Cour d'appel de Bordeaux, 15 décembre 2014, n° 14/03824

  • Voie de fait·
  • Consorts·
  • Droit de propriété·
  • Ouvrage public·
  • Département·
  • Contredit·
  • Mise en état·
  • Domaine public·
  • Tribunal des conflits·
  • Ouvrage

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 15 déc. 2014, n° 14/03824
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 14/03824
Décision précédente : Tribunal de grande instance, 12 juin 2014, N° 13/1109

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A


ARRÊT DU : 15 DECEMBRE 2014

(Rédacteur : Brigitte ROUSSEL, président,)

N° de rôle : 14/03824

A Z

C D épouse Z

E Z

c/

XXX

XXX

Nature de la décision : AU FOND et SUR CONTREDIT

XXX : 14/04214

Notifié le :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 13 juin 2014 par le juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance de Y (RG : 13/1109)

APPELANTS suivant déclaration d’appel en date du 12 juillet 2014 (RG : 14/04214) et DEMANDEURS suivant contredit en date du 23 juin 2014 (RG : 14/03824) :

A Z

né le XXX à XXX

de nationalité Française

XXX

C D épouse Z

née le XXX à XXX

de nationalité Française

XXX

E Z

né le XXX à XXX

de nationalité Française

XXX

régulièrement convoqués par lettre recommandée avec accusé de réception,

représentés par Maître E LAPLAGNE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS suivant déclaration d’appel en date du 12 juillet 2014 (RG : 14/04214) et DÉFENDEURS suivant contredit en date du 23 juin 2014 (RG : 14/03824) :

XXX, prise en la personne de son Maire en exercice domicilié en cette qualité à l’Hôtel de Ville – XXX

régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception,

représentée par Maître Valentine GUIRIATO, avocat postulant au barreau de Y, et assistée de Maître Cécile BENOIT, avocat plaidant au barreau de PARIS

XXX, pris en la personne du Président du Conseil Général en exercice domicilié ès qualité 2 rue Paul-Louis Courrier – XXX

régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception,

représenté par Maître Michel PUYBARAUD de la SCP Michel PUYBARAUD, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Alain PAGNOUX, avocat palidant au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 27 octobre 2014 en audience publique, devant la cour composée de :

Brigitte ROUSSEL, président,

Thierry LIPPMANN, conseiller,

Jean-Pierre FRANCO, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

Les consorts Z sont propriétaires d’une parcelle cadastrée XXX, sise XXX à XXX, qui est clôturée par un mur leur appartenant. Cette parcelle est riveraine de la route départementale XXX.

À compter du mois d’octobre 2000 des travaux ont été entrepris concernant l’assiette de la route départementale et l’aménagement des trottoirs par la Commune de CREYSSE.

Se plaignant de ce que le nouvel aménagement avait mis en péril leur mur d’enceinte, les consorts Z ont saisi le président du Tribunal Administratif de BORDEAUX afin d’obtenir la désignation d’un expert.

Par ordonnance du 18 juillet 2001, M. X a été commis et il a déposé son rapport le 26 juin 2013.

Par actes des 26 septembre et 3 octobre 2013 les consorts Z ont fait assigner le Département de la Dordogne et la Commune de CREYSSE devant le tribunal de grande instance de Y afin de les voir condamner in solidum à effectuer sous astreinte des travaux de désolidarisation de leur mur et de l’accotement de la voirie publique confrontant leur propriété et à leur payer des dommages et intérêts.

Le département de la Dordogne a saisi le juge de la mise en état de conclusions d’incident afin de voir déclarer les juridictions de l’ordre judiciaire incompétentes pour connaître du litige.

Par une ordonnance rendue le 13 juin 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Y a :

— fait droit à l’exception d’incompétence et renvoyé les consorts Z à mieux se pourvoir,

— débouté les parties de toutes autres fins et conclusions.

