CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 13PA02551

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE, 13 mai 1970, Monti c/ commune de Ranspach, n° 74601
CE, 18 juin 2003, < INT > Groupement d'entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, n° 249630
CE, 19 janvier 2011, Chambre de commerce et d'industrie de Pointe-à-Pitre, n° 341669
CE, 19 mai 2010, Draussin, n° 326886
CE, 1er octobre 2004, Association départementale d'éducation et de prévention spécialisée, n° 256985
CE, 21 septembre 1992, Commune de Bagnols-sur-Cèze, n° 111555
CE, 23 mai 2012, RATP, n° 348909
CE, 24 janvier 2014, Conseil supérieur de l' audiovisuel, n° 351274
CE, 25 septembre 2009, Commune de Courtenay, n° 298918
CE, 28 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075
CE du 10 juillet 2013, Compagnie martiniquaise de transports, n° 362777
CE du 10 octobre 1997, Société Strasbourg FM, n° 134766
Conseil d'Etat dans un arrêt du 3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris B C, nos 338272 et 338527
Conseil d'Etat du 15 mai 2013, Ville de Paris, n° 364593
Conseil d'Etat du 21 décembre 2007, Centre hospitalier de Vienne, n° 289328
Conseil du 19 décembre 2012, Simon, n° 355139
Cour du 23 juin 2011, Conseil supérieur de l' audiovisuel c/ Société Vortex, n° s 09PA05578 et 09PA06398

Texte intégral

13PA02551 […]
Séance du 24 novembre 2014
Lecture du 19 décembre 2014
CONCLUSIONS de Mme Vrignon, Rapporteur public
L’affaire qui vous est soumise pose la question, inédite à notre connaissance, de savoir si et dans quelles conditions le candidat à une procédure facultative de mise en concurrence pour l’attribution d’une convention d’occupation domaniale a le droit d’être indemnisé des préjudices subis du fait de son éviction irrégulière de cette procédure.
I.
La Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie est concessionnaire de l’aéroport de Nouméa – La Tontouta. Le 15 juillet 2009, elle a fait publier un avis d’appel à candidature pour l’exploitation des boutiques sous douane de l’aéroport, à compter du 1er janvier 2011 et pour une durée de 10 ans. La date du 1er janvier 2011 était susceptible d’être modifiée en fonction de l’état d’avancement des travaux d’agrandissement de l’aéroport alors en cours.
Au point 2.1, le règlement de consultation indiquait que « la présente consultation concerne la dévolution d’une autorisation d’occupation temporaire sous la forme d’une procédure restreinte apparentée au dialogue compétitif ». Les différentes phases de ce dialogue étaient précisées au point 6.4. Il était également indiqué, au point 8, que les offres seraient appréciées en fonction de la politique commerciale du candidat, de la gamme des produits vendus, de la qualité des aménagements proposés et de l’offre commerciale, ce qui renvoie sans doute à la redevance domaniale versée à la Chambre de commerce et d’industrie.
La […] s’est portée candidate. Toutefois, par lettre du 24 juin 2010, elle a été informée que sa proposition n’avait pas été retenue. Comme cela ressort d’un courrier en date du 26 mai 2010, c’est avec la société à constituer entre la société Lagardère services Asia Pacifique et la société Marlène, qui deviendra la société Aelia Nouvelle-Calédonie, que la Chambre de commerce et d’industrie a décidé de conclure la convention domaniale permettant l’exploitation des boutiques sous douanes de l’aéroport.
La date de cette signature n’est pas précisée. Elle n’était apparemment pas intervenue lorsque la société Pacific Duty Free a saisi, le 23 septembre 2010 puis le 20 janvier 2011, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de demandes tendant à l’annulation, respectivement, des décisions des 24 juin 2010 et 26 mai 2010 rejetant sa proposition et décidant d’attribuer l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public litigieuse au groupement Lagardère/Marlène.
Par jugement du 28 avril 2011, le tribunal administratif a fait droit à ces demandes. Il a considéré que la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie n’avait pas suivi la procédure de sélection des candidats qu’elle s’était elle-même imposée, alors même qu’elle n’en avait nullement l’obligation, et n’avait ce faisant pas assuré un traitement égalitaire des deux concurrents. Il est en effet prévu, au point 6.4 du règlement de la consultation, que les candidats retenus à l’issue de la première phase et qui ont été auditionnées, dont la société Pacific Duty Free, sont invités à présenter une offre finale. Ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.
