Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 9 janvier 2020, n° 18/00584

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Chronologie de l’affaire

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Actance Avocats

Marine Claisse et Lucie Vincens, respectivement collaboratrice et associée du Cabinet Actance, reviennent sur la jurisprudence rendue en 2020. La qualification de lanceur d'alerte confère à son bénéficiaire un statut qui le protège de manière générale contre toute mesure discriminatoire en matière notamment de recrutement, de rémunération, de mutation, de promotion ou de licenciement (art. L. 1132-3-3 du code du travail). En effet, la Loi n° 2016-1691, dite "Sapin II", du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 9 janv. 2020, n° 18/00584
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 18/00584
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Soissons, 24 janvier 2018, N° F17/00122
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRET

SA J K L

C/

X

copie exécutoire

le 09/01/20

à

SELARL ELECTA JURIS

SCP PELLETIER

ADB/IL/BG.

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

PRUD’HOMMES

ARRET DU 9 JANVIER 2020

*************************************************************

N° RG 18/00584 – N° Portalis DBV4-V-B7C-G4LW

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 25 JANVIER 2018 (référence dossier N° RG F17/00122)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

SA J K L

[…]

[…]

représentée, concluant et plaidant Me Florian GROBON de la SELARL ELECTA JURIS, avocat au barreau de LYON

représentée par Me Hélène CAMIER de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS, avocat postulant

ET :

INTIME

Monsieur D X

né le […] à […]

[…]

[…]

concluant par Me Thierry PELLETIER de la SCP PELLETIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS,

représenté par Me Hervé SELOSSE-BOUVET, avocat au barreau d’AMIENS substitué par Me Aurélie GUYOT, avocat au barreau d’AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l’audience publique du 10 octobre 2019, devant Mme H I, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

— Mme H I en son rapport,

— l’avocat en ses conclusions et plaidoirie

Mme H I indique que l’arrêt sera prononcé le 17 décembre 2019 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme H I en a rendu compte à la formation de la 5e chambre sociale, composée de :

M. Christian BALAYN, Président de Chambre,

Mme Fabienne BIDEAULT, Conseiller,

Mme H I, Conseiller,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

A l’audience publique du 17 décembre 2019, la Cour a décidé de prolonger le délibéré et a renvoyé l’affaire à l’audience publique du 9 janvier 2020 pour prononcer l’arrêt

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 17 décembre 2019, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Christian BALAYN, Président de Chambre, et Mme Isabelle LEROY, Greffier.

*

* *

DECISION :

Vu le jugement en date du 25 janvier 2018 par lequel le conseil de prud’hommes de Soissons statuant dans le litige opposant Monsieur D X à son employeur, la société J K L, a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs de l’employeur devant produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a condamné l’employeur à payer différentes sommes au salarié à titre d’indemnité de préavis et congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour rupture imputable à l’employeur, de salaire pendant la mise à pied, de participation aux frais irrépétibles, a débouté les parties de leurs autres demandes et a condamné J K L aux dépens ;

Vu l’appel régulièrement interjeté par la société J K BIO ENERGIES le 14 février 2018 de cette décision qui lui a été régulièrement notifiée ;

Vu la constitution d’avocat de l’intimée, effectuée par voie électronique le 23 février 2018 ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 25 septembre 2019 renvoyant l’affaire pour être plaidée à l’audience du 10 octobre 2019 ;

Vu les conclusions spécifiquement transmises par l’appelante le 1er octobre 2018 et par l’intimé le 3 décembre 2018, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel ;

Vu les conclusions notifiées le 1er octobre 2018 par voie électronique par lesquelles l’employeur appelant, contestant les manquements invoqués à l’appui de la résiliation judiciaire, tant sur les instructions hiérarchiques illégales que sur les manquements à l’obligation de sécurité, contestant la sincérité des éléments de preuve soumis par le salarié, contestant le lien entre les conditions d’emploi et la maladie du salarié, soutenant la légitimité du licenciement pour faute grave, sur la nullité duquel la juridiction prudhommale n’avait pas à se prononcer, soutenant la faute grave caractérisée par la violation de l’obligation de loyauté et un chantage, contestant au salarié son statut de protecteur d’alerte à défaut de sa bonne foi, s’opposant à la nullité du licenciement, contestant tout manquement à l’obligation de sécurité et mise en danger de la vie du salarié, sollicite la réformation partielle du jugement et le rejet des demandes fondées sur une résiliation judiciaire, débouter le salarié de ses demandes au titre de la nullité ou l’illégitimité du licenciement et de la violation de l’obligation de sécurité et mise en danger, condamner le salarié à des frais irrépétibles et aux dépens ;