Les consorts Z ont formé un contredit à l’encontre cette ordonnance le 23 juin 2014, puis ont interjeté appel de cette même ordonnance par déclaration du 12 juillet 2014.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 24 septembre 2014, auxquelles il est expressément fait référence pour l’exposé plus ample des moyens et prétentions d’appel des consorts Z, ceux- ci demandent à la Cour de :

vu l’article 99 du code de procédure civile,

— déclarer l’appel des consorts Z recevable et bien fondé

— déclarer le juge judiciaire compétent pour statuer sur les demandes des consorts Z,

— déclarer l’action des consorts Z recevable,

— condamner le Département de la Dordogne à payer aux consorts Z la somme de 2000 € à titre d’indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner le Département de la Dordogne aux dépens .

==> à cet effet, ils font essentiellement valoir que :

— le mur d’enceinte des consorts Z a changé de destination et est devenu un mur de soutènement de l’ouvrage public, propriété de l’ouvrage qu’il soutient,

— ce changement de destination a occasionné des préjudices, les fondations du mur s’étant remplies d’eau,

— le mur de nature privée n’avait pour objet que de séparer leur propriété du domaine public, sans servir de soutènement de la voirie publique,

— le Département de la Dordogne et la Commune de CREYSSE ont annexé la propriété dudit mur, devenant un ouvrage public par accession,

— s’en est suivi une extinction du droit de propriété des consorts Z sur le mur, ce qui fonde une véritable voie de fait,

— la demande est présentée à titre subsidiaire sur le fondement de la théorie de l’emprise irrégulière,

— le Juge de la mise en état est allé au-delà de ses pouvoirs en procédant à une analyse du fond du dossier,

— la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 dont se prévaut l’administration ne traite pas d’une extinction du droit de propriété, mais de l’implantation d’un poteau électrique, il en va de même pour la jurisprudence citée dans la note en délibéré de la Commune de CREYSSE et retenue par le juge de la mise en état, à savoir l’arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de Cassation du 13 mai 2014,

— l’arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de Cassation du 25 novembre 2009 et la décision du Tribunal des conflits du 21 juin 2010 vont dans le sens des consorts Z.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 9 octobre 2014, auxquelles il est expressément fait référence pour l’exposé plus ample des moyens et prétentions d’appel du Département de la Dordogne, celui-ci demande à la Cour de :

Vu les dispositions de l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, vu le décret du 16 fructidor an III, vu les dispositions des articles 74, 75, 96 et 771 du code de procédure civile,

— voir confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 13 juin 2014 par le Juge de la Mise en État du Tribunal de Grande Instance de Y.

En conséquence,

— voir déclarer les juridictions de l’ordre judiciaire, et partant le Tribunal de Grande Instance de Y, incompétentes pour connaître des demandes présentées par M. A Z, Mme C D épouse Z, et M. E Z,

— voir renvoyer M. A Z, Mme C D épouse Z, et M. E Z à mieux se pourvoir.

À titre subsidiaire, si la Cour retenait la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire,

vu les dispositions de la loi 68-1250 du 31 décembre 1968,

— voir faire droit à la demande incidente du Département de la Dordogne, et voir dire et juger prescrite la créance invoquée par les consorts Z,

— voir rejeter les demandes présentées par les consorts Z.

==> à cet effet, il fait essentiellement valoir que :

— par une décision du 17 juin 2013, le Tribunal des conflits a considérablement restreint le champ d’application de la voie de fait, qui n’est désormais caractérisée qu’en cas de décision administrative, manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative, portant extinction du droit de propriété,

— l’implantation irrégulière d’un ouvrage public sur le terrain d’une personne privée ne constitue pas une voie de fait et le juge judiciaire n’est compétent qu’en cas d’emprise irrégulière emportant extinction du droit de propriété,

— il appartenait au juge de la mise en état d’apprécier les faits de la cause et de qualifier les travaux litigieux au regard des notions de voie de fait et d’emprise irrégulière,

— la circonstance qu’un arrêt de la Cour de Cassation ait été communiqué au juge de la mise en état dans le cadre d’une note en délibéré ne saurait suffire à justifier la censure de la décision querellée,

— les travaux sur la route n’ont pas abouti à l’extinction du droit de propriété des consorts Z sur le mur d’enceinte,

