Tribunal Judiciaire de Paris, 17e chambre presse civile, 13 mars 2024, n° 20/07721

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 17e ch. presse civ., 13 mars 2024, n° 20/07721
Numéro(s) : 20/07721
Importance : Inédit
Dispositif : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes
Date de dernière mise à jour : 26 mars 2024
Lire la décision sur le site de la juridiction

Texte intégral

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS

MINUTE N° :

17ème Ch. Presse-civile

N° RG 20/07721 – N° Portalis 352J-W-B7E-CSTMY

JFA

Assignation du :

30 Juillet 2020

[1]

[1] Expéditions

exécutoires

délivrées le :

République française

Au nom du Peuple français

JUGEMENT

rendu le 13 Mars 2024

DEMANDEUR

[Z] [W]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Maître Luc BROSSOLLET de la SCP S.C.P d’ANTIN – BROSSOLLET – BAILLY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0336

DEFENDEURS

[M] [L] en sa qualité de Directeur de la publication du site internet bfmtv.com et de Directeur de la publication de la chaine Youtube BFM TV

domicilié : chez SAS NEXTINTERACTIVE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Maître Laurent MERLET de la SELARL MERLET PARENT AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0327

S.A.S. NEXTINTERACTIVE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Maître Laurent MERLET de la SELARL MERLET PARENT AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0327

MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE PRES LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS auquel l’assignation a été régulièrement dénoncée.

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Magistrats ayant participé aux débats et au délibéré :

Amicie JULLIAND, Vice-présidente

Présidente de la formation

Jean-François ASTRUC, Vice-président

Jeanne DOUJON, Juge placé

Assesseurs

Greffiers :

Martine VAIL, Greffier lors des débats

Virginie REYNAUD, Greffier à la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 17 Janvier 2024

tenue publiquement

JUGEMENT

Mis à disposition au greffe

Contradictoire

En premier ressort

Par acte d’huissier délivré le 30 juillet 2020, [Z] [W] a fait assigner [M] [L] en qualité de directeur de publication des sites internet www.bfmtv.com et de la chaîne Youtube BFM TV, ainsi que la société NEXTINTERACTIVE en qualité d’éditrice des mêmes sites, devant le tribunal judiciaire de Paris (17ème chambre), aux fins de:

— juger que le premier est l’auteur de délits de diffamation publique à raison de propos tenus lors d’une interview diffusée sur ces médias et la seconde civilement responsable,

— les condamner in solidum à lui payer la somme d’un euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

— ordonner la publication, dans cinq journaux de son choix et dans la limite de 10 000 euros par insertion, d’un communiqué judiciaire dont les termes sont précisés dans l’acte introductif d’instance,

— les condamner in solidum à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens qui comprendront les frais de constats d’huissier des 4 et 16 juillet 2020,

— d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par acte du 3 août 2020, l’assignation a été dénoncée au procureur de la République de Paris.

Par ordonnance du 10 novembre 2021, le juge de la mise en état :

— rejetait l’exception de nullité de l’assignation soulevée par les défendeurs,

— rejetait la fin de non-recevoir tirée de la contestation par les défendeurs de leur qualité respective de société éditrice et de directeur de publication de la chaîne BFMTV du site internet Youtube.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 octobre 2022 et auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, [Z] [W] conclut au bénéfice de ses demandes introductives d’instance.

En défense, dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2022, les défendeurs concluent au débouté et à la condamnation du demandeur à leur verser la somme de 3.000 euros chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 18 janvier 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 17 janvier 2024, à laquelle les conseils des parties ont développé oralement leurs écritures et à l’issue de laquelle l’affaire a été mise en délibéré au 13 mars 2024, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

Sur les faits

Le 12 février 2020, des vidéos à caractère sexuel attribuées représentant [Y] [B] ont été publiées sur le site www.pornopolitique.com, accompagnées d’un texte de présentation rédigé en français. Le lien vers ce site a été massivement relayé sur les réseaux sociaux, notamment dans un message Facebook du 12 février 2020 à 17h31 depuis le compte « [J] [U] » où apparaît le nom de [Z] [W], évoqué en ces termes : « L’inénarrable avocat et activiste politique [Z] [W] m’a envoyé ce midi un lien au-delà du réel (signé par l’artiste [A] [F]) où le candidat Macroniste à la Mairie de [Localité 5] envoie à des jeunes filles des films de lui en train de se masturber (…) https://www.pornopolitique.com ».

