Cour d'appel de Bordeaux, 28 novembre 2016, n° 14/04445

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 28 nov. 2016, n° 14/04445
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 14/04445
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bordeaux, 26 mai 2014, N° 11/07843

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIERE CHAMBRE CIVILE – SECTION A


ARRÊT DU : 28 NOVEMBRE 2016

(Rédacteur : Elisabeth LARSABAL, président,)

N° de rôle : 14/04445

SAS KENTUCKY FRIED CHICKEN

c/

Daniel X

Jacques Y

Z Baptiste
BORDAS

Adilia Bernado DOS SANTOS

Alix A

Laurie B

Nature de la décision : AU
FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour :
jugement rendu le 27 mai 2014 par le Tribunal de Grande
Instance de BORDEAUX (chambre :

1re,

RG : 11/07843) suivant déclaration d’appel du 22

juillet 2014.

APPELANTE :

SAS KENTUCKY FRIED CHICKEN prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, Tour
Coeur Défense 100 Esplanade du Général
De Gaulle – 92400 COURBEVOIE

Représentée par Maître C D de la SELARL
LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, postulant

Représentée par Maître E substituant Maître Louis-Marie
ABSIL, avocat au barreau de PARIS, plaidant.

INTIMÉS :

Daniel X

né le XXX à XXX)

demeurant XXX
BORDEAUX

Jacques Y

né le XXX à XXX)

demeurant XXX
BORDEAUX

Z Baptiste
BORDAS

né le XXX à XXX)

demeurant XXX
BORDEAUX

Adilia Bernado DOS SANTOS

née le XXX à XXX)

demeurant XXX
BORDEAUX

Alix A

née le XXX à XXX)

demeurant XXX CARIGNAN DE
BORDEAUX

Laurie B

née le XXX à XXX)

demeurant XXX ARTIGUES PRES
BORDEAUX

Représentés par Maître Z-claude MARTIN de la SCP MARTIN &
ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX.

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 octobre 2016 en audience publique, devant la cour composée de :

Elisabeth LARSABAL, président,

Z-C FRANCO, conseiller,

Catherine BRISSET, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Irène
CHAUVIRE

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Le 31 mars 2006, la société KFC France a ouvert 131 cours Victor Hugo à Bordeaux un établissement de restauration rapide sous l’enseigne Kentucky fried chicken servant essentiellement du poulet frit et des frites.

Un cabinet d’avocat est locataire de locaux situé au premier étage de cet immeuble et a assigné en référé expertise qui a été ordonnée le 3 avril 2006, portant sur les nuances olfactives et sonores, et confiée à M. F, lequel a déposé son rapport, après de nombreuses réunions, le 31 mai 2007, après avoir émis des recommandations relatives à des travaux, et conclu à l’existence de nuisances sonores et olfactives et à un défaut de conception des locaux.

Le juge des référés s’est transporté sur les lieux le 28 novembre 2006 ; par ordonnance de référé du 26 novembre 2007, le président du tribunal de grande instance a condamné la société KFC France à réaliser des travaux sous astreinte ; une première tranche de travaux relatifs à la conception des locaux et aux nuisances acoustiques a été réalisée ; par ordonnance de référé du 5 mai 2008, M. F a été de nouveau désigné aux fins de vérifier si les travaux réalisés avaient effectivement mis fin aux nuisances, avec notamment pour mission de procéder à des mesures acoustiques et olfactives. M. F a déposé son rapport le 18 novembre 2008. Il a considéré que subsistaient des nuances olfactives.

Par une nouvelle ordonnance de référé du 6 avril 2009 du président du tribunal de grande instance de Bordeaux, la société KFC France a été condamnée à réaliser les travaux de nature à mettre un terme définitif aux nuisances sous astreinte et sous menace de fermeture.

Par jugement du 25 mai 2010, le tribunal de grande instance de Bordeaux a reconnu la pleine responsabilité de la société KFC France quant aux troubles sonores et olfactifs induits par son activité et subis par d’autres voisins, les époux
G.

Le 4 août 2011, M. X, M. Y, avocats locataires, maître
Bordas, avocat collaborateur, et mesdames H dos
Santos, B et A, salariées du cabinet, ont assigné la société KFC France devant le tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de voir dire que les nuisances par eux subies du fait de l’activité de la société KFC France excèdent les troubles normaux de voisinage et de la voir condamner au paiement de dommages intérêts dont le montant est différencié selon qu’il sont destinés aux deux avocats locataires, à leur collaborateur et aux salariées.

Par ordonnance de référé du 27 février 2012, le président du tribunal de grande instance de
Bordeaux a désigné M. I comme expert aux fins de vérifier si la société KFC
France a réalisé les travaux mis à sa charge par l’ordonnance de référé du 16 mars 2009, et si les travaux effectués ont mis un terme aux nuisances et dans la négative, décrire et chiffrer les travaux nécessaires. Ce rapport n’est pas déposé à ce jour, et un changement d’expert est intervenu récemment.

