Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 17 décembre 2020, n° 20/00973

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, ch. soc. sect. b, 17 déc. 2020, n° 20/00973
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 20/00973
Sur renvoi de : Cour de cassation, 19 novembre 2019, N° 1578FS@-@D
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B


ARRÊT DU : 17 DECEMBRE 2020

(Rédacteur : Monsieur Gérard Pitti, vice-président placé)

PRUD’HOMMES

N° RG 20/00973 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPDY

Monsieur I J

c/

EPIC LA MONNAIE DE PARIS

Nature de la décision : AU FOND

Notifié par LRAR le :

LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :

La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par

voie de signification (acte d’huissier).

Certifié par le Greffier en Chef,

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement du conseil des prud’hommes de Bordeaux du

2 février 2016 – section industrie – formation départage (R.G. F16/211) suite arrêt de la Cour de Cassation rendu le 20 novembre 2019 (n°1578 FS-D) cassant partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux- chambre sociale section A-, en date du 16 mai 2018 (R.G 16/1908), suivant déclaration de saisine du 20 février 2020 de la cour d’appel de Bordeaux, désignée cour de renvoi, autrement composée.

DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION :

I J

né le […] à […]

de nationalité Française, demeurant […], résidence de loustalot bât. […]

Représenté par Me Béatrice LEDERMANN de la SELARL AFC-LEDERMANN, avocat au

barreau de BORDEAUX

DEFENDEUR SUR RENVOI DE CASSATION :

EPIC LA MONNAIE DE PARIS pris en la personne de son représentant légal

domicilié en cette qualité au siège social […]

Représentée par Me X PILLOIX de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée de Me Christophe BIDAL, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 05 novembre 2020 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Madame Emmanuelle Leboucher, conseillère,

Monsieur Gérard Pitti, vice-président placé auprès de la première présidente

qui en ont délibéré.

greffière lors des débats : Mme Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La Monnaie de Paris est un établissement public industriel et commercial- EPIC- qui a notamment pour mission, à titre exclusif, de fabriquer pour le compte de l’Etat les pièces métalliques ayant cours légal et pouvoir libératoire destinées à la circulation en FRANCE.

La loi n°2006-1666 du 21 décembre 2006 a substitué cet établissement à l’administration des monnaies et médailles qui était rattachée au ministère des finances.

L’établissement monétaire de PESSAC, créé en 1973, a compté 571 agents et a reconnu avoir utilisé de l’amiante en particulier pour les activités de l’atelier de fonderie de 1974 jusqu’à la fermeture définitive de cet atelier en 1997.

Plusieurs listes ont été établies par la Monnaie de Paris pour répertorier le nombre de salariés exposés à l’amiante : une première liste établie en janvier 1997 qui avait limité à 70 le nombre de salariés ayant travaillé en fonderie et en présence d’amiante ; une liste établie le 27 mars 2007 pour la mise en place d’un suivi médical qui fait état de 240 personnes en exposition à l’amiante à des degrés divers ; une liste établie le 19 juin 2013 qui augmentait à 257 le nombre de salariés exposés à l’amiante.

Soutenant avoir été exposés aux poussières d’amiante, M. K L et plusieurs autres salariés, qui ont été employés par La Monnaie de Paris sur son site de PESSAC où sont fabriquées les pièces de monnaie, ont saisi la juridiction prud’homale en réparation d’un préjudice d’anxiété. Certains salariés ont également sollicité la condamnation de La Monnaie de Paris au paiement de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice distinct résultant de l’absence de mise en place d’un suivi médical post-exposition à l’amiante.

Par jugements du 2 février 2016 rendus en formation de départage, le conseil de prud’hommes de BORDEAUX a débouté chacun des 83 salariés de l’EPIC de la Monnaie de Paris qui l’avaient saisi d’une demande en versement d’une somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’anxiété résultant d’une exposition à l’amiante. En outre, 27 d’entre eux avaient également sollicité le versement d’une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation d’un préjudice distinct, résultant de l’absence de mise en place d’un suivi médical post-exposition amiante, et ont été déboutés de cette demande.Chaque salarié a été débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamné aux dépens.