Vu les conclusions notifiées le 16 avril 2018 par voie électronique par lesquelles la société intimée, contestant les moyens et arguments de l’appelante, soutenant les manquements caractérisés, justifiant la résiliation judiciaire, requérant l’allocation de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, subsidiairement revendiquant le statut de lanceur d’alerte pour solliciter la nullité du licenciement, invoquant la liberté d’expression, contestant le chantage du fait de son statut de victime, privant le licenciement de cause réelle et sérieuse, sollicite la confirmation du jugement sauf en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et mise en danger et statuant à nouveau lui allouer les dits dommages et intérêts, à titre subsidiaire, dire le licenciement nul ou privé de cause réelle et sérieuse et lui allouer les sommes retenues en première instance, en tout état de cause condamner l’employeur à lui payer des frais irrépétibles et aux dépens.

SUR CE

Monsieur X a été recruté par contrat à durée indéterminée du 11 août 2008 au poste de technicien d’exploitation.

La société emploie 138 salariés et applique la convention collective dite SYNTEC.

Au dernier état des relations, Monsieur X était classé technicien d’exploitation niveau D et percevait une rémunération brute mensuelle de 2 279,63 outre un treizième mois et une part variable de rémunération. La rémunération annuelle brute de l’année 2016 était de 41 924 euros.

Par courrier en date du 31 mars 2017 adressé à son employeur, Monsieur X dénonçait des dysfonctionnements constatés sur ses conditions de travail et la marche de l’entreprise, sur le plan du droit du travail et de l’environnement et sollicitait une rupture de son contrat négociée en sollicitant, outre les indemnités légales de rupture, la somme de 340 000 euros de dommages et intérêts.

Par courrier en date du 14 avril 2017, l’employeur contestait ces accusations.

Par courrier en date du même jour, Monsieur X était convoqué à un entretien préalable fixé au 28 avril suivant et mis à pied à titre conservatoire.

Le 26 avril 2017, Monsieur X saisissait le conseil de prud’hommes de Soissons d’une demande de résiliation de son contrat de travail soutenant que son employeur avait gravement manqué à ses obligations contractuelles.

Monsieur X était licencié pour faute grave par courrier recommandé en date du 15 mai 2017.

Par jugement du 25 janvier 2018 dont appel, le conseil de prud’hommes saisi au surplus de la légitimité du licenciement et du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, a statué tel que rappelé.

Sur la résiliation judiciaire

La voie de la résiliation judiciaire est ouverte au seul salarié et produit, lorsqu’elle est accueillie, tous les effets attachés à un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse.

Lorsque les manquements de l’employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtu une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie, avec effet à la date de la décision la prononçant, lorsqu’à cette date le contrat de travail est toujours en cours.

Lorsqu’en cours d’instance de résiliation judiciaire le contrat de travail a été rompu, notamment par l’effet d’un licenciement, la date d’effet de la résiliation doit être fixée à la date de rupture effective du contrat, c’est à dire dans l’hypothèse considérée à la date du licenciement.

En cas d’action en résiliation judiciaire suivie en cours d’instance d’un licenciement, l’examen de la résiliation judiciaire revêt un caractère préalable, dans la mesure où si la résiliation du contrat est prononcée, le licenciement ultérieurement notifié par l’employeur se trouve privé d’effet ; l’examen de la légitimité du licenciement n’a donc lieu d’être opéré qu’en cas de rejet de la demande de résiliation judiciaire.

En l’espèce, le contrat n’était pas encore rompu lorsque le salarié a introduit judiciairement sa demande de résiliation judiciaire.

