Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 20 novembre 2013, n° 11/21483

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 20 nov. 2013, n° 11/21483
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 11/21483
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Marseille, 24 novembre 2011, N° 10/00184

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

10e Chambre

ARRÊT AU FOND

DU 20 NOVEMBRE 2013

N° 2013/466

Rôle N° 11/21483

XXX

C/

O Y

Grosse délivrée

le :

à :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 25 Novembre 2011 enregistré au répertoire général sous le n° 10/00184.

APPELANTE

XXX et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié, demeurant XXX

représentée par Me AA-E JAUFFRES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

plaidant par Me Olivier GIRAUD, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Laurent GAY, avocat au barreau de MARSEILLE,

INTIME

Monsieur O Y

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 12/1438 du 30/01/2012 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)

né le XXX à XXX – XXX

représenté par Me Magali RAGETLY, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 08 Octobre 2013 en audience publique. Conformément à l’article 785 du Code de Procédure Civile, Mme Jacqueline FAURE, Conseiller, a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Christiane BELIERES, Présidente

Mme Jacqueline FAURE, Conseiller

Madame Lise LEROY-GISSINGER, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Geneviève JAUFFRES.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2013

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Novembre 2013,

Signé par Madame Christiane BELIERES, Présidente et Madame Geneviève JAUFFRES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige :

Se disant victime d’agressions sexuelles commises par AA-AB X, préposé de l’association Accueil Enfance et Jeunesse 'Les Mouettes', à laquelle il a été confié de l’âge de 5 à 10 ans, M. I Y a fait assigner cette association par acte du 24 décembre 2009, devant le tribunal de grande instance de Marseille pour obtenir l’indemnisation de son préjudice.

Par jugement en date du 25 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Marseille, considérant que les agissements imputés à AA-AB X à l’encontre de I Y sont établis, a :

— déclaré l’association Accueil Enfance et Jeunesse 'Les Mouettes’ entièrement responsable du préjudice causé par son préposé AA-AB X à I Y,

— l’a condamnée à payer à I Y la somme de 12'000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice,

— l’a condamnée aux entiers dépens, recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.

Par acte en date du 16 décembre 2011, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, l’association Accueil Enfance et Jeunesse Les Mouettes a interjeté appel général de cette décision.

Prétentions et moyens des parties :

Par conclusions en date du 3 mai 2012, l’association Les Mouettes demande à la cour, au visa des articles 1383 et 1384 du Code civil, de :

— constater que M. Y ne rapporte pas la preuve des faits dont il prétend avoir été victime,

— réformer le jugement,

— débouter M. Y de l’ensemble de ses demandes,

— le condamner à payer la somme de 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner M. Y aux entiers dépens.

L’appelante fait valoir que M. X, qui s’est suicidé en cours de procédure, a reconnu avoir commis des attouchements sur 10 enfants, parmi lesquels Cédric Y, frère de l’intimé, mais qu’il n’a pas cité le nom de celui-ci ; que les médecins psychiatres n’attestent pas des abus sexuels dont aurait été victime I Y, mais précisent qu’il souffre d’une pathologie mentale (schizophrénie paranoïde), survenue à la fin de l’adolescence, causée par des facteurs génétiques et de stress environnementaux, tandis que les témoignages invoqués ne relatent pas des faits personnellement constatés à l’égard de M Y.

L’association souligne qu’elle ne peut être tenue responsable des faits de son préposé commis hors des fonctions auxquelles il était employé et qu’il n’est pas démontré que sa directrice a été informée des faits litigieux.

Par conclusions du 14 septembre 2013, M. Y demande à la cour, au visa des articles 1384 alinéa 5 et 1383 du Code civil, de :

— confirmer le jugement du 25 novembre 2011 en ce qu’il déclare l’association entièrement responsable du préjudice causé à l’intimé par son préposé Monsieur X,

— réformer le jugement sur la réparation allouée,

— condamner l’association Accueil Enfance et Jeunesse Les Mouettes à lui payer la somme de 20'000 € à titre de dommages intérêts, tout préjudice confondu,

— statuer sur les dépens comme en matière d’aide juridictionnelle,

— débouter l’association Accueil Enfance et Jeunesse Les Mouettes de toutes autres demandes.

L’intimé soutient que le suicide de AA-AB X ayant interrompu l’enquête, il a lui-même recherché et obtenu des éléments de preuve sérieux et cohérents (témoignage de Mme D, éducatrice, rapport de M. C, certificat médical du docteur A, certificat médical de M. B, psychologue).

Il souligne que pour s’exonérer de la responsabilité encourue sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 du code civil et lorsque le préposé a créé une apparence telle que les victimes n’ont pu réaliser qu’il agissait à des fins étrangères à ses fonctions, le commettant doit faire la preuve de trois conditions cumulativement réunies : une action hors des fonctions du préposé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; que le tribunal a parfaitement jugé que AA-AB X a agi dans l’exercice de ses fonctions, dans le cadre de l’établissement qui l’employait, étant au service de celui-ci.

