CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 05PA02941

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE, Syndicat de la magistrature, 25 février 2005, n° 265482

Texte intégral

05PA02941
Haut-commissaire de la République en Polynésie française
Lecture du 08 novembre 2005
Conclusions de X Y, commissaire du Gouvernement
Par une délibération du 2 juin 2005, l’Assemblée territoriale de la Polynésie française a décidé de créer une commission d’enquête chargée de recueillir tous les éléments d’information sur la disparition mystérieuse, dans les îles Tuamotu, de 5 personnes qui avaient pris place, le 23 mai 2002, dans un bimoteur de 6 places. Outre le pilote, ce petit avion transportait trois conseillers à l’assemblée de la Polynésie française ainsi qu’une élue locale. Aucune trace de l’appareil et de ses occupants n’a été retrouvée.
L’assemblée, s’appuyant sur son règlement intérieur permettant la création d’une commission d’enquête même en cas d’information judiciaire en cours, s’est montrée désireuse d’apporter, trois ans après cette disparition, des réponses, ou un début de réponse, aux familles des disparus.
La commission d’enquête a pour mission de « s’efforcer d’ éclaircir les circonstances exactes de cette disparition et de recueillir tous indices et témoignages nécessaires à la détermination de la vérité ». Les fonctionnaires de la PF sont tenus, sous peine de sanction disciplinaire, ‘apporter leur concours à la mission de la commission. Et la commission pourra solliciter la collaboration des services de l’Etat. L’accord du haut-commissaire doit être donné avant toute audition, par la commission, de fonctionnaire civils ou militaires de l’Etat.
Le haut-commissaire de la République de la PF a déféré, le 17 juin 2005, cette délibération devant le TA de la PF et, le 8 juillet suivant, a demandé à ce même tribunal d’en prononcer la suspension, conformément à l’alinéa 3 de l’article 172 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la PF.
Par une ordonnance du 18 juillet 2005, le juge des référés du TA a rejté cette demande de suspension au motif que les moyens invoqués n’étaient pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération.
Le haut-commissaire a interjeté appel de cette ordonnance, et c’est votre juridiction qui est compétente en application de l’article 172 de la loi organique du 27 février 2004, dont le contenu rejoint celui de l’article L. 554-1 du code de justice administrative.
Cette requête d’appel nous paraît parfaitement recevable. Certes, elles est très proche, dans son contenu, de la demande de première instance, et elle ne critique pas véritablement l’ordonnance, mais comment pourrait-elle le faire alors que l’ordonnance se borne, en guise de motivation, à énoncer qu’ « aucun des moyens soulevés n’est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée » ? – une motivation qui n’est d’ailleurs pas critiquable. La jurisprudence OPHLM de Caen du 11 juin 1989 invoquée en défense ne nous semble donc pas transposable, elle n’a pas pour vocation de s’appliquer à des instances de référé.
Les deux moyens invoqués par le haut-commissaire correspondent à ceux déjà soulevés en première instance.
Le premier est tiré de la méconnaissance de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui pose le principe de la séparation des pouvoirs, en ce que la commission a été créée alors qu’une information judiciaire était en cours .
Vous observerez que plusieurs textes s’intercalent ici entre la délibération contestée et l’article 16 de la DDHC, lequel a valeur constitutionnelle. D’abord, l’article 68 du règlement intérieur de l’APF, qui est un acte administratif, et l’article 132 de la loi organique..
L’article 132 des la loi organique est très concis, puisqu’il se borne à énoncer que « l’assemblée de la Polynésie française peut crée des commissions d’enquête composées à la représentation proportionnelle des groupes politiques qui la composent. Le régime des commissions d’enquête est défini par une délibération de l’assemblée de la PF ». Cette disposition n’interdit donc pas, à la différence de la précédente loi organique, la création d’une commission d’enquête alors même qu’une information judiciaire est ouverte. Elle ne l’autorise pas non plus expressément.