A l’appui de sa demande de résiliation judiciaire, Monsieur X invoque des instructions hiérarchiques pour le moins troublantes pour contourner les calculs permettant les seuils de valorisation rendant éligible à la prime d’efficacité énergétique, conduisant à détourner les

procédures au détriment d’EDF, et également afin d’obtenir l’abattement prévu sur la TGAP par l’article 266 nonies du code des douanes, ainsi qu’une violation de l’obligation de sécurité de résultat par son exposition à des matières extrêmement nocives pour sa santé.

Il appartient au salarié qui s’en prévaut de rapporter l’existence des manquements.

A titre liminaire, il serait exposé que dans ses différents sites la société J K BIO ENERGIES traite, valorise et élimine essentiellement les déchets, soit pour le compte des collectivités publiques, soit pour des industriels ou autres collectivités. De façon non résiduelle, elle opère ce traitement pour ses propres filiales. Les sites sont des installations classées, soumis à autorisation préfectorale et placés sous la tutelle et le contrôle de l’état via la DREAL, des douanes pour la TGAP et du bureau VERITAS mandaté par EDF.

- 1er manquement : les consignes troublantes concernant la cogénération

Le principe de co génération est appliqué dès lors où en plus de l’énergie électrique produite par le moteur de valorisation du biogaz, l’exploitant récupère la chaleur dégagée par ce moteur. La co génération est encadrée par un contrat signé avec EDF. En plus du rachat de l’énergie électrique, EDF propose une prime de co-génération dont le montant varie en fonction de l’efficacité énergétique calculée.

En sa lettre du 31 mars 2017 ainsi qu’en ses écritures, le salarié soutient que son employeur lui a donné des instructions visant à détourner des moyens pour réaliser les taux de 75 % de valorisation énergétique permettant d’obtenir la prime d’efficacité énergétique distribuée par EDF.

A l’appui, il produit un mail du 3 février 2017 de Monsieur Y ( fonction directeur exploitation et maintenance) concernant le site d’Allement, des photos de compteurs déplombés, des mails d’EDF en août 2016 relevant des anomalies sur les appareils permettant les relevés (débimètres gaz, capteurs de pression absolue, capteur de température) EDF relevant «les matériels ainsi vérifiés ne correspondent pas aux matériels posés sur site à l’origine de l’avenant», un mail de Monsieur Z en date du 11 septembre 2015 portant entête «vapotherme Villoncourt» indiquant» pouvez vous retirer 24 151 M3 de biogaz du compteur de torchère dans le vapotherme'»,

Monsieur X soutient donc avoir reçu un mail du 3 juin 2017 de Monsieur A lui donnant ordre de «by passer l’aéro adiabatique et de passer le surplus de gaz sur la torchère», ce qui suggère une manipulation frauduleuse. L’employeur énonce à juste titre que ce mail fait en réalité chronologiquement suite à une demande de Monsieur X, formalisée par mail récapitulatif du même jour, que ce mail évoque la possibilité de la man’uvre («si possible«) et que seul le commentaire postérieur et unilatéral de Monsieur X lui confère un caractère suspect. L’employeur justifie sans être contredit que cette disposition ne constitue pas en elle même une irrégularité ( le valorix ne rentrant pas dans le calcul de la co-génération), empêchant notamment le contrôle par les organismes mandatés (bureau VERITAS). L’employeur établit au demeurant que l’installation de ce site a été contrôlée positivement le 3 février 2017 par le bureau VERITAS

Le salarié verse 3 photos qui démontreraient l’existence de compteurs déplombés au mois de janvier 2017. La Cour relève en premier lieu que ces photographies ne sont pas datées ni rapportables à un lieu particulier, ce qui entache irrémédiablement leur valeur probatoire. L’employeur les rapporte sans être contredit à un contrôle effectué par un technicien FUJI, planifié en janvier 2017, rendant nécessaire le déplombage des compteurs. Ces faits sont attestés par le prestataire FUJI.

Le salarié se prévaut enfin des difficultés de contrôle rencontrées par EDF du fait de l’absence des certificats de vérification des appareils FUJI tel qu’il ressort des échanges de courriels en août et septembre 2016. L’employeur qui conteste une quelconque fraude établit qu’il s’agissait d’une erreur

matérielle du prestataire FUJI entre deux clients, rectifiée, conduisant à la validation du calcul de la régularisation de la prime énergétique par EDF selon mail du 22 septembre 2016.