Par jugement du 27 mai 2014, le tribunal :

— a dit n’y avoir lieu à sursis à statuer dans l’attente du rapport d’expertise de M. I

— a déclaré la société KFC France responsable sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage des préjudices subis du fait de nuisances sonores et olfactives par les demandeurs entre avril 2006 et juillet 2011

— a condamné la société KFC France à payer à titre de dommages intérêts :

* M. X , la somme de 16800

* à M. Y , la somme de 16800

* à M. Bordas, la somme de 4600

* à Mme H la somme de 12080

* à Mme A la somme de 12080

* à Mme B la somme de 11700

avec intérêts au taux légal à compter du jugement et application de l’article 1154 du code civil

— a condamné la société KFC France au paiement d’une somme de 5000 en application de l’article 700 du code de procédure civile et de 2000 au titre des constats d’huissier, et aux dépens

— a ordonné l’exécution provisoire à hauteur de moitié.

La société KFC France a régulièrement relevé appel de ce jugement. Les intimés forment appel incident sur le montant des dommages intérêts.

Par conclusions n° 3 signifiées par RPVA le 19 septembre 2016, la société KFC France demande à la cour :

— de réformer le jugement en ce qu’il l’a condamnée au paiement de dommages intérêts et d’une somme en application de l’article 700 du code de procédure civile

— de débouter les demandeurs de toutes leurs demandes

— de les condamner au paiement des dépens et d’une somme de 20 000 en application de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Par conclusions signifiées par RPVA le 18 décembre 2014, M. X, M. Y, avocats locataires, M. Bordas, avocat collaborateur, et Mesdames
H dos Santos, B et A, salariées demandent au tribunal (SIC) :

— de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré la société KFC France responsable sur le fondement de la théorie des troubles du voisinage des préjudices subis par eux du fait des nuisances sonores et olfactives

— de réformer la décision du chef du quantum des sommes allouées et de condamner la société KFC France au paiement des sommes suivantes sauf à parfaire et avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation en référé du 31 mars 2006 :

* Monsieur X et Monsieur Y : 252 000 chacun

* Monsieur Bordas : 41 100

* Madame H dos Santos : 38 600

* Madame A : 38 600

* Madame B : 14 550

avec application de l’article 1154 du code civil

— de condamner la société KFC France au paiement de la somme de 10 000 en application de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens en ce compris les frais d’expertise et les frais de constats pour 2250 .

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, et des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les troubles de voisinage

Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ; il s’agit d’une responsabilité sans faute.

La notion de trouble anormal doit s’apprécier en fonction notamment de son intensité, de sa fréquence, de sa durée, de l’environnement dans lequel il se produit, du respect de la réglementation en vigueur, et la preuve du caractère anormal des troubles peut être rapportée par tous moyens.

Il est avéré qu’un établissement de restauration rapide de masse consacré à la vente de produits frits est de nature à générer des nuisances sonores et olfactives, et que l’activité d’un cabinet d’avocat nécessite le calme et des conditions dignes de réception de la clientèle, et ce, dès les parties communes de l’immeuble, et qu’il ne peut être imposé de travailler fenêtres fermées à raison de nuisances. Il est constant que la conception de l’établissement ne prenait pas suffisamment en compte ces exigences, pas plus d’ailleurs que le permis de construire. En effet, même si les locataires ont assigné en référé d’heure à heure dès le premier jour d’ouverture, la société KFC France a aussitôt fait effectuer des travaux de remédiation aux vices de conception notamment au niveau sonore. Il est sans incidence que l’immeuble du 131 cours Victor Hugo date du 18e siècle, cet élément ne devant pas générer une aggravation des conditions de travail.

Il n’est pas contesté que la société KFC
France a fait procéder à de nombreux et coûteux travaux, suivant en cela les injonctions qui lui avaient été délivrées après expertise par le juge des référés sous astreinte qui a été liquidée.

Il est d’ailleurs symptomatique les demandeurs intimés admettent que les nuisances sonores ont cessé en juillet 2008 à l’issue de travaux, ce qui montre qu’elles ont existé.

La remédiation aux nuisances olfactives est en revanche plus difficile et moins mesurable. Si la perception de ces nuisances est pour partie subjective, il est objectif que la perception en est évidente sans nécessité de recours à des mesures sophistiquées, l’odeur de friture étant

particulièrement perceptible par tout un chacun à la respiration, identifiable, et tenace, même s’il ressort de l’une des expertises qu’est également perceptible l’odeur des produits chimiques destinés à neutraliser les odeurs de friture. Cela tient pour partie à la composition chimique des acides gras linoléique et oléique qui s’oxydent rapidement après évacuation par les conduits d’extraction.