Il ajoute que l’association, dont la directrice avait pourtant été alertée par les enfants et par certains éducateurs, n’a pris aucune initiative pour mettre fin aux agissements de son préposé et que cette carence fautive engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 1383 du code civil.

Motifs :

1. sur la responsabilité :

Attendu qu’en application de l’article 1384 alinéas 1er et 5 du code civil, les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;

Attendu toutefois, que si le préposé a abusé de ses fonctions, le commettant, qui reste civilement responsable lorsque les actes dommageables sont pénalement répréhensibles, peut s’exonérer de sa responsabilité en démontrant que l’acte a été commis hors des fonctions du préposé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions, ces trois éléments étant cumulatifs ;

Attendu qu’en l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats que AA-AB X, éducateur, employé par l’association Les Mouettes, mis en examen pour les faits de viols sur mineurs de 15 ans, viols par personne ayant autorité, agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans par personne ayant autorité, entendu par le juge d’instruction en première comparution, le 3 octobre 1996, a déclaré ressentir une attirance sexuelle pour les enfants depuis l’âge de 19 ans ; qu’il a reconnu avoir pratiqué des attouchements et des caresses, non seulement sur ses nièces, et son filleul, avec pour celui-ci des fellations réciproques, mais également à l’égard de six enfants du foyer des Mouettes, parmi lesquels Cédric Y, frère de l’intimé, lorsqu’ils se trouvaient à la piscine, dans la chambre de garde, en sortant de la douche, ou au foyer, mais aussi chez lui, ainsi que cela s’est produit à l’égard de la jeune G H ;

Attendu qu’à la suite du suicide de AA-AB X dans sa cellule le 15 octobre 1996, le juge d’instruction a constaté l’extinction de l’action publique par ordonnance du 31 octobre 1996 ;

Attendu que le 26 février 2001, la psychologue clinicienne en fonction au sein de l’association Les Mouettes a établi une liste de 6 enfants concernés par les faits commis par AA-AB X, sur laquelle ne figure pas I Y ;

Attendu cependant, que Mme K L, éducatrice aux Mouettes de 1990 à 1991 chargée du groupe des 3 à 6 ans dont faisait partie I Y, a constaté le comportement anormal de AA-AB X à l’égard des enfants, créant un lien de dépendance par des attentions particulières, des cadeaux et des gestes très affectifs et très proches notamment à l’égard de I Y ; qu’elle indique que celui-ci partait et passait les week-end 'certains’ (') chez et en compagnie de AA-AB X, et observe qu’il en 'revenait très perturbé, il avait de grosses colères, des accès de violence, s’accrochait aux jambes des adultes, il hurlait ou alors était dans un mutisme total et s’isolait’ ; qu’elle ajoute en avoir informé la directrice de l’institution, la soeur E-U AE, qui n’est pas intervenue ;

Attendu que Mme D, éducatrice aux Mouettes, rapporte notamment que :

— le 6 février 1995, elle a accompagné la jeune Keira Bittam auprès de 'soeur E-U’ pour lui rendre compte de l’attitude de AA-AB X lorsqu’il lave les enfants Z et Q R S et 'les frotte tellement entre les jambes qu’elles en font pipi au lit’ et 'comment il passe la pommade à Z parce qu’elle a des rougeurs à cause de l’urine',

— le 16 février 1995, à l’occasion d’une réunion avec soeur E F, les éducateurs disent tout ce que les enfants racontent. AA-AB X répond que soeur E-U ne les croira pas 'et à partir de ce jour nous avons été mises à l’écart de la part de tous nos collègues qui le soutenaient',

— le 15 mai 1995, alors qu’avant de passer à table, les enfants vont à la douche, 'AA-AB et I se battent violemment… I insulte AA-AB en le traitant de 'gros P.D.' J’ai eu beaucoup de mal à lui enlever I des mains… AA-AB était très violent, I un enfant… il me reproche toujours violemment d’avoir pris le partie de I',

Attendu que M. C, nouveau directeur de l’association Les Mouettes, expose, par lettre du 9 septembre 2010 adressée au conseil de l’intimé, que le jeune I s’asseyait souvent sur le pas de la porte du groupe pour attendre sa mère ou AA-AB X, les éducatrices lui ayant expliqué que celui-ci lui donnait de petits travaux manuels à réaliser, qu’il venait contrôler lors de sa prise de service ; que I Y est entré en révolte lorsqu’il a appris le décès de l’éducateur, accusant les adultes de la maison de l’avoir tué ; que M. C précise 'avec du recul, il est clair que I entretenait une relation de dépendance (pour ne pas dire plus !) avec AA-AB’ et 'pour répondre à la question I a-t-il été une victime de AA-AB, je dirais oui avec certitude’ ;