Il s’en suit que le salarié ne rapporte pas la preuve des faits allégués au titre des consignes de fraude s’agissant de la prime d’efficacité énergétique distribuée par EDF.

- 2e manquement : s’agissant des faits relatifs au calcul de la TGAP

Les installations de traitement des déchets non dangereux sont assujetties à une taxe appliquée sur les tonnages entrant. Cette taxe est susceptible d’être réduite si la valorisation énergétique du biogaz produit est supérieur à 75% du biogaz capté. Le taux de valorisation se calcule de la façon suivante : quantité de biogaz utilisé/ quantité du biogaz capté = taux de valorisation. Les dispositifs de comptage sont différents pour le biogaz utilisé et le biogaz capté et sont encadrés par une circulaire douane et contrôlés par les services de l’état.

Le salarié soutient que l’employeur contourne les règles de l’abattement et donne des instructions pour fausser les calculs.

Il se prévaut d’échange de courriers en janvier 2015 par lequel Monsieur Z sollicite le retrait de « 24151 m3 de biogaz du compteur de torchère dans le vapotherme». Il apparaît que ce mail unique de Monsieur Z, dont l’employeur conteste qu’il appartienne à J K L concernant l’unité Villoncourt, qui n’appartient pas aux sites d’intervention de Monsieur X. Ce email, ancien, est étranger à l’espèce et ne peut pas fonder de manquement à l’égard de Monsieur X.

Le salarié produit enfin une copie d’écran rapportant un SMS de Monsieur Y du 23 décembre (année inconnue) à 17h46 indiquant «pense à remettre les compteurs TGAP en marche ils sont disjoncter bravo pour la remise en route....» pour se prévaloir d’instructions qui lui ont été données qui interrogent sur l’éligibilité au boni de la TGAP. L’employeur soutient que cette pièce est tronquée et établit que ce texto était destiné à Monsieur B qui, ensuite d’un incident technique intervenu sur le site qui conduisait au disjonctagage des coffrets d’alimentation des compteurs TGAP, prévenait de la régularisation de la situation.

Cette pièce ne peut établir une instruction de fraude donnée à Monsieur X.

Il s’en déduit que le salarié ne rapporte pas la preuve du manquement invoqué.

Les deux mails d’explication et de commentaires adressés par Monsieur X à son conseil courant octobre 2017, non exploités dans les écritures et la coupure de presse sont sans effet à établir les manquements invoqués au titre des consignes de fraude.

-3e manquement : la violation de l’obligation de sécurité de résultat

Monsieur X soutient enfin que son employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat, en invoquant le déclenchement d’une sclérose en plaque 3 années après son embauche, l’existence d’analyses établissant qu’il a été exposé à des matières nocives et le relai de ses inquiétudes auprès de la médecine du travail.

L’employeur oppose notamment que Monsieur X a été régulièrement déclaré apte au travail, qu’il n’a relayé aucune difficulté sur son poste de travail, qu’il n’y a pas de lien prouvé entre les conditions de travail et la maladie, qu’il justifie des consignes de sécurité applicables dans l’entreprise, et qu’il n’y a jamais eu d’alerte.

En application de l’article L 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu à l’égard du salarié d’une

obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale des travailleurs.

En l’espèce contrairement en ce que soutenu, le lien de causalité entre la pathologie de Monsieur X et les conditions d’exercice de son emploi n’est pas établi. La pathologie invoquée n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’une déclaration ni a fortiori d’une reconnaissance en maladie professionnelle. Il est établi que le salarié a fait l’objet du suivi médical régulier imposé par la loi et en particulier a été régulièrement déclaré apte à son emploi, le dernier avis d’aptitude étant en date du 28 mars 2017. Si le salarié s’est inquiété de son exposition aux métaux lourds lors de l’entretien infirmier du 22 avril 2015, il doit être constaté que dans le même entretien, il rapporte se sentir bien au travail et jouir des équipements de sécurité adaptés. Cette interrogation, ancienne et non suivie d’effet, ne peut caractériser un manquement. L’employeur justifie pour sa part des consignes, procédures, formations, habilitations et équipements fournis à Monsieur X ainsi que de la remise du guide des risques professionnels au mois de janvier 2016.