Il est notoire qu’à la suite de la diffusion de ces vidéos, rapidement retirées, [Y] [B] a annoncé qu’il renonçait à sa candidature aux élections municipales pour la mairie de [Localité 5].

Les propos incriminés s’inscrivent dans une interview de [Z] [W] conduite par [X] [N] le 17 février 2020, lors de l’émission « Bourdin Direct » diffusée en direct sur la chaîne télévisée BFM TV, puis sur le site internet de BFM TV ainsi que sur sa chaîne Youtube officielle. Ils ont fait l’objet d’une retranscription dans deux constats d’huissier des 4 et 16 juillet 2020.

La journaliste intervieweuse présente son invité en donnant uniquement son identité (« Bonjour [Z] [W] ») avant de préciser le sujet de l’interview « On va essayer de comprendre ce qu’il s’est passé autour de ces révélations de vidéos à caractère sexuel de [Y] [B] » (les propos poursuivis sont mis en gras par le tribunal pour les besoins de la motivation), et de l’interroger immédiatement sur sa qualité d’avocat de [A] [F], en introduisant sa question par le propos suivant :

« Quel est votre rôle aussi euh d’abord avocat ou pas avocat. »

(…)

« mais d’abord euh comprendre vous avez dit être l’avocat de [A] [F]. [A] [F], c’est celui qui a signé le site internet sur lequel ont été révélées les vidéos de [Y] [B]. Alors avocat ou non de [A] [F]. »

« Ce sont quoi qu’il arrive vos amis et hier, [Z] [W] vous avez affirmé que le Parquet, je vous cite, « en une violation exceptionnelle des droits de la défense a décidé de s’opposer à ma désignation par [A] [F] dans l’affaire [B] ». Je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment vous pouvez dire cela alors que ça n’existe pas en droit, mais surtout est- ce que vous étiez véritablement l’avocat de [A] [F] ? »

[Z] [W] prend pour la première fois la parole, expliquant son rôle et dénonçant la décision du parquet de s’opposer à sa désignation par [A] [F], alors en garde à vue.

[X] [N] lui repose la question « Mais concrètement est-ce que [A] [F] vous a véritablement désigné comme étant son Avocat ? »

S’instaure alors un échange où sont successivement abordés la rixe intervenue au domicile de [Z] [W] lors de la soirée du 31 décembre 2019 dans laquelle [A] [F] a été mis en cause et où il est défendu par un autre conseil, puis le rôle de conseil « en amont » dont se prévaut [Z] [W] auprès de [A] [F] dans la présente affaire de la diffusion de la vidéo.

Cette partie de la discussion s’achève par les propos de [Z] [W] expliquant que [A] [F] était légitime à se faire conseiller par un avocat et qu’aucun des arguments avancés ne saurait faire obstacle à sa désignation.

La journaliste, alors que [Z] [W] indique que [A] [F] « a annoncé d’autres révélations », rebondit sur cette formulation et interroge son invité qui lui explique qu’il était « aux côtes de [A] [F] à son cabinet » où « il a parlé d’autres vidéos et il a dit qu’il avait d’autres révélations à faire ».

[X] [N] l’interroge sur les motivations de ce dernier, dans les termes suivants (8'14) :

« Mais [A] [F] lui quel intérêt il a à aller chercher [Y] [B] ? »

« Vous vous avez enquêté sur lui, mais lui », ce à quoi [Z] [W] répond que [A] [F] a souhaité lui confier sa défense car il incarne une « figure d’opposition féroce à la macronie ».

[X] [N] revient sur sa question, qu’elle reformule ainsi :

« On va essayer de comprendre. Donc pour vous, il s’en prend à [Y] [B]. Lui, russe, qui parle mal français, qui arrive en France en 2017, de toute la classe politique, il choisit, il choisit un homme »

« Je dis juste pourquoi est-ce qu’il va cibler [Y] [B] alors qu’il n’a pas comme vous fait cette enquête incroyable derrière », ce à quoi [Z] [W] répond en s’étonnant de la fragilité de « la macronie ».