Ainsi, l’écran législatif qui s’intercale entre la délibération contestée et la Constitution n’interdit pas, contrairement à ce que soutient la PF, l’exercice d’un contrôle de constitutionnalité par le juge administratif . En effet, le principe selon lequel il n’appartient pas au juge administratif de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi, posé depuis l’arrêt de section Arrighi du 6 novembre 1936, p. 966, ne concerne que les hypothèses dans lesquelles le reproche fait à l’acte administratif contesté procède directement de la loi . Or, ici, l’écran législatif est « transparent », puisque la loi a simplement investi l’assemblée de PF du pouvoir de créer des commissions d’enquête et d’en définir le régime. Voyez, à propos de « l’écran législatif transparent » : CE, 17 mai 1991, Quintin, RDP 1991, p. 1429 , et Chapus, droit du contentieux, n° 51.
Par ailleurs, si l’article 168 du règlement intérieur, adopté par délibération du 13 mai 2005, donc quelques semaines seulement avant la délibération litigieuse, détermine de manière complète le régime des commissions d’enquête, ce texte, qui fait d’ailleurs l’objet d’un recours pendant devant le Conseil d’Etat, n’envisage nullement l’hypothèse d’une commission d’enquête créée pendant le déroulement d’une information judiciaire. En réalité, ce nouvel article a tiré les conséquences de la nouvelle loi organique : cette dernière ayant supprimé l’interdiction de créer des commissions pendant le déroulement d’une information judiciaire, la disposition de l’ancien règlement intérieur qui reprenait à son compte l’ancienne interdiction législative a été elle-même supprimée.
Si bien qu’aujourd’hui, le grief fait à la délibération du 2 juin 2005 ne procède ni de la loi organique, ni du règlement intérieur. Il ne procède que de la délibération elle-même.
En résumé, le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de la délibération contestée ne nous semble pas inopérant. Est-il pour autant de nature à jeter un doute sérieux sur la légalité de cette délibération ?
Nous ne le pensons pas.
D’abord, s’il est vrai que le règlement de l’assemblée nationale (article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée) fait obstacle à la création d’une commission d’enquête lorsque des poursuites judiciaires sont en cours, le CC n’a jamais estimé à ce jour qu’il s’agissait là d’une exigence constitutionnelle. Et, en particulier, lors de l’examen de la nouvelle loi organique de 2004, il n’a formulé aucune réserve d’interprétation à propos de la nouvelle rédaction de l’article relatif aux commissions d’enquête. En tout état de cause, comme l’observe pertinemment le Président du gouvernement de la Polynésie française, la règle applicable aux commissions d’enquête de l’Assemblée nationale s’explique notamment par les pouvoirs du Parlement national, qui pourrait, par le vote d’une loi d’amnistie par exemple, influencer le cours d’une instruction judiciaire.
Or, précisément, et c’est là le second point sur lequel nous voudrions insister, nous avons déjà décrit les pouvoirs de la commission d’enquête, et nous ne voyons pas, tout au moins en l’état de l’instruction, en quoi les investigations actuellement menées par la justice pourraient être entravées par les travaux de cette commission. En effet, si la commission peut effectivement mener une « enquête parallèle », ne détient aucun pouvoir de contrainte à l’égard de l’autorité judiciaire. Elle n’a qu’un pouvoir de contrainte, bien relatif, à l’égard des fonctionnaires territoriaux, mais il ne s’agit pas là d’une problématique de séparation des pouvoirs. C’est ce critère de l’absence de « pouvoir de contrainte à l’égard de l’autorité judiciaire » qui a conduit récemment le CE à admettre la légalité de la création, par le Premier ministre, d’une commission consultative chargée d’enquêter sur certains dysfonctionnements d’un tribunal de grande instance, sans préjudice, le cas échéant, de l’ouverture d’une information judiciaire et de la saisine du conseil supérieur de la magistrature. (CE, Syndicat de la magistrature, 25 février 2005, n° 265482).
Le premier moyen soulevé nous paraît donc devoir être écarté.
Le haut-commissaire fait également valoir, dans un second moyen que la délibération est entachée d’incompétence, dans la mesure où l’article 14-8 ° de la loi organique du 27 février 2004 réserve à l’Etat la compétence en matière de « police et sécurité concernant l’aviation civile », . Mais il s’agit là d’une compétence normative, décisionnelle, alors que la commission crée n’a pour objet que de réaliser une enquête, qui ne prive en outre nullement l’Etat de la possibilité de mener, par le biais de ses services, et conformément au code de l’aviation civile, une enquête technique. En fait, il n’existe pas, à notre avis, de véritable limite au domaine d’investigation des commissions d’enquête que peut créer l’assemblée territoriale.
Nous vous proposons donc d’écarter également le deuxième moyen, et PCM, nous concluons au rejet de la requête du Haut-commissaire.

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