Par jugements en date du 6 juin 2016 rendus en formation de départage, le conseil de prud’hommes de BORDEAUX a fait droit à la demande au titre d’indemnité de départ à la retraite de MM. M Y, N B, O A, I C, P Z et Q X mais les a déboutés de leur demande en réparation au titre du préjudice d’anxiété.

72 salariés, dont M. R S qui s’est ultérieurement désisté, ont interjeté appel des jugements du 2 février 2016. MM. M Y, N B, O A, I C, P Z et Q X ont interjeté appel des jugements en date du 6 juin 2016.

Lors de leur plaidoirie devant la cour d’appel de Bordeaux, les appelants ont demandé chacun l’infirmation du jugement le concernant, et ont sollicité qu’il soit fait droit à leurs demandes de condamnation formulées en première instance, à savoir la somme de 100.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice d’anxiété, outre une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour les salariés qui n’ont pas bénéficié de la mise en place d’examens de suivi par la Monnaie de Paris, avec intérêts légaux à compter de la saisine. Ils ont demandé également le versement d’une somme de 1.500 euros nets pour chacun d’eux au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt en date du 16 mai 2018, la cour d’appel de Bordeaux a condamné l’EPIC La Monnaie de Paris à verser à titre d’indemnité de départ à la retraite :

—  7.702,26 euros avec intérêts légaux à compter du 17 novembre 2017 à M. Philippe CONSTANS,

—  7.750,12 euros avec intérêts légaux à compter du 17 novembre 2017 à M. W-P AA,

-5.819,91 euros avec intérêts légaux à compter du 17 novembre 2017 à M. T U,

—  5.318,88 euros avec intérêts légaux à compter du 8 décembre 2015 à M. I J.

Elle a néanmoins confirmé les jugements du 2 février 2016 en ce qu’ils ont débouté les 71 appelants de leurs demandes au titre du préjudice d’anxiété en retenant que l’EPIC La

Monnaie de Paris ne faisait pas partie des établissements répertoriés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 qui a institué, en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l’amiante, sans être atteints d’une maladie professionnelle liée à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite avec mise en place du dispositif de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA). Elle a retenu que le préjudice spécifique d’anxiété naissait à la date à laquelle les salariés avaient connaissance de l’arrêté ministériel d’inscription de l’établissement sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l’ACAATA, dans la mesure où la connaissance de l’arrêté identifiait et concrétisait la connaissance du risque par les salariés qui avaient été particulièrement exposés. Elle a considéré qu’en l’absence d’inscription de l’EPIC La Monnaie de Paris sur la liste établie par arrêté ministériel, le préjudice d’anxiété allégué n’était pas né et n’était donc pas indemnisable en justice, à défaut de l’un de ses éléments constitutifs.

62 salariés ont formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.

Par arrêts du même jour, la cour d’appel de BORDEAUX a condamné l’EPIC La Monnaie de Paris à verser à titre d’indemnité de départ à la retraite à M. O A la somme de 7.121,38 euros, à M. P Z la somme de 7.621,52 euros, à M. I C la somme de 5.722,32 euros avec intérêts légaux à compter du 8 avril 2016. La cour d’appel de Bordeaux a confirmé les jugements en date du 6 juin 2016 en ce que les premiers juges ont débouté ces salariés de leur demande en réparation du préjudice d’anxiété.

Le même jour, la cour d’appel de Bordeaux a également confirmé les jugements en date du 6 juin 2016 en ce que les premiers juges ont débouté MM. M Y (20/964), Q X (20/965), N B (20/966) de leurs demandes en réparation du préjudice d’anxiété.

MM. M Y, Q X, N B, O A, M. P Z et M. I C ont formé un pourvoi un cassation à l’encontre de ces arrêts.

Par quatre arrêts en date du 20 novembre 2019 (n°1576 pour MM. X et Y, n°1577 pour MM. Z, A et B, n°1578 pour 62 appelants et n°1579 pour M. C), la chambre sociale de la cour de cassation a cassé et annulé les arrêts du 16 mai 2018 de la cour d’appel de Bordeaux mais seulement en ce qu’il ont débouté les salariés ou leurs ayants droit de leurs demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice d’anxiété, et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Bordeaux autrement composée.

La chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le salarié qui justifiait d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, pouvait agir contre son employeur, en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, pour manquement de ce dernier à cette obligation, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.

Le 20 février 2020, 66 appelants ont saisi la cour d’appel de Bordeaux après le renvoi décidé par la chambre sociale de la Cour de cassation par les arrêts du 20 novembre 2019 n°1576, n°1577 n°1578 et n°1579.

Par conclusions déposées au greffe le 8 octobre 2020, les appelants sollicitent l’infirmation des jugements entrepris et demandent à la cour d’appel de :

— à titre principal : condamner la Monnaie de Paris, prise en la personne de son représentant

légal, au paiement de la somme de 50.000 euros à chaque salarié en réparation du préjudice d’anxiété, soit 5 à 7 euros par jour de manquement à l’obligation de sécurité,

— à titre subsidiaire, si la cour décidait ne pas avoir les éléments suffisants pour évaluer le montant du préjudice d’anxiété, ordonner la réalisation d’une expertise judiciaire par un expert psychologue qui aura pour mission d’évaluer le préjudice moral et psychologique d’anxiété pour chacun des appelants en raison de leur exposition professionnelle à l’amiante pendant de si nombreuses années sans que les moyens de protection adéquate n’aient été mis en place par la Monnaie de Paris, et dire et juger que le coût de l’expertise par demandeur est à la charge de la Monnaie de Paris,

En tout état de cause,

— condamner la Monnaie de Paris à verser à chaque salarié la somme de 3.000 euros nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et frais éventuels d’exécution,

— soumettre ces sommes aux intérêts légaux à compter de la saisine.

Les appelants prétendent que les listes des travailleurs en contact avec l’amiante établies par la Monnaie de Paris en 2007 puis en 2013 ne seraient pas exhaustives et qu’ils auraient tous été exposés aux poussières d’amiante au regard de la similitude des postes qu’ils ont occupés. Ils précisent ainsi que certains salariés, qui n’avaient pas été inclus dans la liste du 27 mars 2007, comme M. D, ont été atteints d’un cancer broncho-pulmonaire lié à l’amiante. Ils font valoir qu’aucun élément objectif ne permettrait de distinguer les salariés entre eux selon le degré d’exposition figurant sur les listes établies par leur employeur et indiquent que certains salariés non répertoriés auraient été affectés dans des services identiques aux services de salariés pour lesquels le suivi exposition amiante niveau intermédiaire a été reconnu.

Ils exposent que la Monnaie de Paris a violé son obligation de sécurité en ce qu’elle n’a pas pris de mesures suffisantes pour protéger ses salariés des risques connus de l’amiante. Ils mettent en exergue le fait que leur employeur aurait manqué de transparence et n’aurait pas informé suffisamment le personnel sur les risques et les dangers de l’amiante. Ils ajoutent que leur employeur ne les a pas formés à une utilisation correcte et sûre de ce produit et qu’il n’a pas élaboré la notice qu’il devait établir pour chaque poste de travail où un salarié était amené à utiliser des produits chimiques dangereux. Ils font également état de l’absence d’équipement de protection individualisé et de l’absence de mise en place ou d’entretien des systèmes de ventilation et d’aération.

Ils font valoir que leur exposition à l’amiante serait incontestable et qu’ils subissent une angoisse qui serait effectivement réactivée au fur et à mesure de chaque examen médical qu’ils passent. Les appelants précisent subir en particulier une anxiété importante depuis les premiers cas de maladie décelés dans l’Etablissement Monétaire de Pessac au début des années 2000.

Sur le montant du préjudice d’anxiété évalué, les appelants prétendent que le degré d’exposition retenue dans la liste de l’employeur- exposition importante, intermédiaire ou faible- serait indépendant de la gravité des pathologies déclarées par certains salariés en exposition intermédiaire, ou hors liste (cancer broncho-pulmonaire pour M. W-AB AC, M. E, M. D). Ils font valoir que leur préjudice ne devrait pas être évalué selon le degré d’exposition fixé sur cette liste ou selon leur absence de cette liste mais selon le nombre d’années de manquements de l’employeur dans la mise en place de moyens de protection individuels ou collectifs, au regard de l’utilisation massive de l’amiante