La journaliste pose une nouvelle question, relative non plus à la cible visée par les vidéos diffusées mais à l’auteur de leur diffusion (10'30), donnant lieu à l’échange suivant :

« [X][N] : Donc il a agi seul

[Z][W] : Dans l’espace public des informations, des informations

[X][N] : Est-ce que [A] [F] a agi seul ?

[Z][W] : Mais évidemment qu’il a agi, non enfin il a agi avec la personne qui lui a transmis ces informations évidemment

[X][N] : Donc c’est, c’est les deux et c’est tout

[Z][W] : Bah oui pour l’instant à ma connaissance…

[X][N] : D’accord

[Z][W] : En tant que conseil, ce que m’a dit mon client…

[X][N] : Vous qui avez vu des complots partout. Il y en a truffé dans tout votre livre

[Z][W] : Ah non pas du tout. Moi tout est factuel.

[X][N] : Vous achetez ça

[Z][W] : Ah non

[X][N] : Vous achetez ça.

[Z][W] : Bah oui parce que moi j’ai

[X][N] : Pour vous il a agi tout seul.

[Z][W] : Parce que je m’appuie sur des faits contrairement à [G] [V] moi je ne parle pas dans l’espace public

[X][N] : Alors

[Z][W] : Sans avoir des faits

[X][N] : Vous avez raison

[Z][W] : Et alors je reviens juste sur [A] [F], un élément

[X][N] : Il ne parle pas bien français vous l’avez vu vous-même

[Z][W] : Oui

[X][N] : puisque c’était dans votre bureau

[Z][W] : Un dernier élément, un dernier élément là-dessus

[X][N] : Il écrit un texte

[Z][W] : Oui

[X][N] : Dans un français remarquable

[Z][W] : Mais bon bah d’accord

[X][N] : Qui accompagne les vidéos. Il ne peut pas l’avoir écrit tout seul

[Z][W] : Évidemment qu’il s’est fait corriger le texte, mais évidemment ».

A l’interrogation directe de savoir s’il a corrigé le texte qui suit immédiatement (« C’est vous qui avez corrigé le texte ? »), [Z] [W] nie catégoriquement avoir assisté [A] [F] dans l’un quelconque des aspects de l’opération, sans quoi il n’aurait pas été en mesure de le défendre, et explique qu’il a justement tenu à éviter que ne se produise ce qui est aujourd’hui utilisé par le parquet pour fragiliser la ligne de défense de [A] [F] (11'25).

[X] [N] annonce alors la diffusion d’un extrait de l’intervention de [Z] [W] dans l’émission de « Vécu Le Média » du samedi soir précédent, dans lequel celui-ci déclarait : « Ce qu’on a fait, on l’a fait sans, sans haine, sans quoi que ce soit. On a juste montré un désaccord entre des actes et un et un et des et des paroles. On l’a fait de façon évidemment sauvage, c’est-à-dire [A] [F] y est allé comme une brute parce que c’est la seule façon de faire sortir ce genre d’affaire aujourd’hui ».

La diffusion de ce passage donne ensuite lieu à l’échange suivant :

« [X][N] : Ce qu’on a fait

« [Z][W] : Mais oui, j’ai accompagné [A] [F] en tant que Conseil, en tant qu’Avocat et je continue à le faire »

« [X][N] : Non, non non fait fait »

« [Z][W] : Oui, oui »

« [X][N] : Action, action »

« [Z][W] : Oui, oui je l’ai accompagné en tant qu’avocat mais c’est ce que je dis depuis le début et là il faut quand même que vous notiez une chose très particulière moi toutes mes défenses, que ce soit avec [O] [C], auparavant avec [E] [K], avec les gilets jaunes consistent en une chose très simple. J’épouse, j’épouse ».

S’estimant visé dans son éthique professionnelle lorsque la journaliste évoque qu’il a été démis de ses fonctions par ces clients, [Z] [W] procède à des rectifications sur ses relations et les conditions de sa collaboration avec ces deux personnalités.