Les analyses produites en date d’avril 2017, réalisées avec l’accord de la hiérarchie, résultent de prélèvement effectuées en février et mars 2017 à l’occasion d’une opération ponctuelle de nettoyage par hydrocarburage des échangeurs de fumée par un sous traitant et ne sont pas relatifs à l’exposition dans le cadre du fonctionnement habituel de l’installation. En outre, l’employeur établit que les différents EPI étaient mis à disposition des intervenants et produit un rapport de contrôle de l’exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux du site incriminé d’Allemant réalisé le 17 et 18 août 2017 traduisant des résultats inférieurs aux limites d’exposition.

Le manquement relatif à la violation de l’obligation de sécurité n’est pas établi.

En conséquence, le salarié ne rapporte pas la preuve des manquements invoqués qui auraient justifié la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur. En réformation du jugement entrepris, sa demande de résiliation judiciaire sera rejetée.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement qui fixe définitivement les termes du litige et lie les parties et le juge est rédigée selon les termes suivants :

Suite à l’entretien qui s’est tenu en nos locaux le vendredi 28 avril 2017 à 15 heures et dans le cadre duquel vous étiez assisté par Monsieur E F, représentant du personnel, nous vous informons que nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave, licenciement que nous vous notifions par la présente.

En effet, vous avez pris l’initiative, de surcroît sans démarche ni alerte préalable, conjointement avec Monsieur C de nous faire adresser par deux conseils une lettre datée du 31 mars 2017 n’ayant d’autre objectif que de mettre en avant des informations qu’il est pour partie permis d’assimiler à de véritables accusations de fraude de la part de l’ensemble des destinataires de ce courrier pour prétendre« négocier la rupture» de votre contrat de travail en sollicitant de la société J K L l’octroi, pour chacun, d’une somme de 340 000 € net à titre de dommages et intérêts, outre le règlement de vos indemnités légales de rupture, les termes utilisés étant que «Messieurs G C et D X acceptent de quitter la société J en contrepartie d’une transaction, moyennant l’allocation pour chacun de la somme de 340 000 € net à titre de dommages et intérêts à laquelle il conviendra bien évidemment d’ajouter leurs indemnités légales de rupture»,

On rappellera que vous êtes technicien d’exploitation placé sous la responsabilité de Monsieur C, superviseur,

Or, et en premier lieu, un tel procédé ne mérite que d’être fermement dénoncé qui, en tant que tel, est déjà constitutif d’une faute grave caractérisée qui ne permet certainement pas d’envisager la poursuite du contrat de travail.

En effet, un tel procédé est assimilable à un véritable chantage puisque les faits évoqués dans ce courrier sont manifestement de nature à porter atteinte à la réputation, la probité, l’honneur ou la considération de ses destinataires avec l’objectif avéré d’obtenir la négociation d’une rupture de vos contrats de travail en contrepartie du règlement de sommes exorbitantes et qui, pour tout dire, dépasse l’entendement: 340 000 € net à titre de dommages et intérêts outre le règlement des indemnités de rupture représentant plus de 8 ans de salaire !

Ce procédé apparait d’ailleurs d’autant plus déloyal et délibéré que vous avez choisi de le faire adresser par deux conseils non seulement à la personne morale elle-même, mais également à quatre personnes physiques de la société, nommément désignées en qualité de Directeur Général, Directrice des Ressources Humaines, Directeur Exploitation et Maintenance et Directeur Travaux et Services (par LRAR et email) alors que vous êtes mieux placé que personne pour savoir le retentissement que pourrait avoir auprès de ces personnes un tel courrier eu égard à son contenu et aux mises en cause personnelles qu’il représente en termes d’accusation,

Un tel procédé est donc constitutif d’une violation grave de votre obligation de loyauté à l’égard de l’entreprise et de votre hiérarchie avec la volonté affirmée de contraindre votre employeur par ce biais à accepter des conditions de rupture de votre contrat de travail totalement exorbitantes, ce qui traduit a minima une dégradation irréversible de la relation de travail imposant votre licenciement immédiat pour faute grave.