— c’est à tort que les appelants font valoir que leur mur serait devenu un ouvrage public par accession, le bien argué d’accessoire devant concourir au bon fonctionnement de l’ouvrage public et y être physiquement incorporé, ce qui n’est pas démontré en l’ espèce,

— au surplus, l’opération de travaux publics incriminée ne peut être regardée comme un agissement ou un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l’administration,

— sur l’emprise irrégulière, les désordres allégués par les requérants ne constituent pas une emprise dans la mesure où ils n’ont pas été dépossédés de leur propriété privée,

— l’appréciation du caractère irrégulier de l’emprise est réservée aux seules jurisdictions administratives,

à titre subsidiaire,

— les créances détenues sur l’État et les collectivité territoriales se prescrivent selon l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 qui prévoit une prescription quadriennale.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 10 octobre 2014, auxquelles il est expressément fait référence pour l’exposé plus ample des moyens et prétentions d’appel de la Commune de CREYSSE, celle-ci demande à la Cour de :

— rejeter l’appel et l’ensemble des demandes de M. A Z, Mme C D épouse Z, et M. E Z,

— confirmer l’ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Y en date du 13 juin 2014,

— déclarer incompétent le juge judiciaire pour statuer sur les demandes des consorts Z,

— les renvoyer à mieux se pourvoir, devant le Juge Administratif,

— rejeter l’intégralité des demandes de M. A Z, Mme C D épouse Z, et M. E Z en tant qu’elles sont atteintes par la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 et mal fondées,

— les condamner solidairement à lui payer la somme de 4000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

==> à cet effet, elle fait essentiellement valoir que :

— le juge judiciaire n’est compétent que pour connaître des atteintes portées par l’administration au droit de propriété et constitutive d’une emprise irrégulière ou d’une voie de fait,

— la voie de fait suppose deux conditions : une atteinte grave au droit de propriété se manifestant par une occupation ou une dépossession et un caractère gravement illégal de l’action de l’administration, insusceptible de se rattacher à un pouvoir lui appartenant,

— le champs de compétence du juge judiciaire a évolué depuis les arrêts du 17 juin 2013 du Tribunal des conflits et du 13 mai 2014 de la Cour de Cassation,

— aucune dépossession, aucune occupation de la propriété privée et a fortiori aucune extinction du droit de propriété n’est caractérisée en l’espèce,

— en application de l’article L 112-1 du code de la voirie routière, l’alignement est constitué de la limite du domaine public routier au droit des propriétés riveraines,

— un mur de clôture ne peut pas appartenir au domaine public routier si, situé sur la propriété riveraine de la voie, il appartient au riverain, selon les articles L 2111-2 et L2111-14 du code général de la propriété des personnes publiques,

— le mur ne peut être qualifié d’accessoire indissociable de la voie et être inclus dans le domaine public routier,

— les travaux publics en cause n’ont eu pour effet que de modifier la consistance du domaine public routier en remplaçant un fossé par un trottoir mais n’ont pas modifié son emprise,

— les créances détenues sur l’État et les collectivité territoriales se prescrivent selon l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 qui prévoit une prescription quadriennale.

L’ordonnance de clôture a été rendue dans le dossier d’appel le 13 octobre 2014.

En ce qui concerne le dossier de contredit, les consorts Z ont déposé un mémoire le 23 juin 2014, estimant le juge judiciaire compétent eu égard à l’existence d’une voie de fait ou d’une emprise irrégulière.

La commune de Creysse a déposé ses dernières conclusions le 9 octobre 2014 estimant le contredit irrecevable et sollicitant la confirmation de l’ordonnance entreprise, ainsi que la condamnation des consorts Z à lui payer une somme de 4000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le département de la Dordogne a déposé ses conclusions sur contredit le 9 octobre 2014 estimant également le contredit irrecevable et demandant de voir débouter les consorts Z de leurs demandes.

Sur ce,

1 – Sur la jonction des deux instances.

En application de l’article 99 du code de procédure civile, la cour ne peut être saisie que par voie d’appel lorsque l’incompétence est invoquée au motif que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction administrative.