L’interview aborde ensuite la question de la méthode utilisée à travers la diffusion d’une vidéo sexuelle, dans laquelle la journaliste voit un procédé digne de ceux utilisés par [P] et le FSB, que [A] [F] décrit comme ses ennemis, [Z] [W] distinguant pour sa part la captation d’une vidéo résultant d’un piège de celle faisant l’objet d’un envoi volontaire et spontané par [Y] [B].

Rebondissant sur l’affirmation de [Z] [W], qui rappelle qu’il est sur le plateau « en tant qu’avocat par rapport à [A] [F] », ce que la journaliste lui conteste, un nouvel échange se noue autour de cette question (15'20)

« [X][N] : Alors

[Z][W] : Mais que ce soit très clair

[X][N] : Mais vous n’êtes plus son Avocat

[Z][W] : A un moment il y a une responsabilité

[X][N] : Vous pouvez pas dire que vous êtes là comme son Avocat

[Z][W] : Si j’ai été désigné par lui. Que le parquet s’y oppose c’est un autre problème.

[X][N] : En tout cas à l’heure où on se parle, vous ne l’êtes plus.

[Z][W] : Non, non c’est faux.

[X][N] : Vous êtes associé

[Z][W] : Non, non j’ai été désigné par lui et je vois le bâtonnier à 11 heures et aucun autre avocat n’a été désigné

[X][N] : Et vous espérez

[Z][W] : Justement pour déterminer quelle est la ligne de défense (…) avec [A] [F]

[X][N] : Vous espérez donc redevenir son avocat

[Z][W] : Avec qui, non, non, j’ai pas j’ai pas à espérer, avec qui je n’ai pas pu même m’entretenir. Il n’a pas pu avoir d’entretien avec son avocat. Ça fait trente-six heures qu’il est au cachot sans que personne n’ait accès à lui. Je tiens quand même à répéter cette information. C’est extrêmement grave un prévenu a, dès la première heure, droit à une assistance juridique en France.

[X][N] : Au cachot, donc. Vous estimez en tout cas que c’est un combat mutuel au minimum je vous cite : « nous ce que l’on fait, moi avec Crépuscule », c’est votre livre, « [A] avec ses vidéos, c’est de dire il y a ce que l’on vous dit [Y] [B] qui clame son amour fou, sa fidélité dans Gala et Closer.».

S’instaure alors une discussion (16'45) sur l’ambivalence de [A] [F], que [Z] [W] qualifie « d’anti-puritain », à dénoncer et juger les mœurs de [Y] [B] au motif qu’elles seraient peu vertueuses, avant qu'[X] [N] n’interrompe cette discussion et ne la recadre de la manière suivante :

« [X][N] : Je ne vous demande en aucun cas d’être dans ce registre là. Ce que je voudrais comprendre ce sont les faits. Vous estimez, donc je le rappelle, que c’est une forme de combat mutuel puisque vous dites, « moi je le fais avec Crépuscule, lui il le fait avec ses vidéos » qu’est ce, quel est votre but ?

[Z][W] : Défendre cet individu et sa liberté

[X][N] : Non, non là je vous parle pas de ça.

[Z][W] : Et moi je vous réponds en tant qu’Avocat

[X][N] : Je vous parle de quand vous dites, « nous ce qu’on fait moi avec crépuscule, lui avec ses vidéos » c’est quoi le but de Crépuscule, c’est quoi le but de ces vidéos ?

[Z][W] : Mais oui. Qu’est-ce que fait son Avocat avec son client? Il le défend. Il défend quelqu’un qui lui-même s’est engagé selon lui au service d’une cause, c’est à dire la défense des intérêts de la population sous toutes ses formes. C’est quelqu’un qui a soutenu [O] [C], qui a soutenu les gilets jaunes, comme je l’ai fait, et qui aujourd’hui est en prison de ce fait. ».

Sans transition, [X] [N] revient sur l’existence d’autres vidéos en la possession de [A] [F] qui avaient été évoquées par [Z] [W], ce thème occupant toute la fin de l’interview, dans le dialogue suivant au cours duquel les participants se coupent la parole régulièrement :

« [X][N] : Vous avez évoqué d’autres vidéos sexuelles

[Z][W] : Enfin ? risque d’être en prison dans quelques heures

[X][N] : Vous avez évoqué d’autres vidéos sexuelles de politiques

[Z][W] : C’est ce que [A] [F] a fait

[X][N] : Il l’a dit mais vous l’avez redit vous hier dans ce fameux, cette fameuse interview

[Z][W] : Ben oui moi je… pardon je reprends les paroles de mon client, enfin il faut

[X][N] : Vous avez dit il y a effectivement d’autres vidéos sexuelles qui vont sortir.