et de l’ancienneté des textes relatifs aux moyens de protection. Ils soutiennent qu’ils n’ont pas pu partir de manière anticipée dans le cadre du dispositif ACAATA prévu pour des non malades en établissements 'classés amiantés', et qu’ils ont nécessairement été davantage angoissés car ils ont continué à respirer des poussières d’amiante au sein de leur établissement. Ils affirment ainsi que leur réparation devrait être supérieure à celle octroyée aux salariés ayant travaillé dans des établissements 'classés amiantés'. Ils indiquent que leur angoisse serait réactivée à chaque suivi médical dans le cadre du suivi amiante ou examen qu’ils effectuent à titre personnel. Ils précisent que les sommes demandées correspondraient en réalité à un préjudice de 5 à 7 € par jour d’exposition alors qu’ils ont travaillé en moyenne entre 30 et 40 ans au sein de la Monnaie de Paris, ce qui représenterait entre 6750 et 9000 jours d’exposition.

Par conclusions déposées au greffe le 30 octobre 2020, la Monnaie de Paris demande à la cour d’appel :

— à titre principal, de débouter les 66 appelants de leurs demandes,

— à titre subsidiaire, de réduire les dommages-intérêts à de plus justes proportions en fonction du préjudice personnel de chaque appelant.

En tout état de cause, la Monnaie de Paris sollicite la condamnation des appelants aux dépens.

La Monnaie de Paris prétend que ses salariés n’auraient pas connu des conditions d’exposition à l’amiante qui auraient généré chez eux un risque élevé de développer une pathologie grave susceptible de provoquer notamment l’anxiété dont la réparation est demandée. Elle précise que seuls 12 salariés sur 571 auraient développé une maladie professionnelle, nombre qui n’apparaîtrait pas comme compatible avec une utilisation significative de l’amiante ou de matériaux contenant de l’amiante.

S’agissant de son obligation de sécurité, la Monnaie de Paris expose qu’elle aurait, dès 1976, procédé à des mesures de poussière d’amiante de la fonderie et qu’un seul des postes examinés- le poste de décrassage des têtes de coulée- aurait eu une concentration en amiante supérieure au seuil limite. Elle indique qu’elle a aménagé ce poste par l’installation d’une table aspirante et qu’elle a préconisé le port de masques anti-poussières à ses salariés. Elle ajoute que le 12 juin 1995, avant la parution des décrets ministériels n°96-97 et 96-98 du 7 février 1996 sur l’amiante, elle a procédé d’elle-même à un recensement des matériaux contenant de l’amiante dans tous ses ateliers afin de remplacer ces matériaux. Elle fait valoir que le rapport de mesures d’empoussièrement du 14 janvier 1997 réalisé par l’APAVE sur la plate-forme des fours de fusion au poste de travail des fondeurs et sur la plate-forme de réparation des fours indiquerait des valeurs mesurées inférieures à 0,3 fibre/L pour des valeurs de référence ministérielles de 5 fibres/L. Elle prétend qu’elle a également confié à un ingénieur conseil en BTP, M. M V, une mission d’investigation supplémentaire aux fins de détecter les éléments de construction des bâtiments pouvant contenir de l’amiante. Elle soutient que la présence d’amiante dans l’établissement était limitée et contrôlée et que les conditions de travail de ses salariés ne seraient pas celles décrites par les appelants.

La Monnaie de Paris ajoute avoir informé régulièrement ses salariés sur l’exposition à l’amiante notamment en affichant une note de service en date du 12 mars 1997 à l’attention des chefs d’atelier en les invitant à une séance d’information sur l’amiante. Elle indique qu’elle a commencé dès 1997 à recenser les membres de son personnel ayant été exposés à l’amiante.

Elle fait valoir que la fonderie a arrêté ses activités en mai 1997, que son démontage a été réalisé en 1999 et que le démontage du laminoire à chaud a, quant à lui, été réalisé en 2000.Elle précise que le dépoussiérage des cellules de fusion de la fonderie a été réalisé en août 2001. Elle invoque le plan de prévention daté du 30 juillet 2001 qui préconisait le port d’équipements de sécurité ainsi qu’un traitement des déchets ad hoc.