Ce jugement est devenu définitif.
Le 8 août 2011, après avoir résilié la convention domaniale dont il apparaît qu’elle avait, en dépit de la contestation de la société Pacific Duty Free, tout de même été conclue à l’issue de la procédure ainsi jugée irrégulière, la Chambre de commerce et d’industrie a signé avec la société Aelia Nouvelle-Calédonie une nouvelle convention, cette fois-ci sans publicité ni mise en concurrence.
Le 21 octobre 2011, la société Pacific Duty Free a demandé à la Chambre de commerce et d’industrie « comment elle entendait rouvrir la procédure d’attribution ». En l’absence de toute réponse, elle a, par lettre du 24 mai 2012, demandé, notamment, le versement d’une somme de 275 300 000 F CFP, soit un peu plus de 2,3 millions d’euros, en réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de cette procédure.
En l’absence, là encore, de toute réponse, la société Pacific Duty Free a saisi le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie. Elle relève ici appel du jugement du 28 mars 2013 par lequel celui-ci a rejeté sa demande.
II.
1. Pour commencer, vous écarterez sans difficulté les trois fins de non recevoir opposées par le défendeur.
En premier lieu, la requête de la société Pacific Duty Free a été présentée par maître J-K, associé au cabinet Viguié-Schmidt-Peltier-Juvigny. La requête remplit donc les prescriptions des articles R. 811-7 et R. 431-2 du code de justice administrative.
En deuxième lieu, et conformément aux dispositions de l’article R. 421-3 de ce même code, selon lesquelles « l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet : 1° en matière de plein contentieux », la requête, qui intervient après le rejet implicite de la demande de la société Pacific Duty Free, n’est pas tardive.
En troisième lieu, la société Pacific Duty Free n’a pas, en appel, formulé de nouvelles demandes indemnitaires, et qui seraient de ce fait irrecevables. Contrairement à ce que soutient le défendeur, la société Pacific Duty Free ne s’est en effet jamais placée sur le terrain de la responsabilité contractuelle, et pour cause : elle n’a pas signé de contrat avec la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie. C’est bien la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle de cette dernière qui est recherché, depuis le début (voir CE, 1er octobre 2004, Association départementale d’éducation et de prévention spécialisée, n° 256985, B, aux conclusions de Z A).
Ajoutons, en réponse à l’argumentation du défendeur, que comme le rappelait D E dans ses conclusions sous l’arrêt du CE du 10 juillet 2013, Compagnie martiniquaise de transports, n° 362777, B, « le recours indemnitaire n’est nullement subordonné à l’annulation préalable d’un acte détachable, non plus d’ailleurs qu’à l’annulation du contrat lui-même dans le cadre d’un recours « Tropic Travaux » ou d’un référé contractuel. Le candidat évincé peut invoquer des illégalités pour obtenir réparation de son préjudice alors même qu’il n’entendrait pas obtenir la disparition du contrat ». Ce constat, qui est fait à propos des contrats de la commande publique, vaut également en l’espèce.
La requête de la société Pacific Duty Free est donc recevable.
2. La société Pacific Duty Free demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d’attribution de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public permettant l’exploitation des boutiques sous douanes de l’aéroport de Nouméa.
2.1. Pour ce faire, elle invoque deux fautes distinctes : celle résultant, initialement, des irrégularités qui ont affecté la procédure de mise en concurrence, telles que constatées par le tribunal administratif de Nouvelle Calédonie dans son jugement du 28 avril 2011 ; et celle qu’aurait commise la Chambre de commerce et d’industrie en décidant, par la décision du 8 août 2011, de conclure avec la société Aelia la convention d’occupation domaniale litigieuse, sans publicité ni mise en concurrence.