En second lieu, et au demeurant, les accusations que vous portez tant à l’encontre de la société J K BIOERNERGIES que des destinataires de ce courrier méritent également d’être dénoncées tant il est avéré que pour l’essentiel elles ne reposent sur aucun fondement et ne correspondent à aucune réalité susceptible de justifier une telle démarche.

A ce sujet, nous entendons nous en rapporter à la lettre officielle que notre conseil a du adresser à vos conseils le 14 avril 2017 justement pour apporter toute la contradiction voulue à vos affirmations.

Ce faisant, vous n’avez donc pas hésité à créer à l’encontre de chacun des destinataires de ce courrier par lesquels il est toujours possible d’engager un dialogue quand cela est nécessaire.

De surcroît, certains faits apparaissent bien anciens qui n’ont jamais fait l’objet d’informations ou d’interrogations de votre part et vous avez donc décidé sciemment de faire le choix de faire adresser, sans autre forme de prévention, un tel courrier pour tenter de justifier l’octroi des sommes susvisées dont le caractère exorbitant n’échappera à personne.

Au surplus, un certain nombre des accusations mentionnées dans ce courrier demeurent sans aucun lien de causalité avec les prétendues difficultés que vous alléguez dans l’exécution de votre contrat de travail et qui, selon vous, en justifierait la rupture dans des conditions qui ne méritent en réalité que d’être dénoncées, On ne voit pas d’ailleurs à quel titre votre responsabilité personnelle pourrait bien être engagée en regard de la nature des faits dénoncés :

o Co-génération« instructions pour le moins troublantes » qui vous auraient été données «pour contourner les calculs permettant d’atteindre les seuils de valorisation d’énergie rendant éligible à la prime d’efficacité énergétique … des photographies montrent des compteurs qui ont été déplombés en janvier 2017 … en définitive au lieu des 75 % de valorisation énergétique » les éléments remis à vos conseils montreraient que cette valeur «est loin d’être atteinte », sous entendu de façon frauduleuse! o TGAP:« les éléments constatés à propos de la Co-génération viennent s’ajouter aux éléments troublants » que vous avez rapportés à vos conseils qui en font donc mention dans leur courrier du 31 mars 2017 toujours en forme d’accusations puisqu’il est encore fait référence à des «éléments particulièrement troublants » et « permettant de s’interroger sur l’éligibilité des producteurs de déchets au boni de TGAP … »,

Bien entendu et comme déjà annoncé par notre conseil dans sa lettre du 14 avril 2017, nous nous réservons d’apporter toute la contradiction voulue à de telles affirmations ne correspondant à aucune réalité susceptible de justifier une telle démarche, mais vous pensiez sans doute disposer la d’éléments vous permettant de négocier au mieux la rupture de votre contrat de travail!

Nous sommes tout aussi étonnés de la référence à une «problématique concernant l’exécution» de votre contrat de travail et à un non-respect de nos obligations légales à votre égard concernant notamment notre «obligation de sécurité de résultat».

Vous concernant, nous relevons qu’aucun fait précis n’est rapporté dans ce courrier du 31 mars 2017 qui pourrait caractériser un non-respect de notre fait de nos obligations à votre égard concernant notamment notre obligation de sécurité de résultat : nous relevons surtout que nous n’avons jamais eu connaissance d’aucune alerte ou démarche préalable vous concernant à ce sujet.

Nous sommes d’ailleurs d’autant plus étonnés que vous nous avez fait écrire conjointement avec Monsieur C dont nous vous rappelons qu’il a appartenu au CHSCT de l’entreprise et qu’il était donc mieux placé que personne pour engager conjointement avec vous et si nécessaire une telle démarche qui aurait certainement permis de résoudre les difficultés que vous prétendez avoir rencontrées mais qui en l’état de ce courrier ne repose sur aucun élément objectif et vérifiable.