Attendu que sur papier à en-tête, en date du 4 mars 2009, le docteur A, médecin psychiatre, précise que I Y souffre d’une schizophrénie paranoïde déclenchée à la fin de l’adolescence et que 'les agressions sexuelles dont il a été victime pendant son enfance ont entraîné une évolution particulièrement défavorable de sa personnalité et, à côté d’autres facteurs environnementaux et génétiques, participé à l’éclosion d’une schizophrénie, sans en constituer un facteur causal direct, selon les données actuelles de la science’ ;

Attendu que Mme B, psychologue à la clinique Saint Roch, indique que pour I Y, la question des abus subis pendant l’enfance est récurrente et alimente un fort sentiment de culpabilité ;

Attendu qu’il résulte de ces éléments que AA-AB X, qui a reconnu être sexuellement attiré par les jeunes enfants, a admis être l’auteur d’attouchements commis à l’égard de plusieurs enfants au sein de l’association qui l’employait, soit dans les locaux même de la maison Les Mouettes, soit chez lui (G H) ; qu’il n’existe pas de témoin direct des faits commis sur la personne de I Y, ni d’ailleurs, au vu des pièces produites, sur les autres jeunes victimes ; que toutefois, et bien que son nom ne figure pas sur la liste des enfants de l’association concernés par ses actes, les liens particuliers et ambivalents créés en particulier avec le jeune I Y ressortent clairement des témoignages de Mmes K L et D, corroborés par celui de M. C, tandis que les praticiens en charge du suivi de I Y confirment les atteintes sexuelles dont il a fait l’objet et la souffrance qui en résulte ;

Attendu qu’il résulte de ces éléments que I Y a été victime d’atteintes sexuelles de la part de AA-AB X, agissant en qualité d’éducateur, préposé de l’association Les Mouettes ;

Attendu qu’il est manifeste que AA-AB X a agi dans son seul intérêt personnel et qu’il n’a pas été expressément autorisé par son employeur, dont toutefois, la passivité n’est pas anodine, à considérer particulièrement le jeune I Y, dont il avait la charge, comme un partenaire sexuel ;

Attendu cependant qu’il a commis les actes dommageables dans l’exercice des fonctions d’éducateur qui lui étaient confiées ; qu’en effet, celles-ci, aussi bien par le comportement pernicieux adopté à l’égard des autres enfants, en s’isolant avec eux lors des douches et par des gestes déplacés, que par son attitude spécifique à l’égard du jeune I Y, né le XXX et âgé de 5-6 ans en 1990-1991, 'par des cadeaux et des gestes très affectifs et très proches’ selon l’attestation de Mme K L susvisée, lui ont permis d’installer son emprise affective et de convaincre la très jeune victime de la légitimité des actes délinquants accomplis à son égard ;

Attendu que ses fonctions lui ayant fourni les moyens de sa faute, peu importe que celle-ci ait pu avoir lieu hors des locaux de l’association, au domicile de AA-AB X, où il conservait, pour l’enfant, son statut d’éducateur et d’adulte digne de confiance ;

Attendu que l’association Les Mouettes ne justifiant pas des trois conditions cumulativement réunies qui seraient de nature à l’exonérer de sa responsabilité de commettant, celle-ci doit être retenue en application de l’article 1384 alinéa 5 du code civil ; que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ;

Attendu au surplus, que Mmes K L et D indiquent avoir informé l’association du comportement de AA-AB X avec les enfants, la première directement auprès de sa directrice, soeur E-U AE, et ce, à deux reprises, la seconde auprès d’une autre religieuse de l’institution, soeur E-F et en présence de AA-AB X ;

Attendu que l’association ne s’explique pas sur les vérifications et mesures qu’elle aurait dû mettre en oeuvre à la suite de ces révélations graves ; que I Y est dès lors bien fondé à invoquer sa responsabilité en application de l’article 1383 du code civil ; que le jugement déféré sera réformé sur ce point ;

2. sur le préjudice :

Attendu que les faits sont survenus entre 1990 et 1995, alors que I Y était âgé de 5 à 10 ans ; que les avis susvisés émanant du médecin psychiatre et de la psychologue, assurant la prise en charge de I Y, attestent du préjudice résultant directement et certainement des faits commis par AA-AB X ; qu’au vu de ces éléments, le premier juge a justement condamné l’association Les Mouettes à payer à I Y la somme de 12 000 € ; que le jugement sera également confirmé sur ce point ;

Attendu qu’en application de l’article 1153-1 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Attendu que l’association Les Mouettes succombant en appel, supportera la charge des entiers dépens, sans pouvoir prétendre en équité à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Décision :

La cour,

— Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il retient la responsabilité de l’association Accueil Enfance et Jeunesse Les Mouettes au seul visa de l’article 1384 alinéa 5 du code civil ;

Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant ,

— Déclare l’association Accueil Enfance et Jeunesse Les Mouettes responsable du dommage subi par I Y tant en application de ce texte que de l’article 1383 du code civil ;

— Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’association Accueil Enfance et Jeunesse Les Mouettes ;

— Condamne l’association Accueil Enfance et Jeunesse Les Mouettes aux entiers dépens d’appel, dont le recouvrement sera assuré comme en matière d’aide judiciaire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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