Il est vrai que le moyen tiré de ce que la société Pacific Duty Free peut demander la réparation des préjudices résultant des seules irrégularité qui ont entaché la procédure de mise en concurrence, qui est abordé au point 2.2 de la requête d’appel, l’est de façon fort succincte et ne l’était pas, ou alors de façon très indirecte, dans les écritures de première instance. Mais en réalité, nous y reviendrons, le fait générateur du préjudice invoqué est nécessairement l’éviction irrégulière de la procédure de mise en concurrence. De ce fait, lorsque la société Pacific Duty Free s’attarde sur l’illégalité supposée de l’attribution sans mise en concurrence, en août 2011, elle veut dire, de façon certes parfois confuse, que cette attribution ne peut pas « effacer » la faute initialement commise, qui produit toujours ses effets, à défaut pour la Chambre d’avoir procédé à une remise en concurrence. En tout état de cause, si vous estimiez, comme le tribunal, qu’il faut s’en tenir à une lecture stricte des écritures, la société Pacific Duty Free, qui entend toujours faire jouer la responsabilité extra contractuelle de la Chambre, sur le terrain de la faute, devrait alors être regardée comme soulevant en appel non pas une demande nouvelle mais un moyen nouveau, rattachable à la même cause juridique que celle invoquée en première instance, ce qu’elle est parfaitement recevable à faire.
Les premiers juges n’ont pas répondu à ce moyen. Si vous considérez, comme nous le pensons, qu’il était soulevé en première instance, le jugement est irrégulier. Mais cette irrégularité, qui aurait pu vous conduire à annuler le jugement et à statuer sur la demande de la société Pacific Duty Free par la voie de l’évocation, n’est pas soulevée devant vous et il ne vous appartient pas de le faire d’office.
2.2. Venons en à l’examen des moyens soulevés par la société Pacific Duty Free 2.2.1. Celle-ci se place tout d’abord sur le terrain de la faute commise par la Chambre de commerce et d’industrie en décidant, le 8 août 2011, de conclure une convention d’occupation domaniale avec la société Aelia.
- Vous écarterez facilement le premier moyen, qui n’est soulevé que dans un second temps par la société Pacific Duty Free, tiré de la méconnaissance des principes de liberté du commerce et de l’industrie et de la libre concurrence.
Si cela était réellement le cas, les préjudices qui pourraient en résulter pour la société Pacific Duty Free seraient différents de ceux dont elle demande ici la réparation. En tout état de cause, la décision de délivrer ou non à une personne privée l’autorisation d’occuper une dépendance du domaine public pour y exercer une activité économique n’est pas, par elle-même, susceptible de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie (CE, 23 mai 2012, RATP, n° 348909, A). Par ailleurs, la société Pacific Duty Free n’apporte à l’appui de ses allégations, très générales, aucun élément tendant à montrer que la décision du 8 août 2011 aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, notamment en plaçant automatiquement la société Aelia en situation d’abuser d’une position dominante.
- Vous devrez en revanche vous attardez davantage sur le second moyen, qui est le premier dans l’ordre de présentation des écritures de la société Pacific Duty Free. Ce moyen est tiré de ce qu’à la suite de jugement du tribunal du 28 avril 2011, la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie était tenue de recommencer la procédure de mise en concurrence. Autrement dit, la convention d’occupation domaniale permettant l’exploitation des boutiques sous taxes de l’aéroport ne pouvait plus être conclue sans mise en concurrence.
Il ne fait aucun doute, et il n’est pas contesté, que nous sommes ici en présence d’une convention d’occupation domaniale (voir en ce sens CE, 19 janvier 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Pointe-à-Pitre, n° 341669, B).
Comme l’a jugé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 3 décembre 2010, Ville de Paris et Association Paris B C, nos 338272 et 338527, A, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n’imposent à une personne publique d’organiser une procédure de publicité préalable à la délivrance d’une autorisation ou à la passation d’un contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public, ayant dans l’un ou l’autre cas pour seul objet l’occupation d’une telle dépendance. Il en va ainsi même lorsque l’occupant de la dépendance domaniale est un opérateur sur un marché concurrentiel.
Certes, l’assemblée de la Chambre de commerce et d’industrie avait, le 8 décembre 2009, adopté une délibération dans laquelle elle prévoyait que les principales autorisations d’occupation temporaire du domaine public seraient attribuées après publication d’un avis d’appel à candidatures dans la presse et examen des propositions par une « commission AOT ».