Nous ne pouvons pas plus accepter de lire que votre hiérarchie vous aurait abandonné alors au contraire que vous ne l’avez pas sollicité et que vos conseils font allusion à « de graves défaillances de la société J et des manquements graves à différentes obligations en matière de sécurité et de santé … » !

Vous allez même jusqu’à faire écrire que « nos clients se sentent en danger et pensent à juste titre que leur vie est plus précieuse que leur emploi et qu’elle ne mérite pas d’être sacrifiée sous cet autel ».

Vous comprendrez qu’une telle accusation, par sa gravité, est de nature à nous interroger sur la réalité de vos intentions en l’absence de toute démarche préalable de notre part et de toute alerte y compris des organes représentants le personnel tant sur le plan de la santé que de la sécurité.

La-encore, de telles accusations ou suspicions ne sont pas acceptables et certainement pas de nature à nous permettre d’envisager la poursuite de votre contrat de travail étant rappelé, au demeurant que vous n’avez pas hésité à mettre en cause personnellement des membres de notre entreprise qui n’ont pas manqué d’être profondément choqués et déstabilisés par ce procédé, ce qui n’est pas plus admissible.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement immédiat pour faute grave lequel prend donc effet à la date d’envoi du présent courrier, sans préavis ni indemnité.

La période de mise à pied ne vous sera pas rémunérée…

Monsieur X conteste la légitimité de son licenciement en invoquant la nullité de celui-ci ou en tout état de cause son absence de cause réelle et sérieuse.

Sur la nullité

Le salarié sollicite application à son profit du statut protecteur du lanceur d’alerte, en invoquant l’article 10 paragraphe 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et de liberté fondamentale relative à la liberté d’expression et l’article L1351-1 du code de la santé publique relative à la protection des salariés licenciés pour avoir de bonne foi relaté ou témoigné soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives des faits relatifs au risque grave pour la santé publique ou pour l’environnement dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Il soutient que le licenciement prononcé en raison de ce statut est nul.

L’article L 1132-3-3 du code du travail applicable à l’espèce précise «aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, '.pour avoir relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance.

L’article L 1132-4 dispose que tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre ( relatif au principe de non discrimination) est nul.

L’employeur oppose que cette protection ne peut être accordée qu’à la condition de la bonne foi du salarié, qu’il conteste.

La rupture du contrat de travail d’un salarié de bonne foi qui dénonce des conduites ou actes illicites qui ont lieu sur son lieu de travail, dont il a eu connaissance dans ses fonctions et qui pourraient caractériser des infractions pénales, est nulle.

Il n’est pas contesté en l’espèce que le licenciement est intervenu ensuite du courrier du salarié dénonçant des infractions au droit du travail, des consignes de fraude et des atteintes à l’environnement. Le rappel de ce fait non contesté par l’employeur ouvre l’examen du licenciement sous l’angle de la discrimination. Il appartient à l’employeur d’établir que le licenciement est intervenu pour des raisons objectives étrangères à toute discrimination. En l’espèce, l’employeur conteste au salarié le statut de lanceur d’alerte pour n’être pas de bonne foi.

Il sera rappelé que la bonne foi ne requiert pas que les faits dénoncés soient par la suite établis mais qu’ils aient été rapportés avec honnêteté et loyauté et hors de toute intention malveillante. La condition de bonne foi relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

En l’espèce, la Cour observe que les faits ont été dénoncés en la forme officielle d’un unique courrier d’un conseil mandaté auprès de la personne morale et de 4 personnes physiques, sans démarche préalable notamment auprès des instances de représentation du personnel existantes dans l’entreprise ou encore des autorités judiciaires ou administratives compétentes, à savoir la médecine du travail, l’inspection du travail ou les services de l’état, autorités de tutelle, ce malgré la gravité des faits allégués. Il sera retenu les termes comminatoires de ce courrier et le seul but poursuivi, éloigné de l’intérêt général ou de l’entreprise, à savoir un départ négocié et généreusement monnayé pour les deux salariés signataires. Enfin, il sera rappelé que le précédent examen des moyens de preuve des faits allégués a établi que les éléments fournis manquaient d’objectivité et se révélaient à tout le moins sortis de leur contexte ou dénaturés. Il ressort donc des circonstances de l’espèce, que la dénonciation des faits par la lettre du 31 mars 2017 n’est pas intervenue de bonne foi ni de manière désintéressée. Le motif discriminatoire qui serait fondé sur le statut de donneur d’alerte n’est pas établi.