Euh, est-ce que vous savez donc de quoi il s’agit ?

[Z][W] : Moi j’ai eu accès aux éléments que m’a présenté [A] [F] afin d’assurer sa défense. Il m’a dit, et j’ai et j’ai notamment recherché à me, j’ai à chercher à m’assurer qu’il n’était pas manipulé. A m’assurer que les éléments qu’il voulait divulguer étaient véritables et qu’il était…

[X][N] : Il y a d’autres vidéos ?

[Z][W] : et c’est le dernier point le plus important, conscient des risques juridiques qu’il prenait et du fait notamment de la qualification juridique qui peut être appliquée à son action c’est extrêmement important quand vous avez quelqu’un de ne pas le laisser foncer dans le mur et de faire son possible pour éviter qu’il fonce dedans

[X][N] : Vous l’avez quand même laissé foncer dans le mur

[Z][W] : Non, non j’ai fait mon possible pour éviter…

[X][N] : Et pas seulement lui, vous avez laissé du coup [Y] [B] se retrouver dans cette situation non ? »

(…)

« [X][N] : [Z] [W], vous avez parlé de ces vidéos. Je voudrais quand même qu’on y revienne

[Z][W] : Oui

[X][N] : Vous dites, il dit et vous dites qu’il y a d’autres vidéos. Est-ce que c’est sur d’autres hommes politiques ?

[Z][W] : J’ai pas à parler en amont de mon client. Vous comprenez ?

[X][N] : Oui mais enfin comme vous en avez parlé.

[Z][W] : Mais oui en aval, en aval. Une fois qu’il en a parlé

[X][N] : Comme vous en avez parlé, forcément vous créez une forme presque de menace

[Z][W] : Mais non mais c’est pas moi oui. C’est c’est ce que [A] [F] a décidé de faire, moi je suis son Avocat

[X][N] : C’est du chantage ? »

Après des échanges sur le risque d’emprisonnement encouru par [A] [F], [X] [N] termine l’interview par cette dernière question « Je vous repose la question : est-ce qu’il existe des vidéos et est-ce qu’elles vont sortir ? Et est-ce qu’il s’agit de [Y] [B] ? ».

Prend ici place le dernier propos poursuivi, par lequel la journaliste clôt son émission: « Plus on vous entend et plus on se demande si [A] [F] n’est pas que l’exécutant et vous le manipulateur. Merci d’avoir été quand même notre invité ».

[Z] [W] rit à cette remarque et la commente ainsi « je vous remercie, c’est [bref silence] un grand hommage ».

Le demandeur voit dans ce dialogue et dans les propos tenus par la journaliste intervieweuse deux imputations diffamatoires le mettant en cause. La première, par l’insinuation selon laquelle il serait insinué qu’il se prétend faussement l’avocat de [A] [F], alors que le fait de défendre une personne qui ne lui a pas donné mandat constitue une infraction à la déontologie et aux règles essentielles de la profession d’avocat et, la seconde, selon laquelle il a joué un rôle actif dans la diffusion de la vidéo, alors que le fait de divulguer ou de participer à la divulgation de vidéos montrant un tiers dans le cadre de son intimité est attentatoire à son honneur et à sa considération.

Il fait valoir que toutes les questions, interventions et affirmations de la journaliste, tout au long de l’interview, visent à le mettre en cause [Z] [W], par de lourdes insinuations ; qu’en ce qui concerne l’imputation d’avoir joué un rôle dans la diffusion de la vidéo, la phrase conclusive est tenue sur un mode affirmatif, par le prononcé d’un jugement, sans que [Z] [W] ne soit mis en mesure de répondre à cette accusation.

Il estime que la journaliste ne peut se prévaloir de sa bonne foi, en ce qu’elle dénature à dessein la seule source dont elle dispose.