C’est dans ce cadre qu’un règlement de consultation avait été rédigé s’agissant de l’exploitation des boutiques sous douanes de l’aéroport, règlement que la Chambre était alors tenue de suivre. Ce qu’elle n’a pas fait, et qui a conduit le tribunal administratif à annuler les décisions précitées des 26 mai et 24 juin 2010, détachables de la convention conclue à une date ultérieure.
Mais cette première délibération a été abrogée par une nouvelle délibération, n° 10/2011 du 28 juin 2011 qui, dans son exposé des motifs, vise d’ailleurs expressément la jurisprudence « stade B C » précitée. Comme l’écrit D E dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 mai 2013, Ville de Paris, n° 364593, A, dans un cas de figure proche quoi que légèrement différent – nous allons y revenir –, « à la suite de l’annulation de la première procédure (…), la Ville n’était donc pas tenue d’engager une nouvelle procédure ou de respecter les règles qu’elle s’était initialement assignées ».
Vous pourriez cependant être tentés de considérer que cela ne vaut pas lorsque, comme cela semble être le cas en l’espèce, même si ce point n’est pas discuté par les parties, la convention finalement conclue sans procédure de mise en concurrence est identique à celle qui devait être passé selon cette procédure jugée irrégulière.
Dans l’arrêt Ville de Paris précité, il est souligné que la société requérante ne peut pas utilement se prévaloir, pour contester la délibération autorisant le maire de Paris à signer la convention d’occupation du domaine public litigieuse, de l’irrégularité de la procédure de publicité et de mise en concurrence que la ville s’était imposée dans un premier temps, en vue de la conclusion d’une convention comportant des clauses différentes, et qui avait été annulée par une ordonnance du juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris après que celui-ci eut considéré qu’il s’agissait d’un marché public. La conclusion, après cette annulation et le retrait de la clause sur laquelle le juge s’était fondé pour retenir cette qualification de marché public, d’une « véritable » convention d’occupation domaniale remettait donc, en termes procéduraux, les compteurs à zéro. Et on pourrait en conclure que c’est en ce sens que la Ville de Paris n’était pas tenue de mettre en œuvre une « nouvelle » procédure de publicité et de mise en concurrence avant de décider de conclure cette convention d’occupation.
A contrario, en l’absence, comme en l’espèce, entre les deux conventions, d’une telle différence de clauses et de nature, l’attribution sans mise en concurrence, qui a sinon pour objet du moins pour effet d’éviter à la collectivité publique d’avoir à tirer les conséquences d’une décision de justice, serait par elle-même illégale. Autrement dit, dès lors qu’elle a librement fait le choix de recourir à une procédure de mise en concurrence alors qu’elle n’en avait pas l’obligation, la personne publique devrait aller jusqu’au bout de cette procédure, sauf à renoncer à la conclusion du contrat pour un motif d’intérêt général.
2.2.2. Ceci dit, le fait de savoir si la décision du 8 août 2011 par laquelle la Chambre de commerce et d’industrie a décidé d’attribuer à la société Aelia l’autorisation d’occupation du domaine public litigieuse est illégale ou non ne nous semble, au final, n’avoir que peu d’importance pour la résolution du présent litige.
La société Pacific Duty Free ne demande en effet pas l’annulation de cette décision, mais la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi et qui trouve son origine dans l’éviction irrégulière décidée le 24 juin 2011. L’attribution ultérieure de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public, sans remise en concurrence, qu’elle soit légale ou non, n’a pas pu avoir pour effet de faire cesser ce préjudice. Elle n’a pas « effacé » la faute initialement commise par la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie, ce qu’une remise en concurrence régulièrement menée jusqu’à son terme aurait fait. Si cette faute « originelle » n’avait pas été commise, la société Pacific Duty Free aurait pu se voir attribuer la convention litigieuse. C’est du moins ce qu’elle soutient et ce qu’elle devra démontrer pour pouvoir prétendre à être indemnisée. Il y a donc un lien direct entre la faute et les préjudices allégués, qui n’ont pas cessés.