Le tribunal a relaté de façon exhaustive les constatations de l’expert M. F lors de ses deux expertises dans ses rapports des 30 mai 2007 et 18 novembre 2008 et la cour s’y réfère expressément.

En l’espèce d’une part des rapports d’expertise ont constaté l’existence de nuisances, et la cour fait intégralement sienne l’argumentation précise et approfondie du premier juge sur la vanité des reproches faits aux expertises de M. F quant à la méthode suivie, et l’expert constate sans ambiguité l’existence de nuisances, même si celles-ci ont au niveau sonore diminué lors de la seconde expertise.

D’autre part, les intimés produisent de nombreux témoignages de personnes (clients, stagiaires) attestant des nuisances olfactives de type odeurs de friture ressenties dès les parties communes de l’immeuble puis au sein du cabinet, la cour se référant au jugement qui en a repris le libellé de façon exhaustive ; les intimés produisent également de nombreux constats d’huissier, qui portent soit sur les odeurs, un huissier ne pouvant être considéré comme incapable de les percevoir sans appareil de mesure, soit sur des nuisances d’autre nature imputables à l’établissement exploité par la société KFC France: bac à graisse raccordé directement au niveau des égouts débordant dans la cour, regards de la cour bouchés par la graisse, inondations de la cave avec présence de produits graisseux, etc…).

Les nuisances ont également été constatées par le service d’hygiène de la mairie de
Bordeaux.

Enfin, il est observé que la société KFC
France a été condamnée par jugement définitif du tribunal de grande instance de Bordeaux du 25 mai 2010 à indemniser le préjudice subi par les époux G, propriétaire d’un appartement donnant sur la cour intérieure à raison des nuisances de l’établissement exploité par la société KFC France.

Ces éléments sont suffisants à établir l’existence de troubles anormaux de voisinage. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a retenu ces nuisances, la société KFC n’apportant en appel aucun élément contraire nouveau probant.

Il s’ensuit que la responsabilité de la société KFC France est engagée.

Sur le préjudice

Les demandes sont ainsi formulées et différenciées :

Monsieur X et Monsieur Y avril 2006 à juillet 2008 :150 par jour, après seulement odeurs 100 par jour jusqu’à décembre 2014 moins deux courtes périodes fin 2012 début 2013 et mars 2014 (20 jours ouvrés)

Monsieur Bordas : depuis août 2009, 30 par jour

Madame H dos Santos , femme de ménage 24 h par mois : 20 par jour de avril 2006 à décembre 2014

Madame A : 20 par jour

Madame B, partie le 15 janvier 2013, depuis avril 2006 : 20 par jour.

Le jugement sera confirmé par adoption de motifs, le tribunal ayant fait du préjudice des demandeurs une appréciation pertinente, et la cour n’estimant pas devoir indemniser la période postérieure au jugement, dès lors qu’une expertise est en cours pour déterminer si les nuisances se poursuivent. Cette expertise connaît certes des vicissitudes puisque l’expert a été déchargé de la mission, et que le nouvel expert n’a pas encore déposé son rapport, mais la raison d’être de cette expertise demeure.

Il est éventuellement concevable de différencier l’indemnisation des avocats locataires de celle de leurs salariées, qui l’acceptent, étant cependant observé que l’avocat collaborateur n’a pas le même temps de présence que les salariées et qu’il ressort des différents constats et expertises que les nuisances olfactives sont particulièrement prononcées dans son bureau, et l’indemnisation doit tenir compte du nombre d’années d’exposition, Monsieur Bordas n’étant arrivé au cabinet qu’en 2009 ; il n’y a pas lieu en revanche de considérer que le préjudice des deux locataires est plus sept fois supérieur à celui des salariées, même si leur temps de présence dans les locaux en amplitude journalière et hebdomadaire peut être supérieur, et ce même en considérant le temps passé à l’extérieur (audiences, assistance à expertises, visite aux clients, réunions etc ..) , et la gêne ressentie par rapport aux clients déplorant les mauvaises odeurs. La cour note par ailleurs que la différenciation entre la période de cumul des nuisances sonores et olfactives et celle des seules nuisances olfactives après juillet 2008, n’est pas opérée pour les salariées.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a mis à la charge de la société KFC France les dépens, en ce compris les frais d’expertise et de constats d’huissier à hauteur de 2000.

Les dépens d’appel seront mis à la charge de la société KFC France, dont les demandes sont rejetées, qui sera en conséquence déboutée de sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer aux intimés globalement et non à chacun d’eux une somme de 2500 .

Le coût des constats d’huissier postérieurs au jugement sera traité avec la suite de la procédure après dépôt du rapport d’expertise.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Y ajoutant, condamne la société KENTUCKY FRIED
CHICKEN France au paiement à
Messieurs X, Y, et Bordas, et à Mesdames H dos Santos A, et
B globalement la somme de 2500 en application de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par
Elisabeth LARSABAL, Président, et par Madame Irène
CHAUVIRE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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