En défense, [M] [L] soutient principalement, s’agissant des propos relatifs à la désignation de [Z] [W] comme avocat de [A] [F] qu’il s’agissait d’une simple question procédurale en attente de décision, de sorte que son évocation ne saurait être attentatoire à l’honneur et à la considération du demandeur ; que s’agissant de la seconde imputation « d’avoir joué un rôle dans la diffusion de la vidéo », les passages poursuivis sont constitués de simples interrogations d'[X] [N] et que le dernier propos n’exprime qu’un jugement de valeur et livre une opinion.

A titre subsidiaire, il invoque l’exception de bonne foi et souligne le sujet d’intérêt général abordé par l’interview et ajoute que la journaliste n’a pas dépassé les limites d’une nécessaire provocation, propre à ce genre d’exercice, garant du contradictoire, et enfin qu’elle disposait d’une base factuelle suffisante quant au rôle de [Z] [W].

Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis envers les demandeurs

Il sera rappelé que :

— l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme la publication directe ou par voie de reproduction de toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ;

— la personne ou le corps auquel le fait est imputé doivent être expressément nommés ou à défaut, leur identification doit être rendue possible par les termes employés ou leurs circonstances intrinsèques ou extrinsèques ;

— il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet, sans difficulté, d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure – caractérisée, selon le deuxième alinéa de l’article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait – et, d’autre part, de l’expression subjective d’une opinion ou d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;

— l’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;

— la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s’inscrivent.

Ni les parties ni les juges ne sont tenus par l’interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l’imputation formulée par la partie civile ou celle d’un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d’examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

Ces dispositions s’appliquent en matière civile.

*

A titre liminaire, il sera relevé que la publication des propos sur les deux supports visés, librement accessibles au public, est établie par les constats d’huissier des 4 et 16 juillet 2020.

En l’espèce, les propos poursuivis prennent place au sein de longues séquences d’un entretien entre [Z] [W], invité pour s’expliquer sur son lien avec [A] [F] et son rôle dans la diffusion par celui-ci des vidéos à caractère sexuel de [Y] [B] cinq jours auparavant, et la journaliste [X] [N], qui conduit l’interview en direct.

Les propos qu’il est reproché à [X] [N] d’avoir tenus s’inscrivent dans le cadre de cet exercice, qui consiste à recueillir la parole d’une personne, en lui posant des questions visant à la faire réagir aux éléments avancés par son interlocuteur, au sein d’une discussion dans laquelle l’argumentation et la contradiction sont exercées instantanément et réciproquement par les deux intervenants.

Les propos poursuivis comme étant diffamatoires s’agrègent autour de trois thèmes distincts, autour desquels se structure l’interview, qui sont respectivement : la qualité d’avocat de [A] [F] dont se revendique [O] [W], sa participation à la diffusion des vidéos litigieuses et, enfin, sa connaissance d’autres vidéos du même type qui seraient susceptibles d’être dévoilées.

Alors que l’actualité immédiate consiste dans la décision du parquet « en une violation exceptionnelle des droits de la défense de s’opposer à [s]a désignation par [A] [F] dans l’affaire [B] », selon les propres termes employés par [Z] [W] rapportés par l’intervieweuse, et que celui-ci indique « avoir rendez-vous avec le bâtonnier à 11 heures pour comprendre (…) cette décision », la première partie de l’échange aborde la question de la prise de parole de [Z] [W] en qualité d’avocat de [A] [F].

Après avoir émis un doute sur le fait que [Z] [W] puisse affirmer être l’avocat de [A] [F] (« je ne comprends pas comment vous pouvez dire cela (…) ») et lui avoir clairement posé la question (« surtout, est-ce que vous étiez véritablement l’avocat de [A] [F] ? »), la journaliste approfondit ce premier thème en interrogeant [Z] [W] sur les conditions précises de sa désignation par [A] [F] (« concrètement est-ce que [A] [F] vous a véritablement désigné comme étant son Avocat ? »), et développe cette interrogation en soumettant à l’analyse de [Z] [W] plusieurs faits circonstanciés au fil des questions qui suivent.