On pourra sur ce point faire un parallèle avec la jurisprudence du Conseil d’Etat, s’agissant du refus illégal d’une autorisation, selon laquelle, pour établir l’existence d’une perte de chance sérieuse de nature à engager la responsabilité de l’administration, le juge doit examiner si, à la date du refus annulé, étaient remplies les conditions légales permettant de bénéficier de l’autorisation, sans prendre en compte le caractère éventuellement fondé des autres décisions de refus (CE, 19 mai 2010, Draussin, n° 326886, B).
La faute commise par la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie est ainsi de nature à engager la responsabilité de l’administration, alors que la procédure initialement suivie était facultative. Cela a déjà été jugé par le Conseil d’Etat pour une délégation de service public (CE, 21 septembre 1992, Commune de Bagnols-sur-Cèze, n° 111555, B).
L’inverse nous paraîtrait d’ailleurs difficilement justifiable, de la même façon que, pour reprendre les propos de D E dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil du 19 décembre 2012, Simon, n° 355139, B, le serait une situation dans laquelle « (…) finalement, aucun candidat à une délégation de service public ne peut demander la réparation du préjudice que lui aurait causé son éviction irrégulière dans une phase antérieure, puisque, en tout état de cause, la personne publique était libre de ne pas engager de négociation avec lui ».
Ainsi, si la société Duty Free établit qu’elle a perdu une chance sérieuse de se voir attribuer l’autorisation d’occupation temporaire litigieuse ou, à tout le moins, qu’elle n’était pas dépourvu de toute chance, elle pourra obtenir réparation selon la méthode désormais classique d’indemnisation de la « perte de chance ».
Si on en croit F G dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 décembre 2007, Centre hospitalier de Vienne, n° 289328, A, la notion de perte de chance, après avoir pris naissance dans la jurisprudence civiliste à la fin du XIXème siècle, n’a été reprise par le juge administratif que dans les années 1920, en premier lieu… dans le contentieux des permis de stationnement ou permissions de voirie (CE, 14 janvier 1921, Sieur Rabé, p.49 ; CE, 10 mars 1933, Sieur Rouasse, p.301 ; et plus récemment, CAAP, 4 décembre 2003, Société d’équipement de Tahiti et des îles, n° 00PA02740). Elle a ensuite essaimé dans de nombreux champs de la responsabilité administrative : fonction publique (CE, 3 septembre 1928, Bacon, p.1035), responsabilité hospitalière (CE, 24 avril 1964, Hôpital-Hospice de Voiron, p. 259), contrats et marchés (CE, 13 mai 1970, Monti c/ commune de Ranspach, n° 74601, A ; CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, n° 249630, B ; CE, 28 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075, B ; CE, 19 décembre 2012, Simon, précité). Le conseil d’Etat a également raisonné en termes de « perte de chance » pour l’éviction d’un locataire lors d’une vente d’un bâtiment communal (CE, 25 septembre 2009, Commune de Courtenay, n° 298918, B) et pour les refus d’autorisation en matière d’équipement médical (CE, 19 mai 2010, Draussin, n° 326886, B).
Récemment, la grille de lecture précisée en dernier lieu pour les contrats de la commande publique, dans l’arrêt Simon précité, a été utilisée pour l’indemnisation des candidats irrégulièrement évincés d’une procédure d’autorisation d’exploiter un service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne (CE, 24 janvier 2014, Conseil supérieur de l’audiovisuel, n° 351274, B, qui confirme un arrêt de votre Cour du 23 juin 2011, Conseil supérieur de l’audiovisuel c/ Société Vortex, n°s 09PA05578 et 09PA06398, ainsi que, sur ce point, le jugement du tribunal administratif de Paris du 23 juillet 2009 dont il était ainsi fait appel ; voir également les conclusions de Valérie Pécresse sous l’arrêt du CE du 10 octobre 1997, Société Strasbourg FM, n° 134766, A).
Dans ses conclusions sous l’arrêt précité de votre Cour, H I relevait que « les similitudes entre la procédure d’attribution des fréquences de radiodiffusion sonore par le CSA et celle régissant l’attribution des marchés publics sont grandes, et [que] le conseil d’Etat a déjà, en raison de ces similitudes (…), déjà transposé en la matière bien des solutions jurisprudentielles adoptées en matière de marchés publics, s’agissant notamment des voies de recours ».