Cependant, en application de l’article 91 du code de procédure civile, la cour saisie par voie de contredit, alors qu’elle aurait dû l’être par celle de l’appel, n’en demeure pas moins saisie.

Ce texte a vocation a s’appliquer en l’espèce.

Par ailleurs, la recevabilité de l’appel régulièrement formé dans le délai d’appel par les consorts Z est constante et non contestée.

Au vu de ces considérations, il apparaît que les deux instances actuellement pendantes entre les mêmes parties ont le même objet et qu’il convient d’en ordonner la jonction.

2 – Sur la compétence.

Il ressort de l’ensemble des éléments de la cause que des consorts Z ont saisi le tribunal de grande instance de Y par assignations des 26 septembre et 3 octobre 2013 afin de voir condamner la commune et le département à réparer des préjudices qu’ils estiment avoir subis du fait d’une voie de fait commise par les défendeurs, ou subsidiairement du fait d’une emprise irrégulière.

— Les demandes fondées sur l’existence d’une voie de fait impliquent que le juge du fond recherche si les éléments constitutifs d’une telle voie de fait sont constitués.

Dans la négative, il appartient au juge du fond de rejeter la demande fondée sur la voie de fait.

Cette question ne relève pas d’un problème de compétence, étant constant que le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur l’existence d’une voie de fait et, le cas échéant, sur son indemnisation.

Le juge de la mise en état ne pouvait donc valablement faire droit à l’exception d’incompétence de ce chef alors qu’est en cause, en l’espèce, le problème de l’existence même de la voie de fait.

La décision déférée sera, en conséquence, réformée en ce sens.

— En ce qui concerne les demandes formées à titre subsidiaire sur la théorie de l’emprise irrégulière, il apparaît que ce contentieux échappe aux juridictions de l’ordre judiciaire, hormis dans les cas où l’emprise emporte extinction du droit de propriété.

Ainsi, la compétence du juge judiciaire s’avère en cette matière limitée et celui-ci ne peut statuer que s’il y a extinction du droit de propriété.

Il existe dès lors un problème de compétence qui doit être tranché préalablement au jugement au fond, par le juge de la mise en état, seul compétent, en application de l’article 771 du code de procédure civile.

Les travaux de réfection de la route départementale, réalisés par la commune et le département n’emportent pas extinction du droit de propriété des consorts Z sur le mur clôturant leur propriété.

Ceux-ci ne peuvent, en effet, valablement soutenir être dépossédés de leur mur du fait que celui-ci serait devenu un mur de soutènement et un ouvrage public par accession, alors qu’ils restent propriétaires du mur à usage de clôture, implanté sur leur propriété.

Dans ces conditions, à défaut d’extinction du droit de propriété, le juge judiciaire n’est pas compétent pour statuer sur la demande fondée sur l’emprise irrégulière et l’ordonnance déférée doit être confirmée de ce chef.

L’équité ne commande pas de faire application en l’espèce de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties.

Chacune des parties, qui succombe partiellement dans ses prétentions, conservera la charge des dépens de première instance et d’appel par elle engagés relativement à l’incident de procédure.

Par ces motifs,

La Cour,

— Ordonne la jonction de l’instance inscrite au rôle sous le numéro 14/3824 avec celle inscrite sous le numéro 14/4214.

— Statuant par voie de réformation partielle,

— Confirme la décision déférée à ce qu’il a été fait droit à l’exception d’incompétence relativement aux demandes fondées sur l’emprise irrégulière et renvoi de ce chef les parties à mieux se pourvoir.

— Réforme la décision déférée en ce qui concerne les demandes fondées sur la voie de fait et déclare le juge judiciaire compétent pour statuer sur l’existence d’une voie de fait.

— Déclare, en conséquence, recevable l’action des consorts Z fondée sur la voie de fait.

— Dit n’yavoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

— Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel afférents à l’exception d’incompétence.

Le présent arrêt a été signé par Madame Brigitte ROUSSEL, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Bordeaux, 15 décembre 2014, n° 14/03824