En le faisait d’abord réagir sur le risque d’un conflit d’intérêt au regard de la procédure pénale impliquant [A] [F] pour des faits de violences volontaires commis au domicile de [Z] [W] lors d’une fête de réveillon, sur lesquels [Z] [W] s’explique longuement, lui permettant ainsi de dissocier les deux affaires, puis en l’interrogeant sur la pertinence des conseils qu’il dit lui avoir prodigué à sa demande en amont de la diffusion de la vidéo litigieuse, recueillant à nouveau les explications de l’interviewé, la journaliste confronte l’intéressé et le fait réagir sur des faits de nature à justifier son interrogation première.

Il est à noter que ce débat sur l’incertitude entourant sa désignation resurgit en fin d’interview (15'20), lorsque [Z] [W], expliquant être ici « comme avocat de [A] [F] », se voit opposer par la journaliste qu’à l’heure actuelle il ne peut pas dire « être là comme son avocat », ouvrant une nouvelle discussion au cours de laquelle le demandeur a été en mesure de faire valoir son analyse juridique de la situation (« Si, j’ai été désigné par lui. Que le parquet s’y oppose c’est un autre problème »).

En l’état des légitimes interrogations soulevées par la désignation dont se prévalait [Z] [W], il ne peut être considéré que, dans le cadre d’un dispositif d’interview, une question dont l’intéressé est mis en position de démentir de manière instantanée et argumentée le contenu informatif, quand bien même il serait formulé sous une forme allusive, et plus encore d’y substituer son argumentation par sa réponse, pourrait être de nature à insinuer un fait diffamatoire.

Également, la succession et la répétition des questions du même ordre, qui est en l’espèce justifiée par l’apport d’éléments de faits complémentaires soumis par la journaliste à la contradiction de l’interviewé dans une logique certes insistante mais qui n’excède pas les limites convenues de l’exercice, ne saurait être analysée comme construisant un discours diffamatoire sous une forme dubitative de la part de l’intervieweur.

Un procédé identique est à l’œuvre lorsqu’est abordé le sujet de l’implication exacte de [O] [W] dans le processus de diffusion des vidéos.

Si la journaliste entame ici l’interview par l’expression de ses doutes sur le fait que [A] [F] ait agi seul en raison de son absence de maîtrise de la langue française et du choix de sa cible, elle développe ensuite, tout au long des questions posées, l’hypothèse de sa participation sous une forme plus directe et confronte à nouveau [Z] [W] à des éléments de fait auxquels il a la possibilité de répondre et d’apporter la contradiction.

C’est ainsi qu’après l’avoir fait réagir à ces d’éléments, elle lui demande ouvertement « C’est vous qui avez corrigé le texte ? » (propos non poursuivi), ce qui appelle de celui-ci une réponse immédiate et circonstanciée par laquelle il nie toute intervention.

Le questionnement sur sa participation se poursuit au fil des questions suivantes par lesquelles la journaliste confronte [Z] [W] à ses propres déclarations lors d’autres interventions médiatiques («Ce qu’on a fait »), ou encore à ses propres écrits (« je vous cite : nous ce que l’on fait, moi avec Crépuscule, c’est votre livre, [A] avec ses vidéos, c’est de dire il y a ce que l’on vous dit”), et enfin aux faits révélés à l’occasion de l’interview qu’elle est en train de mener, où celui-ci évoque avoir été « aux côtés de [A] [F] dans son cabinet » et avoir eu « accès aux éléments que [lui] a présenté [A] [F] ». Ce faisant, la journaliste oppose à nouveau des faits à l’interviewé, auxquels celui-ci apporte des réponses qui prennent ici la forme d’un nouveau démenti, [Z] [W] ayant le loisir d’expliquer qu’il a « accompagné [A] [F] en tant qu’avocat », que sa conception de la défense consiste à « épouser » la cause de celui qu’il assiste, et enfin de se défendre de toute forme de « combat mutuel », quand bien même la cause serait partagée.

Ici encore, et tenant le cadre spécifique du dispositif de l’interview déjà exposé, ni les questions posées, toutes aussi précises et insistantes soient-elles, ni leur succession, ne sauraient être analysées comme contenant des imputations dubitatives ou comme construisant un discours diffamatoire.