Concernant l’indemnisation du préjudice d’anxiété, la Monnaie de Paris expose qu’il appartiendrait aux appelants, plutôt que de solliciter une indemnisation forfaitaire, de justifier d’une part, qu’ils sont astreints à un suivi médical afférent et, d’autre part, qu’ils subissent une angoisse permanente de développer une maladie liée à l’amiante et réactivée par des contrôles et examens réguliers. Elle soutient que cette double démonstration ne serait nullement rapportée par les salariés et qu’ils ne caractériseraient ainsi pas leur préjudice d’anxiété.

Elle ajoute que la date d’exposition à l’amiante devrait également être un critère pour évaluer une éventuelle anxiété puisque les salariés embauchés dans les années 1990 et après l’interdiction de l’usage de l’amiante au 15 janvier 1997 ne pourraient prétendre avoir été exposés, de manière fautive, à des poussiéres d’amiante. Elle considère que, au regard de la disparité des situations des appelants, il conviendrait de se reporter à la liste qu’elle a elle-même établie, avec les représentants du personnel et la médecine du travail, classant les salariés en 3 catégories : exposition faible, exposition intermédiaire et exposition forte.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux jugements de départage ainsi qu’aux écritures déposées, oralement reprises.

L’affaire a été plaidée à l’audience du 5 novembre 2020 et mise en délibéré ce jour.

SUR CE,

Le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, pour manquement de ce dernier à cette obligation, quand bien même il n’a pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.

La Monnaie de Paris n’étant pas un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée, il convient de vérifier préalablement si le salarié justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, avant d’examiner, le cas échéant, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Sur l’exposition du salarié à l’amiante :

Il est constant que les salariés travaillant au sein de l’établissement de Pessac de la Monnaie de Paris étaient déjà en 1975 exposés à un risque sérieux lié à l’inhalation des poussières d’amiante. En effet, dès la réunion du 23 décembre 1975 du comité d’hygiène et de sécurité, la délégation ouvrière demandait à l’employeur si l’utilisation de l’amiante en fonderie présentait un danger sur la santé mis en exergue par des professeurs en biologie. Le médecin du travail informait les salariés que la maladie encourue était l’abestose et que celle-ci était due à la grande diffusion des poussières d’amiante dans l’atmosphère. Ce dernier préconisait de procéder à des prélèvements dans l’atelier de fonderie où était utilisé ce matériau. Lors de la réunion du comité d’hygiène et de sécurité du 21 décembre 1976, la délégation ouvrière faisait remarquer que dans l’atelier de fonderie, certains secteurs étaient très empoussiérés. Des prélèvements en amiante effectués par l’APAVE de juillet à septembre 1976 montraient notamment au décrassage des têtes de coulée, une concentration en amiante supérieure au

seuil limite. De manière plus générale, il était constaté une présence importante d’amiante non seulement dans l’atelier de fonderie – en particulier au niveau des gaines d’extraction des fours qui comportent des trappons en sous face qui sont étanchés par des plaques d’amiante- mais également dans la plupart des ateliers de la Monnaie de Paris à savoir le laminoir – dans les fours contenant des plaques d’amiante- la finition des flans, le laboratoire, les ateliers de blanchiment et de conditionnement, l’atelier ARIM -atelier de réalisation des outillages et de frappe monétaire – qui était composé de 3 fours, des fours industriels de marque 'RIPOCHE’ dont l’isolation et la protection étaient à base d’amiante, et les magasins qui stockaient notamment des plaques en amiante-ciment ainsi que des nappes de 'Kerlane’ pour la construction des fours et qui réceptionnaient l’ensemble des vêtements de travail de l’entreprise y compris les vêtements des fondeurs et des maçons.

