le catalogue 2016 de la société [V] [C], dont la véracité n’est pas contestée (pièce [V] [C] no42) montre notamment deux produits, XO et Cellar no28, représentés dans des bouteilles dont l’apparence est identique, respectivement, aux marques 053 et 692, à ceci près qu’une inscription relativement peu visible est ajoutée sur le col, différence insignifiante. Le catalogue 2020-2021 présente également la bouteille Cellar no28, visuellement identique à celle présentée dans le catalogue 2016 (pièce no43). Ce catalogue ne contient pas, en revanche, la bouteille correspondant à la marque 053, le produit XO étant cette fois présenté dans une bouteille correspondant à la marque 019 (étiquette jaune et non plus bordeaux ou violacée). Un petit nombre d’articles (parmi l’ensemble de la pièce no36) publiés dans des magazines ou sur l’internet après le 24 février 2016 (cinq ans avant l’assignation) font la promotion du produit XO dans la bouteille correspondant à la marque 019 (étiquette jaune), ou des bouteilles hybrides (étiquette jaune de la marque 019, mais bouchon de la marque 053 ou 692.

25.Ainsi, la commercialisation, non contestée, du produit Cellar no28, dont les catalogues, non contestés et qu’aucune autre pièce ne contredit, montrent qu’il est vendu jusqu’en 2020-2021 dans la bouteille correspondant à la marque 692, caractérise un usage sérieux de cette marque. En revanche aucun usage de la marque 053 postérieur au 24 février 2016 n’est rapporté, la seule présence au catalogue 2016, dont la date n’est pas connue, n’étant pas suffisant à l’établir.

26.Par conséquent, la déchéance doit être prononcée sur la marque 053, et la fin de non-recevoir écartée pour le surplus.

Dispositions accessoires

27.L’instance étant encore en cours, il n’y a pas lieu de statuer sur les dépens ; et l’équité ne commande pas d’attribuer à une partie une indemnité de procédure au titre de l’article 700 du code de procédure civile à ce stade.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire mis à disposition au greffe,

Déclare irrecevables les demandes de la société E. [V] [C] & co fondées sur la contrefaçon de la marque tridimensionnelle française no3440053,

Écarte la fin de non-recevoir formée au titre du non-usage des marques tridimensionnelles françaises no4165692 et no4271019 ;

Écarte les moyens tenant au défaut d’usage de la marque de l’Union européenne, défaut de nouveauté et de caractère individuel du dessin ou modèle communautaire, et de défaut de distinctivité des marques, dans la mesure où ils sont qualifiés de fins de non-recevoir ;

Rejette les demandes des parties formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais de l’incident ;

Renvoie l’affaire à la mise en état (dématérialisée) du 19 mai 2022 pour les conclusions au fond des défendeurs ;

Faite et rendue à Paris le 22 Février 2022

La GreffièreLe Juge de la mise en état

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