Les similitudes en termes procéduraux sont ici évidentes, la procédure de mise en concurrence étant inspirée de ce qui prévaut pour les contrats de la commande publique. Dans ces conditions, il nous semble que l’on peut transposer la grille de lecture précisément dégagée pour ces contrats, alors même les autorisations d’occupation du domaine public sont par définition précaires et révocables et que les droits qu’elles confèrent à leurs titulaires sont différents de ceux qui résultent d’un contrat de la commande public ou, autre exemple, de l’octroi d’une autorisation d’exploiter un service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne. Les « droits lésés » du « candidat évincé » ne sont donc pas identiques, mais l’indemnisation à laquelle ce candidat peut prétendre peut être déterminée dans les mêmes conditions.
Si vous nous suivez, vous pourrez donc considérer que la société Pacific Duty Free pouvait se prévaloir des irrégularités reconnues par le tribunal dans son jugement du 21 octobre 2011, devenu définitif, pour demander la réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de son éviction irrégulière de la procédure, selon la grille de lecture dégagée par le Conseil d’Etat pour les contrats de la commande publique : le candidat dépourvu de toute chance d’obtenir le contrat n’a droit à rien ; celui qui n’était pas dépourvu de toute chance a droit au remboursement de ses frais ; celui qui avait des chances sérieuses de voir sa candidature retenue a droit à l’indemnisation de l’intégralité de son manque à gagner. En sachant que, comme le soulignait D E dans ses conclusions précitées sous l’arrêt Simon à propos des délégations de service public, les hypothèses dans lesquelles le juge administratif peut être conduit à reconnaître l’existence d’une chance sérieuse sont a priori plus rares qu’en matière de marchés, pour lesquels joue l’exigence du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse.
2.3. Dans cette configuration, il vous appartient tout d’abord de vérifier si la société Pacific Duty Free était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l’affirmative, elle n’aurait droit à aucune indemnité.
Les critères en fonction desquels vous devez procéder à cette appréciation sont rappelés par D E dans ses conclusions précitées sous l’arrêt du CE du 10 juillet 2013, Compagnie martiniquaise de transports, n° 362777, B. La circonstance que des irrégularités ont été commises lors de la procédure d’attribution d’un contrat ne saurait suffire à entraîner l’indemnisation du candidat évincé, encore faut-il que ces irrégularités soient en lien avec le rejet de l’offre. « (…) Toute indemnisation sera écartée dès lors qu’il apparaît avec certitude que le sort du candidat non retenu serait demeuré inchangé alors même que l’irrégularité n’aurait pas été commise ».
Une telle certitude n’existe pas en l’espèce. La société Pacific Duty Free a été privée de la possibilité de présenter une offre finale. Cette irrégularité, qui a motivé l’annulation des actes détachables de la convention d’occupation domaniale, est à l’évidence en lien avec le rejet de son offre et l’attribution du contrat au groupement Lagardère/ Marlène. Sans cette irrégularité, il n’est pas, de façon certaine, exclu que la candidature de la société Pacific Duty Free aurait pu prospérer (voir, a contrario, Compagnie martiniquaise de transports, précité). Et ce alors même qu’il résulte de l’instruction que l’offre du groupe Lagardère/Marlène avait la préférence de la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie et qu’il est fort peu probable que le dépôt, par la société Pacific Duty Free, d’une offre finale, aurait changé quoi que ce soit à cette préférence.
En revanche, la société Pacific Duty Free n’établit nullement qu’elle avait une « chance sérieuse » de se voir attribuer l’autorisation d’occupation du domaine public litigieuse.
Elle se contente en effet de faire valoir, sans aucune précision ni justification, son expérience dans la grande distribution et sa connaissance du marché en Nouvelle-Calédonie, le caractère innovant de sa proposition, et le montant proposé pour la redevance domaniale versée pour la première année, plus élevé que celui de son concurrent.
De son côté, la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie souligne, en se référant au procès-verbal de la réunion de la « commission AOT » du 10 mai 2010, la connaissance du marché local et l’expérience du groupe Lagardère « sur toute type de configuration aéroportuaire », la meilleure formation de son personnel, la présence d’un siège social à Sydney, les faibles garanties de la Pacific Duty Free en termes de représentation sur place, la sous-estimation par cette même société du volume des investissements nécessaires et le fait qu’elle n’a présenté un état prévisionnel de son activité et de son chiffre d’affaire que pour la première année.