Malgré la connaissance par l’employeur d’une présence importante d’amiante dans la plupart des ateliers de l’établissement dès 1975, il ressort de la lecture du rapport établi par le docteur F en date du 19 décembre 1983 que la visite de la fonderie montrait à l’évidence un empoussièrement important et permanent. Selon les termes de ce rapport : 'Les poussières sont respirées par tout le personnel présent dans l’atelier, quel que soit le poste de travail. Ces poussières sont de nature très variée : cuivre, nickel, aluminium, fluorure, silice, noir de fumée… Indépendamment d’une éventuelle toxicité spécifique à tel ou tel composant, cet ensemble de produits différents, respirés en permanence, nous parait malsain et justifie à lui seul que l’atelier de fonderie soit déclaré insalubre dans son ensemble.' Il ressort des différents procès-verbaux du comité d’hygiène et de sécurité notamment celui du 4 décembre 1995 que, durant les années 1980 et 1990, l’employeur n’a pas procédé à un remplacement de l’amiante par un autre produit de substitution. En sus, il est également établi que la campagne de remplacement des produits contenant de l’amiante par des produits de substitution engagée en 1996 a été inégalement suivie et que, malgré la fermeture définitive de l’atelier de fonderie en 1997, l’amiante était encore présente dans des placards situés dans la fonderie et le magasin fonderie. Par ailleurs, il n’est pas contesté que lors du dépoussiérage et du déménagement de la fonderie par des entreprises extérieures en 2004, ces entreprises n’étaient pas informées de la présence d’amiante dans les fours et dans certains équipements et n’ont donc pas pris toutes les précautions nécessaires afin de protéger les salariés. Le rapport du 22 mars 2011 du Bureau VERITAS permet également de confirmer la présence encore actuelle d’amiante dans certains équipements de l’établissement. A cet égard, l’analyse de trois échantillons prélevés sur des impacts sur les murs d’un lieu de stockage et dans l’atelier blanchiment ainsi que sur des résidus de plaques de protection au feu dans la chaufferie établissait la présence d’amiante dans ces trois échantillons.

Enfin, il est constant que le processus de balayage au sein de la Monnaie de Paris, à savoir une prestation de balayage effectuée par un personnel volontaire arrivant une heure avant la prise de travail, a été effectué par l’ensemble du personnel de la Monnaie de Paris et non par un personnel permanent affecté au nettoyage des locaux, ce qui aurait nettement limité les risques d’exposition aux poussières d’amiante. Or, il n’est pas contesté que les salariés, en exerçant continûment l’activité 'balai’ pendant de nombreuses années, ont eu une exposition directe à la poussière d’amiante dans des locaux contigus aux ateliers de fabrication (four et fonderie). De même, les salariés étaient amenés, dans le cadre de leur activité, à effectuer des déplacements dans des secteurs plus amiantés que leur propre atelier.

Il résulte de ce qui précède que Monsieur J I, qui a travaillé plus de 10 ans au sein de la Monnaie de Paris sans protection individuelle adaptée contre les risques physiques liés à l’amiante, justifie avoir subi une exposition environnementale cancérogène en raison de la présence d’amiante dans les ateliers de fabrication (four et fonderie) et dans les ateliers voisins, exposition qui a généré chez lui un risque élevé de pathologie grave.

Sur l’obligation de sécurité de l’employeur :

Aux termes des dispositions de l’article L.4121-1 du code du travail :

'L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.'

L’article L.4121-2 du même code précise : 'L’employeur met en 'uvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.'

En l’espèce, la Monnaie de Paris ne soutient ni n’établit qu’elle ignorait les dangers encourus par ses salariés en raison de l’utilisation de l’amiante dans ses ateliers de fabrication. Au contraire, il est constant que dès la réunion précitée du comité d’hygiène et de sécurité du 23 décembre 1975, l’employeur avait conscience du danger lié à l’exposition de l’amiante notamment du risque d’abestose qui avait été indiqué par le médecin du travail. Il ressort ensuite du procès-verbal de réunion du comité d’hygiène et de sécurité du 24 mars 1977 que 'le Docteur G informe que les derniers prélèvements en amiante effectués par l’APAVE de juillet à septembre 1976, au décrassage des têtes de coulée, ont une concentration supérieure à la moyenne mais si l’on considère que la concentration moyenne pondérée par rapport au temps on a une concentration en amiante inférieure à la moyenne

(…) M. H (l’employeur) est tout à fait d’avis d’étudier particulièrement certains postes et préconise le port d’un masque anti-poussière pour le décrassage des têtes de coulée. Il signale par ailleurs que le poste de travail a été aménagé par l’installation d’une table aspirante.(…)'. Malgré la connaissance du danger par l’employeur, il est également établi que l’employeur n’avait pas procédé au remplacement de l’amiante par un produit de substitution avant 1996, soit 20 ans après les premiers prélèvements effectués par l’APAVE, et que ce remplacement n’était d’ailleurs pas totalement homogène dans l’ensemble des ateliers. En outre, il ressort des nombreuses attestations des salariés que l’employeur n’avait pas mis à disposition de l’ensemble des salariés des masques anti-poussière et que ces masques étaient en tout état de cause inefficaces et inadaptés contre les risques physiques liés à l’amiante qui était notamment très pulvérulente au moment du démontage des fours par les maçons.