En conséquence, il sera écarté que le licenciement soit intervenu de manière discriminatoire. La demande de nullité est rejetée.

Sur le caractère fondé du licenciement

Monsieur X a été licencié pour faute grave.

La faute grave s’entend d’un manquement du salarié à ses obligations contractuelles ou en lien avec ses relations de travail, d’une particulière gravité ayant pour conséquence d’interdire le maintien du salarié dans l’entreprise même pendant la durée limitée du préavis ; aussi, les faits invoqués comme constitutifs de faute grave doivent par conséquent être sanctionnés dans un bref délai.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l’employeur et à lui seul et il appartient au juge du contrat de travail d’apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, et s’ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l’éviction immédiate du salarié de l’entreprise.

Enfin, pour satisfaire à l’exigence de motivation posée par l’article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l’énoncé de faits précis et contrôlables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, la lettre de licenciement vise à titre de faute grave un chantage et un manquement à l’obligation de loyauté par des accusations mensongères portées contre l’employeur et des personnes physiques par la lettre du 31 mars 2017.

En l’espèce, la lettre du 31 mars 2017, qui allègue des instructions de fraude de la part de la hiérarchie, des manquements importants dans l’exécution du contrat de travail, notamment dans le domaine de la santé et de la sécurité, en invoquant des faits graves et précis, se clos en les termes suivants : «en conclusion, les dysfonctionnements portés à notre connaissance, qu’ils soient environnementaux ou relevant du droit du travail, nous conduisent à vous solliciter afin de négocier la rupture du contrat de travail de nos clients. Messieurs J P et D X accepteraient de quitter la société J en contrepartie d’une transaction, moyennant l’allocation, pour chacun de la somme de 340 000 euros nets à titre de dommages et intérêts, à laquelle il conviendra bien évidemment d’ajouter leurs indemnités de rupture. Nous vous saurions gré de bien vouloir nous apporter une réponse dans un délai de 15 jours, soit le au 14 avril prochain. Nous sommes à votre disposition pou venir vous rencontrer mais à défaut d’accord, nous reprendrons notre liberté d’action, ayant été mandaté pour le faire»

Il ressort de ces termes que le but affiché de ce courrier est un départ négocié, pour lequel le salarié utilise le moyen du chantage, revendiquant l’existence de faits frauduleux non pour pour les dénoncer dans le souci du bien collectif ou de l’entreprise mais pour parvenir à ses propres fins. Cette démarche, s’opposant par nature au lancement d’une alerte supposant le caractère désintéressé de l’acte, constitue une atteinte majeure à l’obligation de loyauté rendant immédiatement impossible le maintien du contrat de travail.

Le licenciement est justifié et les demandes du salarié au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse seront rejetées.

Sur les manquements et violation par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat et mise en danger de la vie d’autrui

Le salarié sollicite la réformation du jugement qui l’a débouté et l’allocation d’une somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts. Les manquement invoqués et les faits allégués ont été précédemment examinés à l’occasion des développements sur la résiliation judiciaire.

A l’appui de la présente demande, Monsieur X n’invoque pas de nouveaux faits ou moyens. En confirmation, il sera débouté de sa demande.

Sur les mesures provisoires

Au vu de l’infirmation sur le fond, le jugement sera également réformé sur ces dispositions.

Pour l’ensemble de la procédure, Monsieur X sera condamné aux dépens et à payer à son employeur la somme de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Soissons en date du 25 janvier 2018, sauf en ce qu’il a débouté Monsieur D X de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat et mise en danger de la vie du salarié,

Le réforme pour le surplus,

Statuant de nouveau des chefs réformés,

Rejette les demandes de Monsieur D X au titre d’une résiliation judiciaire du contrat de travail, d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

Pour l’ensemble de la procédure,

Condamne Monsieur D X à payer à la société J K L la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur D X aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT.

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Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 9 janvier 2020, n° 18/00584