Dans ces conditions, et compte tenu ce que vous vous avons précédemment indiqué sur les hypothèses dans lesquelles le juge administratif peut être conduit à reconnaître l’existence d’une chance sérieuse lorsque l’exigence du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ne joue pas, vous devrez donc considérer que la société Pacific Duty Free n’avait pas de chance sérieuse de se voir attribuer la convention d’occupation domaniale pour l’obtention de laquelle elle s’est portée candidate.
2.4. La société Pacific Duty Free, ne peut donc prétendre qu’au remboursement des seuls frais qu’elle a exposés pour la présentation de son offre.
Elle réclame à ce titre une somme de 5 millions de francs CFP (41 900 euros).
Toute la difficulté provient de ce que certains des frais que la société Pacific Duty Free soutient avoir exposés ne sont pas justifiés par les quelques pièces qui ont été produites au dossier.
Contrairement au défendeur, nous n’avons pas trop de doutes s’agissant des frais de séjour de M. X et de M. Y, qui sont venus de Tahiti, via Sydney, pour présenter leur offre, comme ils y avaient été invités, le 19 avril 2012. La Chambre de commerce et d’industrie ne conteste pas que deux personnes ont participé à cette présentation pour la société Pacific Duty Free. Simplement, vous prendrez en compte les factures qui ont été produites pour chacune des prestations – avion, hôtels à Sydney et hôtel à Nouméa – plutôt que la « facture » n° 10-04-01 du 15 avril 2010 émise par la SARL Imporlux FP, pour un montant non détaillé de 295 000 euros, au titre de « frais de séjour présentation dossier Duty Free (Billet d’avion, hôtel) et la « facture » n° 2010-03-3 du 30 mars 2010 de la SNC J4M Management, pour un montant là encore non détaillé de 395 000 F CFP, au titre de « frais de voyage Papeete/Noumea/Papeete pour dossier Duty Free (Billet d’avion, hôtel, location de voiture). Le montant total que vos pourrez retenir, en vous fondant sur les seules factures émises par la compagnie Qantas et par les hôtels dans lesquels MM. X et Y ont séjourné, est de 218 760 F CFP (1833,21 euros).
S’agissant du coût de la brochure de présentation, la société Pacific Duty Free demande 65 000 F CFP pour les frais d’élaboration et d’édition de la plaquette, ainsi que 910 000 F CFP pour les honoraires du cabinet d’architecte qui a participé à cette élaboration. Mais elle ne produit que deux factures relatives à l’avance et au solde d’une somme de 13 491,55 dollars australiens, soit 9 305,28 euros, réclamée par le cabinet d’architecte Lloyd Sinton Design. Au vu de la plaquette elle-même, il apparaît que ce cabinet, dont le nom y figure, a effectivement participé à son élaboration, s’agissant de l’agencement et de l’aménagement des boutiques.
Il est par ailleurs évident que la préparation de l’offre a induit des dépenses de personnel, en interne et / ou le recours à des prestataires extérieurs. Sur ce poste de préjudice, les documents qui sont produits au dossier s’agissant de l’étude de marché et du plan de financement qui auraient été réalisées par la SNC de Management et de Service pour la société Pacific Duty Free, pour des montants respectifs de 1,8 millions et 750 000 F CFP, ne sont pas suffisamment précis et détaillés pour savoir à quoi exactement ces sommes correspondent.
Vous pourrez toutefois faire une juste appréciation du préjudice subi par la société Pacific Duty Free en condamnant la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie à lui verser la somme de 15 000 euros.
PCMNC :
- à l’annulation du jugement attaqué ;
- à la condamnation de la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie à payer à la […] la somme de 15 000 euros ;
- à ce que soit mis à la charge de la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie la somme de 1 500 euros à verser à la […] au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- au rejet du surplus des conclusions de la requête de la […];
- au rejet des conclusions présentées par la Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle Calédonie sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Textes cités dans la décision

  1. Code de justice administrative
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CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 13PA02551