En outre, il n’est pas contesté que les systèmes de ventilation des ateliers étaient insuffisants, ce que l’employeur avait admis à plusieurs reprises lors de réunions de comités d’hygiène et de sécurité. Malgré la mise en place de certaines mesures comme l’installation en 1977 d’une table avec aspiration de poussières sur le poste de décrassage des têtes de coulée, cette mesure s’est avérée totalement insuffisante puisque le docteur F, dans son rapport en date du 19 décembre 1983, désignait un empoussièrement important et permanent de l’atelier fonderie et en relevait le caractère insalubre. Ce n’est qu’en 1992 qu’était lancée une étude destinée à inventorier les déchets d’amiante et ce n’est qu’en 1996, soit plus de 20 ans après la connaissance des risques de l’amiante connus par l’employeur, que cette étude se poursuivait aux fins de protéger finalement les salariés de manière collective.

Par ailleurs, l’employeur ne démontre pas avoir formé et informé de manière adéquate ses salariés avant 1997 sur les risques physiques liés à l’exposition de l’amiante de nature à ce qu’ils ne soient pas exposés de manière régulière au danger de l’inhalation de l’amiante.

En conséquence, il est établi que la Monnaie de Paris a commis plusieurs manquements à son obligation de sécurité visée à l’article L.4121-1 du code du travail.

Sur l’indemnisation du préjudice d’anxiété :

L’indemnisation du préjudice d’anxiété doit réparer l’ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d’un risque élevé de développer une pathologie grave y compris ceux liés aux bouleversements dans les conditions d’existence.

En l’espèce, compte tenu de la durée d’exposition à l’amiante de Monsieur J I et des pièces qu’il produit aux débats, notamment les attestations de proches et les pièces médicales, il est justifié par ce salarié de l’existence d’un préjudice d’anxiété résultant de la connaissance du risque de développer une maladie induite par son exposition à l’amiante. Il est donc en droit de prétendre à une indemnisation à ce titre pour réparer l’ensemble des troubles psychologiques dont il peut être affecté.

En outre, il est indéniable que la légèreté manifestée par l’employeur dans la mise en oeuvre de son obligation de sécurité ainsi que l’impossibilité pour le salarié d’échapper à l’exposition amiantée en l’absence de cessation anticipée de son activité due à la non-inscription de la Monnaie de Paris dans la liste des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998, n’ont pu que majorer l’inquiétude dans laquelle vit le salarié.

Dès lors, il lui sera alloué la somme de 10.000 euros que la cour considère comme étant la juste réparation de son préjudice d’anxiété, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les autres demandes :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur J I la totalité des frais qu’il a dû prendre en charge dans le cadre de la présente instance. La Monnaie de Paris sera condamnée en conséquence à lui verser la somme de 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Enfin, la Monnaie de Paris, partie succombante devant la présente instance, supportera la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme les dispositions relatives à l’indemnisation du préjudice d’anxiété du jugement de départage du conseil de prud’hommes de BORDEAUX en date du 2 février 2016 pour M. J I;

Statuant à nouveau sur ce point :

Condamne LA MONNAIE DE PARIS à verser à Monsieur J I la somme de 10.000 euros (DIX MILLE EUROS) au titre de l’indemnisation de son préjudice d’anxiété, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt;

Y ajoutant,

Condamne LA MONNAIE DE PARIS à verser à Monsieur J I la somme de 500 euros (CINQ CENTS EUROS) en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamne LA MONNAIE DE PARIS aux dépens.

Signé par Eric Veyssière, président et par Evelyne Gombaud, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

E. Gombaud E. Veyssière

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Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section b, 17 décembre 2020, n° 20/00973