La dernière partie de l’interview est consacrée aux déclarations de [Z] [W] au sujet de l’existence d’autres vidéos sexuelles de personnalités politiques, que la journaliste conduit à nouveau en confrontant son invité à ses déclarations de la veille (« vous l’avez redit vous hier dans ce fameux, cette fameuse interview »), celui-ci pouvant expliquer qu’il reprenait alors les paroles de son client. S’instaure un échange dans lequel [X] [N] revient à la charge pour interroger [O] [W] sur ce qu’il sait de l’existence de ces vidéos et où ce dernier répond ne pas vouloir « parler en amont de [s]on client », et, lorsqu’il lui est fait remarquer qu’il en a parlé, celui-ci précise « Mais oui en aval, en aval. Une fois qu’il en a parlé ».

La question lui est directement posée une dernière fois, [O] [W] répondant qu’il laisse le soin à [A] [F] d’y répondre « lorsqu’il le pourra ».

Le dernier propos poursuivi (« plus on vous entend, plus on se demande si [A] [F] n’est pas que l’exécutant et vous le manipulateur » ) s’inscrit en conclusion de cet échange et prend la forme d’une réflexion par laquelle la journaliste exprime ses doutes sur les explications apportées par son invité sur son rôle au regard des éléments factuels qu’elle lui a soumis.

Il sera relevé que ce propos ne peut être isolé de l’interview qu’il vient ponctuer. Il est énoncé dans un registre et un ton similaires à ceux qui ont présidés aux échanges, auxquels il ne met pas un terme définitif puisque [O] [W] n’est pas privé de la possibilité d’apporter la contradiction mais se contente d’en sourire et de recevoir ce qualificatif de « manipulateur » comme « un hommage ».

Il sera également retenu que le terme vague de « manipulateur » n’est illustré par aucun fait, comportement ou acte, et n’est pas plus éclairé par le qualificatif tout aussi flou « d’exécutant » attaché à [A] [F], de sorte que, faute de toute indication sur les instructions qui auraient été données par l’un ou reçues par l’autre, le propos est quoiqu’il en soit privé de la précision élémentaire pour qu’il puisse faire l’objet d’un débat contradictoire.

Formulé sur un mode dubitatif, il est l’expression subjective d’un jugement de valeur, dont la pertinence peut être librement discutée dans le cadre d’un débat d’idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée, de sorte que ce propos ne peut être considéré comme diffamatoire, même s’il est péjoratif et peut de ce fait légitimement déplaire à la partie civile.

Au final, ni le contenu des questions posées, ni la conduite de l’entretien, ni enfin le fait d’avoir exprimé l’opinion selon laquelle [Z] [W] pourrait être « un manipulateur » ne sont de nature à affecter les propos de la journaliste intervieweuse d’un caractère diffamatoire.

L’appréciation de la conduite de l’entretien et du positionnement de la journaliste à travers ses propos, son ton et ses méthodes ne peuvent relever que du jugement critique du public et de celui des autorités de contrôle ou de ses pairs au regard de règles déontologiques, qui en ont été saisis et ont exprimé leur position (Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), avis du 5 juin 2020, pièce n° 25 défendeur ; Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), cité dans l’article de Téléloisirs du 21 mai 2020, pièce n°5 demandeur).

[Z] [W] sera en conséquence débouté de ses demandes.

Sur les autres demandes

[Z] [W], qui succombe, supportera la charge des dépens de l’instance.

Il serait inéquitable de laisser à [M] [L] et à la société NEXTINTERACTIVE la charge des frais irrépétibles qu’ils ont dû exposer pour la défense de leurs intérêts et il y a lieu de condamner [Z] [W] à leur payer, chacun, la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision est de droit exécutoire par provision.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,

Déboute [Z] [W] de ses demandes,

Condamne [Z] [W] aux dépens de l’instance,

Condamne [Z] [W] à verser à [M] [L] et à la société NEXTINTERACTIVE, chacun, la somme de MILLE EUROS (1.000 €) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que la présente décision est de droit exécutoire par provision.

Fait et jugé à Paris le 13 Mars 2024

Le GreffierLa Présidente

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Tribunal Judiciaire de Paris, 17e chambre presse civile, 13 mars 2024